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PP 97 04 18 JEAN-YVES THERRIEN Plaignant c. VILLE DE MONTRÉAL Organisme intimé LA PLAINTE Le 24 février 1997, le plaignant allègue que son employeur, le Service de prévention des incendies de Montréal (ci-après nommé « le Service »), a recueilli de son dentiste, sans son consentement, dans le cadre d'une enquête pour absence au travail, des renseignements personnels le concernant. L'enquête se tient à Montréal le 24 janvier 2001. La situation relative à la plainte Le plaignant raconte qu'il est pompier au Service et que le samedi 13 juillet 1996, il ne s'est pas présenté au travail. Son absence, enchaîne-t-il, est attribuable à une complication du traitement de canal qu'il a subi chez un dentiste. Il explique qu'un employé peut s'absenter pour raison de maladie, sans justification, deux fois durant l'année, sauf les samedis et dimanches. Dans son cas, dit-il, ayant écoulé ces 2 journées, il devait se rendre le lundi 15 juillet 1996 pour un contrôle médical auprès de son employeur, en raison de son absence le samedi 13 juillet 1996. Il note que le Bureau de contrôle médical n'étant pas ouvert le dimanche, il devait s'y présenter le lundi 15 juillet 1996. Parce qu'il avait « une enflure au visage », il reconnaît ne pas s'être présenté le lundi 15 juillet 1996 au contrôle
PP 97 04 18 - 2 -médical, ayant consulté le même jour son dentiste. Il spécifie avoir effectué son quart de travail le lundi soir du 15 juillet 1996 après y avoir été autorisé par son employeur. Il fait remarquer que le Bureau du contrôle médical a reconnu, le mardi 16 juillet 1996, qu'il était encore « enflé » au visage. Il spécifie avoir reçu, le 30 août 1996, « un avis d'enquête » de la part de son employeur en lien avec ces événements (pièce P-1) : « Nous enquêtons sur le fait que: 2.2.6- CONDUITE PRÉJUDICIABLE AU BON ORDRE ET A LA DISCIPLINE Vous auriez enfreint la directive administrative MAL car vous ne vous seriez pas présenté à la Section santé au travail et, par conséquent, vous n'auriez pas obtenu un formulaire d'absence au travail. » Le plaignant affirme qu'il a admis, lors de l'enquête de l'organisme intimé, s'être rendu chez son dentiste le lundi 15 juillet 1996 et de ne pas avoir été au contrôle médical. Il allègue que M me Gisèle Mathieu, secrétaire du dentiste, l'a informé qu'un représentant de son employeur, M. Yves Després, s'est pointé à la Clinique médicale du D r Léopold Mathieu (ci-après appelée « la Clinique ») pour vérifier s'il avait bien eu un rendez-vous le lundi 15 juillet 1996. Il fait valoir qu'il a protesté auprès de M. Desprès de cette façon de faire et que ce dernier lui a dit qu'il avait le droit de confirmer avec le dentiste s'il avait bien eu rendez-vous. Il rapporte que M me Mathieu a confirmé, verbalement, la date du rendez-vous à M. Desprès. M me Gisèle Mathieu, secrétaire du D r Léopold Mathieu, affirme que M. Desprès est venu à la Clinique pour savoir si le plaignant avait eu une consultation le 15 juillet 1996. Elle lui a confirmé la date du rendez-vous, et ce, en consultant devant lui le dossier du plaignant. Après cette rencontre, elle précise en avoir immédiatement informé le plaignant et s'être excusée auprès de ce dernier parce qu'elle s'est rendu compte avoir dérogé au Code de déontologie des dentistes. Elle certifie avoir transmis à M. Desprès, verbalement, la date de la rencontre, mais qu'elle ne lui a donné aucun document. Elle reconnaît la version écrite qu'elle a
PP 97 04 18 - 3 -acheminée à la Commission dans le cadre de l'enquête administrative tenue par la Commission (pièce P-2). M. Yves Desprès, chef aux opérations de l'organisme intimé, confirme que le plaignant devait se soumettre au contrôle médical le lundi 15 juillet 1996 et qu'il a fait une enquête au mois d'octobre 1996 en relation avec cette affaire. Il indique avoir rencontré le plaignant et que ce dernier lui a donné le nom de son dentiste ainsi que le nom de la rue se trouve son bureau. Il affirme s'être présenté chez le dentiste, après sa rencontre avec le plaignant, qu'il a parlé avec la secrétaire, M me Mathieu, et qu'il a validé avec elle si le plaignant avait eu un rendezvous vers 16h00 le 15 juillet 1996. Il spécifie qu'il avait besoin de savoir si le plaignant avait eu un rendez-vous à 16 h. Il certifie qu'il n'a pas obtenu cette dernière information et qu'il n'a reçu aucun document de la Clinique. Interrogé par le plaignant, M. Desprès rapporte qu'il a agi selon les directives en vigueur pour valider les faits entourant l'absence au travail du plaignant. Il signale à la procureure de l'organisme intimé qu'il s'est annoncé à la secrétaire de la Clinique, qu'il a décliné son titre ainsi que le motif de sa visite. Il dépose le rapport qu'il a rédigé en 1996 à la suite de cette enquête (pièce I-1) et attire l'attention sur un passage intitulé « Commantaire » (sic) : « J'ai vérifié auprès du dentiste et effectivement le lieutenant Therrien 42-4 y est allé le lundi 15-07 mais, je n'ai pu obtenir à quelle heure…» M. Desprès réitère que le plaignant lui a communiqué la date de sa visite chez le dentiste. Il spécifie qu'il voulait surtout obtenir l'heure à laquelle cette consultation avait eu lieu ce 15 juillet 1996. Les parties acceptent le dépôt d'un extrait de la convention collective (pièce I-2) et d'une copie complète de cette convention (pièce P-3).
PP 97 04 18 - 4 ARGUMENTATION Le plaignant prétend qu'il n'existe aucune directive qui permette à l'organisme intimé de faire enquête et que l'article 36.02 de la convention collective ne prévoit pas de pouvoir d'enquête : « 36.02. L'employé pompier victime d'une maladie non-professionnelle est tenu d'indiquer à son officier supérieur le lieu il se trouve afin que la Ville puisse exercer le contrôle requis. » Il soumet que les modalités pour contrôler une absence sont prévues à l'article 36.05 de la convention collective : « 36.05. a) L'employé pompier absent de son travail pour raison de santé ne peut reprendre le service qu'après s'être procuré un certificat de retour au travail à la Section santé au travail de la Division relations avec les employés du Module des ressources humaines Service des affaires institutionnelles, dès qu'il est apte médicalement au travail, sauf si c'est le samedi, le dimanche ou un jour férié. Dans ces cas, il peut reprendre le service mais doit se procurer un certificat de retour au travail dès l'ouverture de la Section santé au travail de la Division relations avec les employés du Module des ressources humaines du Service des affaires institutionnelles, nonobstant que l'employé pompier travaille ou non le jour de l'ouverture de la Section santé au travail de la Division relations avec les employés du Module des ressources humaines du Service des affaires institutionnelles. b) Le SPIM, sans préjudice aux mesures disciplinaires qui peuvent être prises contre un employé pompier qui ne se conforme pas aux directives du paragraphe a), accepte en service un employé pompier absent de son travail pour raison de santé le premier jour de son retour au travail, même si celui-ci ne produit pas un certificat de retour au travail tel que prévu au paragraphe a). Cependant, l'employé pompier devra se conformer au paragraphe a) pour être accepté en service les jours subséquents. » Le plaignant soutient qu'il n'a jamais autorisé l'organisme intimé à recueillir auprès de son dentiste des renseignements le concernant. Il s'étonne que
PP 97 04 18 - 5 l'organisme intimé puisse faire une enquête alors qu'il a lui-même transmis à son employeur toute l'information qu'il voulait obtenir, comme le confirme, selon lui, le rapport d'enquête réalisé par M. Desprès (pièce I-1). Il fait remarquer que, selon lui, l'enquête doit porter sur le motif pour lequel il ne s'est pas présenté au contrôle médical et non pas sur autre chose. Il prétend que la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 ne peut donner plus de pouvoirs à l'organisme intimé que ceux prévus pour une entreprise à l'article 6 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 2 : 6. La personne qui recueille des renseignements personnels sur autrui doit les recueillir auprès de la personne concernée, à moins que celle-ci ne consente à la cueillette auprès de tiers. Toutefois, elle peut, sans le consentement de la personne concernée, recueillir ces renseignements auprès d'un tiers si la loi l'autorise. Elle peut faire de même si elle a un intérêt sérieux et légitime et si l'une ou l'autre des conditions suivantes se réalise: 1 o les renseignements sont recueillis dans l'intérêt de la personne concernée et ils ne peuvent être recueillis auprès de celle-ci en temps opportun; 2 o la cueillette auprès d'un tiers est nécessaire pour s'assurer de l'exactitude des renseignements. Le plaignant soumet qu'il a droit au respect de sa vie privée 3 , comme le consacre l'article 35 du Code civil du Québec : Art. 35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée. Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou sans que la loi l'autorise. 1 L.R.Q., c. A-2.1 (ci-après nommée « Loi sur l'accès » ou « la loi »). 2 L.R.Q., c. P-39.1. 3 Diane VEILLEUX, « Le droit à la vie privée sa portée face à la surveillance de l'employeur », 2000, R. du B. 1 et ss.
PP 97 04 18 - 6 La procureure de l'organisme intimé soumet que, dans ce cas-ci, il n'y a pas eu de divulgation de renseignements qui n'étaient pas déjà connus ou en possession de l'organisme intimé. Elle allègue que l'organisme intimé n'a pas demandé de renseignements médicaux ni reçu de document du dentiste au sens de l'article 1 de la loi. Elle argue que l'article 36.02 de la convention collective autorise l'organisme intimé à vérifier les dires du plaignant et avance que la Commission d'accès à l'information du Québec (ci-après nommée « la Commission ») n'est pas le bon forum pour décider du sort de la convention collective. Elle rappelle que le plaignant a donné le nom et l'adresse de son médecin à M. Desprès et qu'il n'a jamais refusé de fournir les renseignements. APPRÉCIATION La Commission est valablement saisie d'une plainte parce que le rapport d'enquête déposé par l'organisme intimé est un document, au sens de l'article 1 de la loi, renfermant des renseignements objet de la plainte et concernant le plaignant (pièce I-1) : 1. La présente loi s'applique aux documents détenus par un organisme public dans l'exercice de ses fonctions, que leur conservation soit assurée par l'organisme public ou par un tiers. Elle s'applique quelle que soit la forme de ces documents: écrite, graphique, sonore, visuelle, informatisée ou autre. L'employeur du plaignant peut-il recueillir, tant auprès du plaignant que d'un tiers, des renseignements personnels dans le cadre d'une « enquête » administrative? La règle est inscrite à l'article 64 de la loi : 64. Nul ne peut, au nom d'un organisme public, recueillir un renseignement nominatif si cela n'est pas nécessaire à
PP 97 04 18 - 7 l'exercice des attributions de cet organisme ou à la mise en œuvre d'un programme dont il a la gestion. Cet article réfère à la nécessité, pour l'organisme, de recueillir un renseignement nominatif. La Commission a déjà interprété le mot « nécessaire 4 » comme signifiant « requis, indispensable, obligatoire » 5 et non pas ce qui est simplement utile. Le terme « nécessaire » doit donc recevoir une interprétation restrictive. Les exceptions autorisant un organisme à recueillir un renseignement sont celles énumérées à cet article 64. Il appartient à l'organisme de démontrer que cette cueillette de renseignements est nécessaire à l'exercice de ses attributions ou à la mise en œuvre d'un programme dont il a la gestion. Il est admis par les parties que le plaignant devait se présenter au Bureau de contrôle médical, le lundi 15 juillet 1996, en application des articles 36.02 et 36.05 de la convention collective (pièces I-2 et P-3), et qu'il ne l'a pas fait. L'article 36.02 de la convention collective édicte que « ... la Ville puisse exercer le contrôle requis » à la suite d'une absence pour maladie non professionnelle. La Commission partage d'ailleurs les prétentions du plaignant; les dispositions de la convention collective n'autorisent en rien la tenue d'une « enquête » ni ne confèrent un pouvoir à ses supérieurs. À cet égard, la Commission remarque que l'organisme intimé n'a pas invoqué ces dispositions de la convention collective dans son avis d'enquête (pièce P-1). Ce dernier annonce plutôt que l'enquête est menée, sous la rubrique intitulée 4 Paul ROBERT, Le Nouveau Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Montréal, DicoRobert inc., 1993 Nécessaire : 1° Se dit d'une condition, d'un moyen dont la présence ou l'action rend seul possible une fin ou un effet; 2° Dont l'existence, la présence est requise pour répondre au besoin (de qqn). 5 Bellerose c. Université de Montréal, [1986] C.A.I. 109, confirmée par la Cour du Québec à [1998] C.A.I. 377 (C.Q.).
PP 97 04 18 - 8 -« conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline », parce que le plaignant aurait enfreint la directive administrative « MAL », ne s'étant pas présenté au Bureau de contrôle médical et, par conséquent, n'aurait pas obtenu un formulaire d'absence au travail. Or, cette directive administrative « MAL » ne nous a pas été produite par l'organisme intimé, et ce, malgré les questions de la Commission sur l'existence de celle-ci et la demande du plaignant à ce que la directive soit produite. L'organisme intimé n'a donc pas démontré la source de son pouvoir d'enquête en matière de discipline dans le cas sous étude. En l'absence de telle directive, l'organisme intimé ne peut donc établir en quoi les renseignements recherchés lui sont nécessaires pour prendre une décision sur la conduite du plaignant. En outre, faut-il le rappeler, la Loi sur l'accès est prépondérante aux dispositions qui lui seraient contraires selon l'article 168 de la loi : 168. Les dispositions de la présente loi prévalent sur celles d'une loi générale ou spéciale postérieure qui leur seraient contraires, à moins que cette dernière loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la présente loi. La Commission en arrive à la conclusion que l'organisme intimé n'a pas fait la preuve que les renseignements recherchés étaient nécessaires à l'exercice de ses compétences ou à la mise en œuvre d'un programme dont il a la gestion. En effectuant la cueillette reprochée par le plaignant, l'organisme a contrevenu à l'article 64 de la loi. La plainte est donc fondée. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :
PP 97 04 18 - 9 -CONSTATE que l'organisme intimé n'a pas fait la preuve de nécessité requise par l'article 64 de la loi; CONSTATE que l'organisme intimé a recueilli des renseignements nominatifs qui ne lui étaient pas nécessaires à l'exercice de ses compétences ou à la mise en œuvre d'un programme dont il a la gestion; et RECOMMANDE à l'organisme intimé de cesser cette pratique. MICHEL LAPORTE Commissaire DIANE BOISSINOT Commissaire E. ROBERTO IUTICONE Commissaire Montréal, le 17 avril 2001 M e Line Charest Procureur de l'organisme
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