Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 03 10 25 Date : 20040609 Commissaire : M e Christiane Constant X Demandeur c. Ville de Terrebonne Organisme public DÉCISION L’OBJET DU LITIGE LA DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Le 28 avril 2003, le demandeur qui est représenté par M e Réjean Kingsbury, du cabinet d’avocats TALBOT KINGSBURY GAUTHIER, requiert de la Ville de Terrebonne (l’« organisme »), de lui communiquer « tous les documents détenus par le service des incendies » relatifs à un incendie survenu à une propriété immobilière qu’il identifie; il requiert également : les rapports d’intervention et d’enquête du Service des incendies; les rapports d’enquête du Service de police; tout rapport d’enquête effectué en collaboration avec le service de police de l’organisme et tout rapport d’expertise effectuée ou transmis dans le cadre de procédures judiciaires.
03 10 25 Page : 2 [2] Le 13 mai suivant, l’organisme, par l’entremise de M. Alain Dupré, répond à l’avocat qu’il a déjà communiqué au demandeur les documents auxquels il pouvait avoir droit, d'une part; et d'autre part, il réitère le refus de l'organisme à lui communiquer des documents additionnels, n’étant pas une personne impliquée dans l’événement selon les termes des articles 28 (5), 53, 54 et 59 (9) de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi sur l'accès »). [3] Insatisfait, le demandeur formule, par l’entremise de son avocat, le 12 juin 2003, une demande auprès de la Commission d'accès à l'information (la « Commission ») pour que soit révisée la décision de l’organisme; le demandeur ajoute qu’il souhaite de plus obtenir « Toute plainte ou dénonciation effectuée par le service de police » relativement à cette affaire. L’AUDIENCE [4] Le 18 février 2004, l’audience de cette cause se tient à Montréal, en présence du demandeur et de M. Alain Dupré, témoin de l’organisme qui est représenté par M e Lise Boily-Monfette, de la firme d'avocats Deveau, Lavoie, Bourgeois, Lalande & ASSOCIÉS. LA PREUVE A) M. ALAIN DUPRÉ, POUR L’ORGANISME [5] M. Dupré, qui témoigne sous serment, déclare être conseiller à la direction générale, et responsable de l’accès aux documents au niveau de la Sécurité publique pour l’organisme. Il déclare avoir pris connaissance de la demande et y avoir répondu; il dépose, sous le sceau de la confidentialité, le dossier dans son intégralité. [6] M. Dupré indique avoir communiqué au demandeur, une copie élaguée du « rapport d’intervention incendie. » Quant au rapport d’enquête, il lui avait refusé initialement l’accès au moment de la réponse, parce qu’à son avis, le demandeur n’était pas, au sens du 9 e paragraphe de l’article 59 de la Loi sur l’accès, une personne impliquée dans l’incendie survenu dans la propriété immobilière dont l’adresse est indiquée dans la demande. 1 L.R.Q., c. A-2.1.
03 10 25 Page : 3 [7] Il affirme avoir reçu, par la suite, du demandeur copies d’une offre d’achat conclue entre celui-ci et la propriétaire de la résidence incendiée, les honoraires et déboursés du courtier immobilier ainsi qu’une autorisation relative à l’obtention d’un prêt hypothécaire pour cette résidence. Intervention de l’avocate de l’organisme [8] À ce stade de l’interrogatoire du témoin de l’organisme, M e Boily-Monfette précise que l’organisme considère le demandeur comme une personne impliquée dans un événement au sens du 9 e paragraphe de l’article 59 de Loi sur l’accès. Poursuite de l’interrogatoire [9] Après avoir examiné tous les documents faisant l’objet du présent litige, M. Dupré estime que l’accès à ceux-ci devrait être refusé au demandeur, d’une part, parce que plusieurs personnes rencontrées par un agent, dans le cadre de son enquête, ont fait des déclarations auxquelles elles ont apposées leur signature respective. Ces documents contiennent des renseignements nominatifs (art. 53). D’autre part, leur divulgation permettrait de les identifier (art. 54). [10] Il ajoute que des renseignements contenus dans certains documents devraient demeurer confidentiels car, leur divulgation risque, d’une part, de mettre en péril la santé et la sécurité d’une personne, et risquent également de causer préjudice à celle-ci, d’autre part (art. 28, par. 5). LA PREUVE EX PARTE [11] À la demande de l’organisme, une audience ex parte est tenue, selon les termes de l’article 20 des Règles de preuve et de procédure 2 de la Commission et en l’absence du demandeur. 20. La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document qu'un organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi. 2 L.R.Q. [A-2.1, r. 2].
03 10 25 Page : 4 La reprise de l’audience [12] DÉPOSITION DU DEMANDEUR [13] Le demandeur déclare solennellement qu’il voulait acquérir la propriété immobilière identifiée à sa demande, dont M me X en est la propriétaire. Il indique avoir rencontré toutes les exigences relatives à l’acquisition de cette propriété, incluant « l’autorisation d’un prêt hypothécaire ». Il prétend qu’un rendez-vous était d’ailleurs fixé au bureau d’un notaire pour la signature de documents nécessaires au transfert de la propriété; par la suite, il aurait pu en prendre possession. [14] De plus, le demandeur estime avoir subi des inconvénients en raison de ce sinistre, il voudrait prendre connaissance de tous les documents se trouvant au dossier détenu par l’organisme, afin de vérifier notamment la possibilité d’intenter des procédures judiciaires contre le ou les auteurs de ce sinistre. Il n’accepte pas les explications fournies par l’organisme pour lui refuser l’accès auxdits documents, d’autant plus qu’il a fourni à celui-ci la preuve démontrant que, n’eut été l’incendie, il aurait été le nouveau propriétaire de cette propriété. Il affirme que l’organisme lui a remis un seul document, à savoir « un rapport d’intervention incendie », alors qu’il souhaite en avoir d’autres. [15] Par ailleurs, le demandeur fait part, à l’audience, de certaines informations qu’il détiendrait concernant l’état de santé de la propriétaire de la résidence, M me X, qui, à son avis, aurait été impliquée dans l’incendie et aurait subi des blessures; elle serait hospitalisée depuis cet évènement. Il reconnaît toutefois, qu’il n’a pas besoins des documents médicaux concernant cette personne. LES ARGUMENTS A) DE L’ORGANISME [16] M e Boily-Monfette plaide que le législateur accorde à un organisme un pouvoir discrétionnaire de considérer un demandeur comme « une personne impliquée dans un événement, » au sens de l’article 59, à son paragraphe 9 de la Loi sur l’accès. Dans le cas présent, après avoir fourni à l’organisme des documents relatifs à son implication dans la propriété avant l’incendie, celui-ci estime que le demandeur rencontre effectivement les critères tels qu’établis à cet article.
03 10 25 Page : 5 [17] De plus, l’avocate argue que, bien que cet article (art. 59, par. 9) s’applique au demandeur, elle invoque, pour la première fois à l’audience, le quatrième paragraphe de l’article 28 de la Loi sur l’accès qui a un caractère prépondérant. Et pour étayer ses prétentions, l’avocate réfère au témoignage de M. Dupré qui, lors de l’audience ex parte, a fait ressortir notamment que, parmi les documents initialement convoités par le demandeur, se retrouvent des documents médicaux concernant une personne. L’avocate argumente, entre autres, que leur divulgation, incluant la déclaration statutaire de cette personne obtenue par un agent de police, dans le cadre de son enquête, risque de mettre sa sécurité en péril, et ce, tel qu’a statué la Commission dans l’affaire Audet c. St-Adolphe-d’Howard 3 , lorsqu’elle indique que : […] Le deuxième alinéa de l’article 59 de la loi permet à un organisme, à sa discrétion, de communiquer, selon le neuvième paragraphe, l’identité des personnes impliquées lors d’un événement mais d’en refuser la communication lorsque la santé ou la sécurité de ces personnes est en cause. Cette communication s’exerce à la discrétion de l’organisme et ne concerne que l’identité des personnes impliquées et non les déclarations produites par ces personnes. […] B) DU DEMANDEUR [18] Le demandeur réitère l’essentiel de sa déposition, particulièrement en ce qu’il n’a pas été en mesure de finaliser le transfert de propriété devant un notaire, en raison du sinistre. Considérant les inconvénients qu’il considère avoir subis, il maintient sa position à vouloir obtenir une copie des documents en litige, à l’exception des documents médicaux de M me X. LA DÉCISION [19] Le dossier de l’organisme contenant les documents en litige déposés, à l’audience, sous le sceau de la confidentialité, est constitué d’une série de documents, dont : • Un « Contrôle des pièces à conviction »; • Un rapport d’événement; • Un rapport du technicien; 3 [2000] C.A.I. p. 169.
03 10 25 Page : 6 • Un rapport émanant du « Laboratoire de sciences judiciaires et de médico-légale »; • Un formulaire dûment complété « Demande d’intenter des procédures, un rapport complémentaire; • Des croquis et des photographies; • Neuf déclarations statutaires; • Le dossier médical d’une personne physique; • Un rapport d’experts en sinistre; • Un rapport d’enquête incendie; • Un rapport d’intervention; • Correspondance échangée entre le demandeur, une autre personne et M. Alain Dupré, pour l’organisme, d’une part ainsi qu’avec M e Christian Albert, procureur du demandeur; • Des honoraires professionnels adressés au demandeur par Me Lynda Maurice; • Un formulaire d’ « Autorisation de prêt hypothécaire » émanant de la Société hypothécaire Scotia. A) LES ARTICLES PERTINENTS [20] Cette décision réfère aux articles 9, 28 (4), 28 (5) 53, 54, 59 (9),88 et 168 de la Loi sur l'accès. 9. Toute personne qui en fait la demande a droit d'accès aux documents d'un organisme public. Ce droit ne s'étend pas aux notes personnelles inscrites sur un document, ni aux esquisses, ébauches, brouillons, notes préparatoires ou autres documents de même nature. 28. Un organisme public doit refuser de confirmer l'existence ou de donner communication d'un renseignement obtenu par une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, lorsque sa divulgation serait susceptible : […] 4° de mettre en péril la sécurité d'une personne; 5° de causer un préjudice à une personne qui est l'auteur du renseignement ou qui en est l'objet; […] 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants :
03 10 25 Page : 7 1° leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2° ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. 88. Sauf dans le cas prévu par le paragraphe 4 o de l'article 59, un organisme public doit refuser de donner communication à une personne d'un renseignement nominatif la concernant lorsque sa divulgation révélerait vraisemblablement un renseignement nominatif concernant une autre personne physique ou l'existence d'un tel renseignement, à moins que cette dernière n'y consente par écrit. 168. Les dispositions de la présente loi prévalent sur celles d'une loi générale ou spéciale postérieure qui leur seraient contraires, à moins que cette dernière loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la présente loi. B) L’ARTICLE 9 (1 er ALINÉA) [21] Le demandeur a formulé sa demande de révision selon les termes de l’article 9, premier alinéa de la Loi sur l'accès précité, afin d’avoir accès à des documents, tels qu’ils sont décrits, lesquels sont détenus par l’organisme. Il importe cependant de préciser que le deuxième alinéa de cet article traitant des restrictions, ne fait pas l’objet d’examen dans la présente cause. [22] À cet article, le législateur garantit à un demandeur un droit à la communication de documents qu’il requiert; c’est un droit fondamental qui comporte un caractère prépondérant, tel qu'il est mentionné par la Commission à la décision Noël c. Régie des installations olympiques 4 et au sens de l’article 168 de la Loi sur l'accès précité. 4 [2001] C.A.I. 376.
03 10 25 Page : 8 [23] Par ailleurs, les restrictions prévues au deuxième alinéa de l’article 9 représentent l’exception au droit d’accès à des documents, tel qu'en a décidé la Cour supérieure dans l’affaire Syndicat des travailleurs et travailleuses du Centre d’accueil Émilie-Gamelin et de la résidence Armand-Lavergne (C.S.N.) c. Centre d’accueil Émilie-Gamelin 5 . [24] Il est admis par les parties qu’un seul document, à savoir un «rapport d’intervention incendie» a été communiqué au demandeur, alors que celui-ci souhaite en obtenir davantage; il estime que les documents recherchés lui sont nécessaires, afin de pouvoir évaluer la possibilité d’entreprendre un recours judiciaire contre une personne qui aurait causé la perte de la résidence à laquelle il allait devenir le nouveau propriétaire par la signature de documents notariés, par exemple, l’acte de vente. LE 1 ER ALINÉA DE L’ARTICLE 28 (4 e ET 5 e PARAGRAPHES) [25] En ce qui concerne le 1 er alinéa de l’article 28 de la Loi sur l’accès, à son quatrième paragraphe, la Commission a notamment statué dans l’affaire Lebel c. Ville de Sainte-Foy 6 que : […] Cette obligation générale de protection est étendue à un renseignement dont la divulgation peut mettre en péril la sécurité d’une personne lorsque ce renseignement est obtenu par un corps de police, et ce, même si ce renseignement n’est pas nominatif. […] [26] En ce qui a trait au par. 5 du même article, l’organisme a établi, particulièrement lors de la preuve ex parte, que les renseignements obtenus par les policiers eu égard au sinistre auprès de personnes (telles les déclarations etc.) qui en sont les auteurs ou qui en sont l’objet ne doivent pas être divulgués. La Commission en arrive à conclure que leur divulgation serait effectivement susceptible de causer préjudice à ces personnes. Ils sont donc inaccessibles au demandeur. LES DÉCLARATIONS, LES ARTICLES 53, 54 ET 88 DE LA LOI SUR L’ACCÈS. [28] Quant aux déclarations émanant de plusieurs témoins, le demandeur ne pourra pas y avoir accès, car elles contiennent, entre autres, les noms, dates de 5 [1990] C.A.I. 286 (C.S.). 6 [1999] C.A.I. 100.
03 10 25 Page : 9 naissance, leur adresse respective, leur signature ainsi que leur version des faits. La divulgation des renseignements contenus à ces déclarations permettrait d’identifier ces témoins, dont la preuve n’a pas démontré qu’ils aient consenti à leur divulgation (art. 88 de la Loi sur l’accès). Ces déclarations sont truffés de renseignements nominatifs et des commentaires personnels qui doivent être lus dans leur ensemble (art. 53, 54). Ces documents sont inaccessibles au demandeur. [29] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : ACCUEILLE, en partie, la demande de révision du demandeur contre la Ville de Terrebonne; ORDONNE à l’organisme de communiquer au demandeur une copie des honoraires professionnels provenant de M e Lynda Maurice adressé à celui-ci, ainsi que le formulaire d’« Autorisation de prêt hypothécaire » émanant de la Société hypothécaire Scotia. L’organisme devra également lui communiquer toute la correspondance échangée entre les parties et M e Christian Albert, l’avocat du demandeur, relative à cette affaire; REJETTE, quant au reste, la demande et ferme le présent dossier portant le n o 03 10 25. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Montréal, le 9 juin 2004 M e Lise Boily-Monfette DEVEAU LAVOIE BOURGEOIS LALANDE & ASSOCIÉS Procureurs de l’organisme
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