02 02 97 RACHELLE LÉVEILLÉ, demanderesse, c. MUNICIPALITÉ SAINTE-LUCIE-DES-LAURENTIDES, organisme public. L’OBJET DU LITIGE La demanderesse, M me Rachelle Léveillé, formule, le 13 février 2002, auprès de l'organisme, la municipalité de Sainte-Lucie-des-Laurentides (la « municipalité ») une demande afin d’obtenir une copie du « bilan des états des résultats daté du 31 décembre 2001, 31 janvier 2002 et à ce jour », à savoir la date de sa demande d’accès. Le 21 février suivant, la municipalité communique à M me Léveillé un accusé de réception l’avisant que les recherches seront effectuées afin de retracer les documents demandés. Elle l’informe également que si elle ne reçoit pas une réponse dans un délai de vingt jours, elle pourra se prévaloir d'un recours auprès de la Commission d’accès à l’information (la « Commission »). La municipalité lui refuse, le 28 février 2002, l’accès aux documents recherchés en invoquant que : […] les documents que vous désirez obtenir sont exclus de la portée de la Loi, puisqu’il s’agit de documents non achevés qui, en quelque sorte, sont un instrument de travail et servent à l’usage exclusif des administrateurs de la municipalité, donc des documents qui n’ont pas acquis de forme officielle. Or, en vertu de l’article 9 de la Loi sur l’accès, de tels documents ne sont pas accessibles. […]
02 02 97 - 2 -Toutefois, elle précise que M me Léveillé pourrait obtenir une copie du rapport financier pour l'année se terminant au 31 décembre 2001, après le 11 avril 2002, jour de son dépôt aux archives de la municipalité. Insatisfaite de cette réponse, M me Léveillé sollicite, le 4 mars 2002, l’intervention de la Commission pour réviser cette décision. Une audience se tient à Montréal, le 12 septembre 2002, en présence de la demanderesse et des témoins des parties. LA PREUVE M me Monique Paiement, témoin pour la municipalité M me Monique Paiement, qui témoigne sous serment, est interrogée par M e Monique Carmel, avocate pour la municipalité. M me Paiement est secrétaire trésorière, directrice générale et responsable de l’accès aux documents pour la municipalité. Ses fonctions consistent, entre autres, à veiller à « la bonne santé financière de la municipalité » et à ce que « l'argent des citoyens » soit géré adéquatement. À ce titre, elle doit émettre des commentaires personnels, sous formes manuscrites, sur les projets des états financiers, non approuvés. Elle déclare, qu’au moment de la demande d’accès, elle ne pouvait pas fournir à M me Léveillé une copie du rapport financier pour l'année se terminant le 31 décembre 2001, compte tenu qu'il n’avait pas encore été approuvé par le conseil municipal lors d'une assemblée publique. M me Paiement souligne que le rapport financier doit d'abord être vérifié par un vérificateur comptable pour être ensuite soumis, pour discussion et approbation, au conseil municipal. Ce rapport a été accessible aux citoyens, y inclus la demanderesse, à partir du 11 avril 2002. M me Paiement précise qu’elle s’attendait à ce que
02 02 97 - 3 M me Léveillé communique à nouveau avec elle, après cette date, pour obtenir une copie de ce rapport financier pour l'année se terminant le 31 décembre 2001, ce qui n’a pas été fait. À l'audience, une copie de ce document est remise à M me Léveillé. Selon M me Paiement, le conseil municipal approuve de la même façon un rapport financier trimestriel, lequel devient disponible aux citoyens après avoir été approuvé par ce conseil. En ce qui concerne le « bilan des états financiers du 31 janvier 2002 », M me Paiement refuse d’en remettre une copie à la demanderesse. C'est elle qui inscrit, à l'ordinateur, toutes les écritures financières préliminaires qu'elle retire ensuite de cet ordinateur. Elle considère ce document comme étant « un projet, un document de travail, un brouillon » dont elle se sert pour apporter des corrections et des modifications. Elle y inscrit également ses commentaires relatifs, par exemple, à certaines dépenses encourues par la municipalité. Elle dépose, sous le sceau de la confidentialité, un document qu’elle considère comme étant son « document de travail » pour le mois de janvier 2002 et auquel personne d’autre n’a accès. Elle détruit ce type de document lorsqu’elle n’en a plus besoin. Selon M me Paiement, le rapport trimestriel est approuvé par le conseil municipal lors d’une assemblée publique. Cette résolution est consignée au procès-verbal (pièces O-1 et O-2). Elle fournit la même explication quant au « bilan des états financiers » pour le mois de février 2002 que M me Léveillé souhaite obtenir. M me Lise Pelletier, témoin pour la demanderesse M me Lise Pelletier estime que le travail de M me Paiement peut se faire par ordinateur et que celle-ci n’a pas besoin d’un document « séparé » pour effectuer les vérifications nécessaires à la préparation et à la finalisation d’un rapport
02 02 97 - 4 financier à être déposé lors d’une assemblée publique du conseil municipal. À titre d'exemple, M me Léveillé dépose le bilan financier couvrant la période du 1 er juin 2001 au 30 juin 2001 ainsi que « l’État des activités financières » couvrant la période du 1 er mars 2001 au 31 mars 2001 (pièce D-1 en liasse). Ces documents reflètent l’activité financière de la municipalité. Selon M me Pelletier, aucun des renseignements contenus aux bilans des états financiers n’est confidentiel, car ils n’ont pas été conservés dans un endroit protégé, tel une voûte, par la municipalité. Contre-interrogatoire de M me Lise Pelletier par M e Monique Carmel Lors du contre-interrogatoire mené par M e Carmel, M me Pelletier déclare avoir travaillé pour cette municipalité de 1997 jusqu’au mois de juin 2002, à titre de commis de bureau. Elle occupait un emploi syndiqué. Elle n’était pas responsable de l’accès aux documents et, dans le cadre de ses fonctions, elle ne prenait pas de décision. Elle témoigne avoir déjà préparé des états financiers (pièce D-1 en liasse précitée), durant l’absence de M me Paiement, soit de janvier 2000 au mois de juin 2000, et par la suite du mois d’août 2000 à avril 2001. M me Pelletier dépose également les « Prévisions budgétaires » pour le mois de novembre 2000 (pièce D-2), afin de tenter de démontrer que tous les documents recherchés par M me Léveillé devraient lui être accessibles. Par ailleurs, M me Pelletier confirme une partie de la déposition de M me Paiement à l'effet que le rapport financier annuel, ainsi que les rapports trimestriels, sont approuvés par le conseil municipal. De plus, elle souligne que les factures sont approuvées, à tous les mois, par le conseil municipal. M me Rachelle Léveillé, la demanderesse
02 02 97 - 5 M me Léveillé, qui témoigne sous serment, déclare avoir été conseillère municipale à Sainte-Lucie-des-Laurentides de novembre 1998 à juin 2000, date à laquelle elle devenue mairesse jusqu’aux élections du mois de novembre 2001. Elle trouve inacceptable que la municipalité lui refuse l’accès aux documents demandés. Elle spécifie que les « Prévisions budgétaires » (pièce D-2 précitée) constituent un document de travail remis aux membres du conseil municipal pour « la préparation du budget de fin d’année ». Elle admet que ce document est inaccessible aux citoyens de la municipalité pour le motif invoqué. Elle explique vouloir avoir accès aux documents recherchés afin de s’assurer que la municipalité « utilise l’argent des contribuables » adéquatement. Elle ajoute que la municipalité refuse presque systématiquement aux citoyens l’accès aux documents alors que ceux-ci devraient pouvoir les consulter ou les obtenir sur demande sans être obligés de « passer par la Commission ». Elle prétend qu'à l'époque où elle était mairesse, tout citoyen, ayant fait une demande d’accès, pouvait obtenir un document sans aucune difficulté. À titre d'exemple, M me Léveillé produit une série de factures (pièce D-3 en liasse) que la municipalité avait remises à une tierce personne. Clarification par M me Monique Paiement Pour faire suite aux dépositions de M me Léveillé et de M me Pelletier, M me Paiement croit nécessaire d’apporter certaines clarifications. En effet, il existe une liste de factures relatives à des dépenses encourues par la municipalité, laquelle liste est consignée au procès-verbal de l’assemblée du conseil municipal. À chaque mois, deux citoyens, toujours les mêmes, demandent à la municipalité d’avoir accès à près de 50 documents ou factures, lesquelles demandes leur sont accordées. Elle explique que la série de factures déposées par M me Léveillé (pièce D-3 en liasse précitée) ne fait pas partie du litige. M me Paiement souligne que sa principale préoccupation « va dans le même sens que » celle de M me Léveillé, à
02 02 97 - 6 -savoir s'assurer que la municipalité utilise l'argent des contribuables adéquatement. REPRÉSENTATIONS M e Monique Carmel, avocate pour la municipalité M e Carmel plaide que la municipalité ne pouvait pas remettre à M me Léveillé une copie du rapport financier pour l’année se terminant au 31 décembre 2001, avant qu'il n'ait été approuvé, en assemblée publique, par le conseil municipal. Elle souligne le fait qu’une copie de ce rapport a été remise à l’audience à M me Léveillé. Quant aux deux autres documents ou rapports réclamés par M me Léveillé, pour les périodes se terminant d'une part, au 31 janvier 2002 et d'autre part, au 13 février 2002, l’avocate de la municipalité argue qu’ils sont inaccessibles à la demanderesse, car ce sont les « notes personnelles de M me Paiement, responsable d’accès à la municipalité, c’est un document de travail, tel que prescrit à l’article 9 » de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et de la protection des renseignements personnels 1 (« Loi sur l'accès ») : 9. Toute personne qui en fait la demande a droit d'accès aux documents d'un organisme public. Ce droit ne s'étend pas aux notes personnelles inscrites sur un document, ni aux esquisses, ébauches, brouillons, notes préparatoires ou autres documents de même nature. Le premier alinéa de cet article détermine le principe du droit d’accès aux documents détenus par un organisme public, quelque soit la forme de ces documents, à l’exception de l'information décrite au deuxième alinéa. 1 L.R.Q., c. A-2.1.
02 02 97 - 7 -Dans la décision Ministère de la Justice c. Bouchard 2 , la juge Lina Bond, de la Cour du Québec, cite le juge Pothier qui, dans l'affaire Commission de la fonction publique du Québec c. Héroux, a statué : Le deuxième alinéa de l’article 9 fait tout autant partie de la section 1 intitulée « droit d’accès » que le premier alinéa du même article. Il ne s'agit donc pas de la restriction d'un droit mais de l'absence d'un droit. Le législateur, dans un premier temps, reconnaît un droit et dans un deuxième temps nie un autre droit. Ces deux pôles doivent recevoir une interprétation large, libérale… quant au genre de document visé. Je considère donc que les mots « (notes personnelles), … (esquisses), … etc » doivent recevoir une portée très large de façon à ne pas restreindre le travail et le rôle des organismes publics. M me Rachelle Léveillé, demanderesse M me Léveillé, pour sa part, déclare qu’elle voulait avoir accès aux documents (pour le 31 janvier et jusqu'au 13 février 2002) se trouvant dans l’ordinateur de la municipalité et non à ceux contenant les notes personnelles de M me Paiement. Celle-ci n’avait qu’à les imprimer tels quels. De plus, M me Léveillé s’insurge contre la municipalité qui a attendu le jour de l’audience pour lui remettre une copie du rapport annuel pour la période se terminant au 31 décembre 2001. Si elle avait reçu ce document plus tôt, l'audience n'aurait pas été nécessaire. DÉCISION La demanderesse a reçu, à l’audience, une copie du rapport financier pour l'année se terminant au 31 décembre 2001. Il reste à statuer sur deux points en litige, à savoir, si la municipalité est tenue ou non de donner à M me Léveillé accès au projet de « bilans des états financiers se terminant au 31 janvier » et au 13 février 2002. 2 REJB, 1998-09601 (C.Q.), p. 4 du texte intégral.
02 02 97 - 8 La demande de M me Léveillé s'inscrit dans l'esprit du premier alinéa de l'article 9 qui énonce le principe général du droit d'accès aux documents d'organismes publics. Toutefois, la nature des documents demandés correspond aux exceptions à ce principe, exceptions qui sont identifiées au deuxième alinéa. Après avoir examiné le document intitulé « État des activités financières », en date du 31 décembre 2001, produit sous le sceau de la confidentialité par le témoin de la municipalité, la soussignée en arrive à la conclusion que ce document constitue une ébauche, un projet, une esquisse des états financiers, des notes préparatoires, contenant les annotations de M me Paiement. Ce document rencontre les critères d’exclusion prévus au deuxième alinéa de l'article 9 de la Loi sur l'accès précité; il est donc inaccessible à M me Léveillé. Cependant, tous les témoins confirment qu’un rapport financier trimestriel est déposé par la secrétaire trésorière et approuvé par le conseil municipal. La soussignée est d’avis que M me Léveillé devrait avoir accès à une copie du rapport pour le trimestre se terminant au 31 mars 2002, qui englobe les mois de janvier et février 2002 et qui a été « déposé à la session du 6 mai 2002 ». Ce rapport fut adopté par le conseil municipal lors d'une assemblée publique et réfère à la résolution n o 02-096 inscrite au procès-verbal (pièces O-1 et O-2 en liasse précitées). POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : ACCUEILLE, en partie, la demande de révision de M me Rachelle Léveillé;
02 02 97 - 9 -PREND ACTE que la municipalité a remis à M me Léveillé, à l’audience, une copie du rapport financier pour l'année se terminant au 31 décembre 2001; ORDONNE à la municipalité de faire parvenir à M me Léveillé une copie du rapport financier pour le trimestre se terminant au 31 mars 2002, qui inclut les mois de janvier et de février 2002, et qui a été déposé et adopté par le conseil municipal, à la session du 6 mai 2002, tel qu'en fait foi la résolution portant le n o 02-096; REJETTE, quant au reste, la demande de révision de M me Rachel Léveillé. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Montréal, le 23 septembre 2002 M e Monique Carmel Procureure de la municipalité de Sainte-Lucie-des-Laurentides
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