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COMMISSION DACCÈS À LINFORMATION DU QUÉBEC Dossier : 061063 Nom de lentreprise : Banque Nationale du Canada Date : 28 septembre 2016 Membre : M e Diane Poitras DÉCISION OBJET ENQUÊTE en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 . [1] À la suite dune plainte de Madame et de Monsieur (les plaignants), la Commission daccès à linformation (la Commission) a procédé à une enquête, conformément à larticle 81 de la Loi sur le privé, concernant la collecte de renseignements personnels par la Banque Nationale du Canada (lentreprise). LES FAITS [2] Selon les informations obtenues lors de cette enquête, les plaignants ont formulé une demande de crédit pour lachat dune piscine. Cette demande a été complétée chez le détaillant, mais visait lobtention dun prêt auprès de lentreprise. [3] Dans le cadre de cette demande, le numéro dassurance sociale, le numéro dassurance maladie et le numéro de permis de conduire des deux plaignants ainsi que les avis de cotisations des deux ou trois années précédant la demande de crédit dun des plaignants ont été exigés par le détaillant qui agissait au nom de lentreprise aux fins du financement de lachat. 1 RLRQ, c. P-39.1, la Loi sur le privé.
061063 Page : 2 [4] Si ces identifiants nétaient pas fournis, le prêt était refusé. Les plaignants ont donc fourni les renseignements didentité demandés. Toutefois, devant le refus de lun des plaignants de fournir ses avis de cotisation, lentreprise aurait exigé que son nom soit retiré du contrat de vente et de la demande de crédit. [5] Dans le cadre de lenquête, lentreprise a refusé de fournir sa version des faits, car elle soutient que la Commission na pas compétence pour statuer sur la présente plainte. Elle invoque une décision de la Commission rendue par la section juridictionnelle concernant une demande dexamen de mésentente. Lentreprise demande également à la Commission que lenquête soit suspendue puisque les plaignants ont également porté plainte, pour les mêmes faits, au Commissariat à la vie privée du Canada. [6] Soulignons que lenquêteur au dossier a indiqué à lentreprise que la Commission considère que la Loi sur le privé sapplique à toute entreprise établie au Québec et demandé à nouveau à lentreprise de fournir sa version des faits. Malgré cette mise en garde, celle-ci a de nouveau refusé de collaborer à lenquête. OBSERVATIONS AU TERME DE LENQUÊTE [7] Le 31 mars 2010, la Commission, par lentremise de son président, transmet à lentreprise un avis dintention linformant des faits révélés par lenquête et des dispositions législatives applicables. Elle souligne quà la lumière de lenquête, lentreprise ne semble pas avoir démontré la nécessité de recueillir le numéro dassurance sociale, le numéro dassurance maladie et le numéro de permis de conduire des plaignants par le biais du formulaire de demande de crédit. La Commission invite lentreprise à fournir ses observations, soulignant quil lui appartient de démontrer la nécessité de recueillir ces renseignements aux fins de la demande de crédit. [8] La Commission na pas reçu dobservations de la part de lentreprise à la suite de cet avis. [9] Le présent dossier denquête est assigné à la soussignée le 19 septembre 2013. [10] Compte tenu du délai écoulé depuis lavis dintention, la Commission transmet à lentreprise, le 6 octobre 2014, un nouvel avis afin de vérifier si lentreprise a modifié ses pratiques relatives à la cueillette de renseignements personnels lors dune demande de crédit. Elle linvite à nouveau à présenter ses observations et à produire des documents, sil y a lieu.
061063 Page : 3 [11] Ce nouvel avis informe lentreprise que larticle 1 de la Loi sur le privé prévoit quelle sapplique à toute personne qui recueille, détient, utilise ou communique à des tiers des renseignements personnels, à loccasion de lexploitation dune entreprise au sens de larticle 1525 du Code civil du Québec 2 : 1. La présente loi a pour objet détablir, pour lexercice des droits conférés par les articles 35 à 40 du Code civil en matière de protection des renseignements personnels, des règles particulières à légard des renseignements personnels sur autrui qu'une personne recueille, détient, utilise ou communique à des tiers à loccasion de lexploitation d'une entreprise au sens de l'article 1525 du Code civil. Elle sapplique à ces renseignements quelle que soit la nature de leur support et quelle que soit la forme sous laquelle ils sont accessibles: écrite, graphique, sonore, visuelle, informatisée ou autre. […]. [12] Lavis précise : Larticle 1525 du C.c.Q. prévoit que lexercice, par une ou plusieurs personnes, dune activité économique organisée, quelle soit ou non à caractère commercial, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services, constitue lexploitation dune entreprise. Selon les informations au dossier, la banque exerce une activité économique au Québec au sens du C.c.Q. Lexercice de cette activité économique implique la collecte, la conservation, lutilisation et la communication de renseignements personnels. [13] Lavis indique également que la Loi sur le privé prévoit quune entreprise ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à lobjet dun dossier constitué au nom dun client. De plus, sauf dans les circonstances prévues par la loi, nul ne peut refuser dacquiescer à une demande de bien ou de service à cause du refus de la personne qui formule la demande de lui fournir un renseignement personnel 3 . 2 RLRQ, c. CCQ-1991, le C.c.Q. 3 Les articles 5 et 9 de la Loi sur le privé sont cités dans lavis.
061063 Page : 4 [14] Lavis cite également les dispositions suivantes du Code de la sécurité routière 4 et de la Loi sur lassurance maladie 5 : Code de la sécurité routière 61. La Société délivre les permis suivants autorisant la conduite de véhicules routiers: le permis dapprenti- conducteur, le permis probatoire, le permis de conduire et le permis restreint. Le titulaire dun permis nest tenu de produire celui-ci quà la demande dun agent de la paix ou de la Société et à des fins de sécurité routière uniquement. Loi sur lassurance maladie 9.0.0.1. La production de la carte dassurance maladie ou de la carte dadmissibilité ne peut être exigée quà des fins liées à la prestation de services ou à la fourniture de biens ou de ressources en matière de santé ou de services sociaux dont le coût est assumé par le gouvernement, en tout ou en partie, directement ou indirectement, en vertu dune loi dont lapplication relève du ministre de la Santé et des Services sociaux. [15] Enfin, lavis précise à lentreprise quil lui appartient de démontrer le caractère nécessaire de la collecte des renseignements personnels pour lobjet du dossier et quen labsence dune telle démonstration, la Commission pourrait lui ordonner de cesser de recueillir les renseignements personnels non nécessaires au traitement dune demande de prêt, notamment les numéros dassurance sociale, dassurance maladie et de permis de conduire, de même quune copie de lavis de cotisation dune personne. [16] Lentreprise transmet ses observations à la Commission en novembre 2014. Elle soutient quà titre dentreprise de compétence fédérale, elle nest pas assujettie à la Loi sur le privé, mais uniquement à la Loi sur la protection des renseignements personnels et des documents électroniques 6 . Puisquelle considère que la Loi sur le privé ne sapplique pas à elle, lentreprise soumet que la Commission ne peut se saisir dune plainte déposée contre elle ni émettre dordonnance exécutoire la visant. 4 RLRQ, c. C-24.2. 5 RLRQ, c. A-29. 6 L.C. 2000, ch. 5, LPRPDE.
061063 Page : 5 [17] Lentreprise ajoute que la même plainte a fait lobjet dune enquête élaborée par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada qui sest prononcé dans un rapport de conclusions quelle joint à ses observations. [18] Lentreprise considère que : Les exigences, facteurs et motifs relevés dans ce rapport expliquent et justifient les collectes contestées devant la Commission. Celle des numéros de pièces didentité, pour ne prendre que cet exempte, répond aux lourdes obligations qui incombent à la Banque de bien connaitre ses clients, de les identifier avec certitude et de bien gérer ses risques. La Banque a établi cette pratique dans lobjectif de concilier les différentes exigences législatives et réglementaires qui simposent à elle, de respecter de saines pratiques de gestion, y compris à légard de ses risques, et dassurer une cohésion et harmonisation nécessaires sur le plan opérationnel dans la méthode didentification et ses pratiques ne serait-ce que pour éviter les erreurs. Faut-il le préciser, la Banque est tenue dexiger, dans un pan important de ses activités, soit lors de louverture dun compte bancaire par un particulier, deux pièces didentité aux termes de larticle 4 du Règlement sur laccès aux services bancaires de base. Dans son rapport, le Commissariat a évalué les explications et position de la Banque et a conclu que la plainte était résolue. Ainsi donc, en ce qui concerne [les plaignants] et la Banque, le sujet de la plainte a été complètement épuisé et le débat est clos. [19] Lentreprise conclut que même si la Commission refusait de déclarer la Loi sur le privé inapplicable, en lespèce, elle serait justifiée de fermer le présent dossier de plainte au motif de chose jugée ou au nom de la saine administration de la justice. Elle soutient que lintégrité du processus judiciaire et la protection relative au caractère définitif des instances sopposent à ce quelle soit tenue de répondre à la même plainte une deuxième fois.
061063 Page : 6 ANALYSE [20] La Commission doit déterminer si lentreprise était autorisée, en vertu des dispositions de la Loi sur le privé, à recueillir le NAS, le numéro dassurance maladie et le numéro de permis de conduire des plaignants et les avis de cotisation de lun deux. Elle doit également disposer des arguments de lentreprise concernant sa compétence à légard de la présente plainte. La compétence de la Commission [21] Lentreprise estime quelle est assujettie uniquement aux dispositions de la LPRPDE et non à la Loi sur le privé parce quelle est une entreprise fédérale. Elle soutient donc que la Commission na pas compétence pour faire enquête et rendre une décision à son égard. Elle cite une décision rendue par la Commission dans le cadre dune demande dexamen de mésentente (dossier 040930). [22] Dentrée de jeu, il importe de souligner que cette décision statue sur une demande dexamen de mésentente soumise à la section juridictionnelle de la Commission. La demande concernait laccès et la rectification dun dossier. [23] En lespèce, cest la section de surveillance qui est saisie dune plainte en matière de collecte de renseignements personnels. La présente décision est rendue à la suite dun processus denquête de nature administrative, selon un mode non contradictoire. [24] Pour cette raison, il ne saurait être question de « chose jugée, dintégrité du processus judiciaire ou du principe du caractère définitif des instances ». La Commission na jamais rendu de décision concernant les faits faisant lobjet de la présente plainte et le Commissariat à la vie privée du Canada na pas rendu de décision de nature juridictionnelle qui tranche un litige entre deux parties, deux conditions essentielles à lapplication du principe de la chose jugée 7 . 7 Roberge c. Bolduc, [1991] 1 S.C.R. 374. Larticle 2848 al. 1 du Code civil du Québec prévoit : « 2848. Lautorité de la chose jugée est une présomption absolue; elle na lieu quà légard de ce qui a fait lobjet du jugement, lorsque la demande est fondée sur la même cause et mue entre les mêmes parties, agissant dans les mêmes qualités, et que la chose demandée est la même ». Pour sa part, la troisième édition de Termes juridiques, publiée par le ministère de la Justice du Québec, définit la chose jugée ainsi : « Qualité attribuée par la loi à toute décision juridictionnelle relativement à la contestation quelle tranche et qui empêche, sous réserve des voies de recours, que la même chose soit rejugée entre les mêmes parties dans un autre procès », en ligne : http://www.justice.gouv.qc.ca/francais/publications/generale/term es/auto-chose.htm# .
061063 Page : 7 [25] En matière de surveillance, la Commission a compétence notamment pour faire enquête sur lapplication de la Loi sur le privé : 81. La Commission peut, de sa propre initiative ou sur la plainte dune personne intéressée, faire enquête ou charger une personne de faire enquête sur toute matière relative à la protection des renseignements personnels ainsi que sur les pratiques dune personne qui exploite une entreprise et recueille, détient, utilise ou communique à des tiers de tels renseignements. [26] Selon son article 1, la Loi sur le privé sapplique à toute personne qui recueille, détient, utilise ou communique à des tiers des renseignements personnels, à loccasion de lexploitation dune entreprise au sens de larticle 1525 du C.c.Q. : 1. La présente loi a pour objet détablir, pour lexercice des droits conférés par les articles 35 à 40 du Code civil en matière de protection des renseignements personnels, des règles particulières à l'égard des renseignements personnels sur autrui qu'une personne recueille, détient, utilise ou communique à des tiers à loccasion de l'exploitation d'une entreprise au sens de l'article 1525 du Code civil. Elle sapplique à ces renseignements quelle que soit la nature de leur support et quelle que soit la forme sous laquelle ils sont accessibles: écrite, graphique, sonore, visuelle, informatisée ou autre. […] [27] Selon larticle 1525 du C.c.Q. lexploitation dune entreprise constitue lexercice, par une ou plusieurs personnes, dune activité économique organisée, quelle soit ou non à caractère commercial, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services. [28] À la lumière des informations au dossier de la Commission, lentreprise offre, au Québec, « des services de dépôts, de prêts, de cartes de crédit, de débit et de paiement, des services de fiducie, de garde de courtage, dassurance et autres services financiers personnels » 8 . 8 Formulaire no 0525-1 de demande de crédit de la Banque nationale du Canada, au dossier de la Commission : section « Collecte et utilisation de renseignements personnels » - point (a).
061063 Page : 8 [29] Elle exerce, au Québec, une activité économique organisée de nature commerciale qui consiste à offrir divers services financiers bancaires. Il sagit donc dune entreprise au sens de larticle 1525 du C.c.Q. Lexercice de cette activité économique implique la collecte, la conservation, lutilisation et la communication de renseignements personnels, comme en témoigne le formulaire de demande de crédit transmis par les plaignants. [30] Pour ces motifs, lentreprise rencontre les critères dassujettissement de la Loi sur le privé. [31] Toutefois, elle prétend quà titre dentreprise bancaire, elle est soumise uniquement aux règles fédérales en matière de protection des renseignements personnels. [32] La Commission nest pas de cet avis. [33] Pour conclure à linapplicabilité de la Loi sur le privé comme le soutient lentreprise, la Commission devrait être convaincue que cette loi affecte un de ses éléments vital ou essentiel, au point dentraver le plein exercice de la compétence fédérale en matière de banques 9 . Cette conclusion doit reposer sur des éléments concrets et probants et non sur la seule allégation de lentreprise. Comme la souligné récemment la Cour suprême 10 : [63] Quoique lexclusivité des compétences demeure une doctrine constitutionnelle valide, la Cour a dénoncé le recours exagéré à celleci. Une application élargie de cette doctrine est à contrecourant de la conception moderne du fédéralisme coopératif qui préconise lapplication, dans la mesure du possible, des lois adoptées par les deux ordres de gouvernement. […] [64] Dans les rares circonstances dans lesquelles la doctrine de lexclusivité des compétences sapplique, la loi provinciale sera inapplicable dans la mesure son application « entraverait » le contenu essentiel dune compétence fédérale. Il y a entrave lorsquil y a « atteinte grave ou importante » à la compétence fédérale, particulièrement à notre « époque de fédéralisme coopératif souple » […]. 9 Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55; Banque canadienne de lOuest c. Alberta, 2007 CSC 22. 10 Banque de Montréal c. Marcotte, préc., note 9.
061063 Page : 9 [34] Dans laffaire Banque de Montréal c. Marcotte 11 , la Cour conclut à lapplication de dispositions de la Loi sur la protection du consommateur 12 aux banques en ces termes : [68] […] Les dispositions de la L.P.C. nempêchent pas les banques de prêter de largent ou de convertir des devises; elles exigent seulement que ces frais de conversion soient mentionnés au consommateur. [69] […] Les dispositions qui prévoient la mention des frais et les recours possibles ont effectivement une incidence sur la façon dont les banques exercent un certain aspect de leurs activités, mais, comme nous lavons vu précédemment, cette incidence ne saurait être assimilée à une entrave. Il est difficile dimaginer comment ces dispositions pourraient forcer le Parlement à légiférer de manière à les écarter, à défaut de quoi, sa capacité de réaliser lobjectif pour lequel la compétence exclusive sur les banques lui a été attribuée serait entravée. […] [35] Dans le présent dossier, lentreprise na fourni aucun élément concret permettant à la Commission de conclure que les règles relatives à la collecte des renseignements faisant lobjet de la plainte constituent une entrave au contenu essentiel de la compétence fédérale sur les banques 13 . Elle sest limitée à invoquer le fait quelle était une entreprise de compétence fédérale. [36] Or, plusieurs entreprises ont, dans le cadre de leurs activités, à bien connaître leurs clients, à valider leur identité et à vérifier leur solvabilité afin de bien gérer les risques. Il ne sagit pas denjeux propres au domaine bancaire. Même les dispositions réglementaires et les directives invoquées par lentreprise dans le cadre de lenquête réalisée par le Commissariat fédéral à la vie privée 14 afin de justifier la collecte de ces renseignements ne sont pas propres aux banques. [37] Quant à largument voulant que le Commissariat fédéral à la vie privée se soit déjà prononcé sur la légalité de la collecte des renseignements faisant 11 Id. 12 RLRQ, c. P-40.1, la LPC. 13 Voir notamment : Banque canadienne de lOuest c. Alberta, préc., note 9. 14 Selon le Rapport de conclusions 6100-02155 et 6100-02228, transmis par lentreprise, elle invoque notamment le Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et la ligne directrice B-8 : Mécanismes de dissuasion et de détection du recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes du Bureau du surintendant des institutions financières.
061063 Page : 10 lobjet de la plainte, la Commission ne croit pas que cela dispense lentreprise de respecter les dispositions de la Loi sur le privé applicables en lespèce. [38] Dabord, le Commissariat fédéral à la vie privée sest prononcé sur la légalité de cette collecte au regard des dispositions de la LPRPDE et non de celles de la Loi sur le privé. [39] Comme lindique la Cour suprême, « le simple fait que le Parlement ait légiféré sur une matière nempêche pas les provinces de légiférer sur la même matière […] », dautant plus lorsque cette matière se situe dans le cadre de leur compétence constitutionnelle. [40] La doctrine de la prépondérance fédérale ne sapplique quen cas de conflit entre la loi fédérale et la loi provinciale. La Cour suprême indique que sil est possible pour une entreprise de se conformer aux lois fédérale et provinciale en satisfaisant aux critères de la loi la plus stricte, il ny a pas de conflit 15 . De plus, cest à la partie qui invoque la prépondérance fédérale quincombe le fardeau de la preuve : elle « doit dabord établir lobjet de la loi fédérale pertinente et ensuite prouver que la loi provinciale est incompatible avec cet objet » 16 . [41] La Commission comprend des décisions plus récentes de la Cour suprême quil faut favoriser une interprétation visant la conciliation des lois provinciales et fédérales applicables à une situation donnée, surtout lorsque les deux lois poursuivent, par des moyens semblables, le même objet et la même finalité. [42] En lespèce, la Loi sur le privé et la LPRPDE visent le même objectif, soit la protection des renseignements personnels et, par conséquent, la protection du public. Elles limitent toutes deux la collecte de renseignements personnels et prévoient que seuls les renseignements nécessaires peuvent être recueillis par une entreprise 17 . Lentreprise na pas démontré lexistence dun conflit entre ces lois. [43] La Commission conclut donc que la collecte de renseignements personnels faisant lobjet de la présente plainte est soumise aux règles applicables de la Loi sur le privé et quelle a compétence pour statuer sur celle- ci. 15 Procureur général de la Colombie-Britannique c. Lafarge Canada Inc., 2007 CSC 23. 16 Banque de Montréal c. Marcotte, préc., note 9, paragr. 73. 17 Article 5 de la Loi sur le privé et article 5 et principe 4.4 de lannexe de la LPRPDE.
061063 Page : 11 Collecte de renseignements personnels par lentreprise [44] Lobjet de la plainte porte sur la collecte des numéros dassurance sociale, dassurance maladie et de permis de conduire, de même que sur les avis de cotisation dun des plaignants. [45] Selon la Loi sur le privé, une entreprise peut recueillir uniquement les renseignements personnels nécessaires à lobjet dun dossier : 5. La personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou dy consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l'objet du dossier. [46] Les règles prévues par la Loi sur le privé visent à établir un équilibre entre le droit au respect de la vie privée dune personne et les besoins dune entreprise en matière de collecte, dutilisation et de communication de renseignements personnels dans le cadre de lexercice de ses activités. Cest pourquoi la loi limite la collecte de renseignements personnels par une entreprise à ceux qui sont nécessaires pour réaliser lobjet du dossier quelle constitue au sujet dune personne. [47] Cette règle est impérative et une entreprise ne peut y déroger, même avec le consentement de la personne concernée 18 . [48] Il sensuit également que lentreprise ne peut refuser un bien ou un service à une personne qui refuse légitimement de fournir un renseignement personnel non nécessaire à lobjet du dossier constitué à son sujet par lentreprise. 9. Nul ne peut refuser dacquiescer à une demande de bien ou de service ni à une demande relative à un emploi à cause du refus de la personne qui formule la demande de lui fournir un renseignement personnel sauf dans l'une ou l'autre des circonstances suivantes: 1° la collecte est nécessaire à la conclusion ou à lexécution du contrat; 2° la collecte est autorisée par la loi; 18 Voir notamment : Laval (Société de transport de la Ville de) c. X., [2003] C.A.I. 667 (C.Q.), laffaire Laval; Grenier c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, [2010] QCCQ 93, 97; X. et Skyventure Montréal, C.A.I. 101888, 16 septembre 2013, c. Desbiens; X. et Lépine Cloutier Ltée, C.A.I. 080943, 14 mars 2014, c. Poitras.
061063 Page : 12 3° il y a des motifs raisonnables de croire quune telle demande nest pas licite. En cas de doute, un renseignement personnel est réputé non nécessaire. [49] Le fardeau de démontrer le caractère nécessaire de la collecte de renseignements personnels pour lobjet dun dossier repose sur lentreprise, tel quindiqué dans lavis transmis par la Commission à cette dernière en 2014. Larticle 9 de la loi prévoit quen cas de doute, un renseignement personnel est jugé non nécessaire. [50] Le critère de nécessité applicable aux renseignements recueillis sinterprète à la lumière de la finalité poursuivie par lorganisme ou lentreprise qui les collecte 19 . [51] Selon le test proposé par la Cour du Québec 20 , la nécessité de la collecte des renseignements sera démontrée si cette dernière vise la réalisation dun objectif lié à lobjet du dossier qui est légitime, important, urgent et réel, et si latteinte au droit à la vie privée des individus concernés que constitue cette collecte est proportionnelle à cette fin (lien rationnel entre lobjectif poursuivi et la collecte des renseignements, atteinte au droit minimale et collecte nettement plus utile à lorganisme que préjudiciable à lindividu). [52] Dans le présent dossier, lentreprise na pas fourni à lenquêteur de la Commission délément justifiant la nécessité de la collecte des renseignements personnels visés par la plainte; elle a refusé de collaborer à lenquête et na pas répondu au premier avis dintention. Dans ses observations transmises à la suite du deuxième avis dintention, elle soutient quelle a établi la pratique relative à la collecte des identifiants dans lobjectif « de concilier les différentes exigences législatives et réglementaires qui simposent à elle, de respecter de saines pratiques de gestion, y compris à légard de ses risques, et dassurer une cohésion et une harmonisation nécessaires sur le plan opérationnel dans la méthode didentification et ses pratiques ne serait-ce que pour éviter les erreurs ». Elle rappelle quelle est tenue dexiger deux pièces didentité lors de 19 Laval (Société de transport de la Ville de) c. X., préc., note 18; Grenier c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, préc., note 18; X. et Skyventure Montréal, préc., note 18; Garderie Cœur denfant inc., C.A.I. 080272, 31 mars 2014, c. Poitras; X. et 9038-5055 Québec inc. (Le Palace), C.A.I. 07 05 51, 23 mars 2012, c. Constant. 20 Laval (Société de transport de la Ville de) c. X., préc., note 18; Grenier c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, préc., note 18; Ces décisions portent sur linterprétation de larticle 64 de la Loi sur laccès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (RLRQ, c. A-2.1) qui réfère également au critère de nécessité.
061063 Page : 13 louverture dun compte bancaire par un particulier, selon larticle 4 du Règlement sur laccès aux services bancaires de base. [53] Ce règlement 21 prévoit que pour louverture dun compte de dépôt de détail 22 , le client doit produire « une pièce didentité parmi celles énumérées à la partie A de lannexe et une autre pièce didentité parmi celles énumérées aux parties A et B de lannexe ». La partie A de lannexe prévoit une liste de pièces que peut produire un client, dont la carte dassurance sociale, le passeport, la carte dassurance maladie et le permis de conduire. En ce qui concerne ces deux dernières pièces didentité, le règlement prévoit « dans la mesure il peut être utilisé à des fins didentification en vertu dune loi provinciale ». [54] Dentrée de jeu, la Commission souligne que le fait que la réglementation prévoie que lentreprise doive colliger certains renseignements en des circonstances bien précises, par exemple lors de louverture dun compte, ne justifie pas la nécessité de la collecte des mêmes renseignements dans tous les contextes, que ce soit dans un souci dharmonisation des pratiques ou pour éviter les erreurs. Une telle pratique ne respecte pas le critère de proportionnalité du test de nécessité en ce quil ne constitue pas une atteinte minimale au droit à la vie privée des individus. [55] En lespèce, selon les faits au dossier, on a exigé des plaignants quils produisent trois pièces didentité spécifiques, soit leur permis de conduire, leur carte dassurance maladie et leur numéro dassurance sociale, aux fins de lobtention dun prêt. [56] Selon lenquête, les renseignements en cause ont été exigés par le détaillant. Le formulaire de la banque que les plaignants ont compléter prévoit quils doivent fournir leur numéro dassurance sociale dans la section « clients ». Dans la section « identification des clients (champs obligatoires) », deux espaces sont prévus pour indiquer une « preuve catégorie A » et une « preuve catégorie B ». Le formulaire de lentreprise déposé au dossier de la Commission ne contient aucune précision quant aux informations qui peuvent être demandées à ce chapitre. [57] Or, les seuls arguments fournis par lentreprise pour justifier cette collecte ne permettent pas à la Commission de conclure quelle était nécessaire à lobjet du dossier, soit un prêt. 21 Règlement sur laccès aux services bancaires de base, (DORS/2003-184). 22 Larticle 439.1 de la Loi sur les banques (L.C. 1991, ch. 46) définit un compte de dépôt de détail comme suit : « compte de dépôt de détail Compte de dépôt personnel ouvert avec un dépôt inférieur à 150 000 $ ou au montant supérieur fixé par règlement ».
061063 Page : 14 [58] Au surplus, les dispositions précitées de la Loi sur lassurance maladie et du Code de la sécurité routière interdisent à une entreprise dexiger dune personne quelle sidentifie au moyen de sa carte dassurance maladie et de son permis de conduire. [59] Ainsi, la Commission conclut que la plainte est fondée en ce qui concerne la collecte des identifiants puisque lentreprise na pas démontré à la Commission la nécessité de recueillir tous les renseignements personnels didentification exigés aux plaignants. [60] À la lecture du Rapport de conclusions du Commissariat à la vie privée du Canada, la Commission constate que ce dernier conclut également que la plainte est fondée en ce qui concerne la collecte des trois pièces didentité : 54. Dans la présente affaire, il ne faut pas perdre de vue que le plaignant et sa femme font valoir quils étaient obligés de fournir trois documents afin de conclure la transaction commerciale : permis de conduire, carte dassurance maladie provinciale et carte dassurance sociale. Les plaignants nont pas eu le choix : on a exigé quils fournissent ces trois documents. À mon avis, il sagit dune collecte excessive de renseignements personnels. De surcroît, la pratique de consigner les numéros didentification unique associés à ces documents semble contestable dans les circonstances. 55. Cependant, compte tenu que la collecte a été effectuée par le détaillant et que la politique de la BNC se conforme à la législation provinciale, je considère que mes deux premières recommandations sont satisfaites. [61] Ces deux recommandations prévoient que lentreprise ne demande plus aux clients de présenter leur carte dassurance maladie du Québec aux fins didentification et quelle respecte les lignes directrices du Commissariat fédéral à la vie privée sur la collecte de renseignements personnels du permis de conduire et, quen général, elle cesse de recueillir des renseignements personnels contenus dans des pièces didentité, demandées à des fins didentification. [62] Le rapport conclut également que dans le contexte du prêt en cause, soit une situation bancaire courante, la réglementation invoquée par lentreprise ne justifie pas la collecte de tous les renseignements personnels didentité exigés par le détaillant. Elle souligne que la réglementation invoquée prévoit que
061063 Page : 15 lentreprise doit demander de « voir » des pièces didentité dans certaines circonstances, ce qui ne justifie pas nécessairement leur collecte. [63] Lentreprise a notamment fait valoir quen vertu de ses politiques, elle nexige pas de pièce didentité particulière et quelle laisse au client le choix des pièces didentité quil peut présenter. Elle a reconnu quelle naurait pas exiger le numéro dassurance sociale des plaignants, car leur demande de crédit ne nécessitait pas que la transaction soit déclarée au gouvernement fédéral aux fins dimpôts 23 . Elle a affirmé que le formulaire utilisé serait révisé en conséquence. [64] À la lumière des politiques et des commentaires de lentreprise, le rapport conclut : 69. Pour les raisons mentionnées ci-dessus, je conclus que la plainte [no] est fondée et résolue quant à la collecte des pièces didentification et non fondée relative à la collecte des avis de cotisation. […] 70. Je suis daccord avec le commentaire fait au plaignant par la BNC dans sa correspondance, à leffet quil serait approprié de faire des clarifications auprès du détaillant sur lexigence de ce dernier de fournir certaines pièces didentité précises. Je suis davis que cette responsabilité relève de linstitution financière. Aussi, je suggère fortement à la BNC quelle exerce une diligence raisonnable en sassurant que les détaillants faisant affaires avec la BNC suivent les politiques et pratiques de celle-ci en matière de collecte, dutilisation et de communication des renseignements personnels des clients. 71. Enfin, à titre de pratique exemplaire, je suggère également à la BNC de ne pas désigner la carte dassurance maladie provinciale à titre de pièce didentité acceptable et de ne pas accepter cette carte de la part de clients à des fins autres que celles prévues par les lois provinciales applicables en matière dassurance maladie, même lorsque la carte est offerte volontairement par la personne. 23 Voir paragraphe 18 du Rapport de conclusions du Commissariat fédéral à la vie privée.
061063 Page : 16 [65] Ainsi, selon le rapport de conclusions du Commissariat à la vie privée du Canada, obtenu de lentreprise seulement en novembre 2014, celle-ci sest engagée à modifier certaines de ses pratiques et le formulaire utilisé pour une demande de crédit. [66] Compte tenu que la plainte est antérieure à ces changements et à lenquête du Commissariat à la vie privée du Canada, la Commission némettra pas dordonnance. [67] Toutefois, elle invite lentreprise à sassurer que les détaillants qui recueillent des renseignements personnels en son nom, par le biais du formulaire de demande de crédit, ne puissent exiger dun client quil fournisse sa carte ou son numéro dassurance maladie, son numéro dassurance sociale ni son numéro ou son permis de conduire à des fins didentification. [68] Quant aux avis de cotisation exigés, la Commission considère que les explications données par lentreprise et rapportées dans le rapport de conclusions du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada permettent de conclure que, dans le contexte du présent dossier, cette demande était justifiée. [69] En effet, lun des plaignants étant travailleur autonome, les informations contenues dans ce document visaient à permettre à lentreprise de connaître ses revenus et de sassurer quil avait payé ses impôts, le tout aux fins détablir sa solvabilité, à titre de cosignataire dun prêt conjoint. Or, devant le refus de ce plaignant de fournir ses avis de cotisations, le prêt a été accordé uniquement à la plaignante. [70] De lavis de la Commission, le refus de lentreprise dévaluer la demande de crédit pour un prêt conjoint, à la suite du refus de lun des plaignants de fournir ses avis de cotisation, ne contrevient pas, en lespèce, à larticle 9 de la Loi sur le privé puisque le renseignement était nécessaire à lobjet du dossier de prêt. [71] En effet, lobjectif de cette demande, soit dévaluer la solvabilité dun des plaignants dans le contexte dune demande de crédit, est légitime, important, urgent et réel. Latteinte au droit à la vie privée du plaignant que constitue cette collecte est proportionnelle à cet objectif puisque : Il existe un lien rationnel entre lobjectif poursuivi et la collecte des renseignements : en labsence dune preuve de revenu émise par un employeur, lavis de cotisation contient les informations requises pour évaluer la solvabilité dun travailleur autonome ;
061063 Page : 17 Latteinte au droit est minimale et la collecte de ces renseignements est nettement plus utile à lorganisme que préjudiciable à lindividu. CONCLUSION [72] En résumé, la Commission conclut que lentreprise est assujettie aux dispositions de la Loi sur le privé puisquelle exerce une activité économique organisée au Québec et quelle na pas démontré que les règles relatives à la collecte de renseignements personnels entravent le plein exercice de la compétence fédérale en matière de banques. Elle na pas davantage démontré quil existe un conflit entre la loi fédérale et la loi provinciale visant la protection des renseignements personnels applicables en matière de collecte de renseignements personnels, dans le cadre du présent dossier. [73] La Commission conclut également que la nécessité de la collecte de lensemble des identifiants des plaignants na pas été démontrée dans le présent dossier et que lentreprise a contrevenu à larticle 5 de la Loi sur le privé en recueillant des renseignements personnels non nécessaires à lobjet du dossier. [74] La Commission conclut que la collecte des avis de cotisation était nécessaire, dans le contexte des faits du présent dossier. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [75] DÉCLARE la plainte partiellement fondée; [76] RECOMMANDE à lentreprise de sassurer que les détaillants qui recueillent, en son nom, des renseignements personnels par le biais dun formulaire de demande de crédit ne puissent exiger dun client quil fournisse sa carte ou son numéro dassurance maladie, son numéro dassurance sociale ni son numéro ou son permis de conduire à des fins didentification. Diane Poitras Juge administratif
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