Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 03 17 96 Date : 15 novembre 2004 Commissaire : M e Christiane Constant X. Demandeur c. Ville de Laval Organisme public DÉCISION L’OBJET DU LITIGE LA DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Le 15 juillet 2003, le demandeur s’adresse au ministère de la Sécurité publique (le MSP »), afin d’obtenir les coordonnées d’une personne qui aurait causé des dommages à son véhicule automobile; il souhaite également obtenir une copie du rapport de police qui a été rédigé en regard de cet évènement. Le 22 septembre suivant, il formule auprès de la Ville de Laval (l’ « organisme ») une demande afin de pouvoir obtenir une copie intégrale de ce rapport. [2] Le 8 octobre, par l’entremise de M. Serge Bélisle, assistant-directeur et responsable de l’accès aux documents, l’organisme lui en communique une copie,
03 17 96 Page : 2 après avoir épuré des renseignements nominatifs; il invoque à cet effet les articles 14, 53 et 54 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi sur l’accès »). [3] Le 15 du même mois, le demandeur formule une demande de révision auprès de la Commission d’accès à l’information (la «Commission »). L’AUDIENCE [4] L’audience de cette cause, qui a été reportée à une reprise à la demande de l’organisme, se tient à Montréal, le 10 novembre 2004, en présence du demandeur et de M. Serge Bélisle, témoin de l’organisme qui est représenté par M es Geneviève Asselin et Annie Tremblay du cabinet d’avocats Allaire & Associés. LA PREUVE A) DE L’ORGANISME [5] M e Asselin fait témoigner, sous serment, M. Serge Bélisle. Celui-ci déclare qu’il est assistant-directeur et responsable de l’accès aux documents au Service de protection des citoyens de l’organisme, ci-après le « Service ». Il affirme que le 28 août 2003, M me Sophie Caouette, du MSP, l’a appelé pour lui faire savoir que le demandeur cherche à connaître l’identité du conducteur d’un véhicule automobile qui aurait causé des dommages au sien. Après avoir pris connaissance du rapport d’évènement qui a été rédigé par un enquêteur, l’organisme constate que le renseignement recherché par le demandeur est inexistant; l’auteur de ce délit n’ayant pas été identifié, « le dossier est clos. » Il dépose confidentiellement à l’audience une copie intégrale de ce document. [6] M. Bélisle reconnaît avoir reçu, le 22 septembre suivant, une demande formulée par le demandeur qui désire avoir accès à une copie intégrale dudit rapport; il précise que cette demande comprend deux volets : a) copie intégrale du rapport de police; b) afin de pouvoir intenter un recours pour les dommages causés à son véhicule automobile devant la Cour des petites créances. Il reconnaît également avoir communiqué au demandeur une copie élaguée dudit rapport (pièce O-1). [7] Il affirme cependant que le numéro de la plaque d’immatriculation du véhicule en question fourni par le demandeur a permis à l’organisme de connaître 1 L.R.Q., c. A-2.1
03 17 96 Page : 3 l’identité de son propriétaire qu’il a tenté, sans succès, de rejoindre par téléphone. Il a toutefois communiqué avec la fille de celui-ci qui l’a informé que son père ne pouvait, à ce moment, être l’auteur du délit, car « il est malade ». [8] Il refuse, au nom de l’organisme de transmettre au demandeur les renseignements nominatifs concernant ces personnes physiques ci-dessus mentionnées au sens des articles 53 et 54 de la Loi sur l’accès. Il ajoute que le propriétaire de ce véhicule n’a pas autorisé l’organisme à communiquer au demandeur les renseignements nominatifs le concernant. Il invoque également comme motif de refus l’article 14 de ladite loi, car d’autres renseignements ont été épurés du document en litige. [9] Par ailleurs, M. Bélisle souligne que le demandeur a formulé contre des policiers de l’organisme une plainte auprès du Commissaire à la déontologie policière, parce qu’il se dit insatisfait du traitement de sa demande. Faisant suite à une conciliation, les parties sont arrivées à un règlement, lequel indique, entre autres, que l’organisme a convenu de réétudier la demande en vue de l’obtention de l’identité du propriétaire du véhicule en question. M. Bélisle affirme qu’aucune accusation n’a été portée contre un policier. [10] Il a fait parvenir au demandeur une lettre explicative datée du 21 avril 2004 à laquelle est annexé ce règlement portant la signature des parties, incluant celle du demandeur (pièce O-2 en liasse). De l’avis de M. Bélisle, cette lettre représente une 2 e réponse de l’organisme eu égard à la demande d’accès. [11] De plus, M. Bélisle cite le 9 e paragraphe de l’article 59 de la Loi sur l’accès traitant notamment de l’exception faite par le législateur qui permet à un organisme public de communiquer un renseignement nominatif sans le consentement de la personne concernée. À cet effet, M. Bélisle précise que : […] l’organisme ne peut pas conclure « que le propriétaire du véhicule est une « personne impliquée » au sens de l’article 59(9) puisque le « suspect » est toujours inconnu à ce jour. Nous ne pouvons pas affirmer que le « suspect » est la même personne que le propriétaire du véhicule. Ainsi, nous devons, selon la Loi, protéger les renseignements nominatifs du propriétaire du véhicule. » […] Clarifications recherchées par le demandeur [12] M. Bélisle réitère l’essentiel de son témoignage initial; il précise que, pour donner suite à la demande qu’avait adressée au mois d’août 2003 M me Caouette,
03 17 96 Page : 4 du MSP, il agissait en tant que policier; le demandeur n’avait pas à ce moment-là formulé une demande d’accès auprès de l’organisme. Il l’a soumise, par la suite, le 22 septembre et M. Bélisle lui a répondu, le 8 octobre suivant, à titre de responsable de l’accès aux documents. Il témoigne à ce titre à l’audience. [13] De plus, il indique avoir déjà expliqué au demandeur que le Service de l’organisme est régi par une loi qui lui accorde certains pouvoirs; il y a des règles ou devoirs à respecter; il ne peut pas acquiescer à la demande, car, en outre, il est tenu de respecter les dispositions de la Loi sur l’accès. Par ailleurs, il ajoute que l’enquête n’a pas pu relier le propriétaire du véhicule automobile aux dommages causés à celui du demandeur; d’où le motif pour l’organisme de clore son enquête; le dossier est fermé. Intervention de l’avocate de l’organisme [14] Néanmoins, cherchant à obtenir l’intégralité des renseignements nominatifs, le demandeur réfère M. Bélisle au document intitulé « rapport d’enquête complémentaire » par lequel il y est inscrit le nom du propriétaire du véhicule automobile en litige ainsi que le prénom de la fille de celui-ci. L’avocate de l’organisme formule une objection qui lui est accordée par la Commission. Cette information constitue l’essentiel même de l’objet du présent litige, malgré que l’organisme ait divulgué par mégarde une partie de ces renseignements qui devaient demeurer confidentiels. B) TÉMOIGNAGE DU DEMANDEUR [15] Le demandeur affirme solennellement que, le 13 juin 2003, son véhicule automobile se trouvait dans un terrain de stationnement. Avec un panier d’épicerie, le conducteur d’un autre véhicule automobile a causé des dommages au sien. Il a effectué, sans succès, plusieurs démarches notamment auprès de sa compagnie d’assurances, de la Société d’assurance automobile du Québec, afin de pouvoir l’identifier; il souhaite éventuellement entreprendre contre celui-ci un recours judiciaire. Il a déposé une plainte, le 21 juin 2003, auprès du Service de l’organisme et a fourni à celui-ci le numéro de la plaque d’immatriculation de ce véhicule. [16] Se référant aux renseignements contenus au rapport d’enquête complémentaire, il indique que ces renseignements sont incomplets, car les noms et prénoms ainsi que les coordonnées du propriétaire du véhicule lui sont nécessaires afin d’être en mesure d’intenter contre celui-ci son recours devant les tribunaux judiciaires. Il ajoute que ce propriétaire a causé des dommages à son
03 17 96 Page : 5 véhicule, il « ne peut pas se soustraire à ses responsabilités. » Il précise avoir été victime « d’un délit de fuite », il a le droit d’obtenir les renseignements recherchés. [17] Le demandeur dépose en preuve les documents suivants : • D-1 en liasse : la demande d’accès datée du 22 septembre 2003, la réponse de l’organisme datée du 8 octobre suivant à laquelle est attachée une copie élaguée du rapport d’évènement (ce document porte la cote O-1 pour l’organisme); • D-2 : il requiert de M. Bélisle les coordonnées de l’agent qui a signé le rapport d’enquête complémentaire; • D-3 : la réponse de M. Bélisle qui l’informe que ce rapport porte sa signature; il lui fournit le titre de ses fonctions ainsi que ses coordonnées au travail; • D-4 : la lettre datée du 21 avril 2004 que lui a adressée M. Bélisle (ce document porte la cote O-2 pour l’organisme); • D-5 : il dépose, à titre d’information, la chronologie des évènements qu’il a rédigée. LES ARGUMENTS DE L’ORGANISME [18] M e Asselin rappelle le témoignage de M. Bélisle selon lequel l’organisme a fourni au demandeur une copie élaguée du rapport d’évènement. Elle argue que l’identité du propriétaire recherché par le demandeur est inexistante dans le rapport d’évènement (pièce O-1 précitée). [19] Elle ajoute cependant que la preuve a démontré que le numéro de la plaque d’immatriculation fourni par le demandeur à l’organisme a permis à celui-ci d’effectuer une enquête; l’organisme connaît l’identité et les coordonnées du propriétaire du véhicule en question, mais il ne peut pas relier celui-ci aux dommages causés à celui du demandeur, d’une part. L’organisme est tenu, d’autre part, de refuser de lui communiquer ces renseignements qui sont nominatifs selon les termes des articles 53 et 54 de la Loi sur l’accès, et ce, tel qu’en a décidé la Commission dans l’affaire X c. Secrétariat au loisir et au sport 2 . [20] Par ailleurs, l’avocate plaide que l’article 59(9) de ladite loi est inapplicable dans la présente cause, car l’auteur du délit est toujours inconnu; la preuve n’a pas démontré que le propriétaire du véhicule serait une personne impliquée dans ce délit. 2 [2003] C.A.I. 615 à 620. Requête pour permission d’appeler rejetée (C.Q., 2004-04-07), 200-80-000887-032.
03 17 96 Page : 6 DÉCISION [21] Le demandeur a formulé sa demande selon les termes du premier alinéa de l’article 9 de la Loi sur l’accès qui stipule que : 9. Toute personne qui en fait la demande a droit d'accès aux documents d'un organisme public. Ce droit ne s'étend pas aux notes personnelles inscrites sur un document, ni aux esquisses, ébauches, brouillons, notes préparatoires ou autres documents de même nature. [22] C’est un droit fondamental qui a un caractère impératif selon les termes de l’article 168 de la Loi sur l’accès. 168. Les dispositions de la présente loi prévalent sur celles d'une loi générale ou spéciale postérieure qui leur seraient contraire, à moins que cette dernière loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la présente loi. [23] À son avis, les exceptions sur lesquelles se base l’organisme pour lui refuser l’accès aux renseignements contenus au rapport d’évènement sont inapplicables dans la présente cause. Il indique avoir été « victime d’un délit de fuite », il a le droit d’obtenir les renseignements convoités afin de pouvoir exiger du propriétaire du véhicule en question de réparer les dommages qu’il lui a causés. Les articles 53, 54 et 59(9) sont donc inapplicables dans son cas. Il réfère la Commission aux articles 55, 57 et 59(9) de ladite loi pour souligner qu’ils sont plutôt applicables à son cas. 55. Un renseignement personnel qui a un caractère public en vertu de la loi n'est pas nominatif. 57. Les renseignements suivants ont un caractère public: 1° le nom, le titre, la fonction, la classification, le traitement, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail d'un membre d'un organisme public, de son conseil d'administration ou de son personnel de direction et, dans le cas d'un ministère, d'un sous-ministre, de ses adjoints et de son personnel d'encadrement; 2° le nom, le titre, la fonction, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail et la classification, y compris
03 17 96 Page : 7 l'échelle de traitement rattachée à cette classification, d'un membre du personnel d'un organisme public; 3° un renseignement concernant une personne en sa qualité de partie à un contrat de service conclu avec un organisme public, ainsi que les conditions de ce contrat; 4° le nom et l'adresse d'une personne qui bénéficie d'un avantage économique conféré par un organisme public en vertu d'un pouvoir discrétionnaire et tout renseignement sur la nature de cet avantage. 5° le nom et l'adresse d'affaires du titulaire d'un permis délivré par un organisme public et dont la détention est requise en vertu de la loi pour exercer une activité ou une profession ou pour exploiter un commerce. Toutefois, les renseignements prévus au premier alinéa n'ont pas un caractère public si leur divulgation est de nature à nuire ou à entraver le travail d'une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime. En outre, les renseignements prévus au paragraphe 2° ne peuvent avoir pour effet de révéler le traitement d'un membre du personnel d'un organisme public. 59. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement nominatif sans le consentement de la personne concernée. Toutefois, il peut communiquer un tel renseignement sans le consentement de cette personne, dans les cas et aux strictes conditions qui suivent: […] 9° à une personne impliquée dans un événement ayant fait l'objet d'un rapport par un corps de police, lorsqu'il s'agit d'un renseignement sur l'identité de toute autre personne qui a été impliquée dans cet événement, sauf s'il s'agit d'un témoin, d'un dénonciateur ou d'une personne dont la santé ou la sécurité serait susceptible d'être mise en péril par la communication d'un tel renseignement. [24] Par ailleurs, il importe de préciser que la demande formulée par le demandeur est adressée à M. Bélisle, assistant-directeur et responsable de l’accès aux documents pour l’organisme. Elle est datée du 22 septembre 2003 et se lit comme suit :
03 17 96 Page : 8 […] Monsieur le directeur, Je vous sollicite copie intégrale du rapport de police mentionné ci-haut afin que je puisse faire les démarches nécessaires auprès de la Cour des Petites Créances dans le but de réclamer les dommages causés sur mon auto. […] [25] L’obtention intégrale dudit rapport par le demandeur permettrait à celui-ci d’identifier le propriétaire du véhicule en question. Or, cette information ne se trouve pas dans le rapport d’évènement (pièce O-1 en liasse précitée). [26] M. Bélisle a toutefois déclaré qu’avec le numéro de la plaque d’immatriculation, il a obtenu l’identité du propriétaire du véhicule en question; il a rédigé un rapport d’enquête complémentaire contenant cette information que l’organisme refuse de communiquer au demandeur. C’est un renseignement nominatif au sens des articles 53 et 54 de la Loi sur l’accès. Ces deux articles se trouvent au chapitre III traitant de la « protection des renseignements personnels », à la Section I visant le « caractère confidentiel des renseignements nominatifs ». Une jurisprudence abondante de la Commission, telles Vinet c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse 3 et J...U…P… c. Ministère de la Sécurité publique 4 respecte la protection de cette catégorie de renseignements. [27] Tel que commenté par les auteurs Duplessis et Hétu 5 , la Loi sur l’accès a, entre autres, pour fondement et objet la protection des renseignements personnels, principe découlant de la Charte des droits et libertés de la personne 6 (la « Charte »). La Commission considère que les exceptions prévues aux articles 55 et 57 ne s’appliquent pas dans la présente cause parce que les renseignements nominatifs convoités par le demandeur ne revêtent pas un caractère public. 3 [2003] C.A.I. 411. 4 [2003] C.A.I. 268. 5 Yvon DUPLESSIS et Jean HÉTU, L’accès à l’information et la protection des renseignements personnels, Loi indexée, commentée et annotée, volume 3, publications CCH ltée, 2003, p. 456 101. 6 L.R.Q., c. C-12
03 17 96 Page : 9 [28] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : ACCUEILLE partiellement la demande de révision du demandeur contre la Ville de Laval; CONSTATE que l’organisme a communiqué à celui-ci une copie élaguée du rapport d’évènement; REJETTE, quant au reste, sa demande de révision; FERME le présent dossier portant le n o 03 17 96. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire M es Geneviève Asselin et Annie Tremblay ALLAIRE & ASSOCIÉS Procureurs pour la Ville de Laval
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