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00 15 52 FRANÇOIS LEDUC Demandeur c. VILLE DE GATINEAU Organisme public L'OBJET DU LITIGE Le demandeur dépose une plainte de harcèlement auprès de l'organisme, Service de protection contre l'incendie, son employeur, à l'encontre de l'un de ses supérieurs. Le 31 juillet 2000, il s'adresse à l'organisme pour obtenir copie de tous les documents le concernant à la suite de l'enquête tenue sur sa plainte par MM. Guy Laflamme et Raymond Laurin. Le 3 août 2000, l'organisme en accuse réception et requiert, le 10 août, un délai supplémentaire de 10 jours pour pouvoir la traiter. Le 22 août suivant, l'organisme invoque les articles 9, 32, 37, 38, 39, 53, 54 et 88 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 pour lui en refuser l'accès. De la demande de révision produite par le demandeur le 27 août 2000, l'audience est fixée à Hull pour le 2 mai 2001, mais remise au 24 janvier 2002.
00 15 52 - 2 LA PREUVE La procureure du demandeur informe la Commission d'accès à l'information du Québec (la Commission) avoir reçu, juste avant l'audience, un cartable avec une série de documents en relation avec la demande. De ce dernier, les parties identifient les documents ayant été transmis ou refusés au demandeur de la façon suivante : Les documents contenus aux onglets 1 à 5, 8, 11 à 13, 15, 16, 18, 19, 26 et 28 à 39 ont été transmis intégralement au demandeur; Le document contenu à l'onglet 17 n'est plus en litige; Les documents contenus à l'onglet 24 ont été en partie transmis, masqués des renseignements protégés par la loi; et Les documents contenus aux onglets 6, 7, 9, 10, 14, 20 à 23, 25 et 27 sont refusés. Les parties reconnaissent que l'enquête réalisée à la suite de la plainte de harcèlement au travail de la part du demandeur est de nature administrative. La Commission reçoit copie des documents donnés au demandeur et, sous pli confidentiel, ceux demeurant en litige. Les parties avisent la Commission qu'il s'agit des mêmes documents ayant le même objet dans le présent dossier que dans celui de M. Mario Sweeney, C.A.I. n o 00 15 29. Il est convenu que la preuve présentée au dossier de M. Sweeney soit déposée pour le présent dossier, à l'exception du caractère nominatif de certains renseignements propres à chaque dossier. Il est convenu également que le seul objet du litige consiste à décider de l'accessibilité ou non des documents déposés sous pli confidentiel. M. Bernard Savoie, responsable de l'accès au moment de la demande, passe en revue les documents en litige et les motifs au soutien du refus de les communiquer : 1 L.R.Q., c. A-2.1.
00 15 52 - 3 -Les onglets 6, 7, 9, 17, 20, 21, 23, 24 et 26 M. Savoie affirme que les documents se trouvant à ces onglets renferment des renseignements au sujet de personnes autres que le demandeur, dont il n'a pas obtenu l'autorisation, et que ces derniers sont protégés par les articles 53, 54 et 88 de la loi : 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1 o leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2 o ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. 88. Sauf dans le cas prévu par le paragraphe 4 o de l'article 59, un organisme public doit refuser de donner communication à une personne d'un renseignement nominatif la concernant lorsque sa divulgation révélerait vraisemblablement un renseignement nominatif concernant une autre personne physique ou l'existence d'un tel renseignement, à moins que cette dernière n'y consente par écrit. L'onglet 10 Pour les mêmes motifs, M. Savoie fait valoir que le document contenu à cet onglet, en partie manuscrit, dévoilerait des renseignements nominatifs au sujet de son auteur et est protégé par l'article 88 de la loi. Les onglets 22, 23 et 24
00 15 52 - 4 M. Savoie prétend que les documents sous ces onglets contiennent des notes personnelles ne pouvant être communiquées en vertu du 2 e alinéa de l'article 9 de la loi : 9. Toute personne qui en fait la demande a droit d'accès aux documents d'un organisme public. Ce droit ne s'étend pas aux notes personnelles inscrites sur un document, ni aux esquisses, ébauches, brouillons, notes préparatoires ou autres documents de même nature. L'onglet 25 M. Savoie souligne qu'il s'agit du rapport produit par les enquêteurs qui renferme des analyses ainsi que des avis et recommandations protégés par les articles 32 et 37 de la loi : 32. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'avoir un effet sur une procédure judiciaire. 37. Un organisme public peut refuser de communiquer un avis ou une recommandation faits depuis moins de dix ans, par un de ses membres, un membre de son personnel, un membre d'un autre organisme public ou un membre du personnel de cet autre organisme, dans l'exercice de leurs fonctions. Il peut également refuser de communiquer un avis ou une recommandation qui lui ont été faits, à sa demande, depuis moins de dix ans, par un consultant ou par un conseiller sur une matière de sa compétence. M. Savoie soutient que les onglets 8 et 32 recèlent une mise en demeure du syndicat représentant le demandeur, datée du 6 décembre 1999, qui reprend la plainte de harcèlement et conclut à la prise de procédures judiciaires si l'organisme ne répond pas favorablement aux revendications du demandeur. En outre, il signale que le rapport a été réalisé par deux employés de l'organisme et que ceux-ci émettent des avis et des recommandations protégés par l'article 37 de la loi.
00 15 52 - 5 L'onglet 27 Outre des renseignements nominatifs, M. Savoie affirme que cet onglet contient une analyse pouvant avoir un impact sur des procédures judiciaires au sens de l'article 32 de la loi. Une preuve ex parte est présentée par l'organisme conformément à l'article 20 des Règles de pratique de la Commission 2 : 20. La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document que l'organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi. Au retour, l'organisme s'engage à remettre au demandeur copie intégrale des documents contenus aux onglets 7, 14 et 20. LES ARGUMENTS Le procureur de l'organisme allègue que les motifs au soutien du refus de communiquer au demandeur les documents qui restent en litige en vertu des articles 53, 54, 88, 32 et 37 de la loi sont justifiés dans les circonstances. Il fait valoir que l'organisme est justifié de soulever l'article 32 de la loi, la prescription d'un recours de la part du demandeur n'étant atteinte dans le cadre de sa plainte pour harcèlement que le 28 mars 2002. 2 Règles de preuve et de procédures de la Commission d'accès à l'information, décret 2058-84.
00 15 52 - 6 La procureure du demandeur prétend que la mise en demeure de l'onglet 31, rédigée par le syndicat du demandeur, démontre qu'aucun recours n'a été pris depuis trois ans et qu'il n'existe aucune procédure judiciaire d'intentée depuis cette époque. Elle conclut qu'il ne peut y avoir, selon l'article 32 de la loi, de lien ou de conséquence à communiquer les documents en litige parce qu'il n'existe pas de procédure judiciaire. Elle prétend que l'organisme n'a pas identifié le risque de procédures judiciaires au sens de l'article 32 de la loi. Rappelant qu'elle n'a pas assisté à la preuve ex parte, la procureure fait part que la mise en demeure du syndicat à l'onglet 31 ne constitue pas la preuve que les documents en litige puissent avoir un impact sur une procédure judiciaire. Elle ajoute que le seul nom d'une personne n'est pas un renseignement nominatif et s'en remet à la Commission pour le déterminer. APPRÉCIATION Il s'agit pour la Commission de décider si les documents qui demeurent en litige, insérés aux onglets 6, 9, 10, 21 à 25 et 27, bénéficient des restrictions des articles 32, 37 et 88 de la loi. La Commission doit rejeter le refus invoqué par l'organisme en vertu de l'article 32 de la loi parce qu'il n'existe pas de procédure judiciaire selon la preuve documentaire. La mise en demeure adressée par le syndicat à l'organisme, le 6 décembre 1999 (onglet 31), le grief collectif déposé par le syndicat et celui spécifique au demandeur formulé le 17 décembre 1999 (onglets 34 et 35) ont été faits antérieurement à une lettre d'entente signée par le demandeur, les représentants du syndicat et ceux de l'organisme les 12 avril et 8 mai 2000 (onglet 37). Ladite entente allègue notamment que : « CONSIDÉRANT QUE le Syndicat a déposé un grief (1-02-99) au nom de Mario Sweeney et François Leduc alléguant que ces pompiers n'ont pas été traités avec
00 15 52 - 7 -considération et estiment avoir été harcelés et intimidés par leur supérieur immédiat; CONSIDÉRANT QUE le Syndicat a déposé un grief collectif (1-03-99) rejetant les réponses aux plaintes formulées par messieurs Mario Sweeney et François Leduc; CONSIDÉRANT QUE les parties ont tenu des pourparlers en vue d'en arriver à une entente négociée relativement aux deux griefs ci-haut mentionnés et que les parties désirent également améliorer et maintenir un sein climat de relations de travail; EN CONSÉQUENCE, les parties conviennent ce qui suit, à savoir: 1. Mandater une personne-ressource externe aux cadres administratifs de la Ville de Gatineau pour faire la lumière sur les événements qui ont mené aux deux plaintes des pompiers Mario Sweeney et François Leduc (…) (…) 5. En contrepartie de l'application de la présente entente, le Syndicat des pompiers et pompières du Québec, section locale Gatineau, retire le grief 1-02-99, déposé au nom de Mario Sweeney et François Leduc et aussi le grief collectif 1-03-99. 6. Mario Sweeney et François Leduc (…) s'engagent à ne pas utiliser de quelque façon que se soit le rapport de la personne ressource. (soulignement ajouté) De cette dernière entente, la Commission note que le ministère du Travail a désigné M. Yvon St-Onge pour faire la lumière sur les événements décriés par le demandeur (onglet 37). En ce qui concerne l'article 37 de la loi, de façon générale, le test nécessaire à l'application de cet article a été clairement exprimé dans l'affaire Deslauriers c. Sous-ministre de la Santé et des Services sociaux 3 : « Le sens du mot «recommandation» de l'article 37 de la Loi sur l'accès «ne semble poser aucune difficulté puisqu'il a été défini dans de nombreuses décisions comme étant un énoncé proposant une ligne de conduite. […] Dans cette optique, il importe non pas de se référer précisément à une notion ou définition du dictionnaire, ni de tenter d'enchâsser le concept «avis» dans une définition quelconque, mais de qualifier ce concept dans le contexte qui est sien en rapport avec les principes générateurs qui ont façonné la Loi d'accès. il faut rechercher le sens contextuel. À cet égard, au risque de se répéter, il ne faut pas perdre de 3 [1991] C.A.I. 311, 325 (C.Q.).
00 15 52 - 8 -vue que l'article 37 est une restriction au droit général d'accès à des documents d'organismes publics et que la section à laquelle il appartient en témoigne indubitablement. Par surcroît, la sous-section d' il provient en dit long quant à l'objet ce cette exception: […]. Voilà le véritable contexte de nature à qualifier le sens du mot «avis». […]
00 15 52 - 9 -« Dans ce contexte, les mots «avis» et «recommandation» expriment à des degrés divers une même chose, c'est-à-dire l'énoncé d'un jugement de valeur conditionnant l'exercice d'un choix entre diverses alternatives. […] » (soulignement ajouté) Toutefois, il importe de souligner que M. Pierre Bertrand, directeur du Service de protection contre l'incendie, écrit au demandeur, le 22 novembre 1999, pour lui faire part de la décision de l'organisme en ces termes (onglet 27) : « La présente est pour vous informer que j'ai pris connaissance du rapport d'enquête sur la plainte d'harcèlement que vous avez déposée contre […], le 28 janvier dernier. Faisant suite à une analyse complète, d'une part par les enquêteurs dûment mandatés dans ce dossier et d'autre part par moi-même, je vous informe qu'aucune des 20 allégations contre […], n'est retenue comme fondée. » L'article 86.1 de la loi, qui doit être lu avec l'article 87, nous enseigne que : 86.1 Un organisme public peut refuser de donner communication à une personne d'un renseignement nominatif la concernant, lorsque ce renseignement est contenu dans un avis ou une recommandation fait par un de ses membres ou un membre de son personnel, un membre d'un autre organisme public ou un membre du personnel de cet autre organisme, dans l'exercice de leurs fonctions, ou fait à la demande de l'organisme par un consultant ou par un conseiller sur une matière de sa compétence et que l'organisme n'a pas rendu sa décision finale sur la matière faisant l'objet de cet avis ou de cette recommandation. (soulignement ajouté) 87. Sauf dans le cas prévu à l'article 86.1, un organisme public peut refuser de confirmer l'existence ou de donner communication à une personne d'un renseignement nominatif la concernant, dans la mesure la communication de cette information révélerait un renseignement dont la communication doit ou peut être refusée en vertu de la section II du chapitre II.
00 15 52 - 10 -Ainsi, les avis ou recommandations ayant déjà fait l'objet d'une décision par l'organisme et concernant spécifiquement le demandeur, au sens de l'article 86.1 de la loi, excluent la restriction facultative de l'article 37. J'ai vérifié le rapport des enquêteurs (onglet 24) et j'en arrive à la conclusion que les recommandations contenues dans ce rapport répondent aux conditions d'application de l'article 37 de la loi, la preuve ayant démontré que l'organisme est placé devant un choix d'agir ou non et qu'il ne s'agit pas de renseignements visant spécifiquement le demandeur. Le demandeur ne pourra obtenir copie des recommandations. Pour ce qui touche la restriction du 2 e alinéa de l'article 9 de la loi, il n'est pas contesté que le demandeur a exercé un droit pour obtenir des renseignements le concernant aux termes de l'article 83 : 83. Toute personne a le droit d'être informée de l'existence, dans un fichier de renseignements personnels, d'un renseignement nominatif la concernant. Elle a le droit de recevoir communication de tout renseignement nominatif la concernant. Toutefois, un mineur de moins de quatorze ans n'a pas le droit d'être informé de l'existence ni de recevoir communication d'un renseignement nominatif de nature médicale ou sociale le concernant, contenu dans le dossier constitué par l'établissement de santé ou de services sociaux visé au deuxième alinéa de l'article 7. L'organisme peut exercer sa discrétion et soulever comme motifs les restrictions prévues aux articles 18 à 41 de la loi aux termes de l'article 87. Comme le 2 e alinéa de l'article 9 de la loi ne s'y trouve pas, cette restriction ne peut être retenue. Quant aux renseignements à caractère nominatif, la Commission doit impérativement les protéger « lorsque sa divulgation révélerait vraisemblablement un renseignement nominatif concernant une autre personne physique ou l'existence d'un tel renseignement. » Le renseignement purement factuel, sans
00 15 52 - 11 -appréciation personnelle ou déjà connu du demandeur n'entre pas dans cette définition. Cependant, les commentaires ou opinions 4 émis par des personnes autres que le demandeur, dans le cadre de la plainte de celui-ci, et qui identifient, fournissent ou révèlent des renseignements au sujet de leur auteur, sont des renseignements protégés par les articles 88, 53 et 54 de la loi. L'examen attentif des documents en litige m'amène à conclure que les documents se trouvant aux onglets 6, 9, 10, 21, 22, 23, et 27 renferment des renseignements nominatifs au sujet d'autres personnes physiques, interrogées dans le cadre de la plainte pour harcèlement, en forment la substance et ne peuvent être communiqués au demandeur. Je suis d'avis qu'il y a lieu d'appliquer l'article 14 de la loi concernant certaines parties des documents en litige ci-après identifiés au dispositif que l'on peut lire d'une façon intelligible sans en altérer le sens : 14. Un organisme public ne peut refuser l'accès à un document pour le seul motif que ce document comporte certains renseignements qu'il doit ou peut refuser de communiquer en vertu de la présente loi. Si une demande porte sur un document comportant de tels renseignements, l'organisme public peut en refuser l'accès si ces renseignements en forment la substance. Dans les autres cas, l'organisme public doit donner accès au document demandé après en avoir extrait uniquement les renseignements auxquels l'accès n'est pas autorisé. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : ACCUEILLE, en partie, la demande de révision du demandeur; PREND ACTE que le demandeur a obtenu de l'organisme copie des documents contenus aux onglets 1 à 5, 7, 8, 11 à 20, 26 et 28 à 39; ORDONNE à l'organisme de transmettre au demandeur copie des documents insérés aux onglets suivants :
00 15 52 - 12 - L'onglet 24 ! la lettre, après avoir masqué le 1 er paragraphe et la dernière phrase du 4 e paragraphe de la page 2; ! le rapport, après avoir masqué : " intégralement, mais exclusivement, toutes les parties intitulées « Analyse » que l'on retrouve sous chacune des allégations aux pages 13 à 27; " l'avant-dernier paragraphe de la page 28; et " les quatre recommandations en haut de la page 29; L'onglet 25 après avoir masqué le 2 e paragraphe de la page 1 et les 1 er et dernier paragraphes de la page 2; REJETTE donc, quant au reste, la demande de révision. MICHEL LAPORTE Commissaire Montréal, le 21 février 2002 M e Maryse Lepage Procureure du demandeur M e Michel Beaudry Procureur de l'organisme 4 Ville de Montréal c. Chevalier, [1998] C.A.I. 501.
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