Commission d'accès à l'information du Québec Dossier : 03 14 30 Date : 29 juillet 2004 Commissaire : M e Hélène Grenier BAPTISTE RICARD-CHÂTELAIN Demandeur c. MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX Organisme DÉCISION OBJET DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Le demandeur s’est adressé à l’organisme le 9 juillet 2003 pour obtenir « copie de tous les documents ayant pour en-tête ou titre « État de situation » produits par ou pour le ministère de la Santé et des Services sociaux ainsi que pour ou par le cabinet et l’entourage du ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, Philippe Couillard, depuis le 1 er janvier 2003. [2] L’accès à ces documents lui a été refusé le 29 juillet 2003; les motifs invoqués au soutien de ce refus sont les restrictions prévues aux articles 20, 34, 37, 38, 39, 53 (1°), 54 et 14 de la Loi sur l’accès 1 . 1 L.R.Q., c. A-2.1
03 14 30 Page : 2 [3] Insatisfait, le demandeur a soumis une demande de révision le 5 août 2003. PREUVE i) de l’organisme [4] L’avocat de l’organisme indique que seuls les articles 34, 53 et 54 de la Loi sur l’accès demeurent invoqués au soutien du refus d’acquiescer à la demande d’accès. [5] Il dépose, concernant les états de situation visés par la demande d’accès, une copie de la lettre (O-1) qu’il a fait parvenir, la veille de l’audience, à l’avocate du demandeur et dans laquelle il indique essentiellement : • Que l’expression « état de situation » est générique et susceptible de s’appliquer à un nombre important de documents préparés soit par ou pour des fonctionnaires, professionnels ou cadres à la grandeur du ministère; • Qu’il en est de même pour tout document intitulé « note » ou « note de service »; • Que la demande d’accès a été traitée comme ne visant que les états de situation qui sont destinés à alimenter le ministre pour répondre éventuellement à des questions à l’Assemblée nationale, ces documents formant une masse importante de documents; • Que l’organisme soulèvera l’article 126 de la Loi sur l’accès si la demande d’accès devait s’appliquer à l’ensemble des états de situation produits à tous les niveaux par le ministère. Interrogatoire de M. Claude Lamarre : [6] M. Claude Lamarre témoigne sous serment à titre de responsable de l’accès aux documents détenus par l’organisme. M. Lamarre a traité la demande d’accès après avoir fait un choix quant à son interprétation. Une lecture large et généreuse de cette demande l’aurait amené à exiger de tous les gestionnaires de l’organisme qu’ils lui fournissent tous les états de situation dont ils avaient exigé la production depuis le 1 er janvier 2003; M. Lamarre a commencé à traiter la demande selon cette lecture, mais il s’est rapidement rendu compte qu’il aurait « été englouti sous une tonne de documents ». Il a donc décidé de concentrer son action sur les états de situation « qui transitent par le cabinet du sous-
03 14 30 Page : 3 ministre et qui aboutissent au cabinet du ministre » puisqu’il savait que le demandeur assistait, à la date de sa demande d’accès, aux travaux de la commission parlementaire qui étudiait les crédits du ministère; la présence du demandeur durant ces travaux a porté M. Lamarre à présumer que la demande visait l’accès aux états de situation qui sont fournis au ministre de l’organisme pour appuyer ses réponses, documents dont le demandeur pouvait avoir entrevu le titre spécifique « État de situation ». Ces états de situation sont, depuis le 1 er janvier 2003 et jusqu’à la date de la demande d’accès, fort nombreux. M. Lamarre les a obtenus de M. André Jean qui fait partie du personnel du cabinet du sous-ministre de l’organisme et qui est chargé de la préparation des états de situation qui permettent au ministre d’apporter les précisions qui s’imposent en réponse aux questions qui lui sont posées en chambre ou en commission parlementaire. [7] M. Lamarre précise que l’organisme compte environ 800 employés parmi lesquels se trouvent un bon nombre de gestionnaires et de professionnels. [8] M. Lamarre a invoqué l’article 34 de la Loi sur l’accès pour refuser de communiquer les états de situation demandés le 9 juillet 2003. Il s’était préalablement présenté au cabinet du ministre pour donner avis de la demande d’accès; l’accès aux documents demandés a alors été refusé. M. Lamarre a récemment obtenu un écrit (O-2) signé le 28 mai 2004 par la directrice du cabinet du ministre, écrit dans lequel celle-ci confirme que le ministre s’oppose à la communication des documents demandés, leur divulgation n’étant pas jugée opportune. Contre-interrogatoire de M. Claude Lamarre : [9] M. Lamarre a présumé que la demande d’accès visait les états de situation fournis au ministre après avoir constaté l’ampleur de l’opération consistant à réunir, par l’entremise d’adjoints administratifs, tous les états de situation produits depuis le 1 er janvier 2003, ampleur à laquelle s’ajoutait le découragement de certains adjoints administratifs. À la connaissance de M. Lamarre, les documents intitulés « état de situation » qui transitent du cabinet du sous-ministre à celui du ministre sont ceux qui concernent les dossiers importants de l’organisme; à son avis, il s’agissait là des documents qui intéressaient le demandeur. Sa décision de traiter la demande d’accès comme si elle visait les états de situation fournis au ministre a été prise vers le 20 juillet 2003, avant le refus écrit du 29 juillet 2003. [10] M. Lamarre n’a pas communiqué avec le demandeur au cours du traitement de la demande d’accès. Le libellé de son refus ne réfère aucunement
03 14 30 Page : 4 à la décision prise en cours de traitement quant à la définition de l’objet de cette demande. Interrogatoire de M. André Jean : [11] M. André Jean témoigne sous serment. Il assure, à titre d’adjoint du sous-ministre de l’organisme, le lien entre le cabinet du ministre et le reste de l’organisme. [12] M. Jean est la personne qui, de façon centrale, commande les états de situation pour le cabinet ministériel, documents dont le cabinet ministériel se sert pour ses dossiers et pour les fonctions parlementaires du ministre, notamment la période de questions et autres travaux parlementaires. [13] L’état de situation est un document standard qui décrit une situation, qui présente la synthèse des étapes qui ont été franchies et qui sont prévues, et qui propose, suggère ou recommande au ministre une ligne de discours ou une marche à suivre dans un dossier. L’état de situation est un outil destiné à l’information du ministre et il est conçu comme tel. [14] M. Jean commande la préparation des états de situation aux agences locales ou aux directions générales de l’organisme. [15] M. Jean commande et reçoit les états de situation. Il les trie et les fait parvenir au ministre au moment où ce dernier en a besoin. Il commande notamment des états de situation sur les « dossiers chauds » en prévision du début des travaux parlementaires et il les transmet au cabinet du ministre; il conserve les autres états de situation commandés et reçus par lui pour les transmettre au ministre lorsqu’il croit que le ministre est susceptible d’être interpellé sur un sujet. [16] Les états de situation comprennent, dans certains cas, des renseignements nominatifs, notamment dans les cas soumis au ministre par des députés. [17] Outre M. Jean et son adjointe, les états de situation ne sont accessibles qu’au cabinet du ministre. M. Jean les conserve pendant 3 ou 4 sessions parlementaires au cas où des questions seraient à nouveau posées au ministre de l’organisme sur le même sujet.
03 14 30 Page : 5 Contre-interrogatoire de M. André Jean : [18] M. Jean commande : • des états de situation à l’ensemble des sous-ministres de l’organisme et des présidents des agences locales en prévision du début des travaux parlementaires; ces états de situation portent généralement sur les dossiers chauds susceptibles de faire l’objet d’une interpellation du ministre; • des états de situation sur des problèmes particuliers régulièrement rapportés par la presse et dont le ministre doit être informé. [19] M. Jean détruit les états de situation qui, à son avis, ne seront plus utiles. ii) du demandeur [20] L’avocate du demandeur déplore que la lettre (O-1) de l’avocat de l’organisme ne lui ait été adressée que la veille de l’audience devant la Commission. À son avis, le refus du 29 juillet 2003 aurait dû spécifier l’interprétation donnée à la demande d’accès. L’avocate accepte cependant que le traitement effectué par le responsable vise les états de situation destinés au ministre pour appuyer les réponses qu’il donne aux parlementaires. ARGUMENTATION i) de l’organisme [21] La preuve démontre que les états de situation ne sont préparés que pour le cabinet du ministre de l’organisme; ces documents sont donc rattachés au cabinet du ministre. [22] La preuve démontre que ces documents ne circulent pas dans l’appareil administratif et qu’ils sont destinés au ministre de l’organisme et à son cabinet; la preuve démontre spécifiquement que ces documents sont transmis au cabinet du ministre ou conservés par M. Jean pour être transmis au cabinet du ministre de l’organisme. [23] L’article 34 de la Loi sur l’accès s’applique conséquemment aux états de situation en litige. L’article 37 s’applique subsidiairement pour habiliter l’organisme à refuser de communiquer les sections « Interventions ministérielles
03 14 30 Page : 6 ou gouvernementales suggérées » de même que les sections « Impacts/Recommandations » qui se retrouvent dans les documents en litige. ii) du demandeur [24] La preuve démontre que M. André Jean est un adjoint du cabinet du sous-ministre de l’organisme; M. Jean n’est pas visé par l’article 34 de la Loi sur l’accès puisqu’il ne fait pas partie du personnel du cabinet du ministre. [25] Les documents détenus par le ministre en qualité de chef exécutif 2 de l’organisme sont distincts de ceux qu’il détient à titre d’élu. Les documents fournis au ministre pour l’aider à remplir ses obligations de chef exécutif font partie de l’administration de l’organisme; l’article 34 ne s’applique pas à ces documents. [26] Les états de situation préparés par des agences locales et par les directions générales de l’organisme ne sont pas des documents du cabinet du ministre; il s’agit plutôt de documents préparés par des organismes publics qui résument l’état de certaines situations pour le ministre qui en prend connaissance à titre d’administrateur en chef de l’organisme. Appliquer l’article 34 à ces documents revient à dire qu’un organisme public qui écrit à un ministre est dans l’impossibilité de divulguer cette communication à moins que le ministre ne l’autorise; cela équivaut à bâillonner les organismes publics 3 . [27] L’article 37 ne s’applique qu’aux avis et recommandations; les renseignements de cette nature ne constituent pas l’intégralité des documents en litige. Les avis et recommandations qui ont été préparés par les agences locales et les directions de l’organisme ne sont pas visés par l’article 37 puisqu’ils ne sont pas faits par une personne physique. [28] Aucune preuve ne démontre que le ministre de l’organisme a lui-même refusé la divulgation des états de situation en litige. 2 Marois c. Ministère de la Santé et des Services sociaux [2003] CAI 211. 3 Mc Intosh c. Hydro-Québec [1991] CAI 56, 60
03 14 30 Page : 7 DÉCISION Les états de situation en litige : [29] La Commission est d’avis que la demande d’accès était suffisamment précise pour permettre au responsable de trouver les documents demandés; la formulation de la demande ainsi que l’identification des documents sont, à cet égard, claires. La preuve démontre que c’est plutôt le nombre des documents demandés qui, initialement et quant à leur traitement, faisait essentiellement problème. La Commission considère que le responsable pouvait, dans les circonstances et assez rapidement, saisir la Commission d’une requête en vertu de l’article 126 de la Loi sur l’accès ou saisir le demandeur de la portée de sa demande d’accès; le demandeur aurait eu, dans l’un ou l’autre cas, l’occasion de réagir de manière utile. [30] La Commission comprend cependant que le demandeur accepte, par l’entremise de son avocate et après avoir entendu la preuve, le choix du responsable quant au traitement de la demande d’accès du 9 juillet 2003. [31] Les états de situation dont copie m’a été remise par M. Lamarre et sur lesquels le témoignage de M. André Jean a porté sont donc ceux qui ont été produits, comme l’a précisé le demandeur dans sa demande du 9 juillet 2003, à compter de janvier 2003. Le demandeur aura pu constater, de lui-même et compte tenu de la preuve faite lors de l’audience, que ces états de situation constituent à eux seuls une grande quantité de documents. [32] Les documents en litige dont l’en-tête ou le titre est « État de situation » ont, selon le développement ou la nature d’une situation, été constitués de certains ou de la plupart des renseignements suivants : • la date du document; • l’identification de la direction générale, de la direction, du service et de la personne responsables du dossier; ou, selon le cas, l’identification de l’établissement visé par la situation; • le sujet du dossier; • un rappel des faits pertinents, des caractéristiques et des enjeux du dossier; ces renseignements comprennent souvent des analyses et des évaluations de situations; • les étapes franchies ainsi que les étapes à venir ou encore les actions posées, les solutions envisagées ainsi que les perspectives; • la synthèse du dossier; • les impacts du dossier et, s’il y a lieu, les recommandations afférentes;
03 14 30 Page : 8 • les interventions ministérielles ou gouvernementales suggérées, s’il y a lieu; ces renseignements sont, le cas échéant, des avis ou des recommandations. [33] Les états de situation en litige sont des résumés rapportant, à une date précise, l’information essentielle sur un sujet donné; ils ont, de toute évidence, été constitués pour renseigner sur tous les aspects névralgiques d’une situation, rapidement. Ils sont occasionnellement complétés par un état de situation produit antérieurement. [34] La preuve démontre que les états de situation sont produits par ceux qui détiennent les renseignements nécessaires à leur préparation. L’accès aux états de situation en litige : [35] La preuve démontre que les états de situation ne sont produits que pour le cabinet ministériel; la preuve démontre spécifiquement que la préparation de ces documents est requise par la personne qui est chargée d’assurer la communication de cette information au cabinet du ministre. [36] La preuve démontre que les états de situation ne sont destinés qu’au cabinet du ministre de l’organisme, pour l’exercice des fonctions administratives et parlementaires du ministre. [37] La preuve démontre que ces documents ne sont accessibles qu’au cabinet du ministre et qu’ils sont préparés et conservés aux seules fins du cabinet auxquels ils sont destinés. La preuve démontre spécifiquement que ces documents ne circulent pas autrement. [38] Le 2 e alinéa de l’article 34 de la Loi sur l’accès prévoit que les documents du cabinet d’un ministre ne sont pas accessibles à moins que le ministre ne le juge opportun : 34. Un document du bureau d'un membre de l'Assemblée nationale ou un document produit pour le compte de ce membre par les services de l'Assemblée n'est pas accessible à moins que le membre ne le juge opportun. Il en est de même d'un document du cabinet du président de l'Assemblée, d'un membre de celle-ci visé dans le premier alinéa de l'article 124.1 de la Loi sur l'Assemblée nationale (chapitre A-23.1) ou d'un ministre visé dans l'article 11.5 de la Loi
03 14 30 Page : 9 sur l'exécutif (chapitre E-18), ainsi que d'un document du cabinet ou du bureau d'un membre d'un organisme municipal ou scolaire. [39] La preuve convainc la Commission que les états de situation en litige, qui ont été produits par l’organisme ou par des organismes du réseau de la santé et des services sociaux, sont des documents du cabinet du ministre parce qu’ils lui ont été exclusivement destinés ou réservés. Le 2 e alinéa de l’article 34, précité, s’applique donc. [40] L’article 34 consacre la confidentialité de l’information qui est produite « sur mesure », traitée ou adaptée pour être réservée à l’usage exclusif d’un cabinet ministériel; en vertu de cette disposition, seul le ministre du cabinet concerné peut juger opportun de rendre accessible, en tout ou en partie, les documents du cabinet. Aucune preuve n’indique que le ministre de l’organisme ait jugé opportun de rendre les états de situation en litige accessibles, en tout ou en partie. [41] Les documents du cabinet du ministre qui sont conservés par M. André Jean demeurent des documents du cabinet du ministre. Ils ne sont pas accessibles en vertu de l’article 34 précité à moins que le ministre qui est en mesure d’exercer le pouvoir discrétionnaire prévu par cet article ne le juge opportun. [42] L’article 34 de la Loi sur l’accès attribue un pouvoir discrétionnaire au ministre de l’organisme. Il n’appartient pas à la Commission de commenter, dans le cadre d’un recours en révision, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. [43] Les états de situation qui sont exclusivement destinés au cabinet ministériel de l’organisme sont distincts des documents qui sont également détenus par l’organisme et qui portent sur les mêmes situations sans toutefois être exclusivement destinés au cabinet du ministre de l’organisme. L’article 34 ne pourrait donc être invoqué pour restreindre l’accès aux documents détenus par l’organisme qui ne sont pas exclusivement destinés au cabinet ministériel et qui portent sur les situations traitées par les documents en litige.
03 14 30 Page : 10 [44] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : REJETTE la demande. HÉLÈNE GRENIER Commissaire Me Emmanuelle Cartier Avocate du demandeur Me Alain Tanguay Avocat de l’organisme
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