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00 14 45 LA FERME GUY BERTHIAUME ET GUYLAINE LAMPRON INC. ci-après appelée la « demanderesse » c. MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ci-après appelé l’« organisme » Le 28 juin 2000, par lentremise de son procureur, la demanderesse sadresse à lorganisme en ces termes : Nous sommes les procureurs de Ferme Guy Berthiaume et Guylaine Lampron inc. dans une poursuite intentée contre leur compagnie dassurance. Nous aimerions obtenir le dossier complet de lenquête policière et incluant, le cas échéant, les rapports de chimiste. Il semblerait que le dossier denquête de police soit clos, sans suite. Ces informations concernent notre cliente et naffectent pas le droit de tierce personne. Nous incluons copie de lautorisation et du consentement de notre client. Le texte de lautorisation et du consentement en question, datée du 11 février 2000, se lit comme suit : Ferme Guy Berthiaume et Guylaine Lampron inc., représentée par Monsieur Guy Berthiaume, autorise M e Normand Auger, à obtenir du Ministère de la Sécurité Publique […], le dossier denquête concernant lincendie de limmeuble sis 411, Rang IV, St-Étienne-des-grès, et consens à ce que ledit Ministère […] lui transmette une copie complète dudit dossier denquête. FAIT À QUÉBEC, ce 11 février 2000 FERME GUY BERTHIAUME ET GUYLAINE LAMPRON INC. (signé) : Guy Berthiaume ----------------------------- Guy Berthiaume [sic] (Les inscriptions entre crochets sont de la soussignée) Le 21 juillet 2000, la responsable de laccès de lorganisme refuse de communiquer à la demanderesse les documents en litige en ces termes :
00 14 45 -2-Pour donner suite à votre demande reçue le 5 juillet 2000, nous regrettons de vous informer que nous ne pouvons, en vertu des articles 9, 28, 53, 54, 59, 86.1 et 88 de la [loi sur laccès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 ], vous communiquer le rapport denquête de la Sûreté du Québec numéro 166-991108-001. En effet, outre les déclarations de votre client et de sa fille Mlle Marie Berthiaume, lesquels documents sont joints à la présente, nous ne pouvons dévoiler le contenu de lenquête policière. Ce dossier est en effet constitué de renseignements recueillis auprès de tiers et comporte des éléments danalyse et des avis à propos dun évènement dont le statut est « non solutionné ». Le rapport du laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale est aussi un document protégé, en vertu de larticle 28 de la Loi sur laccès. (Les inscriptions entre crochets sont de la soussignée) Le 16 août 2000, le procureur de la demanderesse requiert la Commission, avec motifs à lappui, de réviser cette décision de la responsable de laccès en ce qui a trait aux documents ou parties des documents suivants : (a) les pages 8 à 27 du dossier denquête ; (b) les conclusions de lenquêteur Michel Comeau (7906); (c) le rapport intégral du Laboratoire de sciences judiciaires et médecine légale qui fait partie du dossier denquête. Une audience se tient en la ville de Québec, le 2 mars 2001. LAUDIENCE LA PREUVE Le procureur de lorganisme appelle, pour témoigner, la responsable de laccès, M e Monique Gauthier. Celle-ci déclare que les renseignements demandés ont tous été cueillis dans le cours dune enquête criminelle menée par le corps de police Sûreté du Québec, à la suite de lincendie dune porcherie appartenant à la demanderesse, incendie survenu en 1999 et ayant causé des dommages pouvant se chiffrer entre 500 000$ et 1 000 000$. Cette enquête a été effectuée dans le but de détecter le crime dincendie et den trouver les auteurs. Le témoin continue. En avril 2000, cette enquête criminelle a été classée comme « non solutionnée ». Madame Gauthier dit que, conformément aux règles régissant les délais de conservation des dossiers opérationnels concernant les 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée « la Loi ».
00 14 45 -3-crimes contre la propriété (incendie de bien immobilier), ces derniers doivent être conservés pendant sept années. Elle dépose, sous la cote O-1, lextrait pertinent du calendrier de conservation de tels dossiers en vigueur chez lorganisme. Elle souligne, de plus, quil nexiste pas de délais pour intenter des poursuites criminelles, les actes criminels étant imprescriptibles. Madame Gauthier fait remarquer que lexamen des documents en litige révèle lapplication de plusieurs méthodes denquête, ce que le policier enquêteur, lagent Michel Comeau, viendra expliquer en détail par son témoignage. La responsable de laccès précise que lenquête na pas donné lieu à des accusations criminelles mais elle est davis que la Sûreté du Québec pourrait encore intervenir et agir dans un avenir prochain dans ce dossier. Madame Gauthier est davis que les trois points qui font lobjet de la demande de révision constituent la substance de lenquête policière. Elle est davis que lélagage de renseignements permis par larticle 14 de la Loi est impraticable ici. En effet, ne resteraient accessibles à la demanderesse que des bribes dinformation totalement incompréhensibles et daucune utilité pour quiconque, dit-elle. La responsable de laccès est davis que tous les renseignements contenus dans les documents ou les parties de documents en litige sont des renseignements obtenus par un corps de police dans le but de détecter et réprimer un crime au sens du code criminel et que la divulgation de chacun de ces renseignements ou lensemble de ceux-ci, en substance, serait susceptible soit dentraver le déroulement dune procédure devant une personne ou un organisme exerçant des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires (28, al. 1, par. 1°), soit de révéler une méthode denquête ou une source confidentielle dinformation (28, al. 1, par. 3°), soit de causer un préjudice à une personne qui est lauteur dun renseignement ou qui en est lobjet (28 al. 1, par. 5°). Elle ajoute que parmi ces renseignements, il y en a qui sont aussi protégés par les articles 53, 59 et 88 de la Loi. Le procureur de lorganisme appelle ensuite, pour témoigner, lagent Michel Comeau. Ce dernier est le policier qui a mené lenquête en cause à la Sûreté du Québec et qui a rédigé et signé le rapport. Le procureur demande à la
00 14 45 -4-Commission que ce témoin soit entendu ex parte et à huis clos, en labsence du procureur de la demanderesse, afin que le document en litige puisse être épluché, page par page, et que chaque renseignement soit identifié par rapport à lexception à laccès qui lui est applicable. Il fait cette requête en application de larticle 20 des Règles de preuve et de procédure de la Commission daccès à linformation 2 et afin que lorganisme puisse sacquitter pleinement du fardeau de prouver le bien-fondé de sa position 3 : 20. La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document que l'organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi. Le procureur de la demanderesse soppose à ce quil soit ainsi procédé en son absence et cite, à lappui de sa position, larrêt Moore de la Cour dappel du Québec 4 . La requête du procureur de lorganisme est accueillie et le témoin Comeau continue son témoignage ex parte et à huis clos et ce, en labsence de la demanderesse et de son procureur. Lagent Comeau passe en revue, parfois avec les commentaires du témoin précédent, madame Gauthier, page par page, et même paragraphe par paragraphe, les documents ou parties de documents en litige, en pointant leurs composantes essentielles, les diverses sources de renseignements testimoniales ou documentaires et leur corroboration, les théories avancées et les pistes suivies, les expertises recherchées ou envisagées, les outils ou les moyens utilisés. En abordant chacun de ces points, les deux témoins mettent tour à tour en relief les risques que surviennent lun ou lautre des inconvénients visés par les paragraphes 1°, 3° et 5° du premier alinéa de larticle 28 de la Loi advenant la divulgation de ces éléments. 2 Décret 2058-84 du 19/9/84, (1984) 116 G.O. II 4648. 3 Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec et Syndicat de la fonction publique du Québec c. Ministère de la Justice et al, CAI 00 01 55, rendue à Québec par la soussignée le 27 novembre 2000. 4 Moore c. Loto-Québec, [1999] CAI 571 (C.A.).
00 14 45 -5-Le témoin Comeau est convaincu que des détails encore incertains pour le moment pourraient se vérifier plus tard et quen conséquence, lenquête pourrait être réactivée. LES ARGUMENTS Le procureur de la demanderesse plaide que le rapport du laboratoire de sciences judiciaires et médecine légale na rien à voir avec une méthode denquête. Cest plutôt une partie de lenquête. Il souligne que lobtention de ce rapport ferait épargner à sa cliente les frais de confection dune telle analyse par un autre expert, soit la somme de 300 $. Il soumet que les conclusions du rapport denquête ne contiennent habituellement aucun renseignement nominatif mais constitue une analyse immédiatement suivie de conclusions neutres. Il est davis que les auteurs des renseignements, tels lenquêteur, les pompiers ou les techniciens, ne peuvent subir aucun préjudice en raison de la divulgation de leurs conclusions ou de leurs déclarations. Ces derniers agissent plutôt comme des courroies de transmission 5 des informations. Le procureur de la demanderesse fait savoir à plusieurs reprises que sa cliente a besoin de linformation demandée pour étayer le recours civil quelle a entamé contre son assureur qui refuse de lindemniser des pertes causées par lincendie. Le procureur de la demanderesse laisse savoir que son client ne veut pas connaître les noms des tierces personnes physiques qui peuvent apparaître dans ce rapport denquête, mais seulement les faits neutres que leurs déclarations révèlent. Les informations relatives à la situation financière de la demanderesse et qui se trouvent dans ce rapport ne sont pas recherchées par la demanderesse, puisquelle les connaît. Il est davis enfin que toute information qui serait autrement accessible à sa cliente ailleurs, comme par exemple peut lêtre létat des comptes de taxes foncières de la municipalité, doit être remise à sa cliente. 5 Bureau du Commissaire des incendies de la Ville de Québec c. LAssurance Royale et al et Ville de Québec, [1999] CAI 497 (C.Q.) 502.
00 14 45 -6-Le procureur de lorganisme réitère la position de la responsable de laccès et soumet que la preuve a démontré que toutes les conditions dapplication des paragraphes 1°, 3° et 5° du premier alinéa de larticle 28 sont satisfaites. En particulier, il réfère la Commission à sa décision dans laffaire St-Louis 6 pour lapplication du paragraphe 3°. Le procureur de lorganisme soumet que les conclusions du rapport denquête sont tellement intimement reliées aux renseignements se trouvant dans le corps de ce rapport que leur divulgation risquerait de révéler des méthodes denquêtes et des sources confidentielles dinformation. Il estime que le procureur de la demanderesse cherche à obtenir dune façon détournée et hâtive les éléments de preuve quil ne peut obtenir que plus tard, au cours du processus judiciaire dans une cause civile, en vertu des règles prévues au Code de procédure civile et quil appartient au juge du procès de trancher. DÉCISION Jai bien examiné les documents en litige. Ils contiennent dans leur ensemble et en substance des renseignements qui, tous, ont été obtenus par un membre dun corps de police, la Sûreté du Québec, qui est chargé de détecter le crime. Les documents constitutifs de linstance et la preuve me convainquent que la divulgation de ces renseignements risque de causer au moins lun ou lautre de ces inconvénients, savoir, dentraver le déroulement dune procédure devant une personne ou un organisme exerçant des fonctions judiciaires (procédure civile entreprise contre lassureur par la demanderesse), révéler une méthode denquête ou une source dinformation ou causer un préjudice à une personne qui est lauteur dun renseignement. En conséquence, la responsable de laccès devait refuser la communication de tous les renseignements visés par la demande de révision et ce, en application des paragraphes 1°, 3° et 5° du premier alinéa de larticle 28 de la Loi : 6 St-Louis, Yves c. Ministère de la Sécurité publique, CAI 97 07 73 Québec, le 11 août 1999, page 5.
00 14 45 -7-28. Un organisme public doit refuser de confirmer l'existence ou de donner communication d'un renseignement obtenu par une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, lorsque sa divulgation serait susceptible: 1 o d'entraver le déroulement d'une procédure devant une personne ou un organisme exerçant des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires; 2 o […] ; 3° de révéler une méthode d'enquête, une source confidentielle d'information, un programme ou un plan d'action destiné à prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois; 4 o […] ; 5 o de causer un préjudice à une personne qui est l'auteur du renseignement ou qui en est l'objet; […] Vu la conclusion à laquelle jen arrive, il nest pas utile que je me prononce sur les autres motifs invoqués par lorganisme au soutien de leur refus de communiquer les renseignements demandés. Je dois ajouter que si monsieur Guy Berthiaume, personnellement, avait été le demandeur, je serais arrivée à la même conclusion. POUR TOUS CES MOTIFS, la Commission, REJETTE la demande de révision. Québec, le 4 juin 2001 DIANE BOISSINOT Commissaire Procureur de l'organisme : M e Jonathan Branchaud Procureur de la demanderesse : M e Normand Auger
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