Commission d’accès à l’information du Québec
Dossier :
1005592
Date :
Le 29 septembre 2014
Membre:
M
e
Diane Poitras
X.
Plaignante
et
CELLULAIRE PLUS
Entreprise
DÉCISION
OBJET
PLAINTE en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels
dans le secteur privé
1
.
[1] Le 19 septembre 2012, la Commission d’accès à l’information (la
Commission) est saisie d’une plainte à l’endroit de Cellulaire Plus concernant la
collecte de renseignements personnels au sujet de M
me
… (la plaignante) à
l’occasion d’une demande de mise en service d’un téléphone cellulaire.
[2] La plaignante reproche à Cellulaire Plus d’avoir voulu recueillir des
renseignements personnels qui n’étaient pas nécessaires à l’objet du dossier,
plus précisément son numéro d’assurance sociale (NAS) et son numéro de
permis de conduire, dans le cadre de la mise en service d’un téléphone
cellulaire selon une offre de forfait corporatif.
1
RLRQ, c. P-39.1, la Loi sur le privé.
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Page : 2
[3] La Commission a procédé à une enquête conformément à l’article 81 de
la Loi sur le privé.
LES FAITS
[4] La plaignante explique qu’elle voulait se prévaloir du forfait de cellulaire
corporatif offert par TELUS aux employés de la Ville de Gatineau. Selon la
procédure prévue, elle a transmis sa demande par courriel à Cellulaire Plus.
[5] Cellulaire Plus lui a demandé de compléter un formulaire. La plaignante y
a inscrit son nom, ses deux dernières adresses résidentielles, sa date de
naissance et son numéro de carte de crédit. Toutefois, elle a refusé de donner
son NAS et n’a pas inscrit de numéro de permis de conduire, n’étant pas
détentrice d’un tel permis.
[6] N’ayant pas obtenu de réponse à sa demande, la plaignante s’est
présentée à une succursale de Cellulaire Plus située à Gatineau. Le gérant du
magasin a photocopié une pièce d’identité de la plaignante. Par la suite, elle a
reçu un courriel de Cellulaire Plus lui mentionnant que l’activation du cellulaire
n’était pas possible parce qu’elle ne détient pas de permis de conduire. On lui a
donc proposé un forfait personnel.
[7] La plaignante a porté plainte à la Commission et souhaite que Cellulaire
Plus cesse d’exiger de ses clients leur numéro de permis de conduire ou leur
NAS pour l’obtention de services de téléphonie sans fil.
[8] M. …, propriétaire de la succursale Cellulaire Plus, a transmis sa version
des faits à l’enquêteur de la Commission en novembre 2012.
[9] Il indique qu’à titre de détaillant autorisé de TELUS, Cellulaire Plus agit
pour son compte lors de la mise en service d’appareils sans fil sur ce réseau.
Elle est donc tenue de respecter les politiques de TELUS, dont le processus
d’identification d’un client et la vérification de son crédit. Il souligne également
que ce processus est le même pour l’ensemble des clients de TELUS à travers
le Canada.
[10] Selon Cellulaire Plus, la première étape consiste à valider, en magasin,
l’identité du client par le biais d’une carte d’identité gouvernementale avec
photo. En l’espèce, la plaignante a fourni sa carte d’employée.
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Page : 3
[11] L’étape suivante consiste à effectuer une demande d’ouverture de
compte et une vérification de crédit auprès de TELUS. Outre le nom et l’adresse
du client, TELUS exige deux renseignements afin de procéder à la vérification
de crédit. Le client peut fournir 2 des 3 pièces suivantes : carte de crédit émise
par une banque canadienne, permis de conduire ou carte d’assurance sociale.
Cellulaire Plus affirme qu’elle n’accède pas au dossier de crédit du client : la
vérification de crédit est effectuée uniquement par TELUS.
[12] Dans le cas de la plaignante, la demande de mise en service initiale a été
refusée par TELUS parce qu’elle n’a pas produit deux des pièces d’identité
requises pour la vérification de son crédit personnel. En effet, elle a fourni son
numéro de carte de crédit, mais ne détient pas de permis de conduire et a
refusé de fournir son NAS.
[13] Cellulaire Plus soutient également que TELUS, à titre d’entreprise de
juridiction fédérale, se conforme entièrement aux lois et à la réglementation
fédérales en matière de protection des renseignements personnels. Elle ajoute
que la protection de l’identité est souvent en cause dans ce genre d’industrie et
que des moyens nécessaires sont mis en œuvre pour s’assurer de l’exactitude
des informations recueillies lors de l’ouverture d’un compte client.
OBSERVATIONS AU TERME DE L’ENQUÊTE
[14] Le 17 juin 2013, la Commission transmet à Cellulaire Plus le rapport
d’enquête et un avis d’intention l’informant qu’elle envisage de lui ordonner de
cesser de recueillir le NAS ou le numéro de permis de conduire d’une personne
pour la mise en service d’un téléphone cellulaire dans le cadre d’un forfait
corporatif.
[15] L’avis prévoit que Cellulaire Plus peut faire parvenir à la Commission ses
observations écrites additionnelles dans un délai de 30 jours. Cet avis a été
transmis par courrier recommandé et reçu par Cellulaire Plus le 25 juin 2013.
[16] Cellulaire Plus n’a pas soumis d’observations additionnelles à la suite de
cet avis.
[17] La Commission a également fait parvenir une copie de l’avis d’intention et
du rapport d’enquête à TELUS, puisque Cellulaire Plus soutient qu’elle collige
certains renseignements pour le compte de TELUS, à titre de détaillant autorisé
de ses produits.
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Page : 4
[18] TELUS a transmis ses observations à la Commission le 29 novembre
2013. Elle affirme qu’à titre d’entreprise fédérale de télécommunications, elle se
conforme aux lois et à la réglementation fédérales en matière de protection des
renseignements personnels, soit la Loi sur la protection des renseignements
personnels et les documents électroniques
2
(LPRPDE).
[19] Selon TELUS, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada
considère raisonnable qu’une entreprise demande deux pièces d’identité pour
confirmer la solvabilité ou l’identité d’un client potentiel. À ce propos, TELUS
réfère la Commission à une enquête effectuée en vertu de la LPRPDE
3
dans le
cadre de laquelle « le Commissariat a conclu qu’il est raisonnable d’obtenir deux
pièces d’identité pour confirmer la solvabilité ou l’identité ».
[20] TELUS ajoute que cette activité de validation de l’identité du client relève
de ses fonctions essentielles qui sont effectuées pour son compte par ses
détaillants. Elle soumet une décision concluant que les fonctions essentielles
d’une entreprise de télécommunications relèvent de la compétence exclusive de
l’autorité fédérale
4
et soutient que la plainte ne relève pas de la compétence
constitutionnelle de la Commission.
ANALYSE
[21] La Commission doit déterminer si Cellulaire Plus est autorisée, en vertu
des dispositions de la Loi sur le privé, à recueillir le NAS et le numéro de permis
de conduire de la plaignante. Elle doit également disposer des arguments de
Cellulaire Plus et de TELUS concernant sa compétence à l’égard de la présente
plainte.
La collecte de renseignements personnels
[22] La présente plainte porte sur la collecte, par Cellulaire Plus, du numéro
de permis de conduire et du NAS à des fins d’identification et d’enquête de
crédit. Puisque ces renseignements concernent une personne physique et
permettent de l’identifier
5
, ils constituent des renseignements personnels visés
par les dispositions de la Loi sur le privé.
2
L.C. 2000, ch. 5.
3
Résumé de conclusions d’enquête en vertu de la LPRPDE no 2005-288, intitulé « Exigences
relatives à l’identification pour obtenir des services de téléphone cellulaire ».
4
Téléphone Guèvremont Inc. c. P. G. Québec, [1994] 1 R.C.S. 878.
5
Art. 2 de la Loi sur le privé.
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Page : 5
[23] En vertu de l’article 5 de cette loi, Cellulaire Plus doit démontrer que les
renseignements qu’elle veut recueillir sont nécessaires à l’objet du dossier
constitué au sujet de la plaignante, soit la mise en service d’un téléphone
cellulaire dans le cadre d’un forfait corporatif :
5. La personne qui recueille des renseignements
personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou d'y
consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les
renseignements nécessaires à l'objet du dossier.
Ces renseignements doivent être recueillis par des
moyens licites.
[24] Le fardeau de démontrer la nécessité de recueillir des renseignements
personnels repose sur l’entreprise qui demande les renseignements.
[25] Quant au critère de nécessité, la Cour du Québec
6
propose d’interpréter
ce critère à la lumière de la finalité poursuivie par l’entreprise qui recueille des
renseignements personnels :
[33]
Ce
principe
d’interprétation,
voulant
que
la
nécessité doit être évaluée relativement aux fins pour
lesquelles un renseignement est requis, est conforme à la
lettre et à l’esprit de la loi. Il ne s’agit pas de déterminer ce
qu’est la nécessité en soi, mais plutôt de chercher, dans le
contexte de la protection des renseignements personnels,
et pour chaque situation, ce qui est nécessaire à
l’accomplissement de chaque fin particulière pour laquelle
un organisme public plaide la nécessité. […]
[44]
[…] Un renseignement sera donc nécessaire non
pas lorsqu’il pourra être jugé absolument indispensable, ou
au contraire simplement utile. Il sera nécessaire lorsque
chaque fin spécifique poursuivie par l’organisme, pour la
réalisation d’un objectif lié à ses attributions, sera légitime,
importante, urgente et réelle, et lorsque l’atteinte au droit à
la vie privée que pourra constituer la cueillette, la
communication ou la conservation de chaque élément de
renseignement sera proportionnelle à cette fin. Cette
proportionnalité jouera en faveur de l’organisme lorsqu’il
6
Laval (Société de transport de la Ville de) c. X., [2003] C.A.I. 667 (C.Q.); Grenier c. Centre
hospitalier universitaire de Sherbrooke, [2010] QCCQ 93. Ces décisions portent sur
l’interprétation de l’article 64 de la Loi sur l’accès qui réfère également au critère de
nécessité.
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Page : 6
sera établi que l’utilisation est rationnellement liée à
l’objectif, que l’atteinte est minimisée et que la divulgation
du renseignement requis est nettement plus utile à
l’organisme que préjudiciable à la personne. Autrement, le
droit à la vie privée et à la confidentialité des
renseignements
personnels
devra
prévaloir.
[nos
soulignements]
[26] En l’espèce, Cellulaire Plus soutient que la collecte des pièces d’identité
et des numéros qui y sont inscrits est requise pour identifier le client et
permettre à TELUS de vérifier son dossier de crédit avant la mise en service
d’un téléphone cellulaire dans le contexte d’un forfait corporatif. Examinons
chacune des finalités alléguées.
-
Identification d’un client
[27] Dans plusieurs décisions
7
, la Commission a conclu que la collecte d’un
numéro contenu sur une pièce d’identité, tels les numéros de permis de
conduire ou d’assurance sociale, ou la photocopie de ces pièces, n’est pas
nécessaire pour valider l’identité d’une personne. Cellulaire Plus peut demander
de voir une pièce d’identité, au choix du client, pour atteindre cet objectif, sans
qu’il ne soit nécessaire de recueillir l’identifiant contenu sur cette pièce ni de la
photocopier.
[28] En l’espèce, Cellulaire Plus explique qu’elle procède elle-même, en
magasin, à la validation de l’identité de la personne à partir d’une carte d’identité
valide avec photo. La plaignante a présenté sa carte d’employée de la ville de
Gatineau et Cellulaire Plus en a fait une copie afin de la conserver.
[29] Toutefois, l’entreprise n’a fait valoir aucun élément concret justifiant la
nécessité de colliger une copie de la pièce pour les fins d’identification du client.
[30] Dans ses observations, TELUS ne fait pas de distinction entre la
nécessité de colliger le NAS et le numéro de permis de conduire pour
l’identification d’un client ou pour la vérification de sa solvabilité.
7
Regroupement des comités logement et Association de locataires du Québec et Corporation
des propriétaires immobiliers du Québec, [1995] C.A.I. 370; Julien c. Domaine Laudance,
[2003] C.A.I. 77 ; Perreault c. Blondin, [2006] C.A.I. 162 ; X. et Loca-Meuble, CAI 08 11 10,
1er octobre 2013, c. Poitras; X. et Skyventure Montréal, C.A.I. 101888, 16 septembre 2013,
c. Desbiens.
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Page : 7
[31] Puisque l’atteinte à la vie privée que constitue la collecte de
renseignements personnels doit être minimisée, la Commission conclut que la
collecte du NAS ou du permis de conduire n’est pas nécessaire en l’espèce
pour identifier le client.
[32] Tel qu’indiqué précédemment, si Cellulaire Plus désire vérifier les
renseignements d’identité fournis par un client, elle peut demander de voir une
pièce d’identité avec photo. Par contre, Cellulaire Plus ne peut recueillir les
informations contenues sur ce document, que ce soit en les notant dans le
dossier ou en photocopiant le document. Le fait de noter le type de document
consulté permet, au besoin, de documenter la vérification de l’identité faite par
l’employé de Cellulaire Plus et d’en rendre compte à TELUS, tout en respectant
la Loi sur le privé.
[33] Cette façon de faire permet un équilibre entre la protection des
renseignements personnels, le respect de la vie privée des clients et le besoin
de Cellulaire Plus de recueillir des renseignements personnels pour atteindre
certaines finalités, dont celle de s’assurer de l’identité d’une personne avec qui
elle s’apprête à contracter.
[34] Notons par ailleurs que certaines lois particulières en vertu desquelles
certains documents sont émis édictent qu’ils ne peuvent être exigés que dans
des situations spécifiques.
[35] C’est le cas du Code de la sécurité routière
8
qui prévoit :
Code de la sécurité routière
61. La Société délivre les permis suivants autorisant la
conduite de véhicules routiers: le permis d’apprenti-
conducteur, le permis probatoire, le permis de conduire et
le permis restreint.
Le titulaire d’un permis n’est tenu de produire celui-ci qu’à
la demande d’un agent de la paix ou de la Société et à des
fins de sécurité routière uniquement.
[36] Ainsi, une personne n’est tenue de fournir son permis de conduire qu’à la
demande d’un agent de la paix ou de la Société de l’assurance automobile du
Québec, et uniquement à des fins de sécurité routière. Cellulaire Plus ne peut
donc exiger de ses clients, comme en l’espèce, la production de ce document
8
RLRQ, c. C-24.2.
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Page : 8
spécifique aux fins de la mise en service d’un téléphone cellulaire dans le
contexte d’un forfait corporatif.
-
Vérification du dossier de crédit
[37] Cellulaire Plus et TELUS prétendent que le NAS ou le permis de conduire
sont nécessaires pour effectuer une enquête de crédit.
[38] La Commission a déjà conclu que les nom, adresse et date de naissance
d’une personne suffisent pour effectuer, avec le consentement de la personne
concernée, une enquête de crédit
9
.
[39] Au surplus, l’ancienne adresse du client ou un numéro de carte de crédit
constituent des renseignements moins sensibles que le NAS ou le permis de
conduire pour permettre, lorsque requis, de s’assurer d’obtenir le bon dossier de
crédit. En l’espèce, la plaignante avait fourni ces renseignements. Cellulaire
Plus et TELUS n’ont pas expliqué en quoi les renseignements fournis par la
plaignante ne leur permettaient pas de vérifier son dossier de crédit.
[40] La Commission souligne que le NAS est un identifiant unique pouvant
faciliter l’accès à certaines bases de données et le vol d’identité s’il se retrouve
entre les mains de personnes mal intentionnées. Puisqu’il existe des
alternatives moins attentatoires à la protection des renseignements personnels,
celles-ci doivent être privilégiées, selon le test de nécessité élaboré par la Cour
du Québec.
[41] Ainsi, la Commission conclut que la collecte du NAS et du permis de
conduire (numéro ou photocopie de la pièce d’identité) n’est pas nécessaire
pour l’obtention du dossier de crédit d’une personne. Cellulaire Plus et TELUS
n’ont pas démontré ce qui justifie de s’écarter de cette position en l’espèce.
[42] La Commission considère donc que Cellulaire Plus ne peut recueillir ces
renseignements, même sur une base volontaire, pour le compte de TELUS. En
effet, puisque l’article 5 de la Loi sur le privé est une disposition impérative,
9
Id. Voir aussi, Brazeau c. Sutera, [1996] J.L. 282 (R.L); Gasparrini c. Marciszewski, [1998]
J.L. 318 (R.L); Colombie-Britannique, Office of the Information and Privacy Commissioner,
Privacy Guidelines for Landlords and Tenants, 2010, en ligne : Oipc.bc.ca,
<http://www.oipc.bc.ca/guidance-documents/1456>, consulté le 19 septembre 2014; Alberta,
Office of the Information and Privacy Commissioner of Alberta, Privacy & Landlord-Tenant
Matters, 2007, en ligne : Oipc.ab.ca,
<http://www.Oipc.ab.ca/Content_Files/Files/Publications/Landlord_Tenant-
FAQs_Mars2007.pdf>, consulté le 19 septembre 2014.
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Page : 9
Cellulaire Plus ne peut y déroger, même avec le consentement de la personne
concernée
10
.
La compétence de la Commission
[43] La Commission doit également disposer de l’argument de Cellulaire Plus
et de TELUS voulant qu’elle n’ait pas compétence pour se prononcer sur la
présente plainte qui relèverait, selon ces deux entreprises, du Commissaire
fédéral à la vie privée.
[44] La Commission a compétence pour faire enquête sur l’application de la
Loi sur le privé :
81. La Commission peut, de sa propre initiative ou sur la
plainte d’une personne intéressée, faire enquête ou
charger une personne de faire enquête sur toute matière
relative à la protection des renseignements personnels
ainsi que sur les pratiques d’une personne qui exploite une
entreprise et recueille, détient, utilise ou communique à
des tiers de tels renseignements.
[45] Selon son article 1, la Loi sur le privé s’applique à toute personne qui
recueille, détient, utilise ou communique à des tiers des renseignements
personnels, à l’occasion de l’exploitation d’une entreprise au sens de l’article
1525 du Code civil du Québec
11
:
1. La présente loi a pour objet d’établir, pour l’exercice des
droits conférés par les articles 35 à 40 du Code civil en
matière de protection des renseignements personnels, des
règles
particulières
à
l'égard
des
renseignements
personnels sur autrui qu'une personne recueille, détient,
utilise ou communique à des tiers à l’occasion de
l'exploitation d'une entreprise au sens de l'article 1525 du
Code civil.
Elle s’applique à ces renseignements quelle que soit la
nature de leur support et quelle que soit la forme sous
laquelle ils sont accessibles: écrite, graphique, sonore,
visuelle, informatisée ou autre. […]
10
Laval (Société de transport de la Ville de) c. X., préc., note 6; Grenier c. Centre hospitalier
universitaire de Sherbrooke, préc., note 6.
11
RLRQ, le C.c.Q.
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Page : 10
[46] L’article 1525 du C.c.Q. édicte que constitue l’exploitation d’une
entreprise l’exercice, par une ou plusieurs personnes, d’une activité économique
organisée, qu’elle soit ou non à caractère commercial, consistant dans la
production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou
dans la prestation de services.
[47] Selon les informations au dossier de la Commission, Cellulaire Plus est
une entreprise enregistrée au Québec qui vend des produits de téléphonie
cellulaire; elle est notamment un détaillant autorisé de TELUS. L’établissement
concerné est situé à Gatineau.
[48] Cellulaire Plus exerce une activité économique organisée de nature
commerciale qui consiste en la vente de produits et services. Il s’agit donc d’une
entreprise au sens de l’article 1525 du C.c.Q. L’exercice de cette activité
économique
implique
la
collecte,
la
conservation,
l’utilisation
et
la
communication de renseignements personnels.
[49] Cellulaire Plus est donc assujettie aux dispositions de la Loi sur le privé.
[50] TELUS prétend que la Commission n’a pas compétence parce que
Cellulaire Plus applique ses politiques et qu’elle est, à titre d’entreprise en
télécommunication, soumise uniquement aux règles fédérales en matière de
protection des renseignements personnels. Elle ajoute que la validation de
l’identité d’un client relève de ses fonctions essentielles qui sont effectuées pour
son compte par ses détaillants.
[51] La Commission n’est pas de cet avis.
[52] D’abord, tel qu’exposé précédemment, Cellulaire Plus est une entreprise
au sens du C.c.Q. dont les activités consistent à exploiter un commerce de
détail. À ce titre, elle est soumise à la Loi sur le privé, loi d’application générale
qui, tel que le stipule l’article 1, s’applique à l’égard des renseignements
personnels sur autrui qu’une personne recueille, détient, utilise ou communique
à des tiers à l’occasion de l’exploitation d’une entreprise.
[53] D’autre part, pour conclure à l’inapplicabilité de la Loi sur le privé comme
le soutient TELUS, la Commission devrait conclure que cette loi affecte un
élément vital ou essentiel de l’entreprise, au point d’entraver le plein exercice de
la compétence fédérale en matière de télécommunication
12
. Cette conclusion
12
Téléphone Guèvremont Inc. c. P. G. Québec, préc., note 4.
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Page : 11
doit reposer sur des éléments concrets et probants et non sur la seule allégation
de l’entreprise. Comme l’a souligné récemment la Cour suprême
13
:
[63] Quoique l’exclusivité des compétences demeure une
doctrine constitutionnelle valide, la Cour a dénoncé le
recours exagéré à celle‑ci. Une application élargie de cette
doctrine est à contre‑courant de la conception moderne du
fédéralisme coopératif qui préconise l’application, dans la
mesure du possible, des lois adoptées par les deux ordres
de gouvernement. […]
[64] Dans les rares circonstances dans lesquelles la
doctrine de l’exclusivité des compétences s’applique, la loi
provinciale sera inapplicable dans la mesure où son
application « entraverait » le contenu essentiel d’une
compétence fédérale. Il y a entrave lorsqu’il y a « atteinte
grave ou importante » à la compétence fédérale,
particulièrement à notre « époque de fédéralisme
coopératif souple » […].
[54] Or, les faits au dossier et les observations présentées par Cellulaire plus
et TELUS ne démontrent pas en quoi l’application de la Loi sur le privé, dans le
cas de la vérification de l’identité d’un client en vue de vérifier sa solvabilité,
constitue une partie essentielle du rôle, du mandat et des activités de
télécommunication. Elles n’ont fourni aucun élément concret permettant à la
Commission de conclure que cette activité est absolument nécessaire à
l’exploitation de l’entreprise TELUS dans ce qui constitue sa spécificité fédérale
et faisant partie du contenu essentiel de la compétence fédérale sur les
télécommunications
14
.
[55] La
Loi
sur
le
privé
s’applique
donc
à
une
entreprise
de
télécommunication, dans la mesure où elle n’affecte pas un élément essentiel
d’une compétence fédérale, de manière à l’entraver, l’empêcher ou à en
restreindre le plein exercice
15
.
[56] Plusieurs entreprises ont à valider l’identité de leurs clients et à vérifier
leur solvabilité dans le cadre de l’exercice de leurs activités. Il ne s’agit pas
d’une activité propre à la télécommunication.
13
Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55.
14
Voir notamment : Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22;
15
Voir notamment : Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, préc., note 14; Banque de
Montréal c. Marcotte, préc., note 13; Irwin Toy Ltd c. Québec, [1989] 1 RCS 927; Procureur
général de la Colombie-Britannique c. Lafarge Canada Inc., 2007 CSC 23.
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Page : 12
[57] Tel qu’exposé précédemment, cette vérification ou validation de l’identité
d’une personne et la vérification de son dossier de crédit peuvent se faire sans
qu’il soit nécessaire de recueillir des identifiants, tel le NAS ou le numéro de
permis de conduire. Si Cellulaire Plus doit cesser la collecte de ces
renseignements lorsqu’elle procède à la mise en service d’appareils sans fil sur
le réseau de TELUS, rien n’indique que cette dernière entreprise serait
empêchée, restreinte ou entravée dans ses activités de télécommunication.
[58] Par ailleurs, la Commission et la Cour du Québec ont déjà conclu à
l’application de la Loi sur le privé à des entreprises de compétence fédérale
16
.
[59] Enfin, TELUS soumet que le Commissariat à la protection de la vie privée
du Canada considère raisonnable de demander deux pièces d’identité pour
confirmer la solvabilité ou l’identité d’un client potentiel en vertu des dispositions
de la LPRPDE.
[60] Or, la lecture du résumé des conclusions de l’enquête effectuée en vertu
de la LPRPDE sur laquelle se fonde TELUS ne permet pas à la Commission de
conclure que deux pièces d’identité peuvent être recueillies par une entreprise à
des fins d’identification du client et de vérification de sa solvabilité. En effet, on y
précise :
[…] le Commissariat a conclu qu’il est raisonnable
d’obtenir deux pièces d’identité pour confirmer la
solvabilité ou l’identité. […] La commissaire adjointe est en
désaccord avec le fait que l’entreprise ait besoin de trois
pièces d’identité pour parvenir à ses fins. Ainsi, elle fait
observer que le permis de conduire ou le passeport
permettent de constater visuellement l’identité et la date de
naissance afin d’obtenir des renseignements exacts de
l’agence d’évaluation du crédit. En conjuguant l’un ou
l’autre de ces documents à une carte de crédit ou à de
l’information bancaire (qui appuie la validation de l’identité
et l’exactitude des renseignements de solvabilité),
l’entreprise peut encore atteindre ses objectifs. [Nos
soulignements].
16
Voir notamment : Nadler c. Rogers Communications Inc., 2014 QCCQ 5609; Lamarre c.
Banque Laurentienne, C.A.I. 99 09 63, 21 août 2002, c. Boissinot, Laporte et Stoddart, AZ-
5014474; Pierre c. Fédéral Express Canada Ltée, [2003] CAI 139; Rioux c. Recyclage Kebec
inc., [2000] CAI 117; Jabre c. Middle East Airlines-AirLiban S.A.L., [1998] C.A.I. 404;
Laperrière c. Air Canada, révision accordée pour d’autres motifs (C.S., 1997-10-08, appel
rejeté (C.A., 2000-0420). Contra : Zappone c. Banque nationale du Canada, CAI 04 09 30, 25
août 2006, c. Constant; Air Canada c. CAI et al., 2003 CanLII 1018 (QC CS), appel pendant,
2003-10-02.
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Page : 13
[61] Tel qu’indiqué précédemment, la Commission considère qu’il faut
distinguer la validation de l’identité d’une personne en lui demandant de voir une
pièce d’identité, de la nécessité de recueillir les informations qui y sont
contenues, tel un NAS ou un numéro de permis de conduire. Le Commissaire
fédéral à la vie privée fait également cette distinction dans divers documents
diffusés sur son site Internet
17
.
[62] Quoi qu’il en soit, dans l’éventualité où la conclusion du Commissaire
fédéral soit que la collecte de deux identifiants était justifiée dans un contexte
similaire à celui faisant l’objet de la présente plainte, la Commission ne croit pas
que cela dispense Cellulaire Plus ou TELUS de respecter les dispositions de la
Loi sur le privé applicables en l’espèce.
[63] En effet, la Cour suprême indique que s’il est possible pour une
entreprise de se conformer aux lois fédérale et provinciale en satisfaisant aux
critères de la loi la plus stricte, il n’y a pas de conflit
18
. De plus, c’est à la partie
qui invoque la prépondérance fédérale qu’incombe le fardeau de la preuve : elle
« doit d’abord établir l’objet de la loi fédérale pertinente et ensuite prouver que la
loi provinciale est incompatible avec cet objet »
19
.
[64] En effet, elle favorise, dans des décisions plus récentes, une
interprétation visant la conciliation des lois provinciales et fédérales applicables
à une situation donnée, surtout lorsque les deux lois poursuivent, par des
moyens semblables, le même objet et la même finalité.
[65] En l’espèce, la Loi sur le privé et la LPRPDE visent le même objectif, soit
la protection des renseignements personnels, donc du public. Elles limitent
toutes deux la collecte de renseignements personnels et prévoient que seuls les
renseignements nécessaires peuvent être recueillis par une entreprise
20
.
[66] En l’absence de démonstration d’un conflit entre les deux lois précitées,
la Commission conclut que la collecte de renseignements personnels d’identité
d’un client en vue de vérifier sa solvabilité est soumise aux règles applicables de
la Loi sur le privé et qu’elle a compétence pour statuer sur la présente plainte.
17
Voir notamment : Pratiques exemplaires pour l’utilisation des numéros d’assurance sociale
dans le secteur privé, Fiche d’information, en ligne: <https://www.priv.gc.ca/resource/fs-
fi/02_05_d_21_f.asp>; Directive sur l’identification avec photo, Fiche d’information,
Septembre 2007, en ligne : https://www.priv.gc.ca/resource/fs-fi/02_05_d_34_tips_f.asp,
consulté le 19 septembre 2014.
18
Procureur général de la Colombie-Britannique c. Lafarge Canada Inc., préc., note 15.
19
Banque de Montréal c. Marcotte, préc., note 13, par. 73.
20
Article 5 de la Loi sur le privé et article 5 et principe 4.4 de l’annexe de la LPRPDE.
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CONCLUSION
[67] À la lumière de l’enquête et des observations de Cellulaire Plus et de
TELUS, la Commission conclut que l’entreprise Cellulaire Plus a contrevenu à
l’article 5 de la Loi sur le privé en recueillant des renseignements personnels
non nécessaires à l’objet du dossier.
[68] Cellulaire Plus doit donc cesser toute collecte de renseignements
personnels qui ne sont pas nécessaires à l’objet du dossier d’un client lors de la
mise en service d’un téléphone cellulaire.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :
[69] DÉCLARE la plainte fondée.
[70] ORDONNE à Cellulaire Plus de cesser de recueillir le NAS, le numéro de
permis de conduire et une copie d’une pièce d’identité d’une personne dans le
cadre de la mise en service d’un téléphone cellulaire.
Diane Poitras
Juge administratif
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