Montréal, le 19 octobre 2016
Madame
Madame
Agent de protection de la vie privée
Directrice des affaires juridiques
Bureau canadien de la gestion de risques
LA BAIE D’HUDSON
CAPITAL ONE
698, avenue Lawrence Ouest
5140, Yonge Street, bureau 1900
Toronto (Ontario) M6A 3A5
Toronto (Ontario) M2N 6L7
Objet : Plainte à l’endroit de la banque Capital One et de La Baie d’Hudson
N/Réf. : 1004354
_______________________________________________________________
Mesdames,
(le plaignant) a porté plainte à la Commission d’accès à
l’information (la Commission) à l’endroit de la banque Capital One et de La Baie
d’Hudson (La Baie). Il s’interroge sur la nécessité pour ces entreprises de recueillir
des renseignements personnels d’identité non nécessaires le concernant lors
d’une demande de carte de crédit HBC, notamment son numéro de passeport et
le numéro de sa carte d’identité nationale tunisienne. Il s’interroge également sur
les règles relatives à la conservation et à l’utilisation des renseignements
personnels que contient le formulaire de demande de carte de crédit dans la
mesure où elle lui a été refusée.
À la suite de cette plainte, la Commission a procédé à une enquête, conformément
à l’article 81 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le
secteur privé
1
. L’enquête de la Commission révèle les faits suivants.
L’ENQUÊTE
Peu de temps après son arrivée au Québec, le plaignant se voit offrir par une
employée à la caisse d’un magasin La Baie, lors d’un achat, de faire une demande
de carte de crédit. L’employée lui mentionne qu’il pourrait bénéficier de certains
rabais.
1
RLRQ, c. P-39.1, la Loi sur le privé.
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N/Réf. : 1004354
2
Le plaignant lui explique que des banques ont refusé de lui accorder une carte de
crédit compte tenu de son statut de nouvel arrivant au Québec. L’employée lui
répond qu’il peut à tout le moins essayer et faire une demande.
Le plaignant complète donc un formulaire de demande de carte de crédit de la
banque Capital One. Ce formulaire comprend ses coordonnées, le nom de son
employeur et sa profession, de même que des renseignements d’identification,
soit le type de pièce d’identité consulté (choix de case à cocher parmi une liste),
la province ou le territoire de délivrance de cette pièce et le numéro qui y est inscrit.
L’employée doit apposer son nom, un numéro de référence et ses initiales pour
confirmer qu’elle a vérifié l’identité de la personne.
Le plaignant a indiqué son numéro de passeport étranger. L’employée de La Baie
lui a demandé de présenter un second document, soit sa carte d’identité nationale
tunisienne. Elle a ajouté ce numéro sur le formulaire, bien qu’un seul espace soit
prévu pour inscrire le numéro d’une pièce d’identité.
La demande de carte de crédit du plaignant est refusée. Il demande alors de
récupérer le formulaire contenant ses renseignements personnels ou de le
détruire. L’employée l’informe qu’elle doit le conserver et le transmettre à ses
supérieurs.
Pour sa part, Capital One considère que la collecte des renseignements d’identité
dans le contexte d’une demande de carte de crédit est nécessaire à l’exercice
normal de leurs activités commerciales et conforme aux dispositions de la loi,
notamment la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement
des activités terroristes
2
, en vertu de laquelle les institutions financières doivent
confirmer l’identité de la personne à qui le crédit est octroyé.
Cette entreprise ajoute que le choix de la pièce d’identité revient au client qui peut
choisir parmi plusieurs documents officiels, dont le permis de conduire (canadien),
un passeport (canadien ou étranger), une carte d’assurance maladie, une carte
citoyenneté canadienne, un extrait de naissance, etc. Cette liste est indiquée au
formulaire utilisé par Capital One pour l’obtention d’une carte de crédit que le client
peut notamment utiliser dans les magasins de la chaîne La Baie d’Hudson. Une
copie du formulaire complété par le plaignant est transmise à l’enquêteur par
Capital One.
2
L.C. 200, ch. 17.
… 3
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3
La politique de Capital One régissant la confidentialité, la sécurité, la collecte,
l’utilisation et l’échange de renseignements personnels pour les demandes de
crédit prévoit que les formulaires de demande de carte de crédit sont conservés
afin de déterminer la pertinence des produits et services à offrir aux clients selon
leurs besoins et leurs intérêts.
Toutefois, lorsqu’une demande est rejetée, comme dans le cas présent, Capital
One n’utilise pas les renseignements personnels contenus sur le formulaire de
demande, sauf dans les situations suivantes:
Lorsqu’il est nécessaire d’y référer pour une demande d’information du
client ou d’une autre nature, comme dans le cadre de l’enquête de la
Commission;
Dans l’éventualité d’une future commercialisation de produits de Capital
One.
Cette politique prévoit également que dans les 30 jours suivant l’ouverture du
compte, le nom du consommateur n’est pas ajouté à la liste de campagne de
marketing de tierces parties. Si le consommateur ne souhaite pas que ses
renseignements soient utilisés aux fins de commercialisation secondaire, la
personne concernée doit communiquer avec un représentant au service des
Relations avec les clients. L’entreprise affirme que les renseignements personnels
concernant le plaignant, particulièrement les renseignements relatifs à la
vérification de son identité, ne seront pas utilisés à quelque fin que ce soit.
En matière de confidentialité et de sécurité des renseignements personnels, la
politique prévoit que Capital One a mis en place différentes mesures de protection
telles que la sécurisation des lieux (accès restreint aux établissements), le
chiffrement des données et
des pratiques commerciales sécuritaires
(authentification des clients qui appellent). L’accès aux renseignements
personnels est limité aux seules personnes qui en ont besoin pour fournir des
produits et services aux clients.
En réponse à une demande de complément d’information de l’enquêteur,
Capital One répond qu’à titre d’entreprise fédérale, elle relève de la compétence
exclusive du Parlement fédéral et que la plainte aurait dû être adressée au
Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Elle refuse donc de
répondre aux questions supplémentaires qui lui sont adressées.
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4
En ce qui concerne La Baie, l’enquête révèle qu’elle ne conserve aucun
renseignement contenu dans une demande de crédit rejetée. Elle envoie la
demande de crédit rejetée à Capital One et aucune copie de la demande n’est
conservée. Ses employés sont informés ne pas détruire les demandes de crédit
rejetées et de les remettre à Capital One, comme le prévoit une directive de cette
dernière.
La Baie confirme qu’elle ne conserve aucun renseignement au sujet du plaignant
et qu’elle n’a pas utilisé les renseignements contenus au formulaire de demande
de crédit du plaignant. Elle affirme que son employé n’a pas indiqué au plaignant
que l’entreprise se servirait de ses renseignements, mais lui aurait plutôt dit qu’il
ne pouvait ni lui remettre le formulaire de demande ni le détruire puisque ce dernier
devait être envoyé à Capital One.
ANALYSE
La Commission doit déterminer si la collecte des renseignements d’identité du
plaignant et leur conservation sont conformes à la Loi sur le privé.
Avant de se faire, elle précise qu’elle considère que Capital One est assujettie à
la Loi sur le privé.
En effet, selon l’article 1 de cette loi, celle-ci s’applique à toute personne qui
recueille, détient, utilise ou communique à des tiers des renseignements
personnels, à l’occasion de l’exploitation d’une entreprise au sens de l’article 1525
du Code civil du Québec
3
. Cette dernière disposition prévoit que l’exercice, par
une ou plusieurs personnes, d’une activité économique organisée, consistant dans
la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou
dans la prestation de services, constitue l’exploitation d’une entreprise.
À la lumière des informations au dossier de la Commission, l’entreprise offre
notamment, au Québec, des services bancaires et de cartes de crédit.
Elle exerce, au Québec, une activité économique organisée de nature
commerciale qui consiste à offrir des services financiers bancaires et de cartes de
crédit. Il s’agit donc d’une entreprise au sens de l’article 1525 du C.c.Q. L’exercice
de cette activité économique implique la collecte, la conservation, l’utilisation et la
3
RLRQ, c. CCQ-1991, le C.c.Q.
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5
communication de renseignements personnels, comme en témoigne notamment
le formulaire de demande de crédit au dossier.
Enfin, aucun élément au dossier ne permet à la Commission de conclure que les
règles relatives à la collecte de renseignements personnels entravent le plein
exercice de la compétence fédérale en matière de banques. L’entreprise n’a pas
davantage démontré qu’il existe un conflit entre la loi fédérale et la loi provinciale
visant la protection des renseignements personnels applicables en matière de
collecte de renseignements personnels, dans le cadre du présent dossier.
Selon les décisions récentes de la Cour suprême
4
, il faut favoriser une
interprétation visant la conciliation des lois provinciales et fédérales applicables à
une situation donnée, surtout lorsque les deux lois poursuivent par des moyens
semblables, le même objet et la même finalité.
La Loi sur le privé et la Loi sur la protection des renseignements personnels et des
documents électroniques
5
visent le même objectif, soit la protection des
renseignements personnels et, par conséquent, la protection du public.
Collecte des renseignements
Selon la Loi sur le privé, une entreprise peut recueillir uniquement les
renseignements personnels nécessaires à l’objet d’un dossier :
5. La personne qui recueille des renseignements personnels
afin de constituer un dossier sur autrui ou d’y consigner de tels
renseignements ne doit recueillir que les renseignements
nécessaires à l’objet du dossier.
À la lumière des éléments révélés par l’enquête et des documents au dossier, la
Commission conclut que le formulaire de demande de crédit utilisé par Capital One
et La Baie permet de recueillir uniquement les renseignements nécessaires à
l’objet du dossier, soit l’émission ou non d’une carte de crédit.
Selon la réglementation relative à la lutte contre le recyclage des produits de la
criminalité et le financement des activités terroristes, Capital One a l’obligation de
recueillir certains renseignements lors de l’ouverture d’un compte de carte de
4
Voir notamment : Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55; Banque canadienne de
l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22.
5
L.C. 2000, ch. 5, LPRPDE.
… 6
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6
crédit, dont les renseignements d’identification, la date de naissance du client et
sa profession
6
.
L’entreprise doit aussi vérifier l’identité du client de la manière prévue par cette
réglementation. Le Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le
financement des activités terroristes prévoit :
64 (1) Dans les cas prévus aux articles 53, 53.1 et 54, à l’alinéa
54.1a) [carte de crédit] et aux articles 55, 56, 57, 59, 59.1, 59.2,
59.3, 59.4, 59.5, 60 et 61, l’identité de la personne est vérifiée :
a) en se rapportant à un document d’identité délivré par le
gouvernement fédéral ou un gouvernement provincial ou un
gouvernement étranger autre que municipal, contenant le
nom et la photographie de la personne et en confirmant que
ce nom et cette photographie sont ceux de la personne;
b) en se rapportant à des renseignements sur la personne
que la personne ou l’entité qui effectue la vérification reçoit,
sur demande, d’un organisme gouvernemental fédéral ou
provincial — ou d’un mandataire d’un tel organisme —
autorisé au Canada à vérifier l’identité des personnes et en
confirmant que les nom et adresse ou les nom et date de
naissance compris dans ces renseignements sont ceux de
la personne;
c) en se rapportant à des renseignements figurant au
dossier de crédit de la personne — si ce dossier est situé
au Canada, ce dossier devant exister depuis au moins trois
ans — et en confirmant que les nom, adresse et date de
naissance compris dans le dossier de crédit sont ceux de
la personne;
d) […]
6
Art. 14.1 du Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des
activités terroristes, DORS/2002-184, en ligne : http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/reglements/DO
RS-2002-184/page-4.html#docCont, consulté le 13 octobre 2016.
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7
(2) Les vérifications sont effectuées :
[…] b.2) dans le cas prévu à l’alinéa 54.1a), avant
l’activation de toute carte de crédit; […]
À l’époque de la plainte, ce règlement énumérait diverses pièces d’identité
reconnues, dont le certificat de naissance, le permis de conduire, la carte
d’assurance maladie provinciale (si un tel usage n’est pas interdit aux termes de
la loi provinciale applicable), le passeport ou tout document semblable.
Pour sa part, la Ligne directrice 6G : Tenue de documents et identification des
clients – Entités financières émise par le Centre d’analyse des opérations et
déclarations financières du Canada (CANAFE)
7
prévoit :
3.12 Documents concernant la vérification de l’identité
[…]
Documents d’identification
Si vous utilisez un document d’identification pour vérifier
l’identité de la personne, le dossier doit préciser le type de
document que vous avez utilisé à cette fin, son numéro de
référence et son lieu de délivrance. […]
4.12 Comment vérifier l’identité d’une personne
Voir le paragraphe 3.12 pour obtenir de l’information
supplémentaire sur ce que doit contenir un document lorsque
vous devez vérifier l’identité d’une personne.
Aux fins décrites dans la présente ligne directrice, on peut
vérifier l’identité d’une personne au moyen de l’un des
documents suivants : du certificat de naissance, du permis de
conduire, du passeport, de la fiche d’établissement, de la carte
de résident permanent ou d’un autre document semblable.
Vous pouvez utiliser la carte d’assurance-maladie provinciale
de l’individu, à moins qu’une loi provinciale ou territoriale ne
vous en empêche. […] [nos soulignements]
7
Février 2014, en ligne : http://www.canafe.gc.ca/publications/guide/Guide6/6G-fra.asp#s3-12,
consultée le 7 octobre 2016, la Ligne directrice 6G.
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N/Réf. : 1004354
8
Le formulaire de Capital One complété par le plaignant prévoit que l’employé de
La Baie doit vérifier l’identité du client en demandant de voir l’une des pièces qui
y est énumérée. L’employé doit cocher la case correspondant à la pièce vérifiée
et noter le numéro de la pièce et la province ou le territoire de délivrance. Le
formulaire ne prévoit qu’un seul espace pour indiquer un numéro de pièce. Il ne
prévoit donc que la collecte des renseignements contenus sur une seule pièce
d’identité, conformément à ce que requiert la réglementation applicable.
Cette réglementation et les lignes directrices adoptées en lien avec celle-ci
indiquent qu’il est parfois requis, dans certaines circonstances particulières, de
prendre des mesures d’identification supplémentaires. C’est notamment le cas
lorsque l’identité de la personne ne peut être établie avec certitude à partir d’un
seul document ou que le risque évalué de recyclage de produits de la criminalité
ou d’activités terroristes est tout sauf minime. En l’espèce, aucun élément du
dossier ne vient préciser si l’employé de La Baie a considéré être en présence
d’une de ces situations.
Il semble plutôt que la collecte du numéro d’une seconde pièce d’identité, soit le
numéro de la carte d’identité tunisienne du plaignant, ait été une initiative de
l’employé de La Baie qui a vérifié son identité. Puisque rien au dossier n’indique
qu’il s’agit d’une pratique habituelle des employés de La Baie pour toute demande
de carte de crédit, la Commission n’émet pas d’ordonnance.
Toutefois, dans la mesure où La Baie, agissant pour le compte de Capital One, ne
peut recueillir que les renseignements nécessaires à l’objet du dossier, la
Commission l’invite à rappeler régulièrement à ses employés qu’ils ne doivent pas
recueillir plus de renseignements que ceux requis dans le formulaire de demande
de crédit.
Conservation des renseignements
En ce qui concerne la conservation du formulaire de demande de carte de crédit
du plaignant, l’enquête révèle que La Baie ne le détient plus; elle l’a envoyé à
Capital One. La Baie confirme qu’elle ne conserve aucun renseignement au sujet
du plaignant et qu’elle n’a pas utilisé les renseignements contenus au formulaire
de demande de crédit du plaignant.
… 9
N/Réf. : 1004354
9
Quant à Capital One, la réglementation précitée prévoit qu’elle a l’obligation de
conserver toute demande de crédit, même celles qui ont été rejetées :
14.1 Sous réserve du paragraphe 62(2), toute entité financière
doit, pour chaque compte de carte de crédit qu’elle ouvre, tenir
les documents et renseignements suivants :
[…] e) toutes les demandes de carte de crédit qu’elle reçoit du
client dans le cours normal de ses activités; […]
Ainsi, elle doit conserver les renseignements contenus au formulaire de demande
de carte de crédit du plaignant. Elle peut les utiliser conformément aux
dispositions suivantes de la Loi sur le privé :
12. L’utilisation des renseignements contenus dans un dossier
n’est permise, une fois l’objet du dossier accompli, qu’avec le
consentement de la personne concernée, sous réserve du délai
prévu par la loi ou par un calendrier de conservation établi par
règlement du gouvernement.
13. Nul ne peut communiquer à un tiers les renseignements
personnels contenus dans un dossier qu’il détient sur autrui ni
les utiliser à des fins non pertinentes à l’objet du dossier, à
moins que la personne concernée n’y consente ou que la
présente loi ne le prévoie.
CONCLUSIONS
L’enquête de la Commission ne permet pas de conclure que Capital One a
contrevenu aux dispositions de la Loi sur le privé concernant la collecte, l’utilisation
ou la conservation de renseignements personnels dans le contexte du présent
dossier.
Quant à La Baie, l’enquête démontre qu’elle a recueilli des renseignements non
nécessaires à la demande de carte de crédit, soit le numéro contenu sur deux
pièces d’identité du plaignant alors qu’un seul était requis. Toutefois, dans la
mesure où rien n’indique qu’il s’agit d’une pratique habituelle de l’entreprise,
qu’elle ne détient plus ces renseignements et qu’elle ne les a pas utilisés, la
Commission n’émet pas d’ordonnance. Elle invite La Baie à rappeler régulièrement
à ses employés qu’ils ne doivent pas recueillir plus de renseignements que ceux
requis dans le formulaire de demande de crédit de Capital One.
… 10
N/Réf. : 1004354
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À la lumière de ces conclusions, la Commission ferme le présent dossier.
Diane Poitras
Juge administratif
c. c.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.