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02 05 74 BOUCHARD, ÉRIKA, la demanderesse, c. MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE, lorganisme. Le 5 février 2002, la demanderesse, présumée victime dun empoisonnement au méthanol, sadresse au commandant du district concerné de lorganisme pour obtenir copie du dossier denquête 265-010318-002. Le responsable de laccès de lorganisme (le Responsable) reçoit cette demande le 12 mars suivant et, le 5 avril 2002 fait parvenir à la demanderesse des extraits de ce dossier de police tout en retenant le reste au motif que lorganisme peut ou doit en refuser laccès en vertu des articles 14, 28, 31, 32, 53, 54, 59 et 88 de la Loi sur laccès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la Loi). Le Responsable ajoute : […] À ce titre, les renseignements concernant des tiers, ainsi que les analyses, avis, notes et recommandations reliés aux événements ayant fait lobjet dune enquête criminelle ne peuvent être divulgués en vertu des articles précités. Le 17 avril 2002, insatisfaite de cette décision, la demanderesse formule à la Commission daccès à linformation (la Commission) une demande de révision de celle-ci en ces termes : […] Il est inutile de vous dire que [ces] documents sont très importants pour moi, car je veux poursuivre les personnes concernées au civil puisque tel est mon droit. Il est déjà assez difficile pour moi dobtenir des informations médicales sur le sujet car il ny a pas beaucoup de cas similaire[s] et les effets après coups ne sont pas très facile [à] démontr[er], et croyez[-] moi il y en a. (Les inscriptions entre crochets sont de la soussignée). Une audience se tient en la ville de Québec le 7 octobre dernier 2002. 1 L.R.Q., c. A-2.1.
02 05 74 -2-LAUDIENCE Dentrée de jeu, la demanderesse déclare quelle a déjà reçu de lorganisme son dossier médical et sa déclaration à la police. Elle déclare renoncer aux déclarations des autres personnes impliquées dans lévénement. Ces dernières ne sont plus en litige et ne font pas lobjet de la présente décision. La demanderesse maintient toutefois sa demande de révision pour le reste du dossier denquête policière. LA PREUVE Lavocat de lorganisme appelle, pour témoigner, monsieur André Marois (M. Marois), Responsable de laccès de lorganisme. À ce titre, il est également le Responsable de laccès de la Sûreté du Québec. Le témoin Marois dépose sous pli confidentiel, la totalité du dossier denquête de la Sûreté du Québec contenant 132 feuillets avec, en annexe, un tableau décrivant sommairement le contenu de chaque feuillet ainsi que, le cas échéant, son accessibilité ou les motifs invoqués au soutien du refus de le communiquer. Certains de ces feuillets ont déjà été remis à la demanderesse lors de la réponse du Responsable et dautres sont remis séance tenante. Pour faciliter la compréhension du dossier, il convient de déposer ce tableau sous la cote O-1, après avoir masqué le nom des personnes physiques qui ont fait des déclarations aux policiers ou qui leur ont produit des rapports médicaux. Étant donné que ne sont plus en litige les feuillets remis à la demanderesse (2, 3, 45 à 64) et les feuillets contenant les déclarations faites aux policiers par les personnes impliquées dans lévénement (27 à 34 et 65 à 115), seuls les feuillets suivants font lobjet du présent examen : 1, 4 à 26, 35 à 44, 116 à 118 et 128 à 132. Le témoin Marois explique dabord le contexte entourant lobjet de lenquête en question. La demanderesse et dautres personnes ont été incommodées par une substance (du méthanol) servie par « shooter ou prêt à boire » dans un bar. En raison de labsorption par voie buccale de cette substance, la demanderesse ainsi que ces autres personnes ont été hospitalisées. Le service de police appelé sur les lieux a fait enquête et a constaté une ou des infractions à la Loi sur les infractions en
02 05 74 -3-matière de boissons alcooliques 2 (LIMBA). Aucune accusation de négligence criminelle na toutefois été portée. Le témoin Marois croit que la demanderesse veut poursuivre les responsables au civil et quil lui faut de la documentation pour préparer son procès. Monsieur Marois témoigne sur le contenu de chacun des feuillets restant en litige et explique en quoi les renseignements qui sy trouvent sont visés par les exceptions à la loi soulevées dans le tableau O-1. Pour ce qui est du feuillet 6, le témoin signale simplement que le document provient du ministère de la Justice, Service de la gestion des infractions et constitue une décision de ne pas porter daccusation, telle décision étant basée sur les deux rapports dinfractions précédents (feuillets 4 et 5). Le signataire de ce document nest pas identifié. Le document est adressé à un agent de la Sûreté du Québec responsable de lenquête. Larticle 31 seul est néanmoins soulevé. Lavocat de lorganisme admet que le cas de la demanderesse est éminemment sympathique et légitime; il plaide à regret que la Loi doit néanmoins sappliquer de la même façon pour tous et réitère la position du Responsable telle quexprimée durant son témoignage. La demanderesse rappelle les raisons qui motivent sa demande daccès et son besoin du dossier demandé. DÉCISION La Commission a bien examiné le contenu des feuillets en litige et détermine de laccessibilité des informations qui sy trouvent eu égard aux dispositions invoquées pour en refuser laccès. Article 28 de la Loi : 28. Un organisme public doit refuser de confirmer l'existence ou de donner communication d'un renseignement obtenu par une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le 2 L.R.Q., c. I-8.1.
02 05 74 -4-crime ou les infractions aux lois, lorsque sa divulgation serait susceptible: 1 o d'entraver le déroulement d'une procédure devant une personne ou un organisme exerçant des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires; 2 o d'entraver le déroulement d'une enquête; 3° de révéler une méthode d'enquête, une source confidentielle d'information, un programme ou un plan d'action destiné à prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois; 4 o de mettre en péril la sécurité d'une personne; 5 o de causer un préjudice à une personne qui est l'auteur du renseignement ou qui en est l'objet; 6 o de révéler les composantes d'un système de communication destiné à l'usage d'une personne chargée d'assurer l'observation de la loi; 7 o de révéler un renseignement transmis à titre confidentiel par un corps de police ayant compétence hors du Québec; 8 o de favoriser l'évasion d'un détenu; ou 9 o de porter atteinte au droit d'une personne à une audition impartiale de sa cause. […] La preuve et lexamen des documents en litige établissent que tous ces renseignements ont été obtenus par une ou des personnes visées au premier alinéa de cet article (agents de la Sûreté du Québec). Toutefois, sauf à légard de quelques rares renseignements plus loin identifiés, rien dans la preuve ou les documents en litige ne vient établir lexistence de lune ou lautre des neuf conditions dapplication de cet article, énumérées en son deuxième alinéa. En particulier, la preuve et lexamen des documents remis sous pli confidentiel démontrent plutôt que lenquête était terminée lors du traitement de la demande daccès puisque le Précis des policiers (feuillets 14 à 25) remis au substitut du Procureur général est daté du 21 juin 2001. Il y a refus du Service de la gestion des infractions du ministère de la Justice démettre un constat dinfraction (feuillet 6) des infractions et ce refus est basé sur les rapports dinfractions généraux (feuillets 4 et 5). La décision du substitut du Procureur général (feuillet 8 à 13) datée du 5 juillet 2001 établit quaucune accusation criminelle ne sera portée. Ainsi les paragraphes 1°
02 05 74 -5-et 2° du deuxième alinéa de larticle 28 ne peuvent sappliquer, du moins pour ce qui est de lentrave à une enquête criminelle ou de nature pénale ou de lentrave au déroulement dune procédure criminelle ou pénale. Le libellé des demandes daccès et de révision nous apprend que la demanderesse songe à poursuivre en responsabilité civile. Il faut se demander si la divulgation des renseignements en cause risque dentraver le déroulement de cette procédure au sens du paragraphe 1° précité. Tout dabord, il convient de rappeler que rien, dans la preuve, ne démontre que la demanderesse a intenté de telles procédures ou que ces procédures existent. La demanderesse a témoigné vouloir vérifier si les documents quelle convoite contiennent des éléments qui pourraient fonder une action en responsabilité avant dentreprendre une telle démarche judiciaire. Ensuite et, cest ce que la Commission retient, rien dans la preuve nest venu établir 3 un lien quelconque entre la divulgation des renseignements en litige et le risque dentrave à cette éventuelle poursuite en responsabilité civile, en donnant au mot « entrave » son sens ordinaire (empêchement, gêne sérieuse au déroulement de la procédure). La Commission croit que la question de savoir si telle divulgation risque simplement davoir un effet sur cette procédure nest pas pertinente ici. Cette question doit plutôt être examinée dans létude de lapplication de larticle 32 de la Loi qui vise à protéger le processus décisionnel des organismes publics et ce, du seul point de vue de leurs intérêts propres : 32. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'avoir un effet sur une procédure judiciaire. La restriction à laccès basée sur ce paragraphe 1° de larticle 28 de même que la notion dentrave à une procédure judiciaire ou quasi judiciaire doivent sapprécier des points de vue plus englobant de lordre public et de la bonne administration de la justice. La vraisemblance de ce risque dentrave na été étayée par aucun élément de preuve. Par ailleurs, tous les renseignements contenus aux feuillets 128 et 128.1 (rapport quotidien du patrouilleur, verso et recto) sont susceptibles de dévoiler une méthode denquête, un programme ou un plan daction destiné à prévenir, détecter ou réprimer le crime (paragraphe 3° de lalinéa deuxième de larticle 28) parce quils font état, en substance, de toutes les actions des policiers dans un secteur précis 3 Alexander c. Communauté urbaine de Montréal, [1989] CAI 241, 244 ; Samson c. Québec (Ministère de la Main-dœuvre et de la Sécurité du revenu, [1987] CAI 246.
02 05 74 -6-pour une période donnée et même des endroits ciblés, sur le territoire, doivent se poster ou patrouiller les policiers à des heures données. Toutes ces informations sont visées par ce paragraphe 3° et ne sont pas accessibles. Plusieurs de ces informations sont également de nature nominative et ne sont pas accessibles en raison de ce fait. Lorganisme a prétendu que les rapports dexpertises que lon retrouve aux feuillets 39, 42, 43, 44 révèlent eux aussi une méthode denquête. De lavis de la Commission, il est connu de tous quen matière de négligence criminelle il y a allégation dintoxication dindividu, la preuve doit comprendre au moins des analyses toxicologiques et des expertises sur la toxicité des éléments ingurgités, le cas échéant. Ce nest pas révéler une méthode denquête policière que de révéler lexistence et les résultats de ces analyses ou expertises. Ce type de divulgation ne pourrait mettre en cause le travail futur des policiers en semblables matières. Outre les derniers renseignements contenus aux feuillets 128 et 128.1, (rapport quotidien du patrouilleur, verso et recto) qui sont visés par la paragraphe 3°, les autres renseignements en litige ne sont visés par aucun des paragraphes 1° à 9° de larticle 28. Article 31 de la Loi 31. Un organisme public peut refuser de communiquer une opinion juridique portant sur l'application du droit à un cas particulier ou sur la constitutionnalité ou la validité d'un texte législatif ou réglementaire, d'une version préliminaire ou d'un projet de texte législatif ou réglementaire. Le témoignage de M. Marois révèle que le feuillet 8 est la décision du substitut du Procureur général motivée au feuillet 13 et basée sur les documents y annexés (feuillets 9 à 12). Lexamen des feuillets 1 et 8 à 13 démontre que ces documents ont été préparés et signés par M e Christian Cyr, substitut du Procureur général. Le feuillet 1 est adressé à la Sûreté du Québec au sujet du dossier denquête en cause ici et traite du dépôt dune dénonciation. Les feuillets 8 à 13 sont intitulés : « Décision concernant une demande dintenter des procédures » et concerne le dossier visé par cette demande de révision. Étant rédigés par un avocat et portant sur lapplication du droit à un cas particulier, ces documents constituent deux
02 05 74 -7-opinions juridiques au sens de larticle 31 de la Loi et lorganisme peut, avec raison, en refuser laccès en totalité 4 . Par ailleurs, le feuillet 6 intitulé « Refus démettre un constat dinfraction » et les deux pièces y annexées (feuillets 7 et 7.1) ne contiennent aucune indication quils constituent un ensemble pouvant être visé par larticle 31. En effet, rien ne permet didentifier le signataire autorisé du « Refus » comme étant un avocat ou un notaire. Comme seul ces derniers peuvent émettre légalement une opinion juridique, preuve nest pas faite que ce document et ses annexes en constituent une. Par conséquent le Responsable ne peut refuser laccès à ces documents pour ce motif seul. Comme ces 3 feuillets ne sont pas non plus visés par aucun des paragraphes du deuxième alinéa de larticle 28 tel que déterminé au chapitre précédent, il sagit de voir si dautres restrictions impératives en empêchent la divulgation. Une seule autre restriction impérative peut sappliquer en lespèce et ce, pour tous les feuillets que la présente décision na pas encore déclaré inaccessible. Il sagit de linterdiction, pour un organisme public, de communiquer les renseignements nominatifs (articles 53, 54, 59 et 88 de la Loi). Article 53, 54, 59 et 88 de la Loi : Il faut maintenant déterminer si les renseignements que contiennent les feuillets 6, 7, 7.1, 14 à 26, 35 à 44, 116 à 118 et 129 à 132 sont visés par ces dispositions de la Loi. Sont totalement accessibles les feuillets 6, 7.1, 17, 25, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 116, 131 parce quils ne contiennent aucun renseignement nominatif concernant des personnes physiques autres que la demanderesse ou parce que, sils en contiennent, ces derniers font lobjet du choix de lorganisme de les divulguer, choix prévu au deuxième alinéa de larticle 59 (voir feuillet 116) et communiqué durant laudience ou parce quils sont revêtus dun caractère public au sens de larticle 57, paragraphes 1° et 2° de la Loi. 4 Québec (Ministère de la Justice) c. Broasca, Nicolai, Cour du Québec, le 8 avril 2002, 200-02-027507-13.
02 05 74 -8-Au contraire, sont totalement inaccessibles les feuillets 18, 19, 22, 23, 26, 118, 130 parce quils contiennent, en substance, des renseignements nominatifs concernant des personnes physiques autres que la demanderesse. Sont partiellement accessibles à la demanderesse les feuillets 7, 14, 15, 16, 20, 21, 24, 35, 35, 37, 38, 117, 129 et 132, dans la mesure les renseignements ci-après identifiés au dispositif auront été masqués en raison de leur caractère nominatif et en raison du fait quils nont pas fait lobjet du choix prévu à lalinéa deuxième de larticle 59 ou en raison du fait quils ne sont pas revêtus dun caractère public en vertu des paragraphes 1° ou 2° de larticle 57 de la Loi. Parmi les renseignements en litige, aucun renseignement concernant la demanderesse ne concerne, en même temps, une autre personne physique. Larticle 88 ne peut donc trouver application. POUR TOUS CES MOTIFS, la Commission ACCUEILLE EN PARTIE la demande de révision ; et ORDONNE à lorganisme de remettre à la demanderesse les feuillets 6, 7.1, 17, 25, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 116, 131 et les parties accessibles des feuillets 7, 14, 15, 16, 20, 21, 24, 35, 35, 37, 38, 117, 129 et 132 telles que ci-après décrites : 7 : masquer les noms, prénoms et dates de naissance de la section E ; 14 : masquer le nom de l « accusé » ; 15 : masquer tous les noms des témoins et suspect des alinéas 7 et 9 sauf celui de linfirmière ; 16 : masquer tous les noms et lieu de résidence des témoins et suspect sauf le nom de linfirmière et des policiers ; 20: masquer le nom et les éléments révélant le sexe du témoin ; 21 : masquer le nom et les éléments révélant le sexe du suspect ; 22 : masquer tout ce qui concerne les témoins 1 et 2 ; 24 : masquer tout ce qui con cerne le témoin 8 et le nom mentionné par le témoin 7 au dernier point de sa déclaration éventuelle ; 35 : masquer le nom et la signature du signataire de la lettre ; 36 : masquer ladresse personnelle du déclarant ; 38 : masquer ladresse personnelle du déclarant ; 117: masquer la section concernant le témoin et la date de naissance du suspect ; 129: masquer la section concernant la deuxième personne citée ; 132: masquer le nom et la profession de la personne mentionnée en première ligne des « commentaires » ; et REJETTE la demande de révision quant au reste.
02 05 74 -9-Québec, le 22 novembre 2002 DIANE BOISSINOT Commissaire Avocat de l'organisme : M e Jonathan Branchaud
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