Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 02 06 39 Date : 20040809 Commissaire : M e Christiane Constant M e X Demanderesse c. Ministère de la Sécurité publique Organisme public DÉCISION L’OBJET DU LITIGE LA DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] La demanderesse requiert, le 25 février 2002, du Cabinet du ministre de la Sécurité publique de transmettre la présente demande au responsable de l’accès aux documents pour que celui-ci lui communique : [...] copie de tous documents et/ou rapports d’enquêtes concernant les évènements touchant le décès de monsieur René Émond survenu au centre de détention de Valleyfield le 26 juillet 1996. […] [2] Le 2 avril suivant, le ministère de la Sécurité publique (le « ministère »), par l’entremise de M. André Marois, informe la demanderesse qu’il a reçu, le 11 mars précédent, la demande et lui refuse l’accès aux documents en invoquant les
02 06 39 Page : 2 articles 9, 14, 32, 38, 39, 53 et 88 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi sur l'accès »). [3] Le 1 er mai suivant, la demanderesse formule, auprès de la Commission d'accès à l'information (la « Commission »), une demande pour que soit révisée la décision du ministère. L’AUDIENCE [4] L’audience se tient à Montréal, le 5 mars 2004, en présence de la demanderesse et du témoin du ministère qui est représenté par M e Jean-François Boulais, de la firme d'avocats BERNARD ROY & ASSOCIÉS. LE CONTEXTE [5] M e Boulais indique le contexte dans lequel se situe la présente demande. Tous les documents identifiés par le ministère dans ce dossier concernent M. René Émond assassiné par un autre détenu alors qu’il était incarcéré au centre de détention de Valleyfield. La demanderesse, avocate, représente les membres de la famille de feu Émond dans une poursuite, de nature civile, intentée contre des organismes publics, incluant le ministère, en rapport avec cet événement, et ce, tel qu’il appert du plumitif et de la copie conforme d’une « Déclaration » produits à l’audience (pièce O-1 en liasse). [6] Pour ce principal motif, M e Boulais précise que le Ministère reconnaît que la demanderesse a un intérêt dans la présente cause, et ce, conformément à l’article 94 de la Loi sur l’accès. 94. Une demande de communication ou de rectification ne peut être considérée que si elle est faite par écrit par une personne physique justifiant de son identité à titre de personne concernée, à titre de représentant, d'héritier ou de successeur de cette dernière, d'administrateur de la succession, de bénéficiaire d'assurance-vie ou comme titulaire de l'autorité parentale. Elle est adressée au responsable de la protection des renseignements personnels au sein de l'organisme public. 1 L.R.Q., c. A-2.1.
02 06 39 Page : 3 Si la demande est adressée à la personne ayant la plus haute autorité au sein de l'organisme public, cette personne doit la transmettre avec diligence au responsable qu'elle a désigné en vertu de l'article 8, le cas échéant. [7] M e Brunet, pour sa part, reconnaît avoir reçu des documents, et confirme que des procédures judiciaires sont intentées par les membres de la famille de feu Émond, mais que le procès n’a toujours pas lieu. LA PREUVE A) M me NICOLE QUESNEL, POUR L’ORGANISME [8] M me Nicole Quesnel déclare, sous serment, qu’elle est directrice générale adjointe dans le réseau correctionnel, pour le secteur ouest du Québec. Au moment de l’assassinat de feu Émond, elle était directrice adjointe au Centre de sécurité; eu égard à cet événement, elle a présidé un comité d’enquête administrative (le « comité ») composé de trois membres, incluant elle-même, dont le rapport date du 12 septembre 1996. B) LA PREUVE EX PARTE [9] Une preuve ex parte est soumise par le ministère, selon les termes de l'article 20 des Règles de preuve et de procédure 2 , afin que M me Quesnel puisse témoigner, entre autres, sur les éléments confidentiels faisant l’objet du présent litige. La demanderesse se retire de la salle d’audience. 20. La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document que l'organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi. C) CONTINUATION DE L'AUDIENCE Par la déposition de M me Quesnel [10] M me Quesnel indique ce qui suit comme motif de refus à certains passages de ce rapport : a) le 2 e paragraphe (de la 1 ère page) concerne une personne physique et contient des renseignements nominatifs très précis sur celle-ci (art. 53 de la Loi 2 L.R.Q., [A-2.1-r. 2], D. 2058-84.
02 06 39 Page : 4 sur l’accès); son nom cité à la clause 1.2, ne peut pas être divulgué pour le même motif; b) la liste des personnes rencontrées par le comité dans le cadre de son enquête (art. 53 pour la page 3); c) le comité décrit une chronologie de faits (page 5), analyse la situation, le nom des personnes sont mentionnées et les renseignements nominatifs qui y sont inscrits ne concernent pas feu Émond (art. 32 et 53); d) la majeure partie des informations contenues (aux pages 6 et 7) sont inaccessibles à la demanderesse (art 53); e) les renseignements tels qu’indiqués (aux pages 16 à 22) ne concernent pas feu Émond, d’une part. Le comité a procédé à une analyse des pratiques établies ou prises par le ministère, il émet des commentaires, d’autre part (art. 32 et 53); f) les membres du comité émettent leurs recommandations à la lumière des informations colligées dans le cadre de leur enquête (art. 37); LES ARGUMENTS A) DU MINISTÈRE [11] M e Boulais rappelle que le 2 e paragraphe ainsi que le nom d’une personne physique (à la 1 ère page) ne sont pas communiqués à la demanderesse, parce que ce sont des renseignements nominatifs au sens de l’article 53 de la Loi sur l’accès. De plus, outre les autres articles de la Loi déjà cités par le ministère comme motif de refus, M e Boulais plaide l’application de l’article 29 de ladite loi, en ce que l’Annexe B du rapport réfère notamment à une description physique du centre de détention et révèle les composantes de ce centre, etc. Il signale que les renseignements décrits à l’Annexe C représentent la ronde d’inspection, un agent circule dans un endroit précis du centre, afin de s’assurer, par exemple, que le dispositif de sécurité établi soit respecté, entre autres, pour la protection des personnes qui s’y trouvent, incluant les détenus. [12] L’avocat rappelle que le rapport en litige, truffé de renseignements nominatifs, ne peut pas être communiqué à la demanderesse. Par exemple, des tiers ont émis des commentaires personnels sur un individu (art. 53); seules les informations fractionnaires ont été transmis à la demanderesse. [13] De plus, l’avocat argue que ce rapport est une analyse selon les termes de l’article 32 de la Loi sur l’accès; d’une part, le comité a examiné les éléments
02 06 39 Page : 5 recueillis à partir desquels il en est arrivé à une conclusion et a formulé des avis et des recommandations au sens de l’article 37 de ladite loi. D’autre part, la divulgation de cette analyse risque d’avoir un effet sur des procédures judiciaires en cours 3 . B) DE LA DEMANDERESSE [14] M e Brunet, demanderesse, reconnaît que le ministère lui a communiqué certains documents; elle considère cependant que l’accès à la section « 4.1 » du rapport devrait lui être accordé. [15] En ce qui concerne les arguments en droit soumis par le ministère eu égard à l’article 32 de la Loi sur l’accès, M e Brunet argue que le fait, pour le comité d’enquête de sélectionner des renseignements pour les inscrire à son rapport ne veut pas nécessairement dire qu’ils constituent une analyse qui l’amènerait à émettre des avis ou recommandations au sens de l’article 37 de ladite loi, et ce, tel qu’en a décidé la Commission dans l’affaire Pelchat 4 précité où il est indiqué, entre autres, que : […] La Commission est d’avis que la situation décrite aux pages 4 et 5 du document, le mandat du Comité, le nom des membres, les modalités de fonctionnement et les trois annexes reproduisant le mandat de l’enquête, les politiques ou les directives administratives de l’organisme ne contiennent pas de renseignements nominatifs, ni d’avis ou de recommandation au sens de l’article 37 et n’ont rien d’analytique. Ces parties du document peuvent être communiqués au demandeur » […] [16] Par ailleurs, commentant la décision Bourbeau c. Ministre des finances 5 , M e Brunet plaide que la Commission a décidé, entre autres, que : […] Les analyses et les conclusions qui en découlent, doivent être divulguées. Il convient ici de ne protéger que les seules parties des documents en litige contenant les éléments qui servent à énoncer, à l’intention des décideurs, ce qui doit ou ne doit pas être fait […] 3 Pelchat c. Ministère de la Sécurité publique CAI 01 11 77, 20 février 2002. 4 Idem. 5 C.A.I. Québec, n o 95 06 42, 4 septembre 1996, c. Boissinot.
02 06 39 Page : 6 LA DÉCISION [17] Les documents en litige déposés, à l’audience, sous le sceau de la confidentialité, sont un « rapport d’enquête administrative » daté du 12 septembre 1996 (19 pages) auquel sont joints l’Annexe B (2 pages) et l’Annexe C (4 pages). LES ARTICLES 53 ET 88 DE LA LOI SUR L’ACCÈS [18] La soussignée a examiné les renseignements se trouvant à la clause 4.1 (une page), sous la rubrique « Analyse et évaluation des pratiques sécuritaires des interventions ». À cette section, le comité fait de façon exhaustive la chronologie d’évènements concernant un individu; il collige des commentaires personnels émis par des tiers qui réfèrent à leurs relations avec cet individu, etc. Ce sont des renseignements nominatifs au sens de l’article 53 de la Loi sur l’accès et il n’est pas démontré que ceux-ci aient consenti à la divulgation de ces renseignements qui les concernent selon les termes de l’article 88 de ladite loi. 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1° leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2° ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 88. Sauf dans le cas prévu par le paragraphe 4 o de l'article 59, un organisme public doit refuser de donner communication à une personne d'un renseignement nominatif la concernant lorsque sa divulgation révélerait vraisemblablement un renseignement nominatif concernant une autre personne physique ou l'existence d'un tel renseignement, à moins que cette dernière n'y consente par écrit.
02 06 39 Page : 7 L’ARTICLE 37 DE LA LOI SUR L’ACCÈS [19] Quant au reste des renseignements refusés, le témoignage de M me Quesnel lors de la preuve ex parte, a fait ressortir, tout en donnant des exemples concrets, que le comité a vérifié si les directives établies ont été respectées par le personnel du centre de détention eu égard à l’événement à l’origine des procédures judiciaires contre le ministère; le comité a examiné les témoignages des personnes rencontrées ainsi que l’état de la situation, etc. [20] Par ailleurs, se référant à l’article 1.1.2 de la directive de régie interne eu égard au « Classement », le comité en fait un résumé et fait un constat pour cette section; il procède à l’évaluation des renseignements colligés, en tire une conclusion; il formule trois recommandations, et ce, tel qu’en a décidé la Commission, entre autres, dans les décisions Thadal et un autre c. Communauté urbaine de Montréal 6 et Boyle c. Société de l’assurance-automobile du Québec 7 . Ces recommandations rencontrent les critères d’application prévus à l’article 37 de la Loi sur l’accès qui stipule que : 37. Un organisme public peut refuser de communiquer un avis ou une recommandation faits depuis moins de dix ans, par un de ses membres, un membre de son personnel, un membre d'un autre organisme public ou un membre du personnel de cet autre organisme, dans l'exercice de leurs fonctions. Il peut également refuser de communiquer un avis ou une recommandation qui lui ont été faits, à sa demande, depuis moins de dix ans, par un consultant ou par un conseiller sur une matière de sa compétence. L’ARTICLE 32 DE LADITE LOI [20] Il reste à déterminer si l’évaluation qu’a fait le comité dans son rapport constitue une analyse au sens de l’article 32 de ladite loi. 32. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'avoir un effet sur une procédure judiciaire. 6 [2002] C.A.I. p. 15. 7 [2002] C.A.I. p. 272.
02 06 39 Page : 8 [21] Comme l’indiquent les auteurs Duplessis et Hétu 8 , pour voir à l’application de cet article, trois conditions doivent être rencontrées : a) il doit s’agir d’un document en litige répondant à la définition d’une analyse; b) il doit y avoir une procédure judiciaire en cours ou à tout le moins de sérieux éléments de preuve de l’imminence d’une procédure judiciaire; c) la divulgation de cette analyse risquerait vraisemblablement d’avoir un effet sur une procédure judiciaire. [22] Dans l’affaire Pelchat, la Commission cite la décision Deslauriers c. Sous-ministre de la santé et des services sociaux 9 qui définit ce que doit être une analyse : « Par contre, il va de soi qu’une « analyse » ne peut être qualifiée d’avis ou de recommandation. Ainsi, le Petit Robert définit le mot analyse comme suit : Analyse : 1.- Didact. Opération intellectuelle consistant à décomposer une œuvre, un texte en ses éléments essentiels, afin d’en saisir les rapports et de donner un schéma à l’ensemble (…) 3.- Cour (…) Méthode ou étude comportant un examen discursif en vue de discerner les éléments. Discursif : (…) qui tire une proposition d’une autre par une série de raisonnements successifs (opposé à intuitif). » [23] Dans la présente cause, la Commission constate que le comité fait un résumé de différentes directives ou procédures en vigueur au moment de l’événement; il fait un lien entre un individu, cet événement et l’application ou non de ces procédures, d’une part. Le comité fait, d’autre part, le constat d’une certaine pratique établie au sein du centre de détention où est décédé M. Émond, tout en faisant la comparaison avec celle existant dans l’ensemble des autres établissements du Québec, etc. De plus, le comité soulève des interrogations eu égard à certains problèmes particuliers et en tire des conclusions. [24] Bien que l’action en dommages (la « Déclaration ») intentée par la famille du défunt date du 3 mars 1998 (pièce O-1 en liasse précitée) et que le rapport en 8 Yvon DUPLESSIS et Jean HÉTU, L’accès à l’information et la protection des renseignements personnels, Loi indexée, commentée et annotée, volume 2, publications CCH ltée, 2003, p. 97 401. 9 [1991] C.A.I. 311, 322.
02 06 39 Page : 9 litige date du 12 septembre 1996, la Commission est d’avis qu’il existe un lien direct entre ces derniers, tel qu’il est amplement indiqué à cette déclaration; la divulgation dudit rapport, dans son intégralité, risquerait vraisemblablement d’avoir un impact sur les procédures judiciaires présentement en cours. Les trois conditions de l’article 32 de la Loi sur l’accès sont réunies : St-Pierre c. Commission scolaire des Draveurs 10 . [25] La demanderesse pourra toutefois obtenir les passages suivants : • À la section 4.2, à l’avant-dernier par. : « La directive de régie interne (art. 1.1.2) … au comité de classement. » • À la section 4.3, le premier par. : « Sur le plan de la gestion … l’ensemble des établissements du Québec. » • À la page suivante : « Compte tenu de … ont été doublées. » • À la page suivante : « La simple possession … page 3 de 4 ) » ARTICLE 29 DE LA LOI SUR L’ACCÈS [26] Par ailleurs, l’Annexe B déposée confidentiellement, par le ministère, à l’audience, est une description physique du centre de détention, tandis que l’Annexe C représente notamment un point de contrôle d’accès et de déplacement des agents dans des secteurs bien définis, lorsque ceux-ci effectuent notamment leur ronde d’inspection. [27] La Commission est d’avis que ces deux annexes contiennent un dispositif de sécurité destiné à la protection du bien (ex. le centre de détention) et des personnes qui s’y trouvent (ex. le personnel et les détenus); le deuxième alinéa de l’article 29 de la Loi sur l’accès y trouve application. 29. Un organisme public doit refuser de communiquer un renseignement portant sur une méthode ou une arme susceptible d'être utilisée pour commettre un crime ou une infraction à une loi. Il doit aussi refuser de communiquer un renseignement dont la divulgation aurait pour effet de réduire l'efficacité d'un dispositif de sécurité destiné à la protection d'un bien ou d'une personne. 10 [2003] C.A.I. 119.
02 06 39 Page : 10 Ces deux documents sont donc inaccessibles à la demanderesse. [28] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : ACCUEILLE, en partie, la demande de révision de la demanderesse contre le ministère de la Sécurité publique; PREND ACTE que le ministère lui a communiqué une copie de certaines parties du rapport d’enquête administrative; ORDONNE au ministère de communiquer à la demanderesse les passages tels qu’indiqués au paragraphe 25; REJETTE, quant au reste, la demande et ferme le présent dossier portant le n o 02 06 39. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Montréal, le 9 août 2004 M e Jean-François Boulais BERNARD ROY ET ASSOCIÉS Procureurs de l’organisme
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