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01 18 65 MARC PIGEON, demandeur, c. MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE, organisme public. L'OBJET DU LITIGE Le 14 septembre 2001, le demandeur s'adresse à l'organisme pour obtenir une série de documents « faisant état des billets d'infractions » et « dossier de conduite de tous les chauffeurs et/gardes du corps de tous les ministres du gouvernement du Québec; ». Le 18 octobre 2001, l'organisme invoque les articles 14, 29, 53, 54, 59 et 88 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi ») pour lui en refuser l'accès. Le 27 novembre 2001, le demandeur présente à la Commission d'accès à l'information (la « Commission ») une demande pour que soit révisée la réponse fournie par l'organisme. Le 25 mars 2002, une audience se tient à Montréal. Le 1 er mai 2002, la Commission reçoit un extrait de la convention collective de l'Association professionnelle des gardes du corps du gouvernement du Québec.
01 18 65 - 2 LA PREUVE M. André Marois, responsable de l'accès et de la protection des renseignements personnels, mentionne que le Service de sécurité et de protection publique (le « Service ») a repéré trois documents ayant un lien avec les quatre sujets soulevés par la demande d'accès. 1) « Document faisant état des billets d'infractions relatifs au Code de la sécurité routière dont auraient pu écoper depuis deux ans tous les chauffeurs et/ou gardes du corps de tous les ministres du gouvernement du Québec, incluant la vitesse constatée, le montant de l'amende, l'endroit et la date de l'infraction; » M. Marois remet à la Commission, sous pli confidentiel, un tableau qui regroupe l'information sur les contraventions au Code de la sécurité routière 2 (le « document en litige n o 1 »). Il invoque les articles 29 et 53 de la Loi pour en refuser l'accès. M e Jean Rosa, directeur du Service mentionne être responsable de la supervision des 60 chauffeurs-gardes du corps des ministres du gouvernement du Québec, à l'exception du premier ministre et du chef de l'opposition dont la responsabilité relève de la Sûreté du Québec. Il fait part que les chauffeurs sont des constables spéciaux ayant les pouvoirs d'un agent de la paix qui doivent assurer la protection et le transport par véhicule des ministres. M e Rosa raconte que le présent document en litige répertorie 21 événements survenus depuis 1999. Il explique l'existence d'une directive interne de son Service, du mois de juin 1999, obligeant les gardes du corps à l'informer de toutes contraventions émises dans le cadre de leurs fonctions. Cette directive a été émise à la suite d'une bousculade intervenue entre des membres de la Sûreté du Québec, agissant dans le cadre de moyens de pression exercés à Drummondville, et des gardes du corps de ministres. 1 L.R.Q., c. A-2.1.
01 18 65 - 3 -2) « Dossier de conduite de tous les chauffeurs et/gardes du corps de tous les ministres du gouvernement du Québec. » M. Marois affirme qu'il n'existe pas une liste ou un dossier reproduisant l'état de la situation du dossier de conduite de tous les chauffeurs des ministres. En fait, signale-t-il, l'organisme ne détient pas un dossier traitant de toutes les infractions qui auraient pu être commises par les chauffeurs. Il a toutefois pu réunir les dossiers personnels de chauffeurs ayant présenté une demande pour se faire rembourser le montant d'une contravention. Il ajoute que la demande de remboursement de la part de chauffeurs est analysée par l'organisme et négociée avec le syndicat pour, le cas échéant, déboucher sur une entente, d' interviennent toutes les parties. Il mentionne que le présent dossier contient les constats d'infractions de chauffeurs, les demandes de paiements, la correspondance échangée entre les chauffeurs et l'organisme, l'intervention du syndicat, les notes de services, les notes manuscrites ou dactylographiées des chauffeurs et la position du Service. Il remet à la Commission, sous pli confidentiel, les documents (le « document en litige n o 2 »). Il invoque l'article 53 de la Loi pour en refuser l'accès. Interrogé par le procureur du demandeur, M. Marois précise que la demande de remboursement du chauffeur est soumise au Service. Il atteste que chaque chauffeur doit payer lui-même la contravention qu'il a reçue, mais qu'il est possible, par entente, d'obtenir un remboursement par l'organisme. M e Rosa fait valoir que la convention collective prévoit qu'un chauffeur peut présenter une demande pour se faire rembourser les frais juridiques occasionnés à la suite d'un plaidoyer de non-culpabilité, et ce, dans le cadre d'un recours lié aux fonctions assumées par le chauffeur. Ce dernier type de demande lui est soumis pour étude. 2 L.R.Q., c. C-24.2.
01 18 65 - 4 M e Rosa précise qu'il n'y a eu que quelques ententes conclues à la suite de réclamations syndicales. Il cite la situation du cas n o 17 aux documents en litige, un dédommagement a été accordé parce qu'il a été démontré qu'après la pose de pneus d'hiver sur une voiture de fonction, l'odomètre n'indiquait pas la vitesse réelle. Un autre garde du corps a été dédommagé à la suite d'une décision, ayant été prouvé une déficience fonctionnelle des équipements d'urgence. Interrogé par le procureur du demandeur, M e Rosa fait valoir que l'organisme ne rembourse pas les contraventions des chauffeurs, mais qu'il est possible pour ces derniers de faire payer par l'employeur les frais d'avocat encourus lors d'une poursuite liée aux fonctions assumées par l'employé. Il réitère que l'organisme ne paie pas les « amendes », mais bien les frais d'avocat de l'employé ayant réussi à faire rejeter le recours qui pesait contre lui. Il dit ne détenir les informations contenues au document en litige n o 2 que depuis 1999. M e Rosa certifie que, lors d'un événement impliquant la conduite d'un véhicule de ministre, les médias ne mentionnent jamais le nom d'un chauffeur, mais plutôt le nom du ministre concerné. À sa connaissance, c'est la première fois qu'est révélé le nom d'un chauffeur comme dans le cas décrit au communiqué de presse émis par le ministre les 9 et 10 septembre 2001 (pièce D-1 en liasse). 3) « Copie de la «version assermentée des faits» remise par le ministre Guy Chevrette aux autorités compétentes du service de protection et à la sécurité publique, relativement à un incident survenu en fin d'après-midi le 7 septembre 2001, tels que le ministre l'indiqué dans un communiqué de presse, le 10 septembre 2001. » M. Marois confirme détenir la déclaration du ministre, remise sous pli confidentiel (le « document en litige n o 3 »), mais en refuse l'accès en vertu de l'article 53 de la Loi. M e Rosa révèle que la déclaration assermentée lui a été transmise par le bureau du sous-ministre.
01 18 65 - 5 -4) « Tout rapport ou document (incluant messages électroniques) qui traite de ce sujet, c'est-à-dire des billets d'infraction remis aux chauffeurs/garde du corps, des arrestations de l'un d'eux et de la vitesse à laquelle ils roulent sur les routes. » M. Marois affirme que l'organisme ne possède aucun rapport ayant un lien avec cette partie de la demande si ce n'est que les trois documents précédemment décrits. M e Rosa soutient avoir traité la demande d'accès et affirme qu'il n'existe aucun autre document en relation avec la demande que ceux remis sous pli confidentiel. L'organisme soumet une preuve ex parte selon l'article 20 des Règles de preuve de la Commission 3 pour démontrer que le tableau constituant le document en litige n o 1 est visé par le deuxième paragraphe de l'article 29 de la Loi : Règlement 20. La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document que l'organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi. Loi 29. Un organisme public doit refuser de communiquer un renseignement portant sur une méthode ou une arme susceptible d'être utilisée pour commettre un crime ou une infraction à une loi. Il doit aussi refuser de communiquer un renseignement dont la divulgation aurait pour effet de réduire l'efficacité d'un dispositif de sécurité destiné à la protection d'un bien ou d'une personne. Après la preuve ex-parte, l'organisme ne s'objecte plus à la remise au demandeur du document en litige n o 1, à l'exception des 1 ère et 8 e colonnes du tableau ainsi que des 4 e , 6 e et 8 e lignes.
01 18 65 - 6 -3 Règles de preuve et de procédure de la Commission d'accès à l'information, décret 2058-84.
01 18 65 - 7 -Le demandeur, journaliste au Journal de Montréal, atteste être la personne citée au communiqué du ministre le 10 septembre 2001 (pièce D-1 en liasse) et l'un des auteurs des articles parus au Journal de Montréal les 10 et 11 septembre 2001 (pièce D-2 en liasse). Il certifie ne pas faire l'objet de plainte ou de poursuite judiciaire. LES ARGUMENTS Le procureur de l'organisme fait valoir que les pièces D-1 et D-2 déposées par le demandeur ne parlent que de la déclaration du ministre, et non de la situation des dossiers des chauffeurs. Il soumet que même si le ministre est connu et que le sujet discuté au présent dossier a fait l'objet d'une attention médiatique, la déclaration de M. Chevrette jouit de la même protection de l'article 53 de la Loi que toutes autres déclarations d'individus, en l'absence de consentement de la personne concernée. Le procureur soutient que le 2 e paragraphe de l'article 29 de la Loi s'applique aux parties ayant été soustraites à l'accès du document en litige n o 1 parce que lesdites informations révéleraient au demandeur une méthode d'enquête et un dispositif de sécurité protégé par cet article. Pour ce qui est du document en litige n o 2, le procureur prétend qu'il s'agit de renseignements nominatifs protégés par l'article 53 de la Loi. Il ajoute que les documents versés à ce dossier n'ont pas un caractère public, n'ayant pas eu de poursuite pénale. Il avance que, même s'il existe une disposition à la convention collective concernant le débours de frais juridiques, les renseignements en litige ne sont pas de ceux visés par les deux premiers paragraphes de l'article 57 de la Loi : 57. Les renseignements suivants ont un caractère public: 1 o le nom, le titre, la fonction, la classification, le traitement, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail d'un membre d'un organisme public, de son conseil
01 18 65 - 8 d'administration ou de son personnel de direction et, dans le cas d'un ministère, d'un sous-ministre, de ses adjoints et de son personnel d'encadrement; 2 o le nom, le titre, la fonction, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail et la classification, y compris l'échelle de traitement rattachée à cette classification, d'un membre du personnel d'un organisme public; […] Le procureur du demandeur soumet que les documents peuvent être accessibles, indépendamment d'un plaidoyer de culpabilité ou non, en vertu de l'article 14 de la Loi, si l'on retire l'identité de l'individu concerné : 14. Un organisme public ne peut refuser l'accès à un document pour le seul motif que ce document comporte certains renseignements qu'il doit ou peut refuser de communiquer en vertu de la présente loi. Si une demande porte sur un document comportant de tels renseignements, l'organisme public peut en refuser l'accès si ces renseignements en forment la substance. Dans les autres cas, l'organisme public doit donner accès au document demandé après en avoir extrait uniquement les renseignements auxquels l'accès n'est pas autorisé. Le procureur prétend que les documents révélant un plaidoyer de culpabilité sont accessibles selon l'article 55 de la Loi : 55. Un renseignement personnel qui a un caractère public en vertu de la loi n'est pas nominatif. Le procureur allègue qu'un document rédigé dans le cadre d'un événement public, sur une route publique, dans une voiture ministérielle, par un ministre dans l'exercice de ses fonctions pour se justifier publiquement et donner sa version des faits est un document ayant un caractère public. Il ajoute que le ministre a nommé le chauffeur et même signalé vouloir déposer une plainte contre le demandeur. Dans les circonstances, ce dernier peut obtenir la déclaration du ministre et sa version des faits. Il soumet que les documents n'ont pas un caractère nominatif parce qu'ils sont visés par les articles 55 et 57 de la Loi.
01 18 65 - 9 -APPRÉCIATION La disposition impérative énoncée au deuxième paragraphe de l'article 29 de la Loi empêche la divulgation de renseignements susceptibles de révéler une stratégie visant à protéger les individus. Cette disposition ne vise pas des renseignements dévoilés publiquement 4 , des choses courantes ou imaginables 5 ou de simples constatations d'infractions si elles ne font pas état d'un procédé ou d'une technique reliés à un dispositif de sécurité 6 . Je suis d'avis que les 4 e , 6 e et 8 e lignes du document en litige n o 1 sont des renseignements mis en place pour assurer la protection de personnes et bénéficient de la restriction de l'article 29 de la Loi 7 , à l'exception de la 1 ère colonne qui, en soi, ne révèle qu'un ordre chronologique. La 8 e colonne reproduit les noms de personnes qui, attachés aux autres renseignements du tableau, sont nominatifs en vertu des articles 53, 54 et 56 de la Loi : 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1 o leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2 o ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. 56. Le nom d'une personne physique n'est pas un renseignement nominatif, sauf lorsqu'il est mentionné avec un autre renseignement la concernant ou lorsque sa seule 4 Pelchat c. Communauté urbaine de Montréal, [1994] C.A.I. 80. 5 Marceau c. Ministère de la Sécurité publique, [1999] C.A.I. 366; Compagnie d'assurance du Québec c. Ville de Chicoutimi, [1987] C.A.I. 84. 6 Winters c. Ministère de la Justice, [1986] C.A.I. 479. 7 Union des agents de la paix en institutions pénales c. Ministère de la Sécurité publique, [1989] C.A.I. 184.
01 18 65 - 10 mention révélerait un renseignement nominatif concernant cette personne. M e Rosa a déclaré que la convention collective régissant les conditions de travail des chauffeurs prévoit le remboursement des frais d'avocat, mais qu'aucune disposition ne traite des frais de contravention. Le remboursement de frais de contravention s'effectue au cas par cas selon une analyse préalable de l'organisme. Selon la preuve et l'article 3.03 de la convention collective de travail de l'Association professionnelle des gardes du corps du gouvernement du Québec, il n'existe pas de dispositions à la convention collective ni de directives concernant le remboursement de ce type de frais. L'organisme exerce, selon moi, son pouvoir discrétionnaire de convenir avec les autres parties de rembourser ou non une réclamation faite par un chauffeur à la suite d'une contravention. Ainsi, les ententes convenues entre le syndicat, l'organisme et l'employé concerné, versées au document en litige n o 2, sont de la nature de renseignements visés par le 4 e paragraphe de l'article 57 de la Loi et sont accessibles au demandeur : 57. Les renseignements suivants ont un caractère public: […] 4 o le nom et l'adresse d'une personne qui bénéficie d'un avantage économique conféré par un organisme public en vertu d'un pouvoir discrétionnaire et tout renseignement sur la nature de cet avantage. […] Toutefois, tous les autres renseignements à ce document en litige n o 2 sont nominatifs au sens de l'article 53 de la Loi, le chauffeur n'ayant pas été remboursé par l'organisme. Je suis également d'avis que la déclaration du document en litige n o 3 revêt un caractère nominatif même si le nom de son auteur est connu. Cette déclaration livre et donne une version personnelle de la personne concernée ainsi que des informations à propos d'une autre personne physique, qui n'est pas le demandeur.
01 18 65 - 11 PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION : ACCUEILLE, en partie, la demande de révision du demandeur; ORDONNE à l'organisme de remettre au demandeur : Le document en litige n o 1, après avoir masqué la dernière colonne et les 4 e , 6 e et 8 e lignes; Les ententes conclues se trouvant au document en litige n o 2; REJETTE, quant au reste, la demande de révision. MICHEL LAPORTE Commissaire Montréal, le 9 mai 2002 M e Bernard Pageau Procureur du demandeur M e Jean-François Boulais Procureur de l'organisme
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