01 09 96 BEAUDRY, PHILIPPE, le demandeur, c. MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS, l’organisme. Le 25 mai 2001, le demandeur s’adresse à l’organisme afin d’obtenir communication, entre autres, de certains documents concernant la demande d’aide financière de la Société historique de l’Empress of Ireland (la Société) dont il était, à l’époque de la demande d’aide, président et directeur. Cette demande parvient à l’organisme le même jour et, le 12 juin 2001, son responsable de l’accès (le Responsable) lui fait parvenir les documents demandés, à l’exception d’un document analysant la demande d’aide financière en question. Le Responsable refuse de lui communiquer ce document parce qu’il constitue, en substance, un avis ou une recommandation visée par l’article 37 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la Loi). Le même jour, le demandeur requiert la Commission d’accès à l’information (la Commission) de réviser cette décision du Responsable. Une audience se tient en la ville de Montréal, le 3 mai 2002. L’AUDIENCE LA PREUVE L’avocat de l’organisme, M e Jean Émond, appelle, pour témoigner, M. Yves Laliberté (M. Laliberté), le Responsable. M. Laliberté remet d’abord le document en litige à la Commission, sous pli confidentiel. 1 L.R.Q., c. A-2.1.
01 09 96 -2-Il s’agit, d’un document de trois pages intitulé « Fiche de présentation » préparé le 22 février 2000 par Euchariste Morin (M. Morin) concernant la demande d’aide financière visée par la demande d’accès. Le témoin explique brièvement les démarches entreprises pour retracer le document demandé et la procédure qu’il suit habituellement pour ce type de demande. M. Laliberté décrit la procédure habituelle suivie par l’organisme dans le cas de demande d’aide financière, ce qui a été fait dans le cas sous étude. La Société avait formulé cette demande d’aide à l’organisme afin d’organiser une exposition itinérante sur le naufrage de l’Empress of Ireland. La sous-ministre responsable de la région administrative du Bas-du-Fleuve a demandé que les fonctionnaires de l’organisme analysent la demande d’aide dans le but de déterminer la qualité du projet et de vérifier s’il s’inscrivait dans le programme d’aide. La fiche préparée par M. Morin était destinée à la sous-ministre adjointe, Madame Duplessis, afin qu’une décision soit prise sur la demande d’aide. De l’avis du Responsable, il s’agit d’une recommandation d’un professionnel de l’organisme, M. Morin, aux autorités qui doivent prendre la décision appropriée. Le professionnel porte un jugement de valeur sur le dossier, selon son expertise. Le Responsable est d’avis que M. Morin était la personne la mieux préparée pour émettre un tel jugement de valeur. Il possède un diplôme universitaire et œuvre comme fonctionnaire depuis plusieurs années. En réponse à une question de la Commission, le témoin Laliberté indique que les champs d’intervention habituels de M. Morin, l’auteur du document en litige, sont les dossiers relatifs au patrimoine et aux activités muséales et que c’est en raison de ces champs d’activités que l’organisme a fait appel à lui. M. Morin possède une connaissance professionnelle du dossier et l’épave est située dans son secteur. Le demandeur témoigne. Il explique son implication personnelle dans la découverte et la protection de l’épave de l’Empress of Ireland et ses efforts pour la faire connaître mondialement. Il met en doute la compétence de M. Morin en matière d’exposition itinérante à travers tout le Canada, ce qui constituait la substance de son projet. Il admet que l’intervention de M. Morin dans le dossier de demande
01 09 96 -3-d’aide a causé le rejet de son projet. Le demandeur a même demandé la démission de M. Morin pour abus de confiance et défaut d’honnêteté. LES ARGUMENTS L’ORGANISME M e Émond, l’avocat de l’organisme, plaide que le document en litige a directement influencé la décision de l’organisme sur la demande d’aide financière. Il fait remarquer que le demandeur reconnaît ce fait. Il soutient que l’auteur porte un jugement de valeur sur le projet, il donne son avis tout au long du texte. Sauf quelques phrases, cette fiche constitue, en substance, un avis et la moitié de ce texte est nettement composée de recommandations. Selon la jurisprudence sur le sujet 2 , le Responsable était fondé d’exercer la discrétion de l’organisme de refuser totalement l’accès à ce document en vertu des articles 14 et 37 de la Loi. LE DEMANDEUR Il estime que M. Morin n’avait pas la compétence pour évaluer son projet. L’article 37 ne peut donc s’appliquer aux avis et recommandations qu’il formule. DÉCISION La seule disposition invoquée pour refuser l’accès se lit comme suit : 37. Un organisme public peut refuser de communiquer un avis ou une recommandation faits depuis moins de dix ans, par un de ses membres, un membre de son personnel, un membre d'un autre organisme public ou un membre du personnel de cet autre organisme, dans l'exercice de leurs fonctions. 2 Deslauriers c. Québec (Sous-ministre de la Santé et des Services sociaux), [1991] CAI 311 (C.Q.) 318 à 323 ; Rimouski (Ville de) c. Syndicat national des employés municipaux (manuels) de Rimouski, [1998] CAI 525 (C.Q.) 528 à 530.
01 09 96 -4-Il peut également refuser de communiquer un avis ou une recommandation qui lui ont été faits, à sa demande, depuis moins de dix ans, par un consultant ou par un conseiller sur une matière de sa compétence.
01 09 96 -5-La Commission tient à rappeler qu’elle n’a pas juridiction pour juger de la qualité de la compétence professionnelle du membre du personnel de l’organisme agissant dans l’exercice de ses fonctions et visé par le premier alinéa de l’article 37, contrairement aux prétentions du demandeur. Tout au plus peut-elle s’interroger sur la nature de cette compétence, étant entendu que le terme compétence doit être pris dans son sens juridique (aptitude reconnue légalement à une personne de se prononcer sur une matière déterminée) plutôt que dans son sens familier (degré ou qualité de la connaissance ou du savoir d’une personne). À ce dernier égard, la preuve convainc la Commission que M. Morin était la personne juridiquement compétente, au sein de l’organisme, pour faire le travail qui était requis. L’examen du document en litige et la preuve révèlent que ce document porte la date du 22 février 2000 et qu’il a été préparé par un professionnel, membre du personnel de l’organisme, à qui l’organisme confie habituellement ce genre de dossier pour obtenir de lui des avis ou des recommandations dans le but de décider si une aide financière sera accordée par les autorités de l’organisme ou non. Les critères d’application de l’article 37 de la Loi sont satisfaits puisque le document a été confectionné depuis moins de 10 ans, par un membre du personnel de l’organisme dans l’exercice de ses fonctions et qu’il constitue, en partie du moins, un jugement de valeur sur le projet, jugement incontestablement destiné à influencer directement les décideurs de l’organisme. La Commission est d’avis que la recommandation formelle apparaissant sous le titre « recommandations » de la page 2 est précédée ou suivie d’avis générant ou justifiant telle recommandation. Il s’agit de savoir si les avis et les recommandations formant le jugement de valeur constituent la substance du texte en litige ou si, par le jeu de la partie ci-après soulignée de l’article 14 de la Loi, le demandeur peut prétendre une communication partielle de ce document : 14. Un organisme public ne peut refuser l'accès à un document pour le seul motif que ce document comporte certains renseignements qu'il doit ou peut refuser de communiquer en vertu de la présente loi. Si une demande porte sur un document comportant de tels renseignements, l'organisme public peut en refuser l'accès si ces renseignements en forment la substance. Dans les autres cas, l'organisme public doit donner accès au document demandé après en avoir extrait uniquement les renseignements auxquels l'accès n'est pas autorisé.
01 09 96 -6-Les deux premières parties du texte, intitulées « Résumé de la demande » et « Le projet » décrivent le projet présenté et définissent l’objet de la demande. La première phrase du troisième chapitre intitulé « Analyse et commentaires sur le projet » précise l’objet financier de la demande d’aide. La Commission n’y voit aucun avis ni recommandation. L’article 37 ne peut s’appliquer à ces parties du document en litige. En raison du commentaire qui suit immédiatement la première phrase du troisième chapitre, les trois points qui suivent ce commentaire sont, en substance, de la nature d’un avis. Tout le chapitre quatrième intitulé « Problématique », aux pages 1 et 2, analyse la situation en trois points distincts et cette analyse est parsemée d’avis et d’opinions de l’auteur. La Commission ne peut scinder les parties analytiques des avis et opinions sans enlever tout sens à l’analyse, d’une part ou aux avis, d’autre part. La totalité de ce chapitre peut donc être soustraite de l’accès par l’application du début du deuxième alinéa de l’article 14. Le chapitre cinquième intitulé « Recommandations » est formé d’une série de « considérants » qui sont, en fait, une nouvelle formulation des avis précédents, suivie d’une seule recommandation formelle. Cette dernière, tout autant que la série d’avis qui la précède, sont visées par l’article 37 de la Loi. À la page 3 et jusqu’à la fin du texte, est formulée une série d’avis de la nature de ceux visés par l’article 37 où l’auteur explique ce que devrait envisager l’organisme pour corriger la problématique précédemment identifiée au chapitre quatrième. Il résulte de cet examen que seuls les deux premiers chapitres, intitulés « Résumé de la demande » et « Le projet » ainsi que la première phrase du troisième chapitre intitulé « Analyse et commentaires sur le projet » sont accessibles au demandeur, l’article 37 ne s’appliquant pas à ces passages du document en litige. La Commission ne voit aucun motif empêchant impérativement l’accès aux renseignements contenus dans ces passages non visés par l’article 37.
01 09 96 -7-POUR TOUS CES MOTIFS, la Commission ACCUEILLE EN PARTIE la demande de révision ; ORDONNE à l’organisme de remettre au demandeur les deux premiers chapitres, intitulés « Résumé de la demande » et « Le projet » ainsi que la première phrase du troisième chapitre intitulé « Analyse et commentaires sur le projet » ; et REJETTE la demande de révision quant au reste. Québec, le 9 août 2002 DIANE BOISSINOT Commissaire Avocat de l'organisme : M e Jean Émond
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