00 21 25 BOURASSA, Martin ci-après appelé « le demandeur » c. COMMISSION DES NORMES DU TRAVAIL ci-après appelée l’ « organisme » OBJET Le demandeur, journaliste, s’adresse à l’organisme afin d’obtenir copie de la correspondance que l’organisme aurait fait parvenir aux Caisses populaires Desjardins ou aux Fédérations des caisses populaires Desjardins vers le mois de novembre 2000. Cette correspondance informerait ces dernières des démarches entreprises par l’organisme concernant l’Agence de placement Hélène Roy. Sans réponse de l’organisme, le demandeur requiert la Commission d’intervenir en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . Quelques mois plus tard, l’organisme invoque les paragraphes 2 et 5 du premier alinéa de l’article 28 de la Loi pour justifier le refus de communiquer les documents demandés. Une audience se tient aux bureaux de la Commission sis en la ville de Montréal le 18 février 2002. L’AUDIENCE Le procureur de l’organisme informe d’abord la Commission que l’organisme n’invoque plus l’article 28 de la Loi pour motiver son refus. Seule l’obligation de protéger les renseignements nominatifs est maintenant invoquée par l’organisme pour refuser l’accès aux renseignements élagués. LA PREUVE Le procureur de l’organisme déclare ensuite que le responsable de l’accès de l’organisme (le responsable) a fait parvenir au demandeur, le 18 octobre dernier, les 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée « Loi sur l'accès » ou « la Loi », article 47.
00 21 25 2 documents pouvant répondre à sa demande d’accès et dépose, sous la cote O-1, en liasse, la correspondance établissant cette communication. Le demandeur reconnaît avoir reçu cette lettre du 18 octobre et les documents qui y sont joints. L’avocat de l’organisme appelle, pour témoigner, monsieur Jean-Guy Lemieux, responsable de l’accès de l’organisme. Monsieur Lemieux a traité la demande d’accès en cause et est l’auteur de la lettre du 18 octobre dernier déposée sous la cote O-1. Avec cet envoi, il faisait parvenir au demandeur deux documents élagués des renseignements qui pouvaient, selon lui, conduire à l’identification des salariés. Ces deux documents sont deux copies de lettre. La première est datée du 9 novembre 2000 et a pour objet un « avis d’enquête et de suspension de la prescription ». Cet avis est adressé à une entreprise lorsque l’organisme effectue une enquête en vertu de la Loi sur les normes du travail 2 et de ses règlements. La deuxième n’est pas datée. Cette lettre de type circulaire informe le destinataire de ce qui suit : Je vous informe que la Commission des normes du travail a effectué une enquête concernant l’entreprise [élagage] et a conclu que cette entreprise ne respecte pas la Loi sur les normes du travail en ce qui a trait à son obligation de rémunérer les candidats/candidates à qui elle donne une formation en entreprise avant leur début d’emploi sur appel dans [élagage]. Compte tenu que certains candidats/candidates ont reçu leur formation dans votre établissement il est possible que vous soyez tenu conjointement responsable de ces salaires impayés. Si c’est le cas, vous recevrez d’ici peu une réclamation en bonne et due forme. Cette lettre est envoyée à [élagage] impliquée dans ce dossier, et a pour but de vous informer rapidement de la raison pour laquelle vous recevez aujourd’hui un « Avis d’enquête et de suspension de la prescription ». (Les inscriptions entre crochets sont les miennes) Il considère que les éléments retirés sont des renseignements nominatifs au sens des articles 53 et 54 de la Loi. Il se doit de protéger ces renseignements également en application de l’article 103 de la LNT : 103. La Commission ne doit pas dévoiler pendant l'enquête l'identité du salarié concerné par une plainte, sauf si ce dernier y consent. D’ailleurs, le dernier paragraphe de l’article du demandeur paru dans le quotidien La Presse du 25 novembre 2001, page A 16, a plus tard révélé que le demandeur recherche la liste des salariés touchés par l’enquête et a confirmé la justesse de sa décision. Il dépose cet article sous la cote O-2. 2 L.Q.Q., c. N-1.1, ci-après appelée la « LNT ».
00 21 25 3 Le responsable se dit convaincu que les renseignements rayés, soit les nom et l’adresse de l’employeur, le nom de la personne ou de l’entreprise faisant l’objet de l’enquête, le numéro de dossier et l’identification de l’enquêteur de l’organisme, s’ils étaient divulgués, mèneraient le demandeur à identifier les salariés. Le témoin déclare que le demandeur n’a reçu qu’un exemplaire du type de communication envoyée à chacun des 39 employeurs visés par l’enquête et susceptibles de se voir réclamer en justice les sommes qui pourraient être dues à son ou ses salariés. Le texte est le même pour chacun de ceux-ci. Ces communications se sont faites entre les 6 novembre et 10 novembre 2000. Une dernière communication diffère des autres. Il s’agit d’un avis de fermeture de dossier envoyé le 26 février 2001 à un quarantième employeur, également visé par l’enquête. Le témoin dépose entre les mains de la Commission, sous pli confidentiel, copie des trente-neuf avis d’enquête et du seul avis de fermeture de dossier ainsi que copie de la lettre-type dont le texte est plus haut reproduit et qui a été posté aux trente-neuf employeurs potentiellement fautifs. En contre-interrogatoire, le témoin Lemieux admet que le demandeur n’a jamais cherché à obtenir de l’organisme la liste des employés en cause. Il confirme également que le même avis d’enquête a été envoyé à plusieurs Caisses populaires. L’avocat de l’organisme demande de procéder ex parte et à huis clos pour la présentation du reste de sa preuve, en vertu de l’article 20 des Règles de preuve et de procédure de la Commission d’accès à l’information 3 : 20. La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document que l'organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi. Il veut que lui soit donnée l’occasion de prouver en quoi la divulgation des documents élagués risquerait de révéler l’identité des salariées. Cette permission lui est accordée par la Commission en vertu de l’article 141 de la Loi. Le demandeur ne s’oppose d’ailleurs pas à cette façon de procéder. Monsieur Lemieux continue donc son témoignage en l’absence du demandeur. La Commission n’apprend rien de nouveau, sauf le fait que certaines des Caisses 3 Règles de preuve et de procédures de la Commission d'accès à l'information, décret 2058-84.
00 21 25 4 populaires visées par l’enquête n’ont qu’un seul, parfois seulement deux salariés, œuvrant dans les conditions de travail jugées douteuses. L’enquêteur ayant conduit l’enquête vient ensuite témoigner. Étant donné que l’organisme prétend que son nom doit demeurer confidentiel, la Commission omet de le révéler durant l’audience ainsi dans la présente décision. Le témoin déclare qu’il est la personne qui a enquêté pour l’organisme dans tous les dossiers en cause ici. L’enquêteur dépose, sous la cote O-3, en liasse, un tableau identifiant, par région, les Caisses populaires concernées, le nombre de salariés par Caisse touchés par l’enquête, le montant des salaires en litige par Caisse, le numéro de dossier et des commentaires de l’enquêteur. La période couverte par l’enquête s’étend du 14 août 1999 au 14 août 2000. Ce tableau identifie les 10 Caisses n’ayant qu’un seul salarié touché et les 3 Caisses qui en avaient deux. Il dépose sous la cote O-4, en liasse, la version informatisée de ses dossiers d’enquête où apparaît le nom des salariés visés. Étant donné les prétentions de l’organisme, la Commission frappe d’une ordonnance générale de non-publication, non-diffusion et non-divulgation les liasses O-3 et O-4 devant valoir même à l’encontre du demandeur. L’enquêteur précise qu’aucune poursuite judiciaire n’a été intentée à la suite de ces enquêtes. À mes questions précises sur les moyens concrets que pourrait utiliser le détenteur des renseignements élagués, et à partir de ceux-ci, pour en arriver à identifier les individus salariés concernés par cette enquête, l’enquêteur répond de façon très vague. Il estime que par déduction, quiconque peut en arriver à identifier les salariés. L’enquêteur et monsieur Lemieux déclarent, à ce sujet, que les salariés visés sont vraisemblablement connus des autres employés de chacune des Caisses, mais que cette connaissance, selon l’enquêteur, n’est basée sur aucun document officiel mis à la disposition du personnel de ces Caisses. Là encore, il faut faire appel à la capacité des employés de déduire des conclusions à partir de ce qu’ils voient, dit l’enquêteur. À la question de savoir en quoi la divulgation du nom de l’enquêteur mènerait à l’identification des salariés touchés par l’enquête, ce dernier répond que c’est une question de stratégie, sans plus de développement.
00 21 25 5 LES ARGUMENTS L’avocat de l’organisme prétend que, bien que les renseignements biffés ne soient pas nominatifs dans leur essence, le croisement de ces données permettrait vraisemblablement d’identifier des personnes physiques 4 . Le demandeur laisse à la Commission le soin de décider du caractère nominatif des renseignements biffés. Il rappelle cependant que, faisant cette évaluation, la Commission ne doit pas tenir compte du degré de connaissance d’un demandeur dans le domaine faisant l’objet de la demande d’accès ni des informations qu’il possède déjà à ce sujet. Elle doit apprécier ce caractère nominatif en considérant les connaissances d’une personne raisonnablement bien informée et ce, non pas dans le domaine spécifique en cause, mais en général. DÉCISION Je prends à mon compte les remarques du demandeur au paragraphe précédent. Elles reflètent la position traditionnelle de la Commission à cet égard 5 . J’ai bien examiné les documents en litige. Jamais le nom d’un salarié n’y est mentionné. Ils ne contiennent en fait aucun renseignement personnel. Il s’agit de renseignements qui ne sont pas nominatifs parce que visant des coordonnées d’entreprises ou les nom et fonction d’un membre du personnel d’un organisme public. Les premiers ne sont pas relatifs à une personne physique au sens de l’article 54 et les seconds sont revêtus d’un caractère public aux termes des paragraphes 1° et 2° du premier alinéa de l’article 57 de la Loi : 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. 57. Les renseignements suivants ont un caractère public: 1 o le nom, le titre, la fonction, la classification, le traitement, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail d'un 4 Centrale des syndicats démocratiques c. Ministère de la Santé et des services sociaux, (1984-86) 1 CAI 599, 600; Bagnall c. Comité de la protection de la jeunesse, [1986] CAI 484, 487; Beaulac c. Office du crédit agricole du Québec, [1986] CAI 22, 26; Larivière c. Centre de services sociaux Laurentides-Lanaudière, [1987] CAI 185, 194,195. 5 Bagnall c. Comité de la protection de la jeunesse, [1986] CAI 484, 487.
00 21 25 6 membre d'un organisme public, de son conseil d'administration ou de son personnel de direction et, dans le cas d'un ministère, d'un sous-ministre, de ses adjoints et de son personnel d'encadrement; 2 o le nom, le titre, la fonction, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail et la classification, y compris l'échelle de traitement rattachée à cette classification, d'un membre du personnel d'un organisme public; [...] Aucun élément de preuve ne m’amène à conclure que croisés, les uns avec les autres, ces renseignements qui, je le rappelle, ne sont pas des renseignements personnels ou nominatifs, pourraient révéler l’identité d’une personne physique. Les témoignages nous ont appris que l’organisme, a plutôt, en analysant la demande d’accès et les documents en cause, ressenti des craintes et avancé des hypothèses. La conclusion qui s’ensuivit et qui fut la base du refus de l’organisme n’est finalement que pure conjecture. À mon avis, il est impossible, à partir des éléments biffés, d’en arriver à identifier de façon fiable quelque personne physique que ce soit, à moins que le demandeur, simple citoyen sans aucun pouvoir de contrainte, ne mène une sérieuse enquête sur le terrain, enquête impliquant surtout des interrogatoires serrés. Dans cette perspective, des renseignements nominatifs risquent bien sûr de faire surface, mais ce ne sera pas en raison de la divulgation des renseignements par un organisme public qui, je le souligne, doit en principe donner accès à ses documents dits administratifs, mais bien par les indiscrétions des personnes interrogées. Le contrôle des indiscrétions des individus n’est pas du ressort de la Commission. POUR CES MOTIFS, la Commission FRAPPE D’UN INTERDIT de publication, de divulgation et de diffusion les liasses O-3 et O-4, même à l’égard du demandeur, le tout jusqu’à ordre contraire; ACCUEILLE la demande de révision; et ORDONNE à l’organisme de remettre au demandeur l’intégral de l’ensemble des documents demandés. Québec, le 7 mars 2002 DIANE BOISSINOT Commissaire Avocat de l’organisme : M e Guy Poirier
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