COMMISSION D’ACCÈS À L’INFORMATION DU QUÉBEC Dossier : 1005977 Nom de l’entreprise : Bell Mobilité Date : 9 février 2015 Membre : M e Diane Poitras DÉCISION OBJET PLAINTE en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 . [1] Le 30 novembre 2012, la Commission d’accès à l’information (la Commission) est saisie de la plainte de M me … à l’endroit de Bell Mobilité (l’entreprise). [2] Cette plainte porte sur la collecte de renseignements personnels par l’entreprise, plus précisément le numéro d’assurance sociale, de permis de conduire ou d’une carte de crédit, dans le cadre de l’activation du service clé turbo (turbo Hub ou turbo stick). La plaignante reproche également à l’entreprise d’avoir refusé de lui offrir le service au motif qu’elle ne voulait pas fournir ces numéros pour que l’entreprise procède à une enquête de crédit en vue de l’activation de ce service. [3] À la suite de cette plainte, la Commission a procédé à une enquête au sujet de ces allégations. LES FAITS [4] Selon cette enquête, l’entreprise ne conteste pas les faits soumis par la plaignante. Elle admet recueillir le numéro inscrit sur l’une des pièces d’identité précitées, au motif qu’il est requis afin de réaliser une vérification de crédit et procéder à l’activation du service demandé. 1 RLRQ, c. P-39.1, la Loi sur le privé.
1005977 Page : 2 [5] La plaignante affirme qu’elle était disposée à présenter une pièce d’identité afin de permettre de valider son identité, mais qu’elle a refusé que l’entreprise recueille les informations contenues sur cette pièce, plus précisément le numéro qui y est inscrit. Elle considère qu’une enquête de crédit peut être réalisée avec son nom, ses coordonnées et sa date de naissance. OBSERVATIONS AU TERME DE L’ENQUÊTE [6] Le 14 octobre 2014, la Commission transmet à l’entreprise un avis d’intention l’informant qu’à la lumière des informations présentement au dossier, elle pourrait lui ordonner : - de cesser de recueillir le numéro d’assurance sociale, le numéro de permis de conduire ou le numéro de carte de crédit d’une personne pour l’activation du service clé turbo ou pour procéder à une enquête de crédit (article 5 de la Loi sur le privé); - de cesser de refuser ce service au motif qu’une personne refuse de lui fournir des renseignements non nécessaires à l’objet du dossier, notamment les numéros indiqués précédemment (article 9 de la Loi sur le privé). [7] Dans cet avis, la Commission précise, après avoir rappelé les dispositions législatives pertinentes au sujet de la collecte de renseignements personnels : Il appartient à l’entreprise de démontrer la nécessité de recueillir des renseignements personnels, pour une finalité donnée en lien avec l’objet d’un dossier constitué au sujet d’une personne. Pour ce faire, l’entreprise doit démontrer, à l’aide d’éléments concrets et probants, que le ou les objectif(s) poursuivi(s) par cette collecte sont légitimes, importants, urgents et réels. De plus, l’entreprise doit démontrer que l’atteinte au droit à la vie privée que peut constituer cette collecte est proportionnelle aux objectifs poursuivis 2 . Notamment, elle doit démontrer qu’il n’existe pas d’autres 2 Laval (Société de transport de la Ville de) c. X., [2003] C.A.I. 667 (C.Q.), l’affaire Laval; Grenier c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, [2010] QCCQ 93. Cette décision porte sur l’interprétation de l’article 64 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (RLRQ, c. A-2.1) qui réfère également au critère de nécessité lors de la collecte de renseignements personnels par un organisme public.
1005977 Page : 3 moyens moins attentatoires à la protection des renseignements personnels qui permettent d’atteindre ces objectifs. Dans plusieurs décisions 3 , la Commission a conclu que la collecte d’un numéro contenu sur une pièce d’identité, tels les numéros de permis de conduire ou d’assurance sociale, ou la photocopie de ces pièces, n’est pas nécessaire pour valider l’identité d’une personne. Elle a également conclu que les nom, adresse et date de naissance d’une personne suffisent pour effectuer, avec le consentement de la personne concernée, une enquête de crédit 4 . [8] La Commission n’a reçu aucune observation supplémentaire de l’entreprise à la suite de cet avis, reçu par l’entreprise le 22 octobre 2014. ANALYSE [9] La Loi sur le privé établit des règles relatives à la collecte, à l’utilisation, à la détention et à la communication de renseignements personnels à l’occasion de l’exploitation d’une entreprise 5 . [10] La Loi sur le privé prévoit qu’une entreprise peut recueillir uniquement les renseignements personnels nécessaires à l’objet d’un dossier. Elle prévoit également que nul ne peut refuser un bien ou un service à cause du refus d’une personne de fournir un renseignement personnel, à moins que cette collecte soit nécessaire à la conclusion ou à l’exécution du contrat, autorisée par la loi ou qu’il existe des motifs raisonnables de croire que la demande n’est pas licite. 3 Regroupement des comités logement et Association de locataires du Québec et Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, [1995] C.A.I. 370; Julien c. Domaine Laudance, [2003] C.A.I. 77 ; Perreault c. Blondin, [2006] C.A.I. 162 ; X. et Loca-Meuble, CAI 08 11 10, 1 er octobre 2013, c. Poitras; X. et Skyventure Montréal, C.A.I. 101888, 16 septembre 2013, c. Desbiens; X. et Cellulaire Plus, C.A.I. 1005592, 29 septembre 2014, c. Poitras, en appel : 500-80-029666-147 (C.Q.); X. et Rogers Communications inc., C.A.I. 111310, 29 septembre 2014, c. Desbiens, en appel : 500-80-029665-149 (C.Q.). 4 Id. Voir aussi les décisions suivantes de la Régie du logement : Brazeau c. Sutera, [1996] J.L. 282 (R.L.); Gasparrini c. Marciszewski, [1998] J.L. 318 (R.L). 5 Constitue l'exploitation d'une entreprise l'exercice, par une ou plusieurs personnes, d'une activité économique organisée, qu'elle soit ou non à caractère commercial, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services (art. 1 de la Loi sur le privé et 1525 du C.c.Q.).
1005977 Page : 4 [11] Plus précisément, les dispositions pertinentes de cette loi se lisent comme suit : 4. Toute personne qui exploite une entreprise et qui, en raison d'un intérêt sérieux et légitime, peut constituer un dossier sur autrui doit, lorsqu'elle constitue le dossier, inscrire son objet. Cette inscription fait partie du dossier. 5. La personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou d'y consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l'objet du dossier. 9. Nul ne peut refuser d'acquiescer à une demande de bien ou de service ni à une demande relative à un emploi à cause du refus de la personne qui formule la demande de lui fournir un renseignement personnel sauf dans l'une ou l'autre des circonstances suivantes: 1° la collecte est nécessaire à la conclusion ou à l'exécution du contrat; 2° la collecte est autorisée par la loi; 3° il y a des motifs raisonnables de croire qu'une telle demande n'est pas licite. En cas de doute, un renseignement personnel est réputé non nécessaire. [12] Le critère de nécessité s’interprète à la lumière de la finalité poursuivie par l’organisme qui recueille des renseignements personnels 6 . [13] Dans l’affaire Laval, la Cour du Québec propose d’interpréter l’exigence de nécessité de la manière suivante : [44] […] Un renseignement sera donc nécessaire non pas lorsqu’il pourra être jugé absolument indispensable, ou au contraire simplement utile. Il sera nécessaire lorsque chaque fin spécifique poursuivie par l’organisme, pour la réalisation d’un objectif lié à ses attributions, sera légitime, importante, urgente et réelle, et lorsque l’atteinte au droit à 6 Laval (Société de transport de la Ville de) c. X., préc., note 2; Grenier c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, préc., note 2; X. et Skyventure Montréal, préc., note 3; Garderie Cœur d’enfant inc., C.A.I. 080272, 31 mars 2014, c. Poitras; X. et 9038-5055 Québec inc. (Le Palace), C.A.I. 07 05 51, 23 mars 2012, c. Constant.
1005977 Page : 5 la vie privée que pourra constituer la cueillette, la communication ou la conservation de chaque élément de renseignement sera proportionnelle à cette fin. Cette proportionnalité jouera en faveur de l’organisme lorsqu’il sera établi que l’utilisation est rationnellement liée à l’objectif, que l’atteinte est minimisée et que la divulgation du renseignement requis est nettement plus utile à l’organisme que préjudiciable à la personne. Autrement, le droit à la vie privée et à la confidentialité des renseignements personnels devra prévaloir. [nos soulignements] [14] En 2010, la Cour du Québec a appliqué à nouveau ce test lors de l’interprétation du critère de nécessité en précisant que : [153] Ce test a l'avantage de tenir compte de la nature du renseignement et du besoin réel de l'organisme dans l'exercice de ses attributions en comparant le degré d'exigence que commande le besoin à l'expectative du préjudice pouvant être causé par l'atteinte aux droits de la personne. [154] Ce test a pour effet pratique de soupeser les besoins de l'un dans l'optique de la finalité de ses fonctions et le préjudice pouvant être causé à l'autre. 7 [15] Ce test a été repris à plusieurs reprises dans les décisions récentes de la Commission. [16] Tel qu’indiqué par la Commission dans l’avis d’intention transmis à l’entreprise, elle devait démontrer, à l’aide d’éléments concrets et probants, que les objectifs poursuivis par la collecte des numéros des pièces d’identité sont légitimes, importants, urgents et réels et que l’atteinte au droit à la vie privée que peut constituer cette collecte est proportionnelle à ces objectifs. [17] L’avis indiquait également que dans plusieurs décisions, la Commission a conclu que la collecte d’un numéro contenu sur une pièce d’identité, tels les numéros de permis de conduire ou d’assurance sociale, ou la photocopie de ces pièces, n’est pas nécessaire pour valider l’identité d’une personne ni pour effectuer une enquête de crédit puisqu’il existe généralement d’autres moyens pour atteindre ces objectifs, moyens qui portent moins atteinte à la vie privée des personnes concernées. 7 Grenier c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, préc., note 2.
1005977 Page : 6 [18] Par exemple, l’entreprise peut demander de voir une pièce d’identité, au choix du client, pour l’identifier, sans qu’il ne soit nécessaire de recueillir le numéro contenu sur cette pièce ni de la photocopier. [19] De plus, plusieurs décisions de la Commission concluent que les nom, adresse et date de naissance d’une personne suffisent pour effectuer, avec le consentement de la personne concernée, une enquête de crédit 8 . [20] L’entreprise n’a soumis aucun élément justifiant, dans la présente situation, la collecte des identifiants précités à des fins d’identification ou de vérification du dossier de crédit. [21] Compte tenu de cette conclusion au sujet de la nécessité, l’entreprise ne pouvait donc refuser, comme elle l’a fait, l’activation du service clé turbo (turbo Hub ou turbo stick) à la plaignante, au motif que cette dernière refusait qu’elle recueille les numéros inscrits sur ses pièces d’identité. [22] Rappelons que, selon l’enquête, la plaignante était disposée à présenter une pièce d’identité afin de permettre de valider son identité, mais qu’elle refusait que l’entreprise recueille le numéro qui y était inscrit. [23] L’entreprise n’a fait valoir aucune des exceptions de la Loi sur le privé l’autorisant à refuser le service requis soit : - Que le renseignement est nécessaire à la conclusion ou à l'exécution du contrat; - Que la collecte est autorisée par la loi; - Qu’il a des motifs raisonnables de croire qu'une telle demande n'est pas licite. [24] La loi prévoit qu’en cas de doute, un renseignement personnel est réputé non nécessaire. 8 Regroupement des comités logement et Association de locataires du Québec et Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, préc., note 3; Julien c. Domaine Laudance, préc., note 3; Perreault c. Blondin, préc., note 3; X. et Loca-Meuble, préc., note 3; X. et Skyventure Montréal, préc., note 3.
1005977 Page : 7 CONCLUSION [25] Ainsi, à la lumière de l’enquête et des observations de l’entreprise et en l’absence d’observations supplémentaires transmises à la suite de son avis d’intention du 14 octobre 2014, la Commission conclut que celle-ci a contrevenu à l’article 5 de la Loi sur le privé en recueillant des renseignements personnels non nécessaires à l’objet du dossier. [26] La Commission conclut également que l’entreprise a contrevenu à l’article 9 de la Loi sur le privé en refusant d'acquiescer à une demande de service à cause du refus de la plaignante de lui fournir un renseignement personnel qui n’était pas nécessaire à la conclusion ou à l'exécution du contrat. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [27] ORDONNE à l’entreprise de cesser de recueillir le numéro d’assurance sociale, le numéro de permis de conduire ou le numéro de carte de crédit d’une personne pour l’activation du service clé turbo (turbo Hub ou turbo stick) ou pour procéder à une enquête de crédit; [28] ORDONNE à l’entreprise de cesser de refuser un bien ou un service à un client au motif qu’il refuse de lui fournir des renseignements non nécessaires à l’objet du dossier, notamment les numéros indiqués précédemment; [29] ORDONNE à l’entreprise d’informer la Direction de la surveillance de la Commission des mesures prises afin de respecter la présente décision, dans un délai de 60 jours de la réception de la présente décision. Diane Poitras Juge administratif
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