Commission d'accès à l'information du Québec Dossier : 03 08 79 Date : 2 août 2004 Commissaire : M e Hélène Grenier BAPTISTE RICARD-CHÂTELAIN Demandeur c. MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX Organisme DÉCISION OBJET DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Le demandeur s’est adressé à l’organisme le 7 mai 2003 pour obtenir « copie des « briefing books » (cahiers de briefing) remis à la ministre déléguée à la Santé et à la Condition des aînés, Julie Boulet, depuis le 1 er avril 2003. » [2] Le 20 mai 2003, le responsable de l’accès aux documents de l’organisme refuse d’acquiescer à cette demande; il appuie sa décision sur les articles 34, 37, 38, 39 et 14 de la Loi sur l’accès 1 . 1 L.R.Q., c. A-2.1
03 08 79 Page : 2 [3] Insatisfait, le demandeur soumet une demande de révision le 27 mai 2003. PREUVE i) de l’organisme [4] L’avocat de l’organisme fait entendre M. André Jean qui témoigne sous serment à titre d’adjoint du sous-ministre de l’organisme. Témoignage de M. André Jean : [5] Les « briefing books » sont des documents datés, préparés lors de l’entrée en fonction d’un nouveau ministre de l’organisme ou de nouveaux ministres du secteur de la santé et des services sociaux; ces documents sont destinés à cette transition ministérielle ainsi qu’à la prise de possession des dossiers par le ou les nouveaux ministres. Il n’y a pas de « briefing book » lorsqu’il n’y a pas de nouveau ministre dans le secteur de la santé et des services sociaux. [6] M. Jean a, lors de son entrée en fonction en 1999, uniformisé et synthétisé tous les documents qui étaient remis aux nouveaux ministres. Les « briefing books » sont donc préparés selon des matrices qui ont été établies par M. Jean et dont le cadre est le même pour chacune des directions générales qui y présente son mandat ainsi que son organigramme et qui y résume chacun de ses dossiers chauds. Les documents en litige sont généralement un cahier d’informations générales auquel sont annexés un cahier de données techniques et un cahier d’état de situations. [7] Les « briefing books » n’ont de sens que pour les nouveaux ministres qui en sont d’ailleurs les seuls destinataires. Ces documents comprennent des synthèses, des propositions, des suggestions et des recommandations soumises au nouveau ministre. [8] Copie des « briefing books » est fournie aux membres du cabinet ministériel ainsi qu’à l’équipe des sous-ministres parce que les sous-ministres sont chargés de présenter leur direction générale ainsi que les dossiers dont ils sont responsables; cette présentation par les sous-ministres est effectuée en présence du nouveau ministre et du personnel de son cabinet.
03 08 79 Page : 3 [9] Les « briefing books » présentés aux nouveaux ministres du secteur de la santé sont préparés aux mêmes fins et traités de la même manière. ARGUMENTATION i) de l’organisme [10] La preuve démontre que les « briefing books » en litige sont rattachés au cabinet ministériel et qu’ils ne sont pas diffusés. [11] La remise d’une copie de ces documents aux sous-ministres aux fins de la présentation de la direction générale et des dossiers dont ils sont responsables ne constitue pas une renonciation du ministre à l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 34 de la Loi sur l’accès. Il est normal que les proches collaborateurs que sont les sous-ministres aient une copie de ces documents afin d’avoir des échanges significatifs avec le nouveau ministre. [12] L’article 34 de la Loi sur l’accès s’applique aux « briefing books »; il permet à ceux qui les préparent de les rédiger d’une certaine manière pour donner l’heure juste à un ministre et il protège la liberté des échanges avec le ministre. [13] L’article 37 de la Loi sur l’accès s’applique subsidiairement pour habiliter l’organisme à refuser de communiquer les sections « Interventions ministérielles ou gouvernementales suggérées » qui se retrouvent dans le cahier d’états de situation en litige. ii) du demandeur [14] La preuve établit que M. André Jean est un adjoint du cabinet du sous-ministre de l’organisme; M. Jean n’est pas visé par l’article 34 de la Loi sur l’accès puisqu’il ne fait pas partie du personnel du cabinet ministériel. [15] Les documents détenus par un ministre en qualité de chef exécutif 2 sont distincts de ceux qu’il détient à titre d’élu. Les documents fournis au ministre pour l’aider à remplir ses obligations de chef exécutif font partie de l’administration de l’organisme; l’article 34 ne s’applique pas à ces documents. La preuve démontre à cet égard que les « briefing books » sont préparés pour permettre la transition d’un ministre à l’autre et qu’ils concernent l’exercice des responsabilités, 2 Marois c. Ministère de la Santé et des Services sociaux [2003] CAI 211.
03 08 79 Page : 4 fonctions et devoirs de chef exécutif tels qu’ils sont prévus par la Loi sur le ministère de la Santé et des Services sociaux 3 . [16] Les renseignements qui sont compris dans les « briefing books » et qui ne sont pas des avis ou des recommandations visés par l’article 37 de la Loi sur l’accès doivent être communiqués au demandeur. [17] Le demandeur accepte que les renseignements nominatifs soient masqués. iii) réplique de l’organisme [18] Les documents du cabinet n’ont pas à être nécessairement préparés par le cabinet pour être considérés comme tels et visés par l’article 34 de la Loi sur l’accès. Par exemple, un membre du personnel de l’organisme peut être appelé à préparer un projet de lettre pour le ministre; dès qu’un document est préparé pour un ministre, il est visé par l’article 34. [19] La Cour suprême du Canada a décidé que le libellé de l’article 34 ne fait pas de distinction entre les documents purement administratifs et les autres liés au processus décisionnel 4 ; il n’y a donc pas lieu d’établir de distinction entre les fonctions d’un ministre pour appliquer l’article 34 de la Loi sur l’accès. Ainsi, lorsqu’un document est rattaché au cabinet du ministre et qu’il n’est pas diffusé, il est visé par l’article 34. Les principes exprimés par la Cour suprême dans cette décision s’appliquent aux 2 alinéas de l’article 34. [20] Dès que les documents sont rattachés au cabinet ministériel, ils ne sont pas accessibles à moins que le ministre en fonction ne le juge opportun [21] Un document qui émane d’un organisme public et qui est adressé à un ministre n’est pas un document qui est nécessairement produit pour le cabinet et qui s’y rattache. Le document du cabinet est celui qui émane du cabinet ou qui est préparé pour lui ou pour le ministre. iv) supplique du demandeur [22] Les documents du cabinet ministériel sont ceux de l’élu, non pas ceux du chef administratif de l’organisme. 3 L.R.Q.,c. M-19.2 4 Macdonell c. Procureur général du Québec [2002] CSC 71.
03 08 79 Page : 5 [23] L’arrêt Mcdonell c. Procureur général du Québec ne porte que sur le 1 er alinéa de l’article 34, ce qui n’est pas le cas ici. DÉCISION [24] J’ai pris connaissance des « briefing books » qui m’ont été remis par l’avocat de l’organisme comme étant ceux visés par la demande d’accès. Il s’agit: • D’un « Cahier d’informations générales » exclusivement préparé pour la nouvelle ministre à l’occasion de son entrée en fonction en avril 2003. Ce cahier porte une seule date, celle d’avril 2003. Il informe de façon pratique la nouvelle ministre sur l‘organisme et son réseau pour favoriser son immersion à ce titre; il explique l’organisation préexistante du travail et il lui donne l’heure juste sur certains dossiers, les prioritaires notamment. Le cahier est conçu de telle sorte que la nouvelle ministre et son cabinet puissent y référer, au besoin, avant d’entreprendre certains travaux ou discussions. • D’un « Cahier de données techniques »; ce cahier porte la même date que le cahier d’informations générales auquel il est annexé pour être présenté à la ministre et pour compléter l’information utile, à jour et organisée qui lui est donnée; le caractère technique de ce cahier fait davantage ressortir l’aspect « outil de travail » des renseignements qui y sont inscrits pour le cabinet de la ministre. • D’un Cahier d’états de situations; ce cahier porte la même date que le cahier d’informations générales auquel il est annexé pour être également remis à la ministre lors de son entrée en fonction. Ce cahier présente à la ministre un résumé mis à jour et commenté de chacun des dossiers dits prioritaires et de chacun des autres dossiers de l’organisme; chaque résumé est un état de situation comprenant un rappel des faits et enjeux, les étapes franchies et à venir, et, le cas échéant, les impacts et recommandations ou les interventions ministérielles ou gouvernementales suggérées. • D’un cahier intitulé « Le système de santé et de services sociaux : Perspectives »; ce cahier, daté d’avril 2003, constitue une nouveauté en ce qu’il présente les orientations nationales en matière de santé et de services sociaux, orientations dont l’actualisation est prévue selon diverses modalités, plans et échéanciers. La substance de ce cahier est constituée d’états de situations et perspectives pour chacun des thèmes abordés.
03 08 79 Page : 6 [25] Il faut retenir du témoignage non contredit de M. André Jean que les « briefing books » n’ont de sens que pour un nouveau ministre qui entre en fonction à ce titre. Ces documents sont réservés au ministre et au personnel de son cabinet; ils leur sont présentés par les sous-ministres de l’organisme à l’occasion de l’entrée en fonction du nouveau ministre. [26] La preuve non contredite démontre que ces documents, réservés à l’information et à l’utilisation d’un ministre et du personnel de son cabinet, ne sont pas autrement communiqués. [27] La preuve convainc la Commission que les « briefing books » en litige sont des documents du cabinet de la ministre et que le 2 e alinéa de l’article 34 de la Loi sur l’accès s’applique à ces documents, aucune preuve n’indiquant que la ministre qui pouvait exercer le pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 34 avait jugé opportun de les rendre accessibles lorsque le responsable a traité la demande d’accès du 7 mai 2003 : 34. Un document du bureau d'un membre de l'Assemblée nationale ou un document produit pour le compte de ce membre par les services de l'Assemblée n'est pas accessible à moins que le membre ne le juge opportun. Il en est de même d'un document du cabinet du président de l'Assemblée, d'un membre de celle-ci visé dans le premier alinéa de l'article 124.1 de la Loi sur l'Assemblée nationale (chapitre A-23.1) ou d'un ministre visé dans l'article 11.5 de la Loi sur l'exécutif (chapitre E-18), ainsi que d'un document du cabinet ou du bureau d'un membre d'un organisme municipal ou scolaire. [28] L’article 34 consacre le caractère confidentiel de l’information qui est en litige et qui a été préparée ou adaptée aux besoins du cabinet de la ministre en avril 2003. Seul le ministre actuellement en exercice est habilité à exercer le pouvoir discrétionnaire prévu par l’article 34 pour éventuellement juger opportun de rendre cette information accessible. [29] La Commission ne commente pas, dans le cadre d’une demande de révision, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Elle signale cependant que les documents en litige sont par ailleurs constitués de renseignements qui proviennent de l’organisme ou de l’externe et qui peuvent être plus détaillés ou
03 08 79 Page : 7 autrement présentés dans d’autres documents non réservés au cabinet ministériel; la Commission rappelle que l’article 34 ne s’applique pas aux documents qui ne sont pas réservés au cabinet ministériel. [30] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : REJETTE la demande de révision HÉLÈNE GRENIER Commissaire Me Emmanuelle Cartier Avocate du demandeur Me Alain Tanguay Avocat de l’organisme
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