Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 03 19 07 Date : 8 octobre 2004 Commissaire : M e Christiane Constant X Demanderesse c. Ville de Montréal Organisme public DÉCISION L'OBJET DU LITIGE LA DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Le 12 septembre 2003, la demanderesse requiert auprès de la Ville de Montréal (l'« organisme »), l’accès aux documents et informations suivants : […] les cassettes audio de toutes les communications entre les policiers pendant les évènements du 28 juillet 2003 (Sommet de OMC), autant les communications entre les dépisteurs, le canal de commandement, celui des motards, de la circulation, etc… […] les cassettes vidéos des (3) caméras de surveillance de l’aile de détention des femmes majeures […] entre 12h00 pm le 28 juillet et 6h00 am le 29 juillet. […]
03 19 07 Page : 2 [2] Le 6 octobre suivant, par l’entremise de M e Suzanne Bousquet, responsable de l’accès aux documents, l’organisme avise la demanderesse qu’il va notamment se prévaloir du délai légal additionnel afin de traiter la demande. Il l’avise également qu’elle recevra une réponse au plus tard le 17 octobre 2003. [3] Le 15 du même mois, l’organisme refuse à la demanderesse l’accès aux documents convoités, invoquant à cet effet les articles 28 et 53 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi sur l'accès »). [4] Le 28 octobre, elle sollicite l’intervention de la Commission d'accès à l'information (la « Commission ») pour que soit révisée la décision de l’organisme. [5] Cependant, le 8 janvier 2004, l’organisme soumet à la Commission une requête pour être autorisé à ne pas tenir compte de la demande selon les termes de l’article 126 de la Loi sur l’accès. L'AUDIENCE [6] L’audience de cette cause se tient, le 14 septembre 2004, à Montréal, en présence de la demanderesse et de Mme Line Trudeau, témoin de l’organisme qui est représenté par M e Paul Quézel. LA PREUVE A) DE L’ORGANISME [7] M e Quézel fait témoigner, sous serment, M me Line Trudeau, qui déclare être constable depuis 1988. Elle est également conseillère à M e Suzanne Bousquet responsable de l’accès aux documents; elle a traité la demande dont la réponse de l’organisme est signée par M me Bousquet. Selon M me Trudeau, des accusations de nature criminelle, ont été portées contre la demanderesse et d’autres personnes par le Substitut du Procureur général; elles sont notamment accusées d’attroupement illégal. [8] M me Trudeau précise que des policiers se trouvant sur les lieux d’un événement ont filmé les personnes qui y étaient présentes, incluant la demanderesse. Les documents convoités par celle-ci sont constitués de huit ou 1 L.R.Q., c. A-2.1.
03 19 07 Page : 3 neuf cassettes audio, trois vidéocassettes dans lesquelles la demanderesse et plusieurs autres personnes y apparaissent. Le témoin précise qu’il est impossible, pour l’organisme, d’extraire les images de celles-ci sans en altérer le contenu. Ces images sont des renseignements nominatifs concernant ces personnes. [9] Selon M me Trudeau, M e Yves Briand, Substitut du Procureur général responsable du dossier devant la Cour municipale, s’est adressé à l’organisme pour avoir accès aux mêmes documents dans le cadre de la procédure judiciaire ci-dessus mentionnée. B) TÉMOIGNAGE DE LA DEMANDERESSE [10] La demanderesse confirme solennellement le témoignage de M me Trudeau; elle ajoute que le visionnement des vidéocassettes lui est nécessaire, afin de pouvoir se défendre contre les accusations de nature criminelle portées contre elle; ces accusations sont en regard des évènements survenus lors d’une rencontre organisée par l’OMC. Elle affirme que le procès se tiendra à la Cour municipale de Montréal les 18 et 22 octobre 2004 et elle a comparu dans ce dossier qui la concerne. [11] Pour les motifs qu’elle invoque, la demanderesse ajoute avoir été détenue dans une cellule de l’organisme. Elle a donc déposé contre celui-ci une plainte devant la Commission des droits de la personne. LES ARGUMENTS [12] M e Quézel informe la Commission que l’organisme renonce à invoquer l’application de l’article 126 de la Loi sur l’accès. [13] L’avocat rappelle le témoignage de M me Trudeau selon laquelle des accusations de nature criminelle ont été portées par le Substitut du procureur général contre la demanderesse eu égard à des évènements survenus à un moment précis. L’avocat plaide que l’organisme est tenu de refuser de communiquer à la demanderesse les documents recherchés, car ils contiennent tous des renseignements nominatifs protégés par l’article 53 de la Loi sur l’accès; ces renseignements doivent donc demeurer confidentiels. [14] Par ailleurs, il rappelle de plus le témoignage de la demanderesse selon lequel celle-ci voudrait avoir accès aux documents afin d’avoir une défense pleine et entière dans le cadre du procès qui se tiendra à la Cour municipale de Montréal les 18 et 22 octobre 2004. L’avocat argue que l’organisme est tenu de refuser à la
03 19 07 Page : 4 demanderesse l’accès aux documents en vertu de l’article 28 (1 er paragraphe) de la Loi sur l’accès, car leur divulgation risquerait d’entraver le déroulement de la procédure présentement en cours. [14] M e Quézel plaide que la preuve a démontré que M e Yves Briand, Substitut du procureur général a fait une demande similaire à celle de la demanderesse afin de pouvoir préparer le procès qui se tiendra au mois d’octobre 2004. M e Quézel souhaite que la Commission n’intervienne pas dans le travail du Substitut du Procureur général; celui-ci détient une certaine latitude eu égard à la communication de la preuve, tout en respectant les critères établis par la Cour suprême du Canada à l’arrêt Stinchcombe 2 . Il argue d’ailleurs qu’en cas d’insatisfaction de la demanderesse, celle-ci pourra toujours requérir l’intervention du juge du procès qui prendra une décision à cet effet. [15] Commentant les auteurs Duplessis Hétu 3 , l’avocat cite entre autres que : […] La jurisprudence en matière criminelle impose à la poursuite l’obligation de divulguer à la défense tous les éléments de preuve qui sont pertinents. Cependant, le ministère public jouit d’une certaine latitude en matière de pertinence et de privilège, et le juge peut réviser l’exercice que fait le ministère public de cette discrétion. Ce droit à la divulgation de la preuve constitue l’un des éléments du droit à une défense pleine et entière, protégé par les chartes comme étant l’un des principes de justice fondamentale. […] La Commission risque d’entraver le déroulement du processus judiciaire si elle se substitue au juge chargé du procès, car il pourrait y avoir des décisions contradictoires concernant la divulgation d’un même document. D’ailleurs, rien ne justifie cette ingérence puisque l’accusé pourra faire valoir son droit à une défense pleine et entière au procès.[(…] 2 [1991] 3 R.C.S. 326. 3 Yvon DUPLESSIS et Jean HÉTU, L’accès à l’information et la protection des renseignements personnels, Loi indexée, commentée et annotée, volume 2, publications CCH ltée, 2003, p. 73 307.
03 19 07 Page : 5 LA DÉCISION [16] L’article 1 de la Loi sur l’accès stipule que : 1. La présente loi s'applique aux documents détenus par un organisme public dans l'exercice de ses fonctions, que leur conservation soit assurée par l'organisme public ou par un tiers. Elle s'applique quelle que soit la forme de ces documents: écrite, graphique, sonore, visuelle, informatisée ou autre. [17] Dans le cas en l’espèce, la preuve a démontré que les documents recherchés par la demanderesse existent au moment de la demande sous forme de cassettes audio (au nombre de 8 ou 9) et de vidéocassettes (au nombre de 3); des personnes, incluant la demanderesse, ont été filmées par des policiers lors d’un événement précis; elles sont identifiées, des accusations de nature criminelle, sont déposées contre elles; la demanderesse a comparu. Le procès impliquant celle-ci se tiendra à la Cour municipale de Montréal les 18 et 22 octobre 2004. La demanderesse souhaite obtenir ces documents, pour être en mesure de présenter une défense pleine et entière. [18] L’organisme lui en refuse l’accès, car leur communication risquerait d’identifier les personnes physiques au sens des articles 53 et 54 de la Loi sur l’accès; ces documents doivent demeurer confidentiels eu égard à ces personnes, tel qu’il appert, entre autres, des décisions X c. Y 4 et X c. Ministère de la Sécurité Publique 5 . De plus, la preuve n’a pas démontré que ces personnes aient consenti à la communication des renseignements nominatifs les concernant selon l’article 88 de ladite loi. 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1° leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 4 [2003] C.A.I. 582. 5 [2003] C.A.I. 594 et rejet par la Cour du Québec de la requête pour permission d’appeler : 200-80-000919-033.
03 19 07 Page : 6 2° ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. 88. Sauf dans le cas prévu par le paragraphe 4 o de l'article 59, un organisme public doit refuser de donner communication à une personne d'un renseignement nominatif la concernant lorsque sa divulgation révélerait vraisemblablement un renseignement nominatif concernant une autre personne physique ou l'existence d'un tel renseignement, à moins que cette dernière n'y consente par écrit. [19] Par ailleurs, les parties ont reconnu qu’une procédure judiciaire de nature criminelle est pendante contre la demanderesse; celle-ci subira sous peu un procès devant un juge à la Cour municipale de Montréal. L’article 28, au 1 er paragraphe, s’applique dans la présente instance; la divulgation des documents qu’elle recherche, serait susceptible d’entraver le déroulement de la procédure judiciaire présentement en cours, et ce, tel qu’en a décidé la Commission, entre autres, dans l’affaire X c. Ville de Montréal 6 et Fecteau c. Commissaire à la déontologie policière 28. Un organisme public doit refuser de confirmer l'existence ou de donner communication d'un renseignement obtenu par une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, lorsque sa divulgation serait susceptible: 1° d'entraver le déroulement d'une procédure devant une personne ou un organisme exerçant des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires; […] [20] De plus, la Commission ne peut ignorer l’information voulant que M e Yves Briand, Substitut du Procureur général, a requis auprès de l’organisme l’accès aux 6 [2003] C.A.I. 317.
03 19 07 Page : 7 mêmes documents afin de pouvoir préparer le procès impliquant la demanderesse. La Commission considère que celle-ci peut toujours fait valoir ses droits devant le juge présidant le procès qui se tiendra les 18 et 22 octobre 2004 à la Cour municipale de Montréal. [21] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : REJETTE la demande de révision de la demanderesse contre la Ville de Montréal; FERME le présent dossier portant le n o 03 19 07. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire M e Paul Quézel Procureur de la Ville de Montréal
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