Commission d'accès à l'information du Québec Dossier : 02 19 18 Date : 2004.07.28 Commissaire : M e Diane Boissinot X Demandeur c. ASSOCIATION DES COURTIERS ET AGENTS IMMOBILIERS DU QUÉBEC Association ou ACAIQ DÉCISION L’OBJET DEMANDE D’EXAMEN DE MÉSENTENTE EN MATIÈRE D’ACCÈS formulée en vertu de l’article 42 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 . [1] Le 11 novembre 2002, le demandeur formule à l’Association la demande d’accès suivante : Access requested in ACAIQ Dossier 9166-15 to all statements which include the term [X], or seller or documents to that effect. [2] Le 14 novembre 2002, par l’intermédiaire de son avocat, l’Association consent à lui remettre les informations et documents que le demandeur a déjà lui-même communiqués au Syndic Pigeon pendant l’enquête de ce dernier. Toutefois, 1 L.R.Q., c. P-39.1, ci après appelée « la Loi sur le privé ».
02 19 18 Page : 2 elle refuse de lui communiquer le reste des informations et documents composant le dossier d’enquête au motif que le dossier est confidentiel en vertu, notamment, de l’article 40 de la Loi. [3] Le 4 décembre 2002, le demandeur requiert la Commission de réviser cette décision de l’Association. [4] Une audience se tient en la ville de Montréal, le 15 avril 2004, au cours de laquelle l’Association présente la requête en irrecevabilité de la demande, requête qu’elle avait annoncée le 17 mars précédent. La Commission suspend l’audience sur le fond du litige, entend la requête irrecevabilité puis délibère sur le bien-fondé de cette requête à compter du 15 avril 2004. L’AUDIENCE A. LE LITIGE [5] La question à déterminer est de savoir si la Commission a compétence pour entendre la demande devant elle en vertu de l’article 122 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 2 : 122. La Commission a pour fonction d'entendre, à l'exclusion de tout autre tribunal, les demandes de révision faites en vertu de la présente loi. La Commission exerce également les fonctions qui lui sont attribuées par la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (chapitre P-39.1). B. LA PREUVE ii) de l’Association Témoignage de monsieur François Pigeon 2 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée la « Loi sur l’accès ».
02 19 18 Page : 3 [6] Monsieur Pigeon est le Syndic de l’Association. Cette association a été créée en vertu des articles 64 à 96 de la Loi sur le courtage immobilier 3 (L.C.I.). [7] Il est d’avis que l’Association est investie de la même mission que celle dévolue aux ordres professionnels, savoir la protection du public, comme le stipule l’article 66 de la L.C.I. : 66. L'Association a pour principale mission d'assurer la protection du public par l'application des règles de déontologie et l'inspection professionnelle de ses membres en veillant, notamment à ce que l'activité de ses membres soit poursuivie conformément à la loi et aux règlements. Elle peut, en outre, dispenser des cours de formation permanente auprès de ses membres et décerner les titres visés à l'article 76. [8] Le respect de la déontologie est prévu par les Règles de déontologie de l’Association des courtiers et agents immobiliers du Québec 4 . [9] Monsieur Pigeon exerce ses pouvoirs de syndic en vertu des articles 119 à 127 de la L.C.I. S’il a des motifs de croire qu’un membre de l’Association a commis une infraction aux dispositions de la L.C.I. ou des règlements d’application de cette dernière, il fait enquête et, s’il y a lieu, porte plainte devant le comité de discipline qui est constitué en vertu des articles 128 à141 de la L.C.I. [10] Le témoin dit que la Loi prévoit que certains actes dits « professionnels » sont réservés aux seules personnes qui sont titulaires d’un certificat de courtier ou d’agent immobilier délivré en vertu de la L.C.I.. Seules ces personnes peuvent être membres de l’Association. Une personne morale peut être titulaire d’un certificat de courtier. [11] Les agents et courtiers sont inspectés par le comité d’inspection professionnelle et de discipline qui est régi par les articles 107 à 118 de la L.C.I.. Si le comité d’inspection professionnelle constate une infraction à la L.C.I ou à l’un de ses règlements, il en avise le syndic. 3 L.R.Q., c. C-73.1, ci-après appelée la « L.C.I. ». 4 C-73.1, r.5.
02 19 18 Page : 4 [12] Le comité de discipline est donc, au sein de l’Association, l’instance ultime chargée de voir à ce que le public soit protégé. Il ajoute que les articles 126 à 161 du Code des professions 5 relatifs à l’introduction et à l’instruction d’une plainte ainsi qu’aux décisions et sanctions la concernant s’appliquent mutatis mutandis aux plaintes que reçoit le comité de discipline. Il rappelle que les décisions du comité de discipline sont sujettes à appel devant la Cour du Québec. [13] Le témoin Pigeon continue son témoignage sur la formation requise des agents et des courtiers ainsi que sur les autres conditions d’exercice de leur profession. [14] Le témoin explique que les ordres professionnels régis par leur loi constitutive et par le Code sont assujettis à la surveillance de l’Office des professions tandis que l’Association est assujettie à la surveillance du Registraire des entreprises (autrefois l’Inspecteur général des institutions financières) aux termes des articles 142 à 155 de la L.C.I. Telle surveillance peut mener à la sanction prévue à l’article 152 L.C.I. qui est assimilable à une tutelle exercée sous le contrôle du Registraire des entreprises : 152. Lorsque l'Association néglige d'exercer les responsabilités qui lui sont conférées par la présente loi, qu'elle agit de telle sorte que la protection du public n'est pas assurée ou que les exigences prévues par la présente loi et les règlements pris pour son application ne sont pas respectées, l'inspecteur général peut exercer tout ou partie des pouvoirs que détient l'Association et lui en interdire l'exercice dans la mesure et pour la durée qu'il détermine. Avant de rendre sa décision, l'inspecteur général doit aviser l'Association et lui donner l'occasion de présenter ses observations. L'Association peut interjeter appel de la décision de l'inspecteur général, dans les 30 jours, auprès de la Cour supérieure. [15] Monsieur Pigeon affirme que le syndic exerce sa fonction de façon totalement autonome à l’intérieur des structures de l’Association. Il affirme que ni le Directeur général de l’Association ni même le conseil d’administration, qui nomme le témoin à son poste, n’interfèrent dans l’exercice de sa fonction de syndic. 5 L.R.Q., c. C-26, ci-après appelé le « Code »
02 19 18 Page : 5 [16] Monsieur Pigeon affirme que le Bureau du syndic ne mène aucune activité économique organisée; le coût de ses activités est plutôt une dépense, une charge pour l’Association. [17] Monsieur Pigeon explique ensuite la composition du bureau du syndic, et élabore son témoignage sur les sujets suivants : le nombre et la nature des dossiers qui sont portés à son attention, le nombre d’enquêtes qu’il mène et le nombre de plaintes qu’il pilote devant le comité de discipline. Le reste de son témoignage touche en partie le fond du litige. ii) du demandeur [18] Le demandeur présente des documents cotés Exhibit 1 à Exhibit 4 et Exhibit 10 à Exhibit 14, dont les cinq derniers tendent à mettre en doute la volonté de l’Association et de son syndic de protéger le public. C. LES ARGUMENTS i) de l’Association [19] L’avocat de l’Association annonce que sa plaidoirie ne vise que les activités du Bureau du syndic de l’Association et partant, seulement les dossiers tenus par ce dernier. [20] La question de savoir si l’Association est un ordre professionnel ou non n’est pas pertinente au présent débat pas plus que ne l’est celle de savoir si les ordres professionnels ou les Associations assimilables aux ordres professionnels sont assujettis à la Loi sur le privé ou non, plaide-t-il. Il s’agit plutôt de savoir si les activités de leur syndic le sont. [21] Dans l’affaire Dupré 6 , le juge Alphonse Barbeau de la Cour supérieure a statué que ni les ordres professionnels ni leur syndic ou leur syndic adjoint ne sont assujettis à la Loi sur le privé. [22] Par ailleurs, la Cour du Québec 7 a statué que l’Association des courtiers d’assurance de la province de Québec, sans statuer sur les fonctions de son comité de surveillance assimilables à celles d’un syndic, est un ordre professionnel et que cet ordre professionnel est assujetti à la Loi sur le privé parce qu’il constitue 6 Dupré c. Comeau, [1997] CAI 459, 465 et 466. 7 Girard c. Association des courtiers d’assurance de la province de Québec, C.Q. Montréal, n° 500-02-031735-967, 27 novembre 1996, juge M.Desmarais.
02 19 18 Page : 6 une entreprise au sens de l’article 1525 du Code civil et de l’article 1 de cette Loi sur le privé : [33] […] L’échange de services au sein d’une communauté professionnelle constitue une activité économique et, par conséquent, remplit cet élément constitutif d’une entreprise d’une façon suffisante. [23] De son côté, dès 1995, la Commission n’avait pas hésité à distinguer les activités du syndic d’un ordre professionnel de celles de son ordre. Ainsi, elle avait statué à deux reprises 8 que les activités des syndics (celui de l’Ordre des pharmaciens du Québec et celui de la Corporation professionnelle des médecins du Québec) sont des entités qui ont pour unique mission la protection du public et qu’à ce titre ils n’exercent aucune activité économique organisée au sens de l’article 1 de la Loi sur le privé. Elle les avait donc exclus de l’application de la loi sur le privé. [24] L’avocat de l’Association admet que la jurisprudence de la Commission à propos de l’Association est contradictoire. En effet, dans l’affaire Rauzon 9 , la Commission a statué que l’Association est une entreprise visée par l’article 1 de la Loi sur le privé tandis qu’elle a décidé du contraire dans l’affaire Bernard 10 . [25] Il souligne cependant que les commissaires Laporte et Grenier n’ont pas spécifiquement analysé les activités, le rôle et la fonction propres au syndic de l’Association ni spécifiquement statué sur la nature de ceux-ci. [26] L’avocat de l’Association invite la Commission à procéder par analogie comme la Cour du Québec le fait dans l’affaire Conseil de presse c. Lamoureux-Gaboury 11 quand elle analyse comparativement des activités du Conseil et celles d’un ordre professionnel et se demander si les activités du syndic de l’Association, son rôle et ses fonctions s’apparentent à ceux d’un syndic d’une corporation professionnelle. 8 Whitehouse, Peter Innes c. Ordre des pharmaciens du Québec, CAI n° 94 09 68, le 1 er septembre 1996, commissaire Laurie Miller rapportée dans CAI [1995] 252; X. c. Corporation professionnelle des médecins du Québec, CAI n° 94 08 70, le 6 octobre 1995, rapportée dans CAI [1995] 245. 9 Rauzon c. Association des courtiers et agents immobiliers du Québec, CAI n° 99 14 81 Montréal, le 5 mai 2000, commissaire Michel Laporte. 10 Bernard c. Association des courtiers et agents immobiliers du Québec, CAI n° 03 03 99 Québec, le 13 février 2004, commissaire Hélène Grenier. 11 C.Q. Montréal, n° 500-02-098411-015, le 17 avril 2003, j. Jean-Pierre Bourduas, rapporté dans [2003] CAI 686 C.Q..
02 19 18 Page : 7 [27] L’avocat de l’Association plaide que la Commission doit répondre par l’affirmative et conclure que le syndic de l’Association comme celui des ordres professionnels a pour seule et unique mission celle de protéger le public 12 . [28] La Commission devrait dès lors trancher dans le sens de ce qui a été décidé spécifiquement pour le syndic des ordres professionnels dans les affaires Dupré 13 , Whitehouse 14 et X c. Corporation professionnelle des médecins du Québec 15 et les exclure de l’application de la Loi sur le privé. [29] L’avocat de l’Association argue donc que les activités et fonctions du syndic de l’Association s’assimilent à celles du syndic de plusieurs ordres professionnels qui ont, lorsque l’analyse a porté spécifiquement sur leurs activités, été exclus de l’application de la Loi sur le privé. [30] L’avocat de l’Association soutient donc que les documents et les renseignements en possession du syndic de l’Association dans l’exercice de ses fonctions ne sont pas des documents ou des renseignements visés par l’article 1 de la Loi sur le privé dans le sens qu’ils ne sont pas recueillis, détenus, utilisés ou communiqués à l’occasion de l’exploitation d’une entreprise au sens de l’article 1525 du Code civil du Québec, mais bien dans un seul et unique but : la protection du public. ii) du demandeur [31] Le demandeur s’oppose à cette position de l’Association. Ainsi peut-on lire ce qui suit aux pages 5 et 6 de ses représentations écrites déposées lors de l’audience du 15 avril 2004 avec les Exhibits 1 à 14 : […] According to the Brokerage Act bylaws, ACAIQ should protect the public. However in practice it protects its brokers and is acting as an enterprising monopoly which had been created and designed to stifle competition. It is a flourishing private sector business whose functional character differs significantly from its mission statements. 12 Farah c. Lalonde es-qualité, C.S. Montréal n° 500-05-042241-982, le 12 avril 1999, juge Yves Mayrand, REJB 99-11979 pages 6/8 à 8/8. 13 Op. cit. supra note 6, paragraphe 31. 14 Op. cit. supra note 8. 15 Ib. id.
02 19 18 Page : 8 Exhibit 14 is an article from Robert Nadeau, Chief Executive Officer of ACAIQ of a 2001-20002 advertising campaign published in ACAIQ magazine, volume 8, page 6 and 7, : 2001. ACAIQ is herein portrayed as a private enterprise which will run “ads in about a dozen selected magazines to promote the professional services of real estate brokers and agents”. « The budget for this advertising campaign is about $500,000, which is not much in this business ». « There are still too many consumers who choose not to go through real estate brokers or agents because they do not see the value and safety of their services. It is up to us to change this perception ». The above legal argument has been presented to show that there is room for re-evaluation of commissioner Grenier’s decision in regards to the function of ACAIQ and to determine if it truly acts in protecting the public. It functions as a private enterprise designed to enhance profitability and its indemnity funds. Any adverse publicity resulting from scrutiny of its perceived function, particularly those of the Syndic would be detrimental to its image as a "“watchdog body". There are no overseers to the function of the Syndic as he is autonomous from the Board of Directors and has no accountability. […] [32] Le demandeur est d’opinion qu’il a démontré que, dans son cas et en général, ni l’Association ni le syndic ne protègent le public. [33] Dans les circonstances, il prie la Commission de conclure que l’Association n’agit pas dans le but de protéger le public, mais dans celui de mener des activités économiques organisées, donc d’exploiter une entreprise, et qu’à cette occasion, elle recueille, détient, utilise et communique des renseignements personnels sur autrui. [34] Il demande donc à la Commission de statuer que sa demande d’examen de mésentente est recevable en vertu de la Loi sur le privé. DÉCISION [35] La Commission souscrit entièrement aux arguments de l’avocat de l’Association et les fait siens. [36] Pour les raisons invoquées par l’avocat de l’Association, la Commission est d’avis qu’il convient de distinguer les activités de l’Association de celles de son syndic.
02 19 18 Page : 9 [37] Les termes que le juge Barbeau emploie dans son jugement concernant l’affaire Dupré (paragraphe 31) semblent confirmer que cette distinction peut être faite : Les syndics et leurs adjoints, indépendants de l’Ordre professionnel lui-même, exercent le rôle décrit à l’article 23 du Code des professions, soit la protection du public : les documents et renseignements qu’ils recueillent dans le cadre d’une enquête disciplinaire sont inhérents à cette mission de protection du public; en leur qualité de représentants de l’État, ils sont assujettis au pouvoir de contrôle des tribunaux supérieurs de droit commun. [38] La Commission n’appliquera pas la jurisprudence plus haut citée où cette distinction n’a pas été faite et où on a plutôt apprécié la nature des activités des ordres, corporations et associations professionnels en général puis statué sur celle-ci. [39] La Commission ne se prononce donc pas sur l’assujettissement de l’Association, mais bien seulement sur celui du syndic de l’Association. [40] En vertu des articles 119 à 127 de la L.C.I., le législateur a conféré au syndic de l’Association des pouvoirs de contrôle et de surveillance des actions ou les omissions des courtiers et des agents sous sa juridiction dans le seul but d’assurer la protection du public contre les écarts de conduite de ceux-ci. [41] La preuve, le libellé des dispositions législatives pertinentes mises de l’avant par le témoin Pigeon ainsi que la jurisprudence spécifique aux syndics convainquent la Commission que le syndic de l’Association agit totalement indépendamment de celle-ci et jouit de l’indépendance nécessaire à l’exercice libre, plein et entier de son rôle visant à protéger le public [42] Rien dans la preuve n’est venu établir que le syndic mène des activités économiques organisées ou exploite une entreprise au sens de l’article 1 de la Loi sur le privé. [43] La Commission conclut donc que les activités du syndic de l’Association au cours desquelles les documents visés par la demande d’accès ont été recueillis ne sont pas exécutées à l’occasion de l’exploitation d’une entreprise au sens de l’article 1525 du Code civil du Québec et de l’article 1 de la Loi sur le privé, mais bien à l’occasion de l’exercice des pouvoirs de contrôle et de surveillance des activités des courtiers et agents, pouvoirs qui lui sont dévolus par les articles 119 à 127 de la L.C.I.. [44] Bref, le syndic de l’Association n’est pas une entreprise au sens de la Loi sur le privé.
02 19 18 Page : 10 [45] En conséquence, la Commission n’a pas compétence pour statuer sur la demande d’examen de mésentente concernant des documents ou des renseignements détenus par le syndic de l’Association. [46] POUR TOUS CES MOTIFS, la Commission DÉCLARE qu’elle n’a pas compétence pour décider de l’accessibilité des documents détenus par le syndic de l’Association; ACCUEILLE la requête en irrecevabilité de la demande d’examen de mésentente; REFUSE D’EXAMINER la demande d’examen de mésentente; et FERME le dossier. Québec, le 28 juillet 2004. DIANE BOISSINOT commissaire Avocat de l’Association ou de l’ACAIQ : M e Marc Gaucher
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