01 11 24 LA SÉCURITÉ ASSURANCES GÉNÉRALES INC. Demanderesse c. VILLE DE TERREBONNE Organisme public L'OBJET DU LITIGE Le 7 mai 2001, la demanderesse s’adresse à l'organisme pour avoir accès aux informations que celui-ci détiendrait tant dans son dossier d’enquête que dans celui d’intervention. Cette demande fait suite à une enquête effectuée antérieurement par l’organisme après un incendie survenu, le 27 avril 2000, dans la résidence de M me X, assurée de la demanderesse. Le 12 juin 2001, l’organisme lui refuse l’accès aux documents pour les motifs suivants : […] Malheureusement, nous ne pouvons donner suite à votre demande d’obtention du dossier d’intervention ainsi que du dossier d'enquête dans le dossier cité en titre. Notre refus est basé sur les articles 28 paragraphe 1, 5 et 9, ainsi que 53, 54 et 59 (9) de la Loi sur l’accès à l’information. Contrairement, à ce que vous alléguez, les informations contenues dans les documents recherchés risqueraient d’entraver le déroulement d’une procédure devant une personne exerçant des fonctions judiciaires, de causer préjudice à une personne qui est l’auteur du renseignement ou qui en est l’objet, de porter atteinte à une audition impartiale de sa cause. De plus, les documents demandés contiennent des renseignements nominatifs. […]
01 11 24 - 2 -Le 5 juillet suivant, la demanderesse requiert l'intervention de la Commission d’accès à l’information du Québec (la Commission) pour traiter la présente demande de révision. Le 8 mars 2002, l’audience se tient dans les locaux de la Commission à Montréal. LA PREUVE L’avocate de l’organisme, M e Sylvie Lévesque, fait entendre, sous serment, M. Alain Dupré, directeur de la Sécurité publique et responsable de l’accès à l’information au sein de celui-ci depuis 19 ans. L’avocate dudit organisme dépose, sous le sceau de la confidentialité, le dossier intégral préparé par le Service de police de l’organisme, dans le cadre de l’enquête menée par celui-ci sur l’incendie survenu dans l’immeuble de M me X, l’assurée de la demanderesse. Selon le témoin, ledit « dossier contient un rapport d’intervention d’incendie, le rapport Recherche et cause d’incendie, un rapport d’événement policier et un rapport d’enquête policière ». Le témoin déclare que le rapport d’enquête allègue qu’il s’agit d’un incendie criminel. Il prétend que l’organisme ne peut pas donner accès à la demanderesse aux documents recherchés « parce qu’ils risquent d’entraver le déroulement d’une procédure judiciaire et peut porter atteinte à une audition impartiale ». Le témoin ajoute que « plusieurs de ces documents contiennent des renseignements confidentiels et nominatifs » qui permettent d’identifier des personnes physiques. Il soutient qu’à son avis, l’article 59 (9) de la Loi sur l’accès
01 11 24 - 3 -aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la loi) devrait s’appliquer, car ces personnes, dont les coordonnées apparaissent dans lesdits documents, n’ont pas consenti à leur divulgation. En contre-interrogatoire, le témoin ajoute qu’aucune accusation n’a été portée contre le ou les auteur(s) présumé(s) de cet incendie. Pour sa part, M me Maryse Boucher, stagiaire en droit et représentante de la demanderesse, déclare ne pas avoir de témoin à faire entendre. Elle fera valoir les prétentions de sa cliente dans sa plaidoirie au moment opportun. ARGUMENTATION L’avocate de l’organisme rappelle les faits. Il s’agit d’une action au civil intentée par M me X contre son assureur, la demanderesse, devant la Cour supérieure de Montréal, lui réclamant un certain montant d’argent (483 235,63 $) à la suite des dommages qui auraient été causés à sa résidence par un incendie. La demanderesse refuse d’acquitter le montant réclamé. Cette dernière veut avoir accès aux documents de l’organisme afin de préparer sa défense. De l’avis de l’avocate, l’organisme est en droit de refuser de communiquer à la demanderesse une copie du rapport d’enquête et du rapport d’intervention, tel qu’il a été demandé, en vertu de l’article 28, paragraphes 1 et 5, de la loi, lequel se lit comme suit : 28. Un organisme public doit refuser de confirmer l'existence ou de donner communication d'un renseignement obtenu par une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, lorsque sa divulgation serait susceptible: 1 o d'entraver le déroulement d'une procédure devant une personne ou un organisme exerçant des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires; […] 1 L.R.Q., c. A-2.1
01 11 24 - 4 -5 o de causer un préjudice à une personne qui est l'auteur du renseignement ou qui en est l'objet; […] 9 o de porter atteinte au droit d'une personne à une audition impartiale de sa cause. […] L’avocate plaide que le paragraphe 1 de l’article 28 précité ne permet pas une interprétation restrictive, mais une interprétation plutôt générale : la procédure peut être judiciaire ou quasi judiciaire. Dans le cas en l’espèce, une procédure judiciaire a été intentée par M me X, l’assurée de la demanderesse, laquelle procédure réfère au dossier de la Cour supérieure de Montréal n o 500-05-064068-016. Pour étayer les prétentions de l’organisme, l’avocate de celui-ci cite la décision Samson c. Ministère de la Main-d’œuvre et de la Sécurité du revenu 2 selon laquelle : […] En ce qui concerne l’article 28 paragraphe 1. Le procureur soumet qu’il ne faut pas en limiter l’application à une procédure judiciaire engagée par les autorités chargées de l’administration de la justice. Cette interprétation est celle qui a été retenue par la Commission dans l’affaires (sic) Germain c. C.U.M. 4 et le procureur la conteste. Il soumet, par ailleurs, que la communication du dossier à la demanderesse « embarrasserait » le déroulement de la procédure entreprise devant la Commission des affaires sociales. […] L’article 28 paragr. 1 oblige l'organisme à refuser accès à un document lorsque sa divulgation serait susceptible d’entraver le déroulement d’une procédure devant une personne ou un organisme exerçant des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires. […] Un nouvel examen du texte de cette disposition nous amène à revenir sur cette interprétation. Le fait que l’article 28 paragr. 1 parle de procédure quasi judiciaire empêche en effet d’en limiter l’application à une procédure pénale ou criminelle puisque, sauf exception, un organisme ou une personne exerçant des fonctions quasi judiciaires ne 2 [1987] C.A.I. 246, 248, 250.
01 11 24 - 5 -peut être saisie d’une procédure de nature pénale ou criminelle. La procédure intentée par la demanderesse pourrait donc justifier l’invocation de l’article 28 paragr. 1, à la condition bien sûr que la communication des renseignements mis en cause soit susceptible d’entraver cette procédure. _______________ 4 [1986] C.A.I. 329 L’avocate plaide que le paragraphe 5 de l’article 28 précité concerne M me X, l’assurée, « qui est l’objet du renseignement recherché par la partie demanderesse. Il existe une possibilité que la divulgation dudit renseignement cause un préjudice à cette assurée. » Elle soutient que, dans le dossier de l’organisme, « il existe un lien direct qui pourrait se situer ainsi : il y a enquête sur un incendie suspect. Une action est entreprise par l’assurée contre sa compagnie d’assurances. » Quant au paragraphe 9 de l’article 28 précité, l’avocate argumente que l’organisme qu’elle représente est lié à la loi et ne peut pas donner à la demanderesse les documents recherchés. À son avis, si celle-ci désire obtenir une copie desdits documents, elle n’a qu’à se prévaloir des articles traitant de ce point au Code de procédure civile. Elle réfère à l'enquête X et Banque Royale du Canada 3 entreprise par la Commission à la suite d'une plainte relative à la signification par l'avocate de X à l’intimée d'un subpoena duces tecum, pour que celle-ci apporte à la cour « une copie de tous les documents relatifs aux comptes, marges de crédit, placements et prêts de la plaignante ». Dans son rapport, l'enquêteur écrit : 3 André Wallot, analyste-enquêteur, C.A.I. 94 07 05, 1995-06-22. Référence 95AC-72, 4-5.
01 11 24 - 6 -Afin de permettre aux parties de prendre connaissance de tous les faits qui pourraient être pertinents à un conflit devant se résoudre devant les tribunaux, le Code de procédure civile a prévu diverses procédures afin d’obtenir la communication de documents ou leur production devant le tribunal. Les articles 280 et 281 du Code de procédure civile énoncent ce qui suit : 280. La partie qui désire produire un témoin peut l’assigner au moyen d’un bref de subpoena délivré par un juge, un greffier ou un avocat du district où la cause doit être entendue ou de tout autre district et signifié au moins cinq jours francs avant la comparution. […] 281. Un témoin peut être assigné pour déclarer ce qu’il connaît, pour produire quelque document, ou pour les deux objets à la fois. Lorsqu’il s’agit de produire des documents qu’une partie juge essentielle à la cause et qu’elle n’a pas en sa possession en vertu de l’article 281, l’assignation se fait par subpoena duces tecum. De « Sub poena »… Sous peine de... et de duces tecum. Apporte avec toi. 1 […] Seul le tribunal a le pouvoir de juger de la pertinence et de contraindre au dépôt de renseignements personnels ou de documents protégés par la loi dans le cadre d’un litige qui lui est soumis. […] Le fait d’émettre un subpoena duces tecum ne soustrait pas les documents demandés à la Loi sur le secteur privé. […] …le processus judiciaire est court-circuité en permettant à une personne d’avoir accès à des documents auxquels il n’aurait pas droit concernant une partie sans que celle-ci n’en soit avisée ou puisse intervenir. _______________ 1 Subpoena : Nom donné au bref ou à l'ordonnance qui assigne un témoin au procès devant un tribunal. Le subpoena duces tecum est l'ordre donné à un témoin de comparaître en cour pour y être interrogé et y apporter certains documents qu'il possède et qu'on lui demandera de produire. MAYRAND, A., Dictionnaire des maximes et locutions latines utilisées en droit, Les Éditions Yvon Blais inc., 1958. De plus, l’avocate plaide que l’organisme ne doit pas transmettre de renseignements nominatifs à la partie demanderesse en vertu des articles 53 et 54 de la loi :
01 11 24 - 7 -53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1 o leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2 o ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. Selon l’avocate, l’article 53 précité prévoit que les renseignements nominatifs sont confidentiels. Les exceptions qui y sont mentionnées ne s’appliquent pas à la demanderesse. L’avocate souligne que cet article doit être lu avec l’article 59 (9) de la loi. En ce qui concerne l’article 54 de la loi, les renseignements nominatifs concernent une personne physique et permettent d’identifier celle-ci, comme c’est le cas en l’espèce. Pour étayer les prétentions de l’organisme, elle cite la décision Texaco Canada inc. c. Ministère de la Justice 4 . On y lit ce qui suit : […] Le document en litige, qui fut remis à la soussignée lors de l’audition, est une déclaration statutaire faite à deux policiers de la Sûreté du Québec le 4 août 1981. […] Ce document nomme plusieurs personnes physiques qui ont, à un titre ou à un autre, été en relation avec la signataire et relate certains faits ayant impliqué ces personnes ou des gestes posés par eux. […] …le contenu du document en litige n’est pas parfaitement inconnu de la demanderesse…Ceci n’empêche pas toutefois la Loi sur l’accès de jouer son rôle et, à partir du moment où les renseignements contenus dans la déclaration concernent une personne physique ou 4 [1985] 1, C.A.I. 75, 76.
01 11 24 - 8 -permettent de l’identifier, ils bénéficient de la protection accordée par la Loi. L’article 53 précité de la Loi traduit l’un des principes fondamentaux de la Loi sur l’accès au chapitre de la protection des renseignements personnels, à savoir, qu’un renseignement personnel recueilli par un organisme public à une fin donnée doit être utilisé par cet organisme public et par lui seul, pour cette fin. L’article 59 de la Loi vient concrétiser ce principe et compléter l’article 53, en édictant qu’ « un renseignement nominatif ne peut être communiqué par un organisme public, sans le consentement de la personne concernée… » […] Elle argumente que les articles ci-dessus cités sont sans équivoque. La soussignée n’aurait d’autre choix que de respecter les dispositions législatives en matière d’accès, ainsi que la jurisprudence préétablie. Elle demande donc à la soussignée de maintenir la décision de l’organisme de ne pas transmettre à la demanderesse l’accès aux documents recherchés, et ce, conformément auxdits articles précités. La représentante de la demanderesse, pour sa part, argumente que celle-ci a le droit d’obtenir les documents recherchés, ce qui lui permettrait de préparer une défense pleine et entière, et ce, le plus rapidement possible. Elle est poursuivie par son assurée qui lui réclame un montant d’argent assez important (483 235,63 $) à la suite d’un incendie survenu dans la résidence de cette dernière. DÉCISION La Commission tient à spécifier qu’elle n’est pas habilitée à trancher un litige de quelque nature qu’il soit, notamment celui dont la procédure judiciaire est pendante devant la Cour supérieure de Montréal. La soussignée voit à l’application de la loi et tient à rester à l’intérieur de la juridiction que lui accorde ladite loi.
01 11 24 - 9 -Le témoin de l’organisme, tant en interrogatoire principal qu’en contre-interrogatoire, a démontré, à la satisfaction de la soussignée, que l’organisme refuse à la demanderesse l'accès aux renseignements contenus dans le dossier traitant de l’incendie survenu dans la résidence de l’assurée de cette dernière, et, plus spécifiquement, aux renseignements se trouvant tant au rapport d’enquête qu’au rapport d’intervention. Tous les motifs invoqués au sujet de ce refus trouvent leur application à l’article 28 (1), (5) et (9) de la loi qui constituent des restrictions impératives. Il importe également de rappeler que les articles 53 et 54 de ladite loi, qui concernent les renseignements nominatifs, interdisent à un organisme de transmettre lesdits renseignements lorsque ceux-ci permettent d’identifier une personne physique, comme c’est le cas sous étude. Par ailleurs, les renseignements personnels, que la demanderesse souhaite obtenir auprès de l’organisme, risquent vraisemblablement d’avoir un effet direct sur la procédure judiciaire en cour (C.S. Montréal n o 500-05-064068-016), laquelle procédure, rappelons-le, a été intentée par M me X, l’assurée de la demanderesse. La soussignée ne peut pas faire abstraction de cette information si importante. D’ailleurs, dès le départ, la demanderesse a indiqué ses intentions, à savoir qu’elle veut se servir des renseignements contenus dans le dossier détenu par l’organisme relatif à M me X, son assurée, pour préparer sa défense contre celle-ci pour les motifs ci-dessus mentionnés. De plus, il n’a pas été démontré à l’audience que les personnes citées dans le dossier détenu par l’organisme aient consenti à la divulgation de leurs noms et coordonnées. Je considère que l’article 59 (9) de la loi doit s’appliquer.
01 11 24 - 10 Par ailleurs, tel qu’il a été mentionné dans la décision Texaco Canada inc. c. Ministère de la Justice précitée 5 , la Commission a statué, à juste titre, que : Dans le présent cas, l’on ne peut manquer de souligner que le Code de procédure civile offre à la demanderesse les moyens d’obtenir communication du document recherché, puisqu’elle est partie à une procédure judiciaire reliée à cette déclaration. La Loi sur l’accès poursuit, quant à elle, d’autres objectifs, qui ne permettent pas de tenir compte des motifs de la demande. […] Dans ces circonstances et compte tenu de ce qui précède, la preuve me convainc que les dispositions législatives précitées s’appliquent. L’organisme a raison de ne pas donner à la demanderesse accès aux renseignements recherchés. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : REJETTE la demande de révision de la demanderesse. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Montréal, le 23 avril 2002 M e Sylvie Lévesque Deveau, Lavoie & Associés Procureure de l’organisme M me Maryse Boucher Stagiaire en droit Donati, Maisonneuve Représentante de la demanderesse 5 Id.
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