Commission d’accès à l’information Dossier : 02 12 63 Date : 2004.07.08 Commissaire : M e Diane Boissinot X Demandeur c. VILLE DE LAVAL Organisme DÉCISION L’OBJET DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D’ACCÈS formulée en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . [1] Le 26 juin 2002, le demandeur s’adresse à l’organisme pour obtenir copie du rapport d’événement numéro LVL010526-069 survenu le 26 mai précédent, événement dans lequel il est impliqué en qualité de victime. Il précise que « plusieurs débats juridiques reliés à cette affaire sont déjà devant les tribunaux ». [2] Le 16 juillet suivant, le responsable de l’accès de l’organisme (le Responsable) lui transmet en partie le rapport d’enquête sur l’événement. Certaines parties du rapport sont jugées inaccessibles d’une part, en vertu des articles 53, 54, 59 (9) et 88 de la Loi et, d’autre part, en vertu de ses articles 28, 3° et 5° et 87. 1 L.R.Q., c. A-2.1 ci après appelée « la Loi ».
02 12 63 Page : 2 [3] Le 14 août 2002, le demandeur requiert la Commission d’accès à l’information (la Commission) de réviser cette décision du Responsable, notamment pour les raisons suivantes : […] La première est que j’ai moi[-]même identifi[é] le véhicule de mes agresseurs lors de l’attaque et finalement la menace d’une récidive persiste toujours suite à des poursuites diverses devant les tribunaux. Les inscriptions entre crochets sont de la soussignée. [4] Une audience se tient en la ville de Montréal le 5 novembre 2003 et le dossier est pris en délibéré à compter de cette date. L’AUDIENCE A. LE LITIGE [5] La question à déterminer est de savoir si le Responsable était fondé, le 16 juillet 2002, de refuser au demandeur l’accès aux parties masquées ou omises du rapport d’enquête numéro LVL-010526-069. Témoignage de monsieur Serge Bélisle, policier à l’emploi de l’organisme, Responsable de l’accès. [6] Monsieur Bélisle remet à la Commission, sous le sceau de la confidentialité, l’intégrale du dossier d’enquête en litige. Il ajoute que toute la dernière partie du dossier est composée de feuillets qui sont totalement inaccessibles au demandeur alors que la première partie comprend des feuillets totalement accessibles, d’une part, et partiellement accessibles d’autre part (élagués). [7] Il dépose, sous la cote O-1, la partie du dossier remise au demandeur avec l’envoi du 16 juillet 2002. Cette série de feuillets a toutefois subi des élagages. [8] La Commission examine les documents remis après avoir entendu le témoignage complet de monsieur Bélisle et, pour une meilleure compréhension du litige et de la présente appréciation, a préféré les dénombrer comme suit. [9] Le dossier complet contient 169 feuillets que la Commission a numérotés par des chiffres encerclés. Ces 169 feuillets ont été traités comme suit : a. Ont été remis en totalité au demandeur les feuillets 1 à 8, 15 à 25, 28 à 54 (dossier médical du demandeur), 55 à 93 (autres documents
02 12 63 Page : 3 remis par le demandeur à l’enquêteur), 153 et 169. Les renseignements qu’ils contiennent ne sont donc pas en litige. b. Ont été remis en partie au demandeur, après élagage, les feuillets 9 à 14 (table du contenu du dossier et Rapport d’enquête) et 25 à 27 (Rapport d’enquête et Rapport d’enquête complémentaire); et c. Ont été exclus de l’accès en totalité, les feuillets 94 à 152 et 154 à 158. [10] Le litige se limite donc aux parties élaguées des feuillets 9 à 14 et 25 à 27 (parties élaguées qui peuvent être aisément repérées à la liasse O-1) ainsi qu’à la totalité des feuillets 94 à 152 et 154 à 168. B. LA PREUVE i) de l’organisme [11] Le témoin Bélisle continue son témoignage sur les renseignements élagués du groupe de feuillet 9b. Il indique, page après page, lesquels de ces renseignements sont de nature à informer sur la source du renseignement, sur la méthode d’enquête choisie par les policiers pour résoudre le crime, sur l’identité du ou des suspects ou témoins. Ces derniers sont également de nature nominative, de l’avis du témoin Bélisle puisqu’ils concernent une ou plusieurs personnes physiques. [12] Le témoin explique également, dans le détail, le contenu de chacun des feuillets qui ont été totalement soustrait de l’accès, c’est-à-dire les feuillets du groupe 9c. Il pointe les noms des suspects ou témoins, les déclarations solennelles recueillies par les policiers, les demandes d’expertise ou de procédures opérationnelles de police, les résultats des procédures opérationnelles de police, les échanges d’informations entre corps de police, les rapports et les relevés sur des demandes de renseignements, des preuves documentaires, les demandes d’informations provenant d’autres organismes. [13] Selon le témoin, la divulgation de toutes ces informations risquerait de révéler une méthode d’enquête, une source confidentielle d’information ou de causer préjudice à une personne qui est l’objet du renseignement. Elle révélerait également, à plusieurs égards, des renseignements nominatifs.
02 12 63 Page : 4 ii) du demandeur [14] Le demandeur dépose, sous la cote D-1, une expertise médicale le concernant, laquelle conclut au bénéfice psychologique clinique, pour le demandeur, de connaître toutes les informations reliées au traumatisme qu’il a subi. [15] Le demandeur témoigne de ce traumatisme et du bienfait psychologique qu’il pourrait tirer de la connaissance des informations soustraites de l’accès, en particulier de l’identité de ses agresseurs. [16] Il mentionne enfin que les procédures judiciaires intentées au civil qui, lors de ses demandes d’accès et de révision, lui faisaient craindre des représailles de ses agresseurs, sont maintenant du passé puisqu’une entente hors cours a mis un terme à celles-ci. C. REPRÉSENTATIONS i) de l’organisme [17] L’avocate de l’organisme plaide que la preuve a démontré que les renseignements retenus sont, dans l’ensemble et en substance, composés de l’un ou l’autre des renseignements suivants a) un renseignement nominatif concernant une tierce personne physique au sens des articles 53, 54 et 59, premier alinéa; b) un renseignement dont la divulgation risque vraisemblablement de révéler une méthode d’enquête ou une source confidentielle d’informations au sens du paragraphe 3° du premier alinéa de l’article 28 ; ou c) un renseignement dont la divulgation risque vraisemblablement de causer un préjudice à une personne qui est l’auteur ou l’objet d’une information. [18] Elle plaide également que l’expertise médicale déposée par le demandeur sous la cote D-1 ne constitue pas, aux termes de la Loi, un motif autorisant la divulgation des renseignements en litige. [19] Elle rappelle que les renseignements nominatifs concernant une personne (autre qu’un témoin, un dénonciateur ou une personne très vulnérable) qui est impliquée dans un événement ayant fait l’objet d’un rapport de police peuvent être accessibles au demandeur en vertu du paragraphe 9° du deuxième alinéa de l’article 59 de la Loi, mais que la décision de les rendre accessibles dépend de l’entière discrétion de l’organisme. [20] Elle cite à l’appui de ces positions de l’organisme, la jurisprudence suivante : Waltzing c. Québec (Ministère de la Sécurité publique), [2001] CAI 213; Winters c.
02 12 63 Page : 5 Montréal (Communauté urbaine de), (1984-86) 1 CAI 558; Alexander c. Montréal (Communauté urbaine de ), [1989] CAI 241. ii) du demandeur [21] L’avocate du demandeur plaide que l’article 28 est une exception au droit d’accès et qu’il doit s’interpréter de façon restrictive 2 . [22] Elle est d’avis que l’organisme n’a pas réussi à établir que les méthodes d’enquête en cause ici sont inconnues. Par exemple, pour ce qui est du fichier du Centre de renseignements policiers du Québec (C.R.P.Q.), soit le feuillet 158, elle est d’avis que l’existence de ce fichier policier étant connue de tous, ce document ne peut se voir protégé par le paragraphe 3° du premier alinéa de l’article 28 3 . [23] Elle prétend aussi qu’il ne peut y avoir risque de préjudice pour l’auteur d’un renseignement ou pour la personne qui en est l’objet puisque le dossier d’enquête est fermé. Elle est d’avis qu’il ne peut donc y avoir de préjudice au criminel. De plus, elle rappelle que le risque de procédure au civil ne peut être la source d’un préjudice au sens du paragraphe 5° du premier alinéa de l’article 28 4 . iii) de l’organisme, en réplique [24] L’avocate de l’organisme plaide que la jurisprudence citée par l’avocate du demandeur n’est pas, en général, pertinente aux faits de la présente cause. [25] L’avocate de l’organisme est d’avis que la divulgation des renseignements concernant une personne qui en est l’objet pose un risque vraisemblable que le demandeur poursuive cette personne au criminel. Il est évident que cette poursuite constituerait un préjudice. 2 Bureau du commissaire des incendies de la Ville de Québec c. L’Assurance Royale, Générale Accident, compagnie d’assurance du Canada et al [1999] CAI 497 (C.Q.) 501, 502 aussi rapportée dans REJB 1999-15501 (C.Q.); Boussetta c. Québec (Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Science, [1993] CAI 205. 3 Doray, Raymond et Charette, François. Accès à l’information : loi annotée, jurisprudence, analyse et commentaires. Volume I. Cowansville : Y. Blais, mise à jour 4, pages II/28-18. 4 Montréal (Communauté urbaine de) c. Winters, [1989] CAI 209 (C.Q.); Servirap c. Terrebonne (Ville de), [2000] CAI 64; St-Agnès (Corporation municipale de ) c. Québec (Ministère de la Justice), [1998] CAI 43.
02 12 63 Page : 6 [26] Le fait que le dossier d’enquête soit fermé ne fait pas disparaître le risque de poursuite criminelle puisque la sanction d’un acte criminel est imprescriptible. DÉCISION [27] Les dispositions de la Loi qui sont applicables au cas qui nous occupe sont les articles 53, 54, 59, et 28 : 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1° leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2° ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. 59. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement nominatif sans le consentement de la personne concernée. Toutefois, il peut communiquer un tel renseignement sans le consentement de cette personne, dans les cas et aux strictes conditions qui suivent: 1° au procureur de cet organisme si le renseignement est requis aux fins d'une poursuite pour infraction à une loi que cet organisme est chargé d'appliquer, ou au Procureur général si le renseignement est requis aux fins d'une poursuite pour infraction à une loi applicable au Québec;
02 12 63 Page : 7 2° au procureur de cet organisme, ou au Procureur général lorsqu'il agit comme procureur de cet organisme, si le renseignement est requis aux fins d'une procédure judiciaire autre qu'une procédure visée dans le paragraphe 1 o ; 3° à une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, si le renseignement est requis aux fins d'une poursuite pour infraction à une loi applicable au Québec; 4° à une personne à qui cette communication doit être faite en raison d'une situation d'urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité de la personne concernée; 5° à une personne qui est autorisée par la Commission d'accès à l'information, conformément à l'article 125, à utiliser ce renseignement à des fins d'étude, de recherche ou de statistique; 6° (paragraphe abrogé); 7° (paragraphe abrogé); 8° à une personne ou à un organisme, conformément aux articles 61, 67, 67.1, 67.2, 68 et 68.1. 9° à une personne impliquée dans un événement ayant fait l'objet d'un rapport par un corps de police, lorsqu'il s'agit d'un renseignement sur l'identité de toute autre personne qui a été impliquée dans cet événement, sauf s'il s'agit d'un témoin, d'un dénonciateur ou d'une personne dont la santé ou la sécurité serait susceptible d'être mise en péril par la communication d'un tel renseignement. 28. Un organisme public doit refuser de confirmer l'existence ou de donner communication d'un renseignement obtenu par une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, lorsque sa divulgation serait susceptible: 1° d'entraver le déroulement d'une procédure devant une personne ou un
02 12 63 Page : 8 organisme exerçant des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires; 2° d'entraver le déroulement d'une enquête; 3° de révéler une méthode d'enquête, une source confidentielle d'information, un programme ou un plan d'action destiné à prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois; 4° de mettre en péril la sécurité d'une personne; 5° de causer un préjudice à une personne qui est l'auteur du renseignement ou qui en est l'objet; 6° de révéler les composantes d'un système de communication destiné à l'usage d'une personne chargée d'assurer l'observation de la loi; 7° de révéler un renseignement transmis à titre confidentiel par un corps de police ayant compétence hors du Québec; 8° de favoriser l'évasion d'un détenu; ou 9° de porter atteinte au droit d'une personne à une audition impartiale de sa cause. Il en est de même pour un organisme public, que le gouvernement peut désigner par règlement conformément aux normes qui y sont prévues, à l'égard d'un renseignement que cet organisme a obtenu par son service de sécurité interne, dans le cadre d'une enquête faite par ce service et ayant pour objet de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, susceptibles d'être commis ou commis au sein de l'organisme par ses membres, ceux de son conseil d'administration ou son personnel, lorsque sa divulgation serait susceptible d'avoir l'un des effets mentionnés aux paragraphes 1° à 9° du premier alinéa. [28] La Commission a examiné tous les renseignements en litige, i.e. ceux dont on a refusé l’accès au demandeur. [29] Comme l’a prétendu l’avocate de l’organisme, la preuve existante au moment de la réponse sous révision et la lecture de ces renseignements
02 12 63 Page : 9 convainquent la Commission que leur divulgation aurait contrevenu aux strictes interdictions découlant du premier alinéa de l’article 59 et des paragraphes 3° et 5° du premier alinéa de l’article 28 de la Loi. [30] En effet, l’ensemble de ces renseignements est, en substance, protégé par l’une ou l’autre de ces dispositions. [31] De plus, étant donné qu’il ressort du texte même des demandes d’accès et de révision de même que d’une partie du témoignage du demandeur qu’au moment de la réponse sous examen, des procédures judiciaires étaient en cours et que les faits visés par l’enquête et ceux visés par ces procédures étaient intimement liés, la Commission est convaincue que la divulgation des renseignements en litige aurait alors vraisemblablement posé le risque d’entraver ces procédures. [32] À ce propos, la Commission rappelle que la présente révision de la décision du Responsable s’apprécie à la lumière des faits qui existaient lors de cette décision 5 . Le fait que ces procédures judiciaires aient été par la suite réglées hors cour, comme la preuve l’a démontré lors de l’audition, n’est pas pertinent. [33] De plus, le texte de la conclusion de l’enquêteur de même que celui du post-scriptum qui suit cette conclusion, au feuillet 14 de la liasse O-1, amènent la Commission à conclure qu’une réouverture de l’enquête criminelle et, partant, des poursuites criminelles en découlant, ne sont pas impossibles ni exclues d’emblée : CONCLUSION Dans le présent dossier, étant donné ce qui précède et l’impossibilité d’obtenir plus d’information pertinente pour poursuivre l’enquête, le dossier est clos non solutionné jusqu’à réception d’éléments nouveaux et pertinents. P.S. LE PRÉSENT DOSSIER DOIT ÊTRE CONSERVÉ DANS SON[…] INTÉGRALITÉ COMPTE TENU DES ACTIVITÉS […] DE LA VICTIME ET DES RÉPERCUSSIONS POSSIBLES [34] La sanction d’un acte criminel est imprescriptible. [35] Compte tenu des deux paragraphes précédents, la Commission est tout aussi convaincue que la divulgation des renseignements en litige risquerait d’entraver le déroulement d’une procédure judiciaire ou d’une enquête au sens des paragraphes 1° et 2° du premier alinéa de l’article 28. 5 X. c. Centres jeunesse de Lanaudière, [1997] CAI 71.
02 12 63 Page : 10 [36] Enfin, rien dans la preuve du demandeur n’est venu établir qu’une disposition particulière de la Loi lui permettait l’accès aux renseignements en litige. À cet égard, les bienfaits psychologiques que pourrait en tirer le demandeur ne constituent malheureusement pas un motif qui permet de passer outre à l’interdiction de divulgation à laquelle est assujetti l’organisme. [37] POUR TOUS CES MOTIFS, la Commission REJETTE la demande de révision. Québec, le 8 juillet 2004. DIANE BOISSINOT commissaire Avocate de l’organisme : M e Geneviève Asselin Avocate du demandeur : M e Julie Plante
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