00 21 12 JOCELYN PINEAULT, demandeur, c. VILLE DE JONQUIÈRE, organisme public. L'OBJET DU LITIGE Au mois de novembre 2000, M. Jocelyn Pineault adresse à l'organisme, la Ville de Jonquière (la « Ville »), trois demandes d'accès pour recevoir une copie des documents suivants : 1. procédure de conduite des véhicules d'urgence de la Ville (13 novembre 2000); 2. rapport de police concernant l'accident survenu entre son véhicule et celui du Service des incendies, le 17 juin 1999, portant le numéro séquentiel CRPQ 314005 990617 013 (13 novembre 2000); 3. rapport rédigé par deux pompiers au sujet de l'accident survenu le 17 juin 1999 (20 novembre 2000). Le 4 décembre suivant, la Ville répond en partie à M. Pineault, en lui transmettant les documents suivants : • La procédure de conduite des véhicules d’urgence; • Le rapport de police comprenant : a) un rapport d’accident de véhicule routier numéro N 371567; b) un rapport corrigé numéro N 883124; c) un rapport corrigé numéro N 883035.
00 21 12 - 2 -Cependant, la Ville refuse l’accès à M. Pineault à certaines parties du dossier, incluant le rapport du Service de pompiers, en invoquant les articles 28 (1) et (5), 32, 37, 53, 54, 59 (9), 86 et 87 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi »). Le 8 décembre 2000, M. Pineault, insatisfait de cette réponse, s’adresse à la Commission d’accès à l’information (la « Commission ») afin qu’elle révise la décision de la Ville. Le 7 février 2002, une audience se tient dans les locaux de la Commission à Montréal, en présence de M. Pineault. MOYEN PRÉLIMINAIRE SOULEVÉ PAR M. PINEAULT M. Pineault soulève un moyen préliminaire sur la base que la Ville n’aurait pas répondu dans le délai de vingt jours, tel qu'il est prescrit à l’article 47 de la Loi : 47. Le responsable doit, avec diligence et au plus tard dans les vingt jours qui suivent la date de la réception d'une demande: 1 o donner accès au document, lequel peut alors être accompagné d'informations sur les circonstances dans lesquelles il a été produit; 2 o informer le requérant des conditions particulières auxquelles l'accès est soumis, le cas échéant; 3 o informer le requérant que l'organisme ne détient pas le document demandé ou que l'accès ne peut lui y être donné en tout ou en partie; […] L’avocate de la Ville réplique que l'article 8 du Code de procédure civile 2 (le « C.p.c. ») prévoit la manière de fixer la computation de tout délai : 8. Dans la computation de tout délai fixé par ce code, ou imparti en vertu de quelqu’une de ses dispositions, y compris un délai d’appel: 1 L.R.Q., c. A-2.1. 2 L.R.Q., c. C-25.
00 21 12 - 3 -1. le jour qui marque le point de départ n’est pas compté, mais celui de l’échéance l’est; 2. les jours non juridiques sont comptés; mais lorsque le dernier jour est non juridique, le délai est prorogé au premier jour juridique suivant; 3. le samedi est assimilé à un jour non juridique. Après avoir procédé au calcul de cette computation de délai, tel qu'il est prévu à l’article 8 du C.p.c., la preuve démontre que M. Pineault a fait parvenir par courrier à la Ville, d'une part, deux demandes d’accès à des documents le 13 novembre 2000, et, d'autre part, une troisième demande d’accès à un autre document, le 20 novembre 2000. L’avocate indique que la Ville lui a répondu le 4 décembre 2000, soit dans le délai de vingt jours inscrit à l'article 47 de la Loi. À son avis, les deux demandes du 13 novembre 2000 ne sont pas parvenues à la Ville le jour même. Elle conçoit cependant que la réponse de la Ville, datée du 5 décembre 2000, aurait pu n'être postée que le lendemain. Elle ajoute que la soussignée n’a d’autre choix que de permettre à la Ville de faire ses représentations, invoquant les paragraphes 1 et 5 de l'article 28 de la Loi, dans l’éventualité où elle statue que celle-ci n’a pas respecté le délai de vingt jours. Après avoir procédé au calcul de la computation des délais, la soussignée considère que la Ville a respecté le délai de vingt jours tel qu'il est prévu à l’article 47 de la Loi. Par ailleurs, l'avocate de la Ville invoque les articles 32, 37, 59, 86 et 87 de la Loi accordant à un organisme public, dans certaines circonstances, un pouvoir discrétionnaire d’acquiescer ou non à une demande d’accès. LA PREUVE ET L’ARGUMENTATION D’emblée, l’avocate de la Ville informe la soussignée n'avoir aucun témoin à faire entendre. Elle souligne que la Ville a répondu positivement à M. Pineault, à sa première demande d’accès aux documents, datée du 13
00 21 12 - 4 -novembre 2000. La Ville n'a toutefois répondu que partiellement à la seconde, portant la même date, et a refusé la troisième demande du 20 novembre 2000. Selon l'avocate, il ne reste qu’à débattre le refus de la Ville à lui communiquer certains éléments du rapport de police (deuxième demande du 13 novembre) ainsi que la totalité du rapport d’événement rédigé par le Service des incendies, le 17 juin 1999, et réclamé par M. Pineault, le 20 novembre 2000. Elle indique qu’elle soumettra à cet effet les points de droit relatifs aux articles de la Loi précités. L’avocate dépose, sous le sceau de la confidentialité, les documents suivants : • une lettre datée du 16 juillet 1999, écrite par l’assistant directeur du Service des incendies et adressée au Directeur général adjoint de la Ville (deux pages); • un rapport d’événement (une page); • un rapport d’intervention complémentaire (quatre pages). Elle plaide que la Ville doit refuser de donner à M. Pineault la communication du rapport, et ce, en vertu de l’article 28 (1) et (5) de la Loi : 28. Un organisme public doit refuser de confirmer l'existence ou de donner communication d'un renseignement obtenu par une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, lorsque sa divulgation serait susceptible: 1 o d'entraver le déroulement d'une procédure devant une personne ou un organisme exerçant des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires; […] 5 o de causer un préjudice à une personne qui est l'auteur du renseignement ou qui en est l'objet; […] Elle argumente que la Ville avait des motifs raisonnables de croire que M. Pineault avait entrepris des procédures judiciaires contre elle. L'avocate de la Ville plaide que le refus d’accès de cette dernière s'appuie sur le libellé des paragraphes 1 et 5 de l’article 28 de la Loi précité.
00 21 12 - 5 -En effet, le 22 juin 2000, le Commissaire à la déontologie policière informa le greffier de la Ville que M. Pineault avait déposé une plainte contre le directeur du Service de police (pièce O-1 en liasse). M. Pineault se plaint de la conduite des policiers et de leur « chef de police » dans le traitement du dossier de l'accident dans lequel il a été impliqué avec un véhicule du Service des incendies. Selon l’avocate, à sa connaissance au moment de l'audience, la décision du Commissaire à la déontologie policière n’est toujours pas rendue. Pour étayer les commentaires ci-dessus énoncés, l’avocate cite les décisions Di Maggio c. St-Lazare 3 . Elle réfère également au jugement Procureur général du Québec c. Gauthier 4 où le juge Jean Dionne, de la Cour du Québec, commente la décision Communauté urbaine de Montréal c. Winters et Giroux 5 dans laquelle le juge Boissoneault écrit : […] Si des poursuites judiciaires sont intentées contre le contrevenant, la publicité des débats judiciaires assurera la diffusion de cette information. Les rapports d’inspection deviendront publics. S’il n’y a pas de poursuites judiciaires, l’organisme peut refuser de divulguer ces renseignements aussi longtemps qu’il sera dans le délai pour intenter des poursuites judiciaires. Une fois le délai de prescription acquis, l’organisme devra divulguer les renseignements et ne pourra plus invoquer le paragraphe 5 de l’article 28 de la loi. Le préjudice n’a pas de caractère de permanence et doit s’entendre en corrélation avec un processus judiciaire. Le premier alinéa de l’article 28 réfère nécessairement à des poursuites judiciaire (sic) lorsqu’il parle de la personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois. Les paragraphes 1 à 9 visent à empêcher la divulgation des renseignements qui seront susceptibles de nuire à la bonne marche du processus judiciaire. […] (Le juge Dionne a souligné.) Elle dépose également une lettre envoyée par M. Pineault au maire de l'époque, M. Daniel Giguère, à laquelle il avait joint, entre autres, deux photographies du véhicule accidenté prises sous divers angles, une photographie 3 [1997] C.A.I. 152.
00 21 12 - 6 -extraite d'un journal local, une copie d'une lettre d'un témoin relatant sa version de la collision ainsi qu'un extrait de l’article 249 du Code criminel 6 traitant de la conduite dangereuse et de la peine pouvant s'en suivre (pièce O-2 en liasse). Par ailleurs, l’avocate cite le paragraphe 9 de l’article 59 de la Loi qui confère à la Ville un pouvoir discrétionnaire de communiquer ou non un renseignement nominatif, sans le consentement de la personne concernée : 59. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement nominatif sans le consentement de la personne concernée. Toutefois, il peut communiquer un tel renseignement sans le consentement de cette personne, dans les cas et aux strictes conditions qui suivent: […] 9 o à une personne impliquée dans un événement ayant fait l'objet d'un rapport par un corps de police, lorsqu'il s'agit d'un renseignement sur l'identité de toute autre personne qui a été impliquée dans cet événement, sauf s'il s'agit d'un témoin, d'un dénonciateur ou d'une personne dont la santé ou la sécurité serait susceptible d'être mise en péril par la communication d'un tel renseignement. L'avocate de la Ville argumente que le rapport d’événement du Service des incendies doit demeurer inaccessible à M. Pineault. À cet effet, elle cite la décision SERVIRAP c. Ville de Terrebonne 7 dans laquelle la commissaire Hélène Grenier commente, entre autres, le pouvoir pour un organisme public de communiquer, à sa discrétion, un renseignement nominatif sans le consentement de la personne concernée « dans le cas et aux strictes conditions qui y sont prévues ». Par ailleurs, l’avocate soutient que la lecture du rapport d’événement du Service des incendies permettrait d’identifier des personnes qui travaillent à la Ville ainsi que les noms et les coordonnées des témoins de l’accident. 4 [1997] C.A.I. 420, 422 (C.Q.). 5 [1989] C.A.I. 209 (C.Q.).
00 21 12 - 7 M. Pineault réplique que l’argument de l’avocate « ne s’applique pas », parce que, dans le rapport de police que la Ville lui a déjà transmis, le nom et le numéro de téléphone de l’un des témoins n'étaient pas masqués; ce qui lui a permis de communiquer avec celui-ci. Il ajoute, par ailleurs, avoir contacté tous les autres témoins de l’accident dont il a été victime. L’avocate de la Ville réitère que les coordonnées de ce témoin auraient dû être masquées, car elles constituent un renseignement nominatif selon l’article 53 ci-dessous cité, d’une part, et à l’article 54 de la Loi qui définit comme étant nominatifs, les renseignements qui permettent d’identifier une personne physique, d’autre part : 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1 o leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2 o ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. M. Pineault ajoute : « Vu que je suis impliqué à 100 % dans l’accident, les renseignements nominatifs ne doivent pas être confidentiels ». Il soutient également que « l’article 28 (1) et (5) ne s’applique pas » pour les motifs ci-dessus énoncés. Il ajoute, qu’au contraire, l’article 83 de la Loi lui permet d’avoir accès au document recherché : 83. Toute personne a le droit d'être informée de l'existence, dans un fichier de renseignements personnels, d'un renseignement nominatif la concernant. Elle a le droit de recevoir communication de tout renseignement nominatif la concernant. […] 6 L.R.C. [1985], c. C-46, mod. par L.R.C. [1985], c. 2 (1 er supp.). 7 [2000] C.A.I. 64, 68 et 69 (La commissaire Grenier a mis en gras.).
00 21 12 - 8 Par ailleurs, l’avocate cite l’article 32 de la Loi qui confère à un organisme public un pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer une analyse : 32. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'avoir un effet sur une procédure judiciaire. L’avocate considère que le rapport du Service des incendies dont la Ville refuse l’accès au demandeur, « constitue en quelque sorte une analyse. Le rapport relate les faits, sans qu'il soit nécessaire de formuler une conclusion. » Elle cite la décision Gagnon c. Ville St-Laurent 8 dans laquellle la commissaire, M e Carole Wallace, affirme : L’article 32 s’applique à deux conditions : 1° il doit s’agir d’une « analyse », c’est-à-dire d’ « une opération intellectuelle consistant à décomposer une œuvre, un texte en ses éléments essentiels, afin d’en saisir les rapports et de donner un schéma de l’ensemble » ou « un texte où l’on tire une proposition d’une autre par une série de raisonnements successifs » 2 ; 2° la divulgation de cette analyse doit risquer vraisemblablement d’avoir un effet sur des procédures judiciaires. ___________________ 2. Voir entre autres : Couto c. Ville de Longueuil, [1987] C.A.I. 24; G… c. Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec, (1984-86) 1 C.A.I. 207 confirmé par [1986] C.A.I. 432 (C.P.) et Ferland c. Ministère des Affaires municipales du Québec, (1984-86) 1 C.A.I. 360. M. Pineault, pour sa part, explique sans équivoque les circonstances dans lesquelles, le 17 juin 1999, lui et les membres de sa famille ont été impliqués dans un accident d’automobile avec un véhicule du Service des incendies de la Ville. Il soutient que le conducteur du véhicule d'urgence est responsable de cet accident, il souhaite connaître l’identité de celui-ci. Il admet cependant, qu’au Québec, « en matière d’accident de la route, c’est le no fault qui s’applique » et qu’il ne peut pas réclamer de dommages. Il souhaite, toutefois, vérifier la possibilité d'intenter des procédures pénales contre ce conducteur. DÉCISION 8 [1988] C.A.I. 341, 343.
00 21 12 - 9 La soussignée tient à préciser que la Commission n’est pas habilitée à trancher un litige relatif à des procédures civiles ou pénales, ne détenant pas la compétence en cette matière. Dans le cas sous étude, la soussignée est appelée à rendre une décision selon la preuve qui lui est présentée, et ce, en vertu des pouvoirs conférés par la Loi. Par ailleurs, la soussignée a pris connaissance du rapport d’événement, déposé sous le sceau de la confidentialité, du Service des incendies signé par les deux pompiers qui se trouvaient à bord du véhicule de la Ville. Après avoir examiné ce rapport, la soussignée considère que l’article 28 (1) et (5) de la Loi, ne s’applique pas dans le cas sous étude. En effet, le premier alinéa de cet article traite de l’obligation pour un organisme de refuser :« […] de donner communication d'un renseignement obtenu par une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ». M. Pineault souhaite obtenir une copie du rapport d’événement du Service des incendies et non de celui du Service de police, qui d’ailleurs, lui a été remis. Ce rapport contient des renseignements de nature factuelle (cinq pages). Il est donc accessible à M. Pineault, après que la Ville ait masqué les renseignements nominatifs. Par ailleurs, en ce qui concerne l’interprétation l’article 32 de la Loi précité, soulevée par l’avocate, voulant que le rapport du Service des incendies constituerait une analyse, cette preuve n'a pas été démontrée. En effet, pour que cet article trouve application, la Ville doit faire la preuve que ce rapport répond à la définition d'une analyse telle que définie à la décision Gagnon c. Ville Saint-Laurent précitée 9 . En ce qui concerne l’article 59 (9) de la Loi précité, la soussignée considère que cet article doit être lu en tenant compte des dispositions contenues 9 Idem.
00 21 12 - 10 -aux articles 53 et 54 traitant, d’une part, de la confidentialité des renseignements nominatifs et, d'autre part, du fait que des renseignements sont nominatifs lorsqu’ils permettent d’identifier une personne physique. C’est le cas en l’espèce. Quant aux articles 37, 86 et 87 de la Loi invoqués par la Ville et traitant du refus de communiquer un renseignement, aucune preuve n’a été présentée à l’audience. En ce qui a trait au témoignage de M. Pineault, la soussignée comprend sa recherche de « la vérité » au sujet de l’accident où lui et ses proches ont été impliqués avec un véhicule du Service des incendies. Cette affaire ne relève pas de la compétence de la Commission. Le témoignage de M. Pineault établit de façon non équivoque que celui-ci désire une preuve afin de vérifier s'il pourrait éventuellement intenter des procédures judiciaires contre la Ville ou contre l'un de ses employés. De plus, il s’appuie sur les dispositions contenues à l’article 83 précité pour avoir accès au rapport d’événement. Cet article définit le principe général lui permettant, à son avis, de recevoir communication de renseignements nominatifs qui le concernent. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : ACCUEILLE la demande de révision de M. Jocelyn Pineault; ORDONNE à la Ville de Jonquière de remettre à M. Pineault une copie du rapport d’événement du Service des incendies, après avoir masqué les renseignements nominatifs.
00 21 12 - 11 -CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Montréal, le 11 juin 2002 M e Jocelyne Trépanier Procureure de la Ville de Jonquière
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