Section surveillance

Informations sur la décision

Contenu de la décision

COMMISSION DACCÈS À LINFORMATION DU QUÉBEC Dossier : 111756 Nom de lentreprise : Garderie Excelsiori Daycare inc. Date : 9 février 2015 Membre : M e Diane Poitras DÉCISION OBJET ENQUÊTE en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 . [1] À la suite dun article paru dans le journal Le Devoir en juin 2011, alléguant que des caméras de surveillance avaient été installées dans les locaux de la Garderie Excelsiori Daycare inc. (lentreprise) et quelle sapprêtait à permettre aux parents des enfants qui fréquentent cette garderie davoir accès, via Internet, aux images captées par ces caméras, la Commission daccès à linformation (la Commission) a procédé à une enquête de sa propre initiative. [2] Cette enquête a porté sur la conformité à la Loi sur le privé des pratiques de lentreprise en matière de collecte, de détention, dutilisation et de communication de renseignements personnels dans le contexte de lutilisation du système de vidéosurveillance en place. LES FAITS [3] Selon lenquête qui a impliqué une visite des lieux, quatorze caméras fixes sont installées dans les locaux de lentreprise, réparties de la manière suivante : - Six caméras ; 1 RLRQ, c. P-39.1, la Loi sur le privé.
111756 Page : 2 - Une dans ; - Une dans ; - Deux caméras ; - Une caméra ; - Deux caméras ; - Une caméra . [4] Lenquête révèle également que les caméras enregistrent de manière continue et que les enregistrements sont effacés par écrasement après une semaine. Lappareil permettant de visionner les images enregistrées est situé dans . Un parent peut, sur demande, voir les enregistrements. Les parents nont pas accès aux enregistrements ou aux images via Internet, malgré ce quindiquaient les divers articles parus dans les journaux. [5] Selon lenquête, les objectifs ou finalités recherchés par la collecte de ces renseignements personnels sont la sécurité des enfants, incluant le contrôle des personnes qui entrent et sortent de la garderie, la possibilité de voir ce qui sest passé en cas dincident impliquant un enfant ou un employé et la protection physique des biens et des lieux. OBSERVATIONS AU TERME DE LENQUÊTE [6] Le 2 septembre 2014, la Commission transmet à lentreprise un avis dintention linformant quà la lumière des informations dont elle dispose à ce moment, elle envisage de lui ordonner de cesser de recueillir de façon systématique des renseignements personnels à laide dun système de vidéosurveillance et de détruire tous les renseignements personnels recueillis et conservés par ce moyen. Subsidiairement, elle pourrait ordonner à lentreprise de cesser de communiquer des renseignements personnels sur autrui (visionnement des enregistrements par les parents) sans le consentement des personnes concernées. [7] Dans cet avis, la Commission précise à lentreprise quil lui appartient de démontrer le caractère nécessaire de la collecte de renseignements personnels pour lobjet dun dossier, notamment de démontrer que : - Le ou les objectif(s) poursuivi(s) par cette collecte sont légitimes, importants, urgents et réels;
111756 Page : 3 - Latteinte au droit à la vie privée que peut constituer cette collecte est proportionnelle aux objectifs poursuivis. [8] Lavis indique : Selon ce test, proposé par les tribunaux, les éléments suivants doivent être considérés par la Commission lors de lévaluation de la nécessité de la collecte systématique, par une garderie, de renseignements personnels par le biais dun système de vidéosurveillance : Quest-ce qui a motivé la décision de lentreprise dinstaller un système de vidéosurveillance enregistrant systématiquement les actions des personnes se trouvant à la garderie? La collecte systématique des images par les caméras de surveillance vise à répondre à quel besoin particulier? Quels sont les objectifs visés, les finalités poursuivies? En quoi cette collecte systématique de renseignements personnels permet-elle de répondre efficacement à ce besoin, datteindre ces objectifs? Lentreprise a-t-elle envisagé dautres moyens portant moins atteinte à la vie privée des personnes concernées pour atteindre ces objectifs? En quoi des mesures alternatives, potentiellement utilisées dans dautres garderies, ne permettent-elles pas datteindre ces objectifs, par exemple : laménagement sécuritaire des lieux ou la supervision des activités sur place? Lentreprise a-t-elle mis en place des mesures visant à minimiser latteinte au droit à la vie privée des individus visés par cette collecte? [9] Lentreprise disposait dun délai de 30 jours à compter de la date de réception de cet avis pour présenter des observations écrites, préciser à la Commission les modifications apportées à ses pratiques, le cas échéant, ou produire des documents afin de compléter les informations au dossier de la Commission. [10] Le 2 octobre 2014, lentreprise transmet les seules observations suivantes : Suite à la lettre que nous avons reçue, nous demandant des précisions sur nos caméras de surveillance, nous voudrions vous préciser que les dites caméra fonctionne 7 jours sur 7 pour une raison très simple, nous avons plusieurs familles qui
111756 Page : 4 sont séparées et lors de situations exceptionnelles, un membre de ses familles on droit de reculer en arrière pour visualiser une date précise sur un évènement qui aurait pu sêtre produit. Sans les caméras de surveillance, nous ne pourrions offrir ce service ni cette sécurité à nos familles. Ce qui est aussi important à souligner est que ce système est utilisé aussi pour la sécurité de nos employés et pour si un incident survient les services durgence peuvent en avoir recours. (sic) ANALYSE [11] La Loi sur le privé établit des règles relatives à la collecte, à lutilisation, à la détention et à la communication de renseignements personnels à loccasion de lexploitation dune entreprise 2 . Une image captée par des caméras de surveillance qui permet didentifier une personne constitue un renseignement personnel puisque limage concerne cette personne et permet de lidentifier 3 . [12] Puisque les quatorze caméras utilisées par lentreprise enregistrent de manière continue ce qui se passe sur les lieux, incluant les faits et gestes des personnes qui sy trouvent, la Commission doit déterminer si lentreprise respecte les dispositions de la Loi sur le privé dans le contexte de lutilisation de ses caméras de surveillance. En effet, lentreprise collecte ainsi de manière systématique des images permettant didentifier les personnes se trouvant sur les lieux. Principes applicables [13] En vertu de larticle 4 de la Loi sur le privé et de larticle 37 du Code civil du Québec 4 , une entreprise doit avoir un intérêt sérieux et légitime pour constituer un dossier sur autrui. [14] Selon la Loi sur le privé, une entreprise peut uniquement recueillir les renseignements personnels nécessaires à lobjet dun dossier : 2 Constitue l'exploitation d'une entreprise l'exercice, par une ou plusieurs personnes, d'une activité économique organisée, qu'elle soit ou non à caractère commercial, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services (art. 1 de la Loi sur le privé et 1525 du C.c.Q.). 3 Art. 2 de la Loi sur le privé. Voir aussi la décision de la Commission dans Garderie Cœur denfant inc., C.A.I. 080272, 31 mars 2014, c. Poitras. 4 RLRQ, le Code civil.
111756 Page : 5 5. La personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou dy consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l'objet du dossier. [15] Comme la déjà souligné la Commission, les règles établies par la Loi sur le privé visent à établir un équilibre entre le droit au respect de la vie privée dune personne et les besoins dune entreprise en matière de collecte, dutilisation et de communication de renseignements personnels dans le cadre de lexercice de ses activités. Cest pourquoi la loi limite la collecte de renseignements personnels par une entreprise uniquement à ceux qui sont nécessaires pour réaliser lobjet du dossier quelle constitue au sujet dune personne. [16] Le fardeau de démontrer le caractère nécessaire de la collecte de renseignements personnels pour lobjet dun dossier repose sur lentreprise. [17] Le critère de nécessité des renseignements sinterprète à la lumière de la finalité poursuivie par lorganisme qui recueille des renseignements personnels : [33] Ce principe dinterprétation, voulant que la nécessité doit être évaluée relativement aux fins pour lesquelles un renseignement est requis, est conforme à la lettre et à lesprit de la loi. Il ne sagit pas de déterminer ce quest la nécessité en soi, mais plutôt de chercher, dans le contexte de la protection des renseignements personnels, et pour chaque situation, ce qui est nécessaire à laccomplissement de chaque fin particulière pour laquelle un organisme public plaide la nécessité. […] 5 [nos soulignements] [18] Dans laffaire Laval, la Cour du Québec a rappelé lobjet des lois sur la protection des renseignements personnels, soit le droit au respect de la vie privée, un droit fondamental protégé par la Charte des droits et libertés de la personne 6 , et le principe voulant que les lois doivent être interprétées dune 5 Laval (Société de transport de la Ville de) c. X., [2003] C.A.I. 667 (C.Q.), laffaire Laval. Cette décision porte sur linterprétation de larticle 64 de la Loi sur laccès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (RLRQ, c. A-2.1) qui réfère également au critère de nécessité lors de la collecte de renseignements personnels par un organisme public. Voir aussi : Grenier c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, [2010] QCCQ 93, 97; X. et Skyventure Montréal, C.A.I. 101888, 16 septembre 2013, c. Desbiens; Garderie Cœur denfants, préc., note 3. 6 RLRQ, c. C-12, art. 5, la Charte québécoise.
111756 Page : 6 manière qui favorise lexercice des droits fondamentaux. Elle propose dinterpréter lexigence de nécessité en la développant autour des deux volets du test élaboré par la Cour suprême dans larrêt Oakes 7 , bien que ce test vise plutôt à déterminer si une atteinte à un droit fondamental est justifiée dans le cadre dune société libre et démocratique au sens des articles 1 de la Charte canadienne des droits et libertés 8 et 9.1 de la Charte québécoise : [44] […] Un renseignement sera donc nécessaire non pas lorsquil pourra être jugé absolument indispensable, ou au contraire simplement utile. Il sera nécessaire lorsque chaque fin spécifique poursuivie par lorganisme, pour la réalisation dun objectif lié à ses attributions, sera légitime, importante, urgente et réelle, et lorsque latteinte au droit à la vie privée que pourra constituer la cueillette, la communication ou la conservation de chaque élément de renseignement sera proportionnelle à cette fin. Cette proportionnalité jouera en faveur de lorganisme lorsquil sera établi que lutilisation est rationnellement liée à lobjectif, que latteinte est minimisée et que la divulgation du renseignement requis est nettement plus utile à lorganisme que préjudiciable à la personne. Autrement, le droit à la vie privée et à la confidentialité des renseignements personnels devra prévaloir. [nos soulignements] [19] En 2010, la Cour du Québec a appliqué à nouveau ce test lors de linterprétation du critère de nécessité en précisant que : [153] Ce test a l'avantage de tenir compte de la nature du renseignement et du besoin réel de l'organisme dans l'exercice de ses attributions en comparant le degré d'exigence que commande le besoin à l'expectative du préjudice pouvant être causé par l'atteinte aux droits de la personne. [154] Ce test a pour effet pratique de soupeser les besoins de lun dans l'optique de la finalité de ses fonctions et le préjudice pouvant être causé à l'autre 9 . 7 R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. 8 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, c. 11 (R.-U.)]. 9 Grenier c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, préc. note 5. La Cour fédérale a appliqué un test similaire à la question de la surveillance vidéo dans le contexte de lapplication de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 : Eastmond c. Canadien Pacifique Ltée, 2004 CF 852.
111756 Page : 7 [20] Ainsi, lutilité dune collecte de renseignements personnels nest pas suffisante pour en démontrer la nécessité au sens de la Loi. [21] Dans le contexte du présent dossier, lentreprise doit démontrer que la collecte systématique des images des enfants, des éducatrices et de toute autre personne susceptible de se trouver dans langle des caméras de surveillance des installations de la garderie est nécessaire pour atteindre certaines finalités particulières liées à lobjet du dossier. [22] Selon le test proposé par la Cour du Québec, la nécessité de la collecte de ces renseignements sera démontrée si elle vise la réalisation dun objectif lié à lobjet du dossier qui est légitime, important, urgent et réel, et si latteinte au droit à la vie privée des individus concernés que constitue cette collecte est proportionnelle à cette fin (lien rationnel entre lobjectif poursuivi et la collecte des renseignements, atteinte au droit minimale et collecte nettement plus utile à lorganisme que préjudiciable à lindividu). Application du test de nécessité Les finalités recherchées ou les objectifs poursuivis sont-ils légitimes, importants, réels et urgents? [23] Lentreprise indique que les finalités recherchées par la collecte des images captées par les caméras de surveillance sont : la sécurité des enfants, incluant le contrôle des personnes qui entrent et sortent de la garderie, la possibilité de voir ce qui sest passé en cas dincident impliquant un enfant ou un employé, la sécurité des employés, la protection physique des biens et des lieux. [24] Lentreprise précise que ces enregistrements permettent à un membre « dune famille séparée » « lors de situations exceptionnelles » « de reculer en arrière pour visualiser une date précise sur un événement qui aurait pu sêtre produit ». Il pourrait aussi être utile aux services durgence « si un incident survient ». [25] Toutefois, lentreprise na fourni aucune précision concernant ces situations exceptionnelles quelle veut documenter par le biais dune image vidéo pour ensuite permettre à un parent ou aux services durgence de les visionner. La Commission ne peut donc conclure que ces finalités sont légitimes et sérieuses ni quelles sont urgentes et réelles.
111756 Page : 8 [26] Quant à la sécurité des enfants, des employés et la protection des biens et des lieux, la Commission convient quil sagit dobjectifs légitimes et importants pour une entreprise offrant des services de garde. [27] En effet, à titre de prestataire dun service de garde au Québec, lentreprise a lobligation de prendre les mesures appropriées en vue dassurer la santé, la sécurité, le développement et le bien-être des enfants qui lui sont confiés 10 . Il est également légitime pour lentreprise de vouloir sassurer de la sécurité de ses employés, des lieux et des biens qui sy trouvent. [28] Cet objectif de sécurité est-il réel et urgent? [29] Bien quinformée expressément quil lui appartenait de démontrer la nécessité des renseignements personnels colligés par les caméras de surveillance et des éléments que la Commission prendrait en considération dans lévaluation de la légalité de cette collecte, lentreprise na offert aucune précision ni élément concret concernant cet élément ni au sujet de la proportionnalité de cette collecte de renseignements par rapport à ces finalités. [30] Par exemple, lentreprise aurait pu démontrer à la Commission que sa décision dinstaller des caméras de surveillance dans les locaux de la garderie a été motivée par un événement particulier ou une situation problématique relative à la sécurité des biens ou des personnes qui sy trouvent (ex. : plainte dun parent au sujet des agissements dune éducatrice, vols, vandalisme). [31] Ainsi, la Commission conclut que le caractère « urgent » et « réel » des objectifs poursuivis nest pas démontré, lentreprise nayant fourni aucun élément probant ni précision au sujet de cette question. [32] La Commission analysera tout de même la deuxième étape du test de nécessité de cette collecte, soit la proportionnalité. Latteinte au droit à la vie privée que peut constituer cette collecte est-elle proportionnelle aux objectifs poursuivis? [33] La Commission a déjà eu à se pencher sur la collecte de renseignements personnels par le biais de caméras installées dans les locaux dune garderie 11 . Dans cette décision, la collecte de renseignements personnels effectuée par la garderie était très étendue : chaque local de la garderie était muni dune caméra dont langle permettait denregistrer des images en continu de lensemble des 10 Loi sur les services de garde éducatifs à lenfance, RLRQ, c. S-4.1.1, art. 1. 11 Garderie Cœur denfants, préc., note 3.
111756 Page : 9 faits et gestes de toute personne qui sy trouvait. De plus, les caméras permettaient de capter les images des personnes qui circulaient dans la presque totalité des lieux communs de la garderie et certaines aires extérieures, dont laire de jeux. [34] La Commission a conclu que cette collecte systématique constituait une atteinte au droit à la vie privée des enfants qui fréquentaient la garderie et, dans une moindre mesure, du personnel qui y travaillait. [35] En effet, comme elle la précisé dans cette affaire, les tribunaux considèrent généralement quune procédure de surveillance continue dune personne représente, à première vue, une atteinte à la vie privée et que, pour conclure à sa légalité, elle doit être justifiée par des motifs rationnels sérieux et labsence de moyens alternatifs raisonnables. De plus, elle doit être effectuée de la façon la moins intrusive possible 12 . [36] La Cour suprême, pour sa part, a reconnu que le droit à la vie privée nest pas sujet à une limitation géographique comme la résidence dune personne; il suit lindividu 13 . Bien que lexpectative de vie privée dune personne sur les lieux de son travail ou dans des lieux publics soit généralement moindre, ce droit bénéficie tout de même dune certaine protection 14 . [37] Par ailleurs, le droit à limage dune personne est une composante du droit à la vie privée : […] le droit à limage, qui a un aspect extrapatrimonial et un aspect patrimonial, est une composante du droit à la vie privée […] Dans la mesure le droit […] consacré par lart. 5 de la Charte québécoise cherche à protéger une sphère dautonomie individuelle, ce droit doit inclure la faculté de contrôler lusage qui est fait de son image puisque le droit à limage prend appui sur lidée dautonomie individuelle, cest-à- dire sur le contrôle qui revient à chacun sur son identité [...] 15 . 12 Notamment : Syndicat des travailleurs(euses) de Bridgestone/Firestone de Joliette (CSN) c. M e Gilles Trudeau et Bridgestone/Firestone Canada inc., [1999] R.J.Q. 2229 (C.A.). Voir aussi : Stéphane LACOSTE, « La protection de la vie privée : impacts et expérience en relations de travail dans le secteur privé québécois et fédéral » dans Développements récents en droit du travail (2011), Vol. 333, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 51. 13 Aubry c. Éditions Vice-Versa inc, [1998] 1 R.C.S. 591; Ville de Longueuil c. Godbout, [1997] 3 R.C.S. 844. 14 Id. Voir aussi : Syndicat des travailleurs(euses) de Bridgestone/Firestone de Joliette (CSN) c. M e Gilles Trudeau et Bridgestone/Firestone Canada inc., préc., note 12. 15 Aubry c. Éditions Vice-Versa inc, préc., note 13.
111756 Page : 10 [38] La Commission a aussi souligné, dans la décision Garderie Cœur denfants, que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) sest déjà penchée sur une question similaire à la suite dune demande davis que lui avait formulée le ministère de la Famille et de lEnfance 16 . [39] Selon lenquête dans le présent dossier, lentreprise avait déjà pris connaissance de cet avis de la CDPDJ. [40] Dans cet avis, la CDPDJ examine à la fois les droits des enfants et des employés dune garderie dans le contexte de demandes de parents qui voulaient visionner les images à distance, via un lien Internet. Lobjectif poursuivi et analysé dans le cadre de cet avis était la volonté de satisfaire le désir des parents des enfants inscrits à la garderie de suivre leur évolution et dassurer leur sécurité. [41] Appliquant le test de proportionnalité dans le contexte de lapplication de larticle 9.1 de la Charte québécoise, test similaire à celui que doit appliquer la Commission pour déterminer la nécessité de la collecte de renseignements personnels en lespèce, la CDPDJ conclut, au sujet du droit du respect de la vie privée des enfants : Premièrement, la Commission est davis que la surveillance vidéo continue ainsi que la diffusion des images nont pas suffisamment de lien rationnel avec lobjectif poursuivi. Car, à défaut de démontrer que la sécurité des enfants est en danger relativement à une situation réelle, lutilisation de ces moyens serait arbitraire. Pour ce qui est du deuxième élément du critère de proportionnalité, soit latteinte minimale aux droits protégés, la Commission soutient que la garderie devra avoir épuisé tous les moyens pour sassurer de la sécurité des enfants et pour faciliter laccès aux parents, avant de recourir à la surveillance vidéo ou de permettre la diffusion des images […] Laménagement des lieux de façon sécuritaire et favorisant une supervision efficace des activités, le travail en équipe, une formation et une sélection adéquates du personnel, sont parmi les éléments cruciaux qui permettent de sassurer en temps normal de la protection et de la sécurité des enfants. 16 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Surveillance vidéo dans les garderies, diffusion et accessibilité des images, Mars 2003, 22 p. disponible en ligne : www.cdpdj.qc.ca/publications/surveillance_garderies.pdf.
111756 Page : 11 Donc, compte tenu de lobjectif visé, la surveillance vidéo continue et la diffusion des images ne seraient pas les moyens portant latteinte minimale au droit au respect à la vie privée de lenfant. Parallèlement, notons quune restriction au respect du droit à la vie privée de lenfant pourrait mettre en péril certains droits des adultes présents dans les mêmes lieux. Finalement, concernant le troisième élément du critère de proportionnalité, en regard des deux premiers éléments plus haut analysés, la Commission constate que les effets préjudiciables des moyens choisis, soit la surveillance vidéo ainsi que la diffusion des images, paraissent disproportionnés (restriction notamment, de la spontanéité des enfants, de leur autonomie, de leur droit à lintimité ou leur droit au secret et à la confidentialité) et semblent outrepasser les bénéfices escomptés. La Commission conclut donc quà la lumière des situations relatées par le ministère, la restriction du droit au respect de la vie privée des enfants, quentraînerait la pratique continue de la surveillance vidéo et la diffusion des images, ne serait pas justifiable par lapplication de larticle 9.1 de la Charte. [42] Selon la CDPDJ, linstallation de caméras de surveillance pourrait être justifiée, dans certaines situations, si elle est limitée dans le temps et quelle vise à remédier à une problématique spécifique. [43] Elle aborde également le respect de la vie privée des employés de la garderie ainsi filmés. Rappelant que, selon la jurisprudence et la doctrine en droit du travail, lexpectative de vie privée dun employé sur les lieux de son travail est plus restreinte, la CDPDJ conclut que la surveillance complète et constante des travailleurs, par des moyens électroniques, tel lusage des caméras en circuits fermés, constituerait plutôt une « condition de travail déraisonnable » au sens de larticle 46 de la Charte québécoise et que cette pratique pourrait porter atteinte au droit à la dignité des travailleurs (article 4 de la Charte québécoise). [44] En lespèce, la Commission doit donc déterminer si latteinte au droit à la vie privée des personnes filmées que constitue la collecte de leurs renseignements personnels par les caméras de surveillance est proportionnelle aux objectifs poursuivis, soit la sécurité des biens, des lieux et des personnes qui se trouvent à la garderie. [45] Pour ce faire, tel quexposé précédemment, la Commission doit évaluer :
111756 Page : 12 - si la collecte des renseignements personnels est rationnellement liée à lobjectif de sécurité; - si latteinte au droit à la vie privée des personnes concernées est minimisée; - si la collecte des renseignements personnels est nettement plus utile à lentreprise que préjudiciable aux personnes concernées. [46] Sur ce point, lenquête et les observations soumises par la garderie ne permettent pas à la Commission de conclure que latteinte au droit à la vie privée des personnes concernées est proportionnelle à lobjectif dassurer la sécurité. [47] Dabord, comme le souligne la CDPDJ, sans démonstration que la sécurité des enfants est compromise en raison dune situation réelle particulière, lutilisation en continu de caméras de surveillance devient arbitraire. Les moyens mis en place généralement par les garderies, comme laménagement sécuritaire des lieux, la supervision des activités ou des processus de sélection et dencadrement du personnel efficaces, sont dautres moyens favorisant la sécurité des enfants. [48] Rappelons-le, lentreprise na pas expliqué en quoi ces mesures ou celles en place avant linstallation des caméras de surveillance étaient insuffisantes. Aucun élément concret dinquiétude relatif à la sécurité des enfants ou événement problématique particulier ne semble avoir mené à la décision de colliger de façon systématique ces renseignements personnels par le biais de linstallation du système de surveillance vidéo. [49] Lentreprise na pas davantage soutenu ni démontré que la collecte des images par le biais des caméras de surveillance a mis fin à une situation problématique ou permis daccroître la sécurité des enfants. [50] Mais surtout, compte tenu de lobjectif général visant la sécurité, la collecte systématique de renseignements personnels au moyen de lenregistrement en continu des images captées par le système de caméras de surveillance actuel de lentreprise ne constitue pas une mesure permettant de limiter latteinte aux droits à la vie privée des individus concernés. Les mesures généralement mises en place par les garderies, comme celles énumérées précédemment, visent cet objectif de sécurité des enfants, en minimisant latteinte à la vie privée des individus concernés.
111756 Page : 13 [51] Aussi, la Commission est davis que les effets préjudiciables de cette collecte de renseignements personnels, découlant de la surveillance constante au moyen des caméras, sont plus importants notamment pour les enfants, les éducatrices et les parents, que lutilité de ces renseignements pour lentreprise. [52] La Commission conclut que latteinte au droit à la vie privée induite par la collecte de renseignements personnels quimplique la captation des images par les caméras de surveillance dans le contexte du présent dossier est disproportionnée au regard de lobjectif de sécurité poursuivi par lentreprise. CONCLUSION [53] En résumé, la Commission conclut que la nécessité de la collecte systématique des images des personnes se trouvant dans les locaux de la garderie par le biais du système de vidéosurveillance en place na pas été démontrée dans le présent dossier. [54] Dabord, les finalités poursuivies par cette collecte de renseignements sont toutes de nature générale et sont susceptibles dêtre communes à lensemble des entreprises de ce secteur dactivité. Aucune circonstance ni aucun besoin particulier nont été soulevés par lentreprise. Celle-ci na donc pas démontré que lobjectif de sécurité poursuivi par cette collecte très étendue de renseignements personnels est réel et urgent, même sil peut être important. [55] Ensuite, latteinte au droit à la vie privée des personnes qui se trouvent dans les locaux de la garderie que constitue cette collecte systématique de renseignements personnels est disproportionnée par rapport aux objectifs généraux poursuivis par lentreprise. Elle na pas démontré en quoi dautres moyens, portant moins atteinte à la vie privée de ces individus, ne pourraient pas permettre datteindre ces objectifs. [56] À la lumière de lenquête et des observations de lentreprise, la Commission conclut que celle-ci a contrevenu à larticle 5 de la Loi sur le privé en recueillant des renseignements personnels non nécessaires à lobjet du dossier. [57] Compte tenu de cette conclusion, il nest pas pertinent dévaluer si la communication à des tiers des images captées par les caméras (ex. : visionnement des enregistrements par les parents ou les services durgence), sans le consentement des personnes concernées, est conforme aux dispositions de la Loi sur le privé.
111756 Page : 14 POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [58] ORDONNE à lentreprise de cesser de recueillir de façon systématique les images des enfants, des employés et de toute autre personne se trouvant sur les lieux de la garderie par le biais du système de vidéosurveillance qui y est installé; [59] ORDONNE à lentreprise de détruire tous les renseignements personnels recueillis au moyen du système de vidéosurveillance dans un délai de 30 jours de la réception de la présente décision; [60] ORDONNE à lentreprise dinformer la Direction de la Surveillance de la Commission des mesures prises afin de respecter la présente décision, dans un délai de 60 jours de la réception de la présente décision. Diane Poitras Juge administratif
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.