COMMISSION D’ACCÈS À L’INFORMATION DU QUÉBEC Dossier : 1005977-S Nom de l’entreprise : Bell Mobilité Date : 22 novembre 2017 Membre : M e Diane Poitras DÉCISION OBJET REQUÊTE EN RÉTRACTATION DE DÉCISION en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 . [1] À la suite d’une plainte portée contre Bell Mobilité (l’entreprise) concernant la collecte de renseignements personnels qui ne seraient pas nécessaires à l’activation du service clé turbo, la Commission d’accès à l’information (la Commission) a conclu que l’entreprise n’a pas respecté les dispositions de la Loi sur le privé et a rendu l’ordonnance suivante : [27] ORDONNE à l’entreprise de cesser de recueillir le numéro d’assurance sociale, le numéro de permis de conduire ou le numéro de carte de crédit d’une personne pour l’activation du service clé turbo (turbo Hub ou turbo stick) ou pour procéder à une enquête de crédit; [28] ORDONNE à l’entreprise de cesser de refuser un bien ou un service à un client au motif qu’il refuse de lui fournir des renseignements non nécessaires à l’objet du dossier, notamment les numéros indiqués précédemment; [29] ORDONNE à l’entreprise d’informer la Direction de la surveillance de la Commission des mesures prises afin de respecter la présente décision, dans un délai de 60 jours de la réception de la présente décision. 1 RLRQ, c. P-39.1, la Loi sur le privé.
1005977-S Page : 2 [2] Cette ordonnance est rendue après une enquête de la Commission qui a permis de recueillir les faits pertinents à la plainte, notamment la version des faits de l’entreprise. [3] À la suite de cette enquête, un avis d’intention et le rapport d’enquête sont transmis à l’entreprise. Cet avis informe celle-ci que la Commission pourrait rendre l’ordonnance précitée et qu’elle dispose d’un délai de 30 jours pour lui transmettre ses observations écrites ou pour produire des documents afin de compléter son dossier. [4] La Commission ne reçoit aucune nouvelle de l’entreprise dans le délai imparti bien que son dossier indique que l’avis a été reçu. Elle rend donc la décision qui contient l’ordonnance en question et en transmet copie à l’entreprise. [5] Quelques jours plus tard, l’entreprise réalise que l’avis d’intention a été reçu par le sous-traitant qui gère son courrier recommandé, mais qu’il n’a pas été distribué à son destinataire. Considérant que cette situation l’a empêchée de présenter ses observations avant qu’une décision soit rendue, l’entreprise demande à la Commission d’annuler la décision afin de lui permettre de présenter son point de vue. [6] La Commission doit donc décider si elle accueille cette requête. Pour ce faire, elle doit se demander si elle a le pouvoir d’annuler cette décision et, dans l’affirmative, si les faits dans le présent dossier le justifient. ANALYSE La Commission a-t-elle le pouvoir d’annuler sa décision et d’en rendre une nouvelle? [7] D’abord, il importe de préciser que la présente requête vise une décision rendue à l’issue d’un processus de nature administrative de la section de surveillance de la Commission. [8] Ainsi, bien que les observations de l’entreprise au soutien de sa requête aient porté essentiellement sur l’application des conditions donnant ouverture à la rétractation de jugement prévue par le Code de procédure civile 2 , la Commission considère que cette disposition ne s’applique pas en l’espèce. 2 RLRQ, c. C-25.01, art. 345 et l’article 482 de l’ancien Code de procédure civile, c. C-25 (remplacé).
1005977-S Page : 3 [9] Il en est de même de l’article 55 de la Loi sur le privé, également invoqué par l’entreprise. Cette disposition s’applique uniquement dans le contexte des fonctions exercées par la section juridictionnelle, comme en témoigne l’article 41.1 qui se trouve au début de la section de la Loi sur le privé dans laquelle se trouve l’article 55 : 41.1. Les fonctions et pouvoirs de la Commission prévus à la présente section sont exercés par le président et les membres affectés à la section juridictionnelle. [10] La décision et l’ordonnance faisant l’objet de la présente requête ont été rendues en vertu des dispositions de la Loi sur le privé qui prévoient que la Commission peut, au terme d’une enquête, et après avoir fourni à une entreprise l’occasion de présenter ses observations, lui recommander ou lui ordonner toute mesure corrective propre à assurer la protection des renseignements personnels : 81. La Commission peut, de sa propre initiative ou sur la plainte d’une personne intéressée, faire enquête ou charger une personne de faire enquête sur toute matière relative à la protection des renseignements personnels ainsi que sur les pratiques d’une personne qui exploite une entreprise et recueille, détient, utilise ou communique à des tiers de tels renseignements. 83. Au terme d’une enquête relative à la collecte, à la détention, à la communication ou à l’utilisation de renseignements personnels par une personne qui exploite une entreprise, la Commission peut, après lui avoir fourni l’occasion de présenter ses observations, lui recommander ou lui ordonner l’application de toute mesure corrective propre à assurer la protection des renseignements personnels. Elle peut fixer des délais pour l’exécution des mesures qu’elle ordonne. (Nos soulignements) [11] Aucune disposition de cette loi ou de la Loi sur l’accès n’accorde spécifiquement à la Commission le pouvoir de réviser les décisions administratives qu’elle rend à la suite d’une enquête, comme en l’espèce.
1005977-S Page : 4 [12] Toutefois, il est reconnu que le principe de functus officio 3 , applicable aux cours de justice, s’applique de manière plus souple et moins formaliste aux décisions rendues par les tribunaux administratifs 4 . En plus de situations telles que la décision nulle de nullité absolue ou l’omission de se prononcer sur une question qui lui était soumise, la Cour suprême a déjà précisé d’autres situations susceptibles d’entraîner le réexamen d’une décision : Enfin, il serait possible aussi de reconsidérer de façon « plus souple et moins formaliste » une décision « dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit », quand « des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l’intérêt de la justice, afin d’offrir un redressement qu’il aurait par ailleurs été possible d’obtenir par voie d’appel ». 5 [13] Comme l’expriment les auteurs Issalys et Lemieux : Il en ira autrement lorsque la décision rendue est entachée de quelque irrégularité grave ou qu’elle constitue le résultat de la fraude ou de l’erreur grossière. La décision rendue en ces circonstances ne pourra vraisemblablement pas être créatrice de droits pour l’individu et l’on jugera en conséquence que l’organisme auteur de cette décision n’a pas épuisé complètement la discrétion qui lui avait été conférée. La révision deviendra alors possible sans même qu’une disposition législative ne le prévoie. […] La révision pourra aussi permettre à une autorité administrative de remédier à un manquement aux principes de justice naturelle susceptible de rendre son action vulnérable au contrôle judiciaire. Le pouvoir de révision dans un tel cas est implicite et ne nécessite pas d’habilitation spéciale 6 . (Nos soulignements) 3 Principe selon lequel la juridiction d’un organisme est épuisée une fois la décision rendue et qu’il ne peut rouvrir le litige. 4 Chandler c. Alberta Association of Architects, 1989 CanLII 41 (CSC); Voir aussi Patrice Garant, Philippe Garant, Jérôme garant, Précis de droit des administrations publiques, 5 e édition, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 254. 5 Chandler c. Alberta Association of Architects, préc., note 4, p. 862. 6 Pierre ISSALYS et Denis LEMIEUX, L’action gouvernementales-Précis de droit des institutions administratives, 3 e édition, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 208-209.
1005977-S Page : 5 [14] Bref, la Commission considère que certaines circonstances exceptionnelles peuvent l’autoriser à réexaminer une décision rendue par la section de surveillance. [15] Qu’en est-il en l’espèce? Les faits dans le présent dossier justifient-ils le réexamen de la décision par la Commission? [16] D’abord, il importe de souligner que la décision faisant l’objet de la présente requête n’a pas été exécutée ni homologuée par la Cour supérieure. En plus de la présente demande, l’entreprise a interjeté appel de la décision afin de préserver ses droits, ce qui en a suspendu l’exécution. [17] Aussi, la personne qui a porté plainte et dont les renseignements personnels sont à l’origine de l’enquête de la Commission a été avisée du présent recours, bien qu’elle ne soit pas une partie au présent dossier. En effet, les enquêtes de la Commission sont faites selon un mode non contradictoire. La décision rendue par la Commission n’est donc pas créatrice de droit pour la plaignante. Quoi qu’il en soit, cette personne a indiqué à la Commission ne pas avoir d’observations à faire valoir au sujet de la présente requête. [18] Quant à l’entreprise, elle allègue que les principes de justice naturelle n’ont pas été respectés puisqu’elle n’a pas eu l’occasion d’être entendue. Elle soumet qu’elle n’a pas pu prendre connaissance de l’avis d’intention en raison d’une erreur d’un sous-traitant. [19] À ce sujet, elle soumet un affidavit détaillé expliquant les faits révélés par une enquête interne qu’elle a menée afin de comprendre pourquoi l’avis d’intention n’a jamais été reçu par la représentante de l’entreprise. Selon cette enquête, le sous-traitant qui s’occupe de la réception du courrier recommandé puis du triage et de sa distribution au sein de l’entreprise a bel et bien reçu l’avis d’intention transmis par la Commission. Toutefois, cet avis n’a jamais été distribué à son destinataire et semble avoir été égaré. C’est pour cette raison que l’entreprise n’a pas soumis d’observations à la suite de l’avis d’intention. [20] L’entreprise soutient également avoir de bons arguments à faire valoir. Elle invoque l’absence de compétence de la Commission compte tenu de l’inapplicabilité de la Loi sur le privé, celle-ci se considérant assujettie à la compétence du Parlement fédéral, le caractère inopérant de l’article 5 de la Loi sur le privé compte tenu de la doctrine de la prépondérance fédérale et subsidiairement, qu’elle n’a pas contrevenu à la Loi sur le privé.
1005977-S Page : 6 [21] La Commission estime qu’en raison d’une erreur qui ne lui est pas imputable, mais dont l’entreprise a fait la preuve, un manquement à l’équité procédurale s’est produit, en ce que l’entreprise n’a pu faire valoir ses observations à la suite de l’avis d’intention. La décision rendue affecte les droits et les pratiques de l’entreprise. Bien qu’elle ait pu présenter des observations et sa version des faits au stade de l’enquête, elle n’a pu faire valoir ses droits de manière complète et en toute connaissance de cause avant que la décision soit rendue. [22] Les observations qu’elle souhaite soumettre sont sérieuses et n’ont pas été considérées par la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision. Entre autres, la Commission ne s’est pas prononcée sur la question de sa compétence que souhaite soulever l’entreprise. [23] Ces circonstances particulières justifient le réexamen de la décision en l’espèce. CONCLUSION [24] Dans ce contexte, la Commission accepte de réexaminer la décision rendue le 9 février 2015 dans le présent dossier. [25] L’entreprise devra soumettre un résumé de ses observations par écrit. La demande de l’entreprise de faire valoir son point de vue lors d’une rencontre est également accueillie. La Commission communiquera avec l’entreprise afin de fixer cette rencontre. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [26] ACCUEILLE la présente requête; [27] ANNULE la décision rendue le 9 février 2015 par la Commission dans le présent dossier; [28] INVITE l’entreprise à lui transmettre ses observations écrites, dans un délai de 60 jours de la réception de la présente décision, étant convenu que celles-ci pourront être complétées lors d’une rencontre à être fixée par la Commission. « Original signé » Diane Poitras Juge administratif
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