COMMISSION D’ACCÈS À L’INFORMATION DU QUÉBEC
Dossier :
1014444-S
Nom de l’organisme :
Ville de Sherbrooke
Date :
4 juillet 2017
Membre :
M
e
Cynthia Chassigneux
DÉCISION
ENQUÊTE menée par la Commission d’accès à l’information (la Commission) de
sa propre initiative en vertu des articles 122.1 et 123 de la Loi sur l’accès aux
documents des organismes publics et sur la protection des renseignements
personnels
1
.
OBJET
[1] En septembre 2016, plusieurs articles de presse rapportent que la Ville de
Sherbrooke n’aurait pas traité, conformément à la Loi sur l’accès, la demande
d’un journaliste de La Tribune visant à obtenir les listes des contrats d’ingénierie
octroyés par la Ville de Sherbrooke depuis 2007. Cette demande faisait suite à
une demande formulée par un conseiller municipal lors d’une séance ordinaire du
Conseil municipal de la Ville de Sherbrooke du 2 mai 2016.
[2] Certains de ces articles rapportent également que le maire de la Ville de
Sherbrooke aurait « escamoté » la Loi sur l’accès en prenant connaissance des
documents demandés par le conseiller municipal et le journaliste, et ce, avant que
ceux-ci ne leur soient transmis.
ENQUÊTE
[3] À la suite de ces articles, la Commission procède à une enquête de sa
propre initiative conformément aux articles 123 et 129 de la Loi sur l’accès. Cette
enquête, menée par la Direction de la surveillance de la Commission, vise à
1
RLRQ, c. A-2.1, Loi sur l’accès.
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vérifier les pratiques de la Ville de Sherbrooke quant au traitement d’une demande
d’accès à l’information, notamment à l’égard des articles 9 et 47 de la Loi sur
l’accès.
[4] Au cours de l’enquête, deux analystes-enquêteurs de la Direction de la
surveillance de la Commission rencontrent, le 13 octobre 2016, la directrice des
affaires juridique et responsable de l’accès à l’information (la directrice) de la Ville
de Sherbrooke, dans les locaux de l’organisme, à Sherbrooke.
[5] Lors de cette rencontre, la directrice répond aux questions des analystes-
enquêteurs portant essentiellement sur le libellé de la demande formulée par le
journaliste, sur le traitement de celle-ci, sur l’existence ou non des documents
demandés par le journaliste au moment de sa demande, sur l’existence ou non
de motifs de refus, sur le système de classification permettant le repérage des
documents demandés ou encore sur la remise ou non des documents demandés
au journaliste.
[6] La directrice remet également aux analystes-enquêteurs plusieurs
documents, dont la demande formulée par le journaliste, les différents avis et
documents qui lui ont été transmis, ainsi que les sommaires décisionnels du
Conseil municipal ou encore le procédurier de traitement des demandes d’accès
à l’information de la Ville de Sherbrooke.
[7] Le 13 avril 2017, à la demande de la Commission, les deux analystes-
enquêteurs de la Direction de la surveillance rencontrent le maire de la Ville de
Sherbrooke et son directeur de cabinet. Cette rencontre vise à obtenir la version
des faits du maire de la Ville de Sherbrooke quant à son implication dans le
processus sous enquête.
[8] Tout d’abord, le maire précise qu’il ne joue aucun rôle dans le processus
de traitement des demandes d’accès aux documents adressées à la Ville de
Sherbrooke. Il indique qu’il s’agit d’un processus administratif et indépendant
exercé, par voie de délégation
2
, par les services juridiques de la Ville de
Sherbrooke.
[9] Il précise également le contexte de la demande formulée par le conseiller
municipal. Il mentionne que cette demande présente un aspect politique
susceptible de mettre en cause l’intégrité et la probité des employés de la Ville de
Sherbrooke qui étaient responsables du processus d’analyse des appels d’offres
au cours des dix dernières années.
2
Loi sur l’accès, article 8 alinéa 2.
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[10] Il précise qu’au lendemain de cette demande, faite lors d’une séance
ordinaire du Conseil municipal, le Comité exécutif, dont il est membre, décide de
documenter la réponse à donner au conseiller municipal. Il précise qu’il est
d’usage que le Comité exécutif se rencontre le lendemain d’une séance du
Conseil municipal pour discuter des suites à donner aux demandes faites lors
d’une telle séance et dont la réponse n’a pu être donnée séance tenante, comme
en l’espèce.
[11] Il indique que lors de cette rencontre, le Comité exécutif a demandé aux
services administratifs de la Ville de Sherbrooke de procéder à la collecte des
informations pertinentes quant à l’octroi des contrats d’ingénierie par la Ville
depuis 2007. Il mentionne que les résultats de cette collecte ont été présentés au
Comité exécutif qui a demandé, à plusieurs reprises, des précisions. Il admet que
cela a occasionné des délais.
[12] Il indique aussi que comme il s’agissait d’une demande émanant d’un
conseiller municipal faite au cours d’une séance du Conseil municipal, le Comité
exécutif a décidé de déposer les documents demandés lors de la dernière séance
du Conseil municipal avant l’ajournement d’été des travaux. Toutefois, comme le
conseiller municipal à l’origine de la demande a fait savoir qu’il ne serait pas
présent, par égard pour lui, le Comité exécutif a décidé de ne déposer les
documents qu’à la reprise, soit en septembre.
[13] Le maire de la Ville de Sherbrooke précise que ce n’est qu’en septembre
qu’il a appris l’existence de la demande formulée par le journaliste, lorsque ce
dernier l’a appelé pour savoir pourquoi cela avait pris autant de temps avant qu’il
obtienne la liste des contrats octroyés à des firmes d’ingénierie depuis 2007 par
la Ville de Sherbrooke.
ANALYSE
[14] La Ville de Sherbrooke est un organisme public, plus particulièrement un
organisme municipal
3
auquel s’applique la Loi sur l’accès. Pour déterminer si la
Ville de Sherbrooke a respecté les dispositions de cette loi, la Commission a pris
connaissance des réponses et des documents déposés par la directrice lors de
la rencontre du 13 octobre 2016, ainsi que des réponses données par le maire de
la Ville de Sherbrooke lors de la rencontre du 13 avril 2017.
[15] À la lumière des éléments de preuve recueillis par sa Direction de la
surveillance, la Commission constate qu’il existe deux demandes : une formulée
3
Loi sur l’accès, articles 3 et 5.
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par le conseiller municipal lors de la séance du Conseil municipal du 2 mai 2016
et une formulée par le journaliste à la directrice le 5 mai 2016.
[16] La Commission constate également que ces deux demandes ont été
traitées séparément : la première l’a été par le Comité exécutif de la Ville de
Sherbrooke, la seconde par les services de l’accès à l’information de la Ville.
La demande formulée par le conseiller municipal et traitée par le Comité exécutif
[17] Au regard des éléments recueillis par sa Direction de la surveillance,
notamment du tableau chronologique joint au Sommaire décisionnel déposé lors
de la séance du Conseil municipal du 19 septembre 2016 (tableau chronologique
du 19 septembre 2016), la Commission constate que :
-
le 2 mai 2016, un conseiller municipal demande, lors d’une séance
ordinaire du Conseil municipal
4
, que les listes des contrats octroyés à des
firmes d’ingénierie depuis 2007 par la Ville de Sherbrooke soient
déposées;
-
le 3 mai 2016, le Comité exécutif donne mandat au Service des affaires
juridiques et au Service de l’approvisionnement et des équipements de la
Ville de Sherbrooke de préparer lesdites listes;
-
le 17 mai 2016, les listes sont déposées au Comité exécutif. Toutefois, les
membres de ce comité demandent à ce que des précisions soient
apportées et ce n’est que le 4 juillet 2016 que les membres de ce comité
se déclarent satisfaits des différents documents produits afin de compléter
les listes des contrats demandées;
-
le 4 juillet 2016, il est demandé d’inscrire le dépôt des listes des contrats
d’ingénierie à la séance, du 12 août 2016, du Comité plénier public de la
Ville de Sherbrooke. Toutefois, lors de la préparation de l’ordre du jour, il
est constaté que le conseiller municipal a annoncé son absence à cette
réunion. Il est donc décidé de reporter le dépôt des listes à la prochaine
séance, soit celle du 6 septembre 2016;
-
le 6 septembre 2016, les listes des contrats d’ingénierie et les documents
complémentaires sont déposés et rendus publics lors de la séance du
Comité plénier de la Ville de Sherbrooke.
4
Les documents de cette séance, ainsi que ceux d’autres séances, sont accessibles sur le site
de la Ville de Sherbrooke à l’adresse suivante : https://www.ville.sherbrooke.qc.ca/mairie-et-
vie-democratique/conseil-municipal/seances-du-conseil/.
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[18] Par ailleurs, la Commission comprend, comme mentionné dans le
Sommaire décisionnel déposé lors de la séance du Conseil municipal du
19 septembre 2016, que :
« [l]es deux demandes ont été traitées avec toute la
transparence requise tant par les services municipaux que par
le comité exécutif afin de répondre le mieux possible à la
demande politique formulée et à transmettre l’information au
conseiller et au [journaliste].
En aucun temps, les listes de base produites par le Service des
affaires juridiques en mai 2016 n’ont été modifiées par les
personnes impliquées. Une liste complémentaire compilant les
totaux des contrats par firme et une analyse ont été jugées
nécessaires par le comité exécutif pour répondre adéquatement
à la demande du conseiller. Le délai de réponse résulte en
grande partie du temps de compilation et d’analyse des
données, de la période des vacances et du nombre limité à une
par mois des séances du conseil municipal en juillet et en août. »
[19] Elle comprend également que le maire de la Ville de Sherbrooke, avec le
Comité exécutif, a traité la demande du conseiller municipal et non celle du
journaliste.
[20] Partant, la Commission considère qu’il ne lui revient pas de se prononcer
sur le traitement par le Comité exécutif de la Ville de Sherbrooke de la demande
formulée par le conseiller municipal lors d’une séance du Conseil municipal et
pour laquelle la réponse n’a pu être donnée séance tenante puisqu’elle exigeait
la production d’un nouveau document. De plus, cette demande n’était pas
formulée en vertu de la Loi sur l’accès.
La demande formulée par le journaliste et traitée par le service de l’accès à
l’information
[21] Au regard des éléments recueillis par sa Direction de la surveillance,
notamment le tableau chronologique du 19 septembre 2016, la Commission
constate que :
-
le 5 mai 2016, le journaliste adresse un courriel à la directrice qui se lit
comme suit :
Bonjour,
J’ai demandé au service des communications s’il était possible
d’obtenir la liste de contrats d’ingénierie octroyés par la Ville
depuis 2007, tel que demandé par [le conseiller municipal] au
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dernier conseil municipal. On m’a dit de vous acheminer un
courriel pour que vous puissiez m’ajouter sur la liste d’envoi
quand le document sera prêt.
Alors j’aimerais être ajouté à cette liste si c’est possible.
Bonne journée.
[Notre soulignement]
-
le 5 mai 2016, la directrice demande à ce que le nom du journaliste soit
ajouté à la liste des personnes à qui faire parvenir les listes des contrats
d’ingénierie demandées par le conseiller municipal lors de la séance du 2
mai 2016. Elle lui répond de la façon suivante :
Bonjour […],
On te met sur la liste pour la liste.
Tu recevras probablement une réponse officielle en vertu de la
Loi sur l’accès.
Bonne journée.
-
le 6 mai 2016, le substitut de la directrice envoie une lettre au journaliste
pour l’aviser de la réception de sa demande et que celle-ci allait être traitée
dans les 20 jours conformément à la Loi sur l’accès. Cette lettre est
accompagnée d’une description des recours susceptibles d’être intentés
devant la Commission en cas de refus ou dans le cas où le délai prévu
pour répondre est expiré;
-
le 25 mai 2016, le substitut de la directrice transmet une lettre au journaliste
prolongeant le délai pour répondre de 10 jours conformément à la Loi sur
l’accès;
-
le 6 juin 2016, le substitut de la directrice adresse une lettre au journaliste
l’informant que la Ville de Sherbrooke est dans l’impossibilité de répondre
à sa demande dans les délais prescrits par la Loi sur l’accès, mais que
l’organisme entend y répondre dans les prochains jours. Cette lettre se lit
comme suit :
Monsieur […]
Par la présente, nous vous informons que nous sommes dans
l’impossibilité de répondre à votre demande décrite en titre dans
les délais prescrits par la Loi sur l’accès aux documents des
organismes publics et sur la protection des renseignements
personnels (R.L.R.Q., chapitre A-2.1).
Veuillez prendre note que l’absence de réponse de notre part ne
signifie pas, en ce qui nous concerne, un refus de la part de la
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Ville de Sherbrooke de vous donner accès aux documents
demandés.
Soyez assuré que nous donnerons suite à votre demande dans
les prochains jours.
Espérant le tout à votre satisfaction, nous vous prions, […],
d’accepter nos salutations les plus distinguées.
-
le 6 septembre 2016, comme indiqué précédemment, les listes des
contrats d’ingénierie et les documents complémentaires sont déposés et
rendus publics lors de la séance du Comité plénier;
-
le 7 septembre 2016, le substitut de la directrice fait parvenir une lettre
accompagnée des listes des contrats d’ingénierie et des documents
complémentaires au journaliste. Cette lettre se lit comme suit :
Monsieur […],
Nous avons analysé votre demande d’accès relativement au
sujet mentionné en titre.
Nous vous transmettons sous pli les documents détenus par la
Ville de Sherbrooke en lien avec votre demande.
En vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes
publics et sur la protection des renseignements personnels,
R.L.R.Q., c. A-2.1, vous trouverez ci-joint un avis vous informant
des recours prévus aux chapitres IV et V de la loi si vous désirez
faire réviser notre décision et notamment des délais pendant
lesquels ces recours peuvent être exercés.
Nous espérons que les renseignements transmis répondent à
votre demande et nous vous prions d’agréer, Monsieur […], nos
salutations distinguées.
[22] À la lumière de ces faits, plus particulièrement à la lecture du courriel du 5
mai 2016 adressé à la directrice par le journaliste, la Commission est d’avis que
cette requête s’apparente davantage à une demande d’être ajouté à une liste de
diffusion et non à une demande d’accès telle que prévue à l’article 9 de la Loi sur
l’accès.
[23] Au surplus, la Loi sur l’accès prévoit qu’elle ne s’applique qu’aux
documents détenus par un organisme public.
1. La présente loi s’applique aux documents détenus par un
organisme public dans l’exercice de ses fonctions, que leur
conservation soit assurée par l’organisme public ou par un tiers.
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Elle s’applique quelle que soit la forme de ces documents :
écrite, graphique, sonore, visuelle, informatisée ou autre.
[24] Or, à la lumière des éléments contenus dans le tableau chronologique du
19 septembre 2016 reproduit aux paragraphes 17 et 21 de la présente décision,
la Commission considère que le 5 mai 2016, soit le jour où le journaliste a
demandé à être ajouté à la liste d’envoi, le document demandé n’existait pas.
[25] En effet, le Service des affaires juridiques et le Service de
l’approvisionnement et des équipements de la Ville de Sherbrooke n’ont
commencé à colliger l’information en vue de préparer les listes demandées par le
conseiller municipal qu’au lendemain de la rencontre du Comité exécutif qui s’est
tenue le 3 mai 2016.
[26] La Commission constate néanmoins que la directrice a demandé à son
service de l’accès à l’information de traiter la requête du journaliste afin d’en
faciliter le suivi.
Extrait du tableau chronologique du 19 septembre 2016,
« [il] n’était pas évident que ce courriel [c.-à-d. celui du journaliste]
était comme tel une demande d’information à traiter en vertu de
la Loi sur l’accès puisqu’elle était liée à une demande qui ne l’était
pas.
J’ai [c.-à-d. la directrice] demandé qu’on lui réponde quand même
selon le processus usuel d’accès, car c’est notre meilleur
système de suivi des demandes d’information et au cas où la
réponse [au conseiller municipal] serait donnée à huis clos ou
personnellement et non en séance publique ».
[27] Ceci a eu pour effet de créer une ambiguïté au niveau de la compréhension
du mode de traitement alloué à la demande du journaliste.
[28] Par conséquent, la Commission estime approprié d’inviter la Ville de
Sherbrooke à clarifier son système de gestion des demandes d’accès afin d’éviter
toute confusion dans le traitement des différents types de demandes qui lui sont
formulées, notamment lorsqu’une telle demande vise plutôt, comme en l’espèce,
à être mise sur une liste d’envoi.
[29] La Commission rappelle, en effet, que la Loi sur l’accès prévoit plusieurs
éléments inhérents à la procédure d’accès, notamment quant aux actions que doit
poser le responsable de l’accès aux documents et de la protection des
renseignements personnels, au délai pour répondre à une demande d’accès, à la
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forme de la réponse ou encore aux conséquences découlant de l’absence de
réponse dans les délais prescrits
5
.
[30] La Ville de Sherbrooke doit donc veiller à clarifier son système de gestion
des demandes d’accès afin d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise.
CONCLUSION
[31] Considérant l’ensemble du dossier, la Commission considère qu’elle n’a
pas à se prononcer sur le traitement par le Comité exécutif de la Ville de
Sherbrooke de la demande formulée par le conseiller municipal.
[32] La Commission considère également que, comme la Loi sur l’accès ne
s’applique pas, elle n’a pas à se prononcer sur la demande formulée par le
journaliste, car celle-ci ne constitue pas une demande d’accès.
[33] La Commission ferme donc le présent dossier.
[34] Toutefois, la Commission invite la Ville de Sherbrooke à clarifier son
système de gestion des demandes d’accès afin d’éviter qu’une telle situation ne
se reproduise.
« Original signé »
Cynthia Chassigneux
Juge administratif
5
Loi sur l’accès, article 46 et suivants.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.