Montréal, le 5 août 2013 … … Directrice générale adjointe Directrice des communications CSSS Objet : Plainte de M. …c. CSSS N/Réf. : 11 20 10 __________________________________________________ Monsieur, Madame, La présente donne suite à la plainte que M. … (le plaignant) a adressée au Protecteur du citoyen, le 8 février 2011, à l’endroit du Centre de réhabilitation … qui fait partie du Centre de santé et de services sociaux … (le CSSS). Le plaignant reproche au CSSS d’avoir communiqué à la Sûreté du Québec, sans son consentement, des renseignements le concernant. Le Protecteur du citoyen a transmis la plainte à la Commission d’accès à l’information (la Commission) selon ce que prévoit l’article 173 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . L’objet de la plainte Le plaignant reproche au CSSS d’avoir transmis à la Sûreté du Québec une information qu’il croyait avoir communiquée en toute confidence à une intervenante lors d’une thérapie au Centre de réhabilitation … (le Centre). Il a confié avoir déjà eu l’idée de tuer M. … , l’ancien propriétaire de sa maison, à la suite de la découverte de 3 000 tonnes de contaminants qui auraient été enfouis sur son terrain par ce dernier. 1 L.R.Q., c. A-2.1, la Loi sur l’accès. ... 2
N/Réf. : 11 20 10 2 L’enquête À la suite de ces allégations, la Commission a procédé à une enquête conformément à l’article 123 de la Loi sur l’accès. Le plaignant et le CSSS ont transmis à l’analyste-enquêteur de la Commission leur version des faits et certains documents. Le CSSS admet avoir communiqué des renseignements à la Sûreté du Québec. Il soumet avoir agi ainsi parce qu’il craignait pour la sécurité du plaignant ou celle d’autrui. Toutefois, la version des faits des parties quant aux propos tenus par le plaignant diverge. Le plaignant affirme avoir fait des déclarations à l’intervenante, le 19 avril 2010, dans le contexte d’une thérapie qui requiert notamment de « dévoiler tous ses torts ». Il a expliqué avoir songé, par le passé, pendant 10 secondes, à tuer son voisin après avoir appris, en avril 2005, que 3 000 tonnes de contaminants avaient été enfouis sur son terrain par cet ancien propriétaire. Il a dit : « Lui, je le tuerais de nous avoir fait ça ». L’intervenante a alors référé le plaignant à un autre intervenant, qui lui a demandé s’il voulait tuer son voisin « aujourd’hui, demain, dans un an ». Le plaignant prétend qu’il lui a répondu « non ». L’intervenant lui a alors mentionné qu’il devait en informer la police afin de protéger les deux parties. Le plaignant dit s’être senti trahi et ne pas avoir compris cette démarche. C’est, selon lui, pour cette raison que les services de police ont été avisés. Il déclare ne pas avoir de dossier criminel. Selon le CSSS, le plaignant a mentionné aux intervenants s’être récemment procuré une arme à feu, avoir une certaine somme d’argent en sa possession et en vouloir énormément à quelqu’un dans la région de … , son voisin. Le CSSS précise également que le plaignant avait tenu, lors de rencontres précédentes, des propos de nature suicidaire. Plus tard dans la journée, le plaignant a refusé de souper et fait part de son intention de quitter le Centre le lendemain. Ainsi, lorsque les employés ont constaté son absence, le soir du 19 avril 2010, ils ont craint pour lui ou pour une autre personne et ont communiqué avec la Sûreté du Québec de … afin de signaler son départ et ses déclarations faites plus tôt. ... 3
N/Réf. : 11 20 10 3 L’enquête révèle également que les agents de la Sûreté du Québec ont indiqué au personnel du Centre de ne pas laisser entrer le plaignant s’il revenait la nuit puisqu’une seule infirmière auxiliaire était présente. Ils ont recommandé de les contacter. Le plaignant est revenu au Centre le lendemain matin. Son retour a été signalé à la Sûreté du Québec. Le lendemain, la Sûreté du Québec de …. a téléphoné au Centre afin de connaître l’heure de départ et la destination de ce dernier. Selon la déclaration faite par le CSSS, les policiers ont mentionné aux intervenants du Centre, lors de cet appel, que des interventions policières avaient déjà été nécessaires pour des incidents impliquant le plaignant et son voisin. Le CSSS soumet qu’il a agi conformément aux « Règles concernant l’obligation de signalement dans le cas de blessure par un projectile d’arme à feu » (règlement 45-08), adoptées par son conseil d’administration le 3 février 2009, qui prévoit notamment : 5. Peu importe son lieu de pratique, lorsque, dans l’exercice de sa profession, un professionnel de la santé et des services sociaux a un motif raisonnable de croire qu’une personne a un comportement susceptible de compromettre sa sécurité ou celle d’autrui avec une arme à feu, il est autorisé à signaler ce comportement aux autorités policières. L’enquête révèle également que le plaignant a été accusé de tentatives de meurtre, de voies de faits graves et de possession d’armes, en janvier 2012. Il est soupçonné d’avoir agressé le directeur général … et son adjoint après avoir poignardé à mort son voisin. Analyse La preuve au dossier démontre que le CSSS a communiqué à la Sûreté du Québec des renseignements personnels au sujet du plaignant en avril 2010. Le CSSS juge que cette communication était requise parce qu’il craignait pour la sécurité du plaignant ou celle d’autrui. La Loi sur l’accès prévoit qu’un organisme public peut, sans le consentement de la personne concernée, communiquer des renseignements personnels ... 4
N/Réf. : 11 20 10 4 confidentiels dans certaines situations, notamment afin de prévenir un acte de violence : 59.1. Outre les cas prévus à l'article 59, un organisme public peut également communiquer un renseignement personnel, sans le consentement des personnes concernées, en vue de prévenir un acte de violence, dont un suicide, lorsqu'il existe un motif raisonnable de croire qu'un danger imminent de mort ou de blessures graves menace une personne ou un groupe de personnes identifiable. Les renseignements peuvent alors être communiqués à la ou aux personnes exposées à ce danger, à leur représentant ou à toute personne susceptible de leur porter secours. La personne ayant la plus haute autorité au sein de l'organisme public doit, par directive, établir les conditions et les modalités suivant lesquelles les renseignements peuvent être communiqués par le personnel de l'organisme. Le personnel est tenu de se conformer à cette directive. En vertu de cet article, un organisme public peut communiquer certains renseignements en vue de prévenir un acte de violence, dont un suicide. Toutefois, il doit d’abord s’assurer de l’existence de trois conditions préalables 2 . Premièrement, l’organisme doit avoir un motif raisonnable de croire qu’il y a un danger de mort ou de blessures graves pouvant résulter d’un acte de violence. La menace de danger ou de blessures graves s’évalue en fonction des éléments objectifs propres à chaque situation et de l’appréciation subjective des circonstances par l’organisme. Bref, cette évaluation doit être fondée sur des faits objectifs engendrant, pour l’organisme, « une croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » 3 . Une personne raisonnable ayant à juger de la même situation devrait également en venir à la conclusion qu’il existe un danger imminent de mort ou de blessures graves. 2 X. et Société des alcools du Québec, C.A.I. 11 02 46, 14 juin 2013, c. Constant. 3 Yves DUSSAULT, « Divulguer des renseignements confidentiels en vue de protéger des personnes », (2003) vol.9, n. 2 L’informateur public et privé, p. 10. ... 5
N/Réf. : 11 20 10 5 Dans le cas présent, le CSSS a jugé que les déclarations suicidaires faites antérieurement par le demandeur, associées à sa déclaration voulant qu’il soit en possession d’une arme à feu et d’argent et qu’il ait songé à tuer son voisin, laissaient croire à un danger de mort ou de blessures graves. La Commission ne remet pas en question cette conclusion du CSSS fondée sur des faits objectifs. Le CSSS a d’ailleurs, de façon prudente, demandé à un autre intervenant de vérifier l’intention d’agir du demandeur quant à cette déclaration. Deuxièmement, ce danger doit être imminent. L’imminence s’évalue en termes de temps et de causalité 4 . La nature de la menace doit inspirer un sentiment d’urgence, notamment en raison de sa gravité, de son sérieux et de sa clarté. En l’espèce, l’enquête démontre l’existence d’une menace claire de blessures graves dirigée contre une personne identifiable, le voisin du plaignant. Le départ précipité du plaignant du Centre où il suivait une thérapie le jour même où il a fait sa déclaration a amené, à juste titre, le CSSS à conclure que cette menace était imminente et que la situation inspirait un sentiment d’urgence 5 . La Commission souligne le fait que l’appel aux policiers n’a été fait qu’après avoir constaté le départ inexpliqué du plaignant. Troisièmement, ce danger doit menacer une personne ou un groupe de personnes identifiables. Les circonstances entourant la présente plainte ne laissaient aucun doute sur l’identité de la personne visée par la menace, soit le voisin du plaignant. Le CSSS mentionne qu’il craignait également un suicide de ce dernier en raison de ses déclarations antérieures. Bref, la Commission constate que les conditions d’application de l’article 59.1 étaient satisfaites et que le CSSS pouvait communiquer certains renseignements à la personne en danger ou à une personne susceptible de lui porter secours. En l’espèce, le CSSS a communiqué avec la Sûreté du Québec. Il ne fait pas de doute que les policiers, dans les circonstances du présent dossier, étaient des personnes susceptibles de porter secours au plaignant ou à son voisin, le cas échéant. Enfin, seuls les renseignements nécessaires à la prévention de l’acte de violence doivent être communiqués selon l’article 59.1 de la Loi sur l’accès. L’enquête ne permet pas de conclure que le CSSS a communiqué davantage 4 Id., p. 8. 5 Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455, paragr. 84. ... 6
N/Réf. : 11 20 10 6 de renseignements que ceux permettant aux policiers d’intervenir afin de prévenir l’acte de violence. En résumé, la communication des renseignements personnels du plaignant par le CSSS à la Sûreté du Québec, en avril 2010, était autorisée par l’article 59.1 de la Loi sur l’accès. L’évaluation de la situation faite par le personnel du Centre n’a pas à être remise en question. Bien que la Commission doive évaluer les conditions d’application de l’article 59.1 de la Loi sur l’accès à la lumière des faits connus au moment de la communication des renseignements personnels, notons que les événements survenus en janvier 2012 tendent à confirmer l’évaluation de la situation faite par le CSSS en 2010. L’article 59.1, ajouté à la Loi sur l’accès en 2001, vise justement à permettre la communication de renseignements afin de tenter d’éviter de tels événements. Conclusion En conséquence, la Commission estime que la plainte n’est pas fondée et ferme le présent dossier. Bien que la présente enquête n’ait pas porté sur cet aspect de la question, elle profite de l’occasion pour rappeler au CSSS qu’il a l’obligation, si ce n’est déjà fait, d’adopter, conformément au troisième alinéa de l’article 59.1 de la Loi sur l’accès, une directive visant à établir les conditions et les modalités suivant lesquelles les renseignements peuvent être communiqués par le personnel de l'organisme en vertu de cette disposition. Le personnel du CSSS étant tenu de se conformer à cette directive, la Commission rappelle également l’importance de l’informer et de le former à ce sujet, de manière à ce qu’il soit bien outillé lorsqu’il doit faire face à de telles circonstances. Diane Poitras Juge administratif
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