Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 03 09 90 Date : 20040614 Commissaire : M e Christiane Constant X. Demandeur c. Cégep de Sorel Tracy Organisme public DÉCISION L’OBJET DU LITIGE LA DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Le 1 er mai 2003, le demandeur requiert du Cégep Sorel Tracy (le « CÉGEP »), de lui donner accès à trois types de documents qui le concernent, à savoir : a) l’évaluation administrative pour l’hiver 2003 effectuée par les étudiants; b) le procès-verbal d’une réunion du département convoqué pour procéder à son évaluation; c) copie d’une lettre transmise par M me Martine Péloquin à M me Michelle Gariépy « demandant le non-renouvellement de » sa priorité d’emploi. [2] N’ayant reçu aucune réponse, le demandeur requiert de la Commission d’accès à l’information (la « Commission »), le 6 juin 2003, de réviser le refus présumé du CÉGEP à lui donner accès auxdits documents. L’AUDIENCE
03 09 90 Page : 2 [3] L'audience de cette cause se tient à Montréal, le 15 avril 2004, en présence du demandeur et du témoin du CÉGEP qui est représenté par M e Henrik Ellefsen, du cabinet d’avocats Berger, D’Amours, Ellefsen . LA PREUVE A) DÉPOSITION DU DEMANDEUR [4] M e Henrik Ellefsen fait entendre, sous serment, le demandeur qui affirme que l’organisme lui a communiqué une lettre datée du 31 mars 2004, à laquelle sont annexées l’évaluation administrative élaguée pour la saison d’hiver 2003 faite par les étudiants à qui il enseignait et une copie d’une note que M me Martine Péloquin, coordonnatrice en Techniques de bureautique a transmise à M me Nancy Desbiens, adjointe à la direction des études et non à M me Michèle Gariépy (pièce O-1). [5] Il souhaite avoir accès aux informations que l’organisme a retranchées de son évaluation. C’est le motif principal pour lequel il a fait parvenir, le 5 avril 2004, une lettre à M. René Corriveau, directeur des ressources humaines et secrétaire général de l’organisme, l’avisant de son intention de s’adresser à la Commission afin de pouvoir obtenir, dans leur intégralité, les documents en litige (pièce O-2). [6] Quant au procès-verbal de la réunion tenue pour traiter de son évaluation, le demandeur déclare qu’il existe; il ajoute, par exemple, que lors des « réunions sérieuses » traitant, entre autres, de la discipline, des difficultés d’apprentissage des étudiants, etc., une personne prend des notes. Il indique cependant qu’il n’a jamais vu ou reçu copies de procès-verbaux des réunions précédentes. B) INTERROGATOIRE DU DEMANDEUR PAR M me ANNE-FRANCE Trottier [7] Le demandeur qui est représenté par M me Trottier, stagiaire en droit, dans le cabinet d’avocats Roy, Laframboise, est interrogé par celle-ci. Il affirme qu’il enseignait chez l’organisme à compter de l’année 2001 et était l’un des enseignants du Département des Techniques de bureautique. [8] Au printemps 2003, l’organisme lui « a retiré sa priorité d’emploi », n’ayant pas été recommandé pour continuer à y travailler. Il désire connaître les motifs pour lesquels il en est ainsi. [9] Par ailleurs, il indique que la convocation des réunions des enseignants du Département des Techniques de bureautique se faisaient généralement de façon
03 09 90 Page : 3 informelle et verbale. Il réitère que lors de réunions importantes, une enseignante, M me X, prenait des notes. [10] Il considère, qu’en ce qui le concerne, l’organisme doit détenir un procès-verbal dans lequel seraient inscrits des renseignements traitant de la fin de son emploi, bien qu’il n’en ait jamais vu un seul. LA PLAIDOIRIE A) DE M e HENRIK ELLEFSEN, POUR L’ORGANISME i) La note de l’organisme [11] Eu égard à la note que M me Péloquin a transmise à M me Desbiens, l’avocat de l’organisme plaide que les renseignements retranchés sont des renseignements nominatifs, c’est-à-dire le nom des personnes physiques ayant reçu cette note en copie conforme; ces renseignements doivent demeurer confidentiels au sens de l’article 53 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi sur l’accès »). [12] Il ajoute que M me Péloquin a été mandatée par l’administration de l’organisme pour rendre compte du dossier contenant le document en litige. La note a été produite, à l’attention de M me Péloquin, par des enseignants du département dans l’exercice de leurs fonctions. Cette note contient des renseignements nominatifs quant à leurs auteurs qui ont émis des commentaires personnels sur le demandeur, tel qu’en a décidé la Cour du Québec, en appel d’une décision de la Commission dans l’affaire Ville de Montréal c. Chevalier 2 . [13] De l’avis de l’avocat, la preuve n’a pas démontré que ceux-ci aient autorisé l’organisme à divulguer les renseignements nominatifs les concernant, invoquant à cet effet l’article 88 de la Loi sur l’accès. [14] Eu égard à cet article, l’avocat commente la décision Corporation d’habitations Jeanne-Mance c. Laroche et la Commission 3 selon laquelle la Cour du Québec établi, entre autres, que : 1 L.R.Q. c. A-2.1 2 [1998] C.Q. 501. 3 [1997] C.A.I. 427.
03 09 90 Page : 4 […] l’article 88 interdit à un organisme de communiquer un renseignement nominatif concernant une autre personne lorsque subsiste un doute quant à la possibilité d’identifier cette autre personne. L’utilisation du mot « vraisemblablement » à l’article 88 empêche donc la communication des renseignements lorsqu’un organisme estime que l’identité d’une personne risque d’être dévoilée. » […] [15] En rapport avec ce même article, l’avocat commente la décision Bouchard c. Université Laval 4 où la Commission a, entre autre, indiqué que : […] La preuve, notamment le témoignage de la demanderesse, démontre que la divulgation des renseignements en litige qui concernent à la fois la demanderesse et une autre personne physique révèlerait vraisemblablement un renseignement nominatif concernant cette autre personne physique. L’article 88 doit donc recevoir application. Le droit d’accès de la demanderesse est régi par la Loi sur l’accès; le fait que la demanderesse soit à l’origine de la plainte qui ait donné lieu au rapport du comité d’enquête et qu’elle ait pu subir un préjudice ne lui confère nécessairement un droit d’accès absolu.[…] [16] Dans le cas en espèce l’avocat signale qu’aux deux paragraphes retranchés (à la 2 e page), la personne signataire émet des commentaires personnels, « un jugement de valeur » concernant le demandeur. Ce sont des renseignements nominatifs qui ne devraient pas être dévoilés au demandeur. À son avis, leur divulgation risquerait vraisemblablement de révéler un renseignement nominatif sur cette personne ayant été impliquée dans l’évaluation du demandeur. [17] De plus, l’avocat argue que le législateur interdit à un organisme public, à l’article 14 de la Loi sur l’accès, de refuser l’accès à un document au seul motif que celui-ci comporte certains renseignements qu’il est tenu de refuser en vertu de la présente loi. Il plaide cependant que le législateur prévoit, au 2 e alinéa de cet article, que les renseignements peuvent être refusés si ceux-ci en constituent la substance. 4 [2001] C.A.I. 452.
03 09 90 Page : 5 [18] L’avocat de l’organisme plaide que, conséquemment, celui-ci ne peut pas fournir au demandeur un extrait des renseignements recherchés, car ce qui en reste, serait alors incompréhensible. ii) Le procès-verbal [19] En ce qui concerne le procès-verbal recherché par le demandeur, l’avocat rappelle la déposition du demandeur voulant que celui-ci n’a jamais vu ni reçu une copie d’un procès-verbal d’une réunion. Il estime que celui visant un compte-rendu sur le non maintien du demandeur à l’emploi de l’organisme est inexistant. Intervention de la Commission [20] La Commission accorde à l’organisme un délai de trois semaines pour produire un complément de preuve, par affidavit, quant à l’existence ou non d’un procès-verbal traitant du non maintien du demandeur à son emploi. Un droit de réplique, dans un délai équivalent additionnel, est accordé à celui-ci. L’organisme communiquera à la Commission copie dudit document. [21] Conséquemment au cas sous étude, l’avocat argue que la Commission devrait donc confirmer la décision de l’organisme de ne pas avoir communiqué au demandeur copie des documents recherchés. B) DU DEMANDEUR [22] Après avoir entendu la plaidoirie de l’avocat de l’organisme, M me Trottier, stagiaire en droit, s’insurge que l’organisme n’ait pas donné suite à la demande d’accès et ait attendu à l’audience pour indiquer les motifs de refus d’accès au document convoité. LA DÉCISION [23] Le demandeur a admis, à l’audience, que l’organisme lui a communiqué son « évaluation administrative de l’hiver 2003 » et une copie d’une lettre émanant de M me Péloquin adressée à M me Desbiens. Il souhaite en obtenir une copie intégrale ainsi que le procès-verbal traitant de ce sujet. [24] Celui-ci a formulé sa demande en vertu de l’article 83 de la Loi sur l’accès. 83. Toute personne a le droit d'être informée de l'existence, dans un fichier de renseignements personnels, d'un renseignement nominatif la concernant.
03 09 90 Page : 6 Elle a le droit de recevoir communication de tout renseignement nominatif la concernant. Toutefois, un mineur de moins de quatorze ans n'a pas le droit d'être informé de l'existence ni de recevoir communication d'un renseignement nominatif de nature médicale ou sociale le concernant, contenu dans le dossier constitué par l'établissement de santé ou de services sociaux visé au deuxième alinéa de l'article 7. [25] Tel que mentionné par la Commission dans l’affaire Montreuil c. CEGEP François-Xavier-Garneau 5 : Les articles 83 et suivants de la Loi sur l’accès régissent le droit d’une personne de recevoir communication des renseignements nominatifs la concernant, l’article 83 établissant, d’une part, le principe voulant que cette personne ait le droit de recevoir communication de tout renseignement nominatif la concernant alors que les articles 86 et suivants prévoient, d’autre part, des restrictions à ce droit d’accès.[…] [26] Ces dispositions législatives doivent être interprétées de façon restrictive, tel qu’il est indiqué à la décision P.L. c. Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances 6 . Les articles 14, 53 et 54 de la Loi sur l’accès. 14. Un organisme public ne peut refuser l'accès à un document pour le seul motif que ce document comporte certains renseignements qu'il doit ou peut refuser de communiquer en vertu de la présente loi. Accès non autorisé. Si une demande porte sur un document comportant de tels renseignements, l'organisme public peut en refuser l'accès si ces renseignements en forment la substance. Dans les autres cas, l'organisme public doit donner accès au document demandé après en avoir extrait uniquement les renseignements auxquels l'accès n'est pas autorisé. 5 C.A.I. Québec, no 98 15 60, 24 juin 1999, c. Grenier. 6 [1988] C.A.I. 355 en référence dans Yvon DUPLESSIS et Jean HÉTU, L'accès à l'information et la protection des renseignements personnels. Loi indexée, commentée et annotée, vol. 3, Publications CCH ltée, 2003, folio 210 101.
03 09 90 Page : 7 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1° leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2° ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. [27] À la première page de la note, l’organisme a extrait les noms de deux personnes physiques ainsi que les fonctions occupées par celles-ci; elles ont, avec M me Péloquin, coordonnatrice en techniques de bureautique, transmis à M me Desbiens l’évaluation du demandeur. [28] Les noms de ces deux personnes sont des renseignements nominatifs qui ne peuvent pas être divulgués au demandeur. Il faut se rappeler que celui-ci était enseignant au Département en Techniques de bureautique, au même titre que les autres enseignants, incluant ces deux personnes. Celles-ci ont été impliquées directement dans l’évaluation du demandeur qui a contribué à son renvoi de l’organisme. [29] En ce qui concerne les deux paragraphes (2 e page) retranchés par l’organisme, il est clair que leur contenu ne constitue pas de faits neutres pouvant être communiqués au demandeur. Ils contiennent des renseignements nominatifs sur un(e) étudiant(e), sur l’un de ses collègues de travail, etc. Ces renseignements forment un tout et doivent être lus et compris dans leur ensemble; ils ne peuvent pas être divulgués, en partie, car ce qui en reste, serait incompréhensible. De plus, ces deux paragraphes contiennent des renseignements nominatifs sur leurs auteurs, tel qu’il apparaît aux décisions Pelletier c. Ministère de l’Environnement 7 7 [1986] C.A.I. 101.
03 09 90 Page : 8 et Doyon-Sénécal c. Commission scolaire de Montréal 8 . Le deuxième alinéa de l’article 14 de la présente loi s’applique. [30] Concernant cet article, les auteurs Doray et Charette 9 indiquent, entre autres : […] Soulignons succinctement certains principes d’interprétation de ce qui constitue la substance d’un document. Tout d’abord, ce n’est pas la quantité des renseignements extraits mais bien la qualité de ceux-ci qui sert à établir si ces renseignements en forment ou non la substance. À cet égard, la Commission s’est demandée, dans la plupart des cas, si le document avait encore un sens ou si sa signification n’était pas modifiée par l’application de l’article 14. Le cas échéant, la Commission a conclu que l’organisme pouvait refuser de communiquer le document en entier. […] Selon les termes de l’article 14, l’organisme jouit d’un pouvoir discrétionnaire de rendre accessible un document épuré lorsque les renseignements ainsi retranchés en forment la substance. Mais, à notre avis, un organisme public devrait éviter de transmettre un document épuré si cette communication risque de confondre le demandeur ou de lui donner une information erronée parce que partielle. […] [31] En conséquence, le demandeur ne peut donc pas avoir accès à ce document et les articles 53, 54 de la Loi sur l’accès déjà mentionnés s’appliquent. Complément de preuve [32] En complément de preuve, l’organisme a communiqué, le 5 mai 2004, une lettre à la Commission résumant le contenu de deux affidavits, dont une copie de cette lettre à M me Trottier. Les deux affidavits datés des 3 et 4 mai 2004 portent la signature respective de deux enseignantes au « département de technique de bureautique » de l’organisme. Celles-ci affirment solennellement que le 3 avril 2003, elles ont assisté « à la réunion du département de technique de bureautique où il a été traité du retrait de priorité » du demandeur. Elles affirment également qu’ « aucun compte-rendu ou procès-verbal n’a été écrit suite à cette réunion. » 8 C.A.I. Montréal, no 02 19 25, 26 mars 2004, c. Constant. 9 Raymond DORAY et François CHARRETTE, Accès à l'information: loi annotée, jurisprudence, analyse et commentaires, vol. 1, Cowansville, Éditions Y. Blais, 2001, p. II/1402.
03 09 90 Page : 9 [33] À la date de la signature de la présente décision, le demandeur n’a pas émis de commentaires relatifs à ces affirmations. [34] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : CONSTATE que le CEGEP Sorel-Tracy a communiqué au demandeur une copie élaguée des documents en litige; REJETTE, quant au reste, la demande de révision; FERME le présent dossier portant le n o 03 09 90. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Montréal, le 14 juin 2004 M e Henrik Ellefsen Procureur du CEGEP de Sorel-Tracy M me Anne France Trottier Stagiaire en droit Roy, Laframboise Procureurs du demandeur
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