Commission d'accès à l'information du Québec Dossier : 03 10 18 Date : 21 juin 2004 Commissaire : M e Hélène Grenier X Demanderesse c. CANADIAN PSYCHOANALYTIC SOCIETY Entreprise DÉCISION OBJET DEMANDE D’EXAMEN DE MÉSENTENTE EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] La demanderesse s’est adressée à l’entreprise le 1 er mai 2003, essentiellement en ces termes : « Att. de : comité d’éthique Objet : recevoir copie conforme de tout mon dossier intégral. … J’ai adressé une plainte auprès de vous à l’égard du travail non professionnel du Dr (X…) En vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, personne ne peut m’empêcher de recevoir une copie intégrale de mon dossier. Je vous demande
03 10 18 Page : 2 donc de me faire parvenir copie de mon dossier et de tous documents qui me concernent, qui me visent ou qui me mettent en cause. SANS EXCEPTION. » [2] Elle s’est par la suite adressée à la Commission, le 9 juin 2003, afin que celle-ci examine la mésentente résultant du refus de l’entreprise d’acquiescer à sa demande d’accès. PREUVE i) de l’entreprise [3] L’avocat de l’entreprise dépose la réponse que sa cliente a adressée à la demanderesse le 4 juin 2003 (E-1); cette réponse, signée par la présidente de l’entreprise, la D re Joyce Canfield, indique que « Les documents visés par votre demande contiennent des renseignements sur des tiers et, selon l’article 40 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, nous sommes dans l’obligation de refuser de vous les faire parvenir. ». [4] L’avocat dépose une copie de la Charte et des règlements de l’entreprise (E-2) dont les objets comprennent celui « de faire avancer l’étude et la science de la psychanalyse, ce terme désignant une théorie sur la structure et le fonctionnement de la personnalité, l’application de cette théorie à d’autres branches du savoir humain et, enfin, à une technique psychothérapeutique, lequel corps de doctrine est basé sur les découvertes psychologiques fondamentales de Sigmund Freud, dont il est issu. » [5] L’avocat fait entendre la D re Joyce Canfield qui témoigne sous serment. La D re Canfield reconnaît la réponse qu’elle a signée le 4 juin 2003 (E-1), réponse par laquelle elle a refusé de donner à la demanderesse accès au dossier constitué à la suite de la plainte qu’elle avait portée contre la D re X. Elle précise que la D re X, visée par la plainte de la demanderesse, est une psychanalyste qui est membre de l’entreprise. [6] La D re Canfield est médecin depuis 40 ans, psychiatre depuis 33 ans et psychanalyste membre de l’entreprise depuis 20 ans. Elle est également membre et présidente du comité permanent de déontologie de l’entreprise (E-2). Elle réfère au règlement 2 (« Déontologie et discipline professionnelle ») ainsi qu’aux « Directives pour la mise en application des principes éthiques » (E-2) de
03 10 18 Page : 3 l’entreprise pour expliquer la procédure d’examen des plaintes formelles et, s’il y a lieu, la procédure d’audience formelle des plaintes. [7] La D re Canfield reconnaît le dossier personnel de la demanderesse, tel qu’il est détenu par l’entreprise; elle précise que l’accès à ce dossier n’est pas refusé à la demanderesse à qui copie (E-3) en est remise séance tenante puisqu’elle est utilisée aux fins de la présentation de la preuve de l’entreprise. Ce dossier personnel comprend la plainte de 2 pages que la demanderesse a adressée à la D re Canfield concernant la D re X, le 8 avril 2002, par courrier ordinaire, plainte dans laquelle on peut notamment lire :« She was a BEN LADEN in my mental health. She completely demolished me. I am left «déchiquetée» in my head…I have to address a complaint because I strongly believe that if she did it to me she surely can do it to others who wouldn’t have the strength that I have to survive such a monstrous mess. I will pay for HER mess my entire life… » (sic). Ce dossier comprend aussi, toutefois sans s’y restreindre, la plainte formelle de 23 pages que la demanderesse a adressée le 18 mai 2002 à la D re Canfield concernant la D re X, plainte transmise par courrier recommandé conformément aux directives précitées (E-2) et dont la demanderesse a envoyé copie au comité de révision de l’Ordre des psychologues du Québec ainsi qu’à l’Office des professions; cette plainte détaillée traite de la « négligence professionnelle » de la D re X à l’endroit de la demanderesse, des « effets néfastes irrémédiables » en résultant de même que de la responsabilité de la D re X quant au « bouleversement, depuis août 1996 » survenu dans la vie de la demanderesse, quant à la « perte des années les plus importantes de ma vie » et quant « à la gravité du massacre perpétré sur une période de 5 ans… ». La D re Canfield mentionne que conformément aux directives de l’entreprise (E-2), avis de cette plainte formelle a été donné à la D re X (E-3) qui a fourni sa réponse au comité permanent de déontologie de l’entreprise ; celui-ci a procédé, comme dans tout autre cas et selon les modalités prévues (E-2), à l’examen de cette réponse avant de conclure que la plainte de la demanderesse n’était pas fondée et d’en aviser cette dernière le 14 novembre 2002 (E-3) . [8] La D re Canfield a refusé (E-1) d’acquiescer à la demande d’accès du 1 er mai 2003 parce que les membres du comité de déontologie ont exprimé l’avis que l’accès au dossier de plainte permettrait à la demanderesse de continuer à harceler la D re X ainsi que les membres du comité eux-mêmes et d’intenter des procédures contre la D re X. La D re Canfield rappelle à cet égard que la demanderesse a, par écrit (E-3), informé l’entreprise qu’elle s’était plainte de la D re X auprès de l’Ordre des psychologues du Québec et de l’Office des professions, la demanderesse référant à son cas comme étant un « massacre perpétré durant 5 ans ». Les lettres émanant de la demanderesse et datées des
03 10 18 Page : 4 18 septembre 2002, 22 septembre 2002, 10 octobre 2002, 10 novembre 2002, 22 novembre 2002, 6 décembre 2002, 14 janvier 2003, 15 février 2003 de même qu’une carte de Noël (2002) sont éloquentes quant aux reproches adressés à la D re X et à l’entreprise, aux dommages qui en résultent selon la demanderesse ainsi qu’aux menaces d’intenter des recours en conséquence exprimées par cette dernière (E-3). [9] L’avocat de l’entreprise dépose copie d’une compilation des messages téléphoniques laissés par la demanderesse dans la boîte vocale de l’entreprise à compter du 26 avril 2002 et jusqu’au 31 janvier 2003 (E-3). La D re Canfield précise que certains de ces messages réitèrent essentiellement les reproches et dommages allégués par la demanderesse dans les documents précités (E-3). [10] La D re Canfield indique que, compte tenu de ce qui précède, l’accès au dossier de plainte a été refusé en vertu de l’article 40 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 . Elle souligne que son refus de donner accès à ces documents s’appuie surtout sur les propos harcelants exprimés par la demanderesse et subis par les membres et employés de l’entreprise, de même que sur les menaces de poursuites devant les tribunaux auxquelles la demanderesse a référé ainsi que sur l’existence de renseignements confidentiels concernant des tiers qui ont examiné la plainte de la demanderesse. ii) de la demanderesse [11] La demanderesse témoigne sous serment. Elle confirme vouloir obtenir son dossier patient ainsi que le dossier de la plainte qu’elle a logée contre la D re X auprès de l’entreprise et qui a été examiné par le comité permanent de déontologie de l’entreprise; elle dit demander accès à ces documents afin de comprendre l’analyse qui a été faite de son cas et l’analyse de la plainte qu’elle a logée auprès de l’entreprise contre la D re X. [12] La demanderesse prétend avoir été démolie par la D re X. Elle affirme ne pas avoir l’intention d’intenter de recours. Elle reconnaît s’être plainte contre la D re X auprès de l’Ordre des psychologues et avoir été déboutée par un écrit qui comprend le nom des décideurs. [13] Elle prétend avoir, en ce qui concerne l’accès à son dossier, le même droit que le comité permanent de déontologie de l’entreprise qui a analysé sa plainte. 1 L.R.Q., c. P-39.1.
03 10 18 Page : 5 [14] Elle maintient que l’entreprise, en lui refusant une audience, lui a nui d’autant plus, souligne-t-elle, que la D re X l’avait détruite. À son avis, l’entreprise ne se soucie aucunement du mal qui lui a été causé. [15] Elle souligne avoir les qualifications professionnelles requises pour étudier tous les renseignements demandés. Contre-interrogatoire de la demanderesse : [16] La demanderesse confirme tous les propos qu’elle a adressés à l’entreprise et qui sont compris dans son dossier (E-3). Elle confirme notamment ne pas avoir l’intention d’exercer de recours devant les tribunaux comme elle l’a affirmé et motivé dans une lettre adressée au comité permanent de déontologie de l’entreprise le 10 novembre 2002. La demanderesse reconnaît par ailleurs avoir consulté une avocate en décembre 2001, soit avant de porter plainte contre la D re X à l’Ordre des psychologues ainsi qu’à l’entreprise; cette avocate lui a conseillé de ne pas intenter de poursuite contre l’entreprise. La demanderesse a également consulté une autre avocate après le rejet, par l’entreprise, de sa plainte contre la D re X, soit avant sa demande d’accès. [17] Selon la demanderesse, le comportement de la D re X devait être dénoncé afin que son Ordre professionnel vérifie la qualité de son travail « parce qu’elle fait des massacres sur le plan psychique…, qu’elle fait des jugements erronés ». [18] La demanderesse reconnaît avoir fait les appels téléphoniques dont le contenu est compilé dans son dossier (E-3), appels qu’elle dit avoir faits parce qu’elle était « démolie, une victime déchiquetée » et qu’elle voulait être entendue par l’entreprise. Elle reconnaît particulièrement avoir indiqué, les 12 et 15 janvier 2003, qu’il s’agissait là de son dernier appel ou message et avoir néanmoins continué ses appels les 18 janvier, 23 janvier, 25 janvier et 30 janvier 2003. Elle reconnaît enfin avoir mis un terme à ces appels après que l’avocat de la D re X l’eut mise en demeure de le faire (E-3). [19] La demanderesse veut obtenir tous les documents en litige afin de comprendre ce qui lui est arrivé, ce qu’elle a vécu. Les noms apparaissant dans ces documents ne lui sont pas nécessaires, souligne-t-elle.
03 10 18 Page : 6 ARGUMENTS i) de l’entreprise [20] La preuve démontre qu’une partie des renseignements visés par la demande et détenus par l’entreprise, soit le dossier de la demanderesse (E-3), lui a été remise; l’autre partie est en litige parce que l’article 40 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé s’y applique impérativement. [21] La preuve démontre que les renseignements en litige sont la réponse de la D re X à la plainte déposée par la demanderesse, réponse destinée au comité permanent de déontologie, ainsi que le résultat de l’examen de cette réponse, également destiné au comité permanent de déontologie. La preuve démontre spécifiquement que l’entreprise ne détient pas le dossier patient de la demanderesse. [22] La preuve (E-3) démontre la colère qu’exprime la demanderesse à l’endroit de la D re X de même que les insultes qu’elle adresse tant à la D re X qu’aux membres de l’entreprise. La preuve démontre également l’intention de la demanderesse de dénoncer la D re X et d’exercer des recours contre elle. [23] La preuve (E-3) démontre que la demanderesse a harcelé la D re X ainsi que des personnes œuvrant au sein de l’entreprise et qu’elles ont dû mettre la demanderesse en demeure de cesser son harcèlement. [24] La preuve démontre que la demanderesse a toujours l’intention d’exercer des recours contre la D re X. [25] Le comportement de la demanderesse, tel qu’il a été démontré, témoigne du comportement qu’aurait la demanderesse si les documents en litige lui étaient communiqués. ii) de la demanderesse [26] La demanderesse ne dispose pas des ressources financières lui permettant d’exercer un recours judiciaire contre la D re X qui l’a démolie. Elle craint que l’exercice d’un recours la déchiquette et donne lieu à d’autres années de destruction.
03 10 18 Page : 7 [27] La demanderesse a logé des appels chez l’entreprise (E-3) pour exprimer ses réactions aux « réponses injustes » qu’elle recevait de l’entreprise, pour exprimer sa détresse, ce, parce que l’entreprise refusait, même après 20 appels, de la rencontrer et de l’écouter. [28] Elle demande accès aux documents en litige pour elle-même et se prétend apte à en prendre connaissance. DÉCISION [29] J’ai pris connaissance de tous les documents qui ont été déposés en preuve. J’ai aussi pris connaissance de tous les renseignements qui sont en litige et qui m’ont été remis par l’entreprise; il s’agit essentiellement, comme le démontre la preuve, du dossier de la D re X tel qu’il a été constitué à la suite de la plainte déposée contre elle par la demanderesse. Ce dossier comprend la réponse de la D re X à cette plainte de même que l’examen de cette réponse; ces documents ont été préparés pour le comité permanent de déontologie de l'entreprise afin qu’il décide si une audience était nécessaire avant de décider du fondement de la plainte portée par la demanderesse. La réponse de la D re X : [30] La réponse de la D re X concerne d’abord et avant tout la D re X qui est visée par la plainte de la demanderesse. Cette réponse comprend la version détaillée de la D re X quant à son comportement professionnel et déontologique au cours des séances de psychanalyse de la demanderesse; elle est substantiellement constituée de l’opinion de la D re X sur tout ce qui lui est reproché par la demanderesse et de sa conclusion sur le fondement de la plainte. Ces renseignements personnels concernent la D re X et ils sont confidentiels; la demanderesse ne peut, en vertu de l’article 27 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, recevoir communication de renseignements concernant des tiers : 27. Toute personne qui exploite une entreprise et détient un dossier sur autrui doit, à la demande de la personne concernée, lui en confirmer l'existence et lui donner communication des renseignements personnels la concernant.
03 10 18 Page : 8 [31] La réponse de la D re X concerne accessoirement la demanderesse puisque c’est la demanderesse qui a porté plainte contre la D re X. Les renseignements qui concernent la demanderesse sont compris dans la réponse ou opinion que donne la D re X sur le fondement de la plainte portée contre elle. La preuve démontre que la divulgation de ces renseignements concernant la demanderesse révélerait des renseignements personnels concernant la D re X, à savoir une partie de sa réponse, de son opinion ou de sa version. [32] La preuve démontre, avec force détails, toute la gravité des reproches que la demanderesse a adressés à la D re X ou au sujet de la D re X à l’Ordre des psychologues du Québec, à l’Office des professions et à l’entreprise. La preuve démontre particulièrement la ténacité de la demanderesse malgré l’échec de ses démarches contre la D re X. La preuve convainc la Commission que la divulgation des renseignements qui concernent la demanderesse mais qui sont compris dans la réponse ou opinion que la D re X a dû exprimer à la suite de la plainte portée contre elle nuirait sérieusement à la D re X. La décision de ne pas donner communication de ces renseignements en vertu de l’article 40 de la loi précitée est donc fondée: 40. Toute personne qui exploite une entreprise et détient un dossier sur autrui doit refuser de donner communication à une personne d'un renseignement personnel la concernant lorsque sa divulgation révélerait vraisemblablement un renseignement personnel sur un tiers ou l'existence d'un tel renseignement et que cette divulgation serait susceptible de nuire sérieusement à ce tiers, à moins que ce dernier ne consente à sa communication ou qu'il ne s'agisse d'un cas d'urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité de la personne concernée. L’examen de la réponse de la D re X : [33] L’examen de la réponse de la D re X concerne d’abord la D re X; il s’agit substantiellement d’une analyse et d’un avis portant sur la réponse que la D re X a produite par rapport à la plainte portée contre elle par la demanderesse, analyse et avis traitant particulièrement de la conduite professionnelle et déontologique de la D re X à partir des divers éléments de la plainte. Ces renseignements personnels concernant la D re X sont confidentiels; la demanderesse ne peut, en vertu de l’article 27 de la Loi sur la protection des
03 10 18 Page : 9 renseignements personnels dans le secteur privé, précité, en recevoir communication. [34] L’examen de la réponse de la D re X concerne également le fondement de la plainte de la demanderesse par rapport à la conduite de la D re X. La preuve relative au comportement de la demanderesse convainc la Commission que la divulgation des renseignements personnels qui accessoirement concernent la demanderesse et qui sont détenus dans le dossier de la D re X révélerait vraisemblablement des renseignements personnels sur la D re X et nuirait sérieusement à la D re X. L’article 40, précité, a été appliqué de façon appropriée. [35] La preuve démontre spécifiquement que le dossier patient de la demanderesse n’est pas détenu par l’entreprise; la Commission comprend que ce dossier est détenu par l’entreprise dans laquelle la D re X œuvre. L’accès à ce dossier est aussi régi par la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé; il doit être demandé selon les modalités prescrites par cette loi . [36] ATTENDU la demande, précisée en séance; [37] ATTENDU la preuve; [38] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : REJETTE la demande; ORDONNE au responsable de la protection des renseignements personnels de la Commission de ne pas donner communication du dossier 03 10 18. HÉLÈNE GRENIER Commissaire M e Michael Cohen Avocat de l’entreprise
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