Dossier : PV 00 18 35 Date : 20030923 Commissaires : M es Christiane Constant, Hélène Grenier et Jennifer Stoddart _________________________________________________________________ DÉCISION _________________________________________________________________ LA PLAINTE [1] Dans une plainte datée du 17 octobre 2000 et reçue le 27 du même mois par la Commission d'accès à l'information (la « Commission »), les plaignants reprochent aux intimés d’avoir exigé d'eux les renseignements personnels ci-après indiqués concernant la cessionnaire éventuelle, M cession de bail : […] les renseignements complets, exacts et vérifiables concernant sont/ses propriétaires et ses employeurs des trois dernières années.M me A et M. B Plaignants c. M. C et M me D Intimés me X, dans le cadre d’une
PV 00 18 35 Page : 2 De plus, ils exigeaient que notre candidate fournisse un spécimen de chèque personnel et/ou ses coordonnées bancaires, une copie d’Avis de cotisation pour l’année d’imposition 1999, page 3 : Sommaire et/ou un relevé d’emploi de type T4 pour la dite année d’imposition. Ils nous demandent également, une autorisation écrite de la part de la candidate qui les autorise à mener une enquête de crédit. [...] LE CONTEXTE [2] Après avoir été remise une première fois à la demande de M e Marc Lavigne, avocat des intimés, l’audience a débuté à Montréal, le 28 juin 2002, en présence de M me A, l’un des plaignants. L'autre plaignant, M. B, ainsi que les intimés sont absents de l’audience. [3] À cette première audience, M e Lavigne, avocat des intimés, a contesté, par moyens préliminaires, l’intérêt juridique des plaignants pour déposer la présente plainte devant la Commission. M. Pierre Aubry, président de la Ligue des propriétaires de Montréal (la « Ligue des propriétaires »), témoin des intimés, est présent à l’audience qui fut tenue en vertu des pouvoirs qu’accorde le législateur à la Commission à mener une enquête au sens de l’article 81 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 (la « Loi sur le secteur privé »). [4] Après avoir examiné les arguments à l’audience et, pour les motifs invoqués, la Commission a statué, par décision préliminaire, le 10 juillet 2002, que les plaignants possédaient un intérêt juridique à déposer la plainte et qu'ils « sont des personnes intéressées ou concernées au sens de la Loi pour déposer leur plainte devant la Commission ». [5] Par ailleurs, bien que les intimés aient été dûment convoqués et qu'ils soient représentés par un avocat, la Commission constate leur absence aux deux audiences. Ceux-ci n’ont pas cru nécessaire de témoigner et n’ont fourni aucun motif qui expliquerait leur absence desdites audiences qui les concernent. L'AUDIENCE [6] L’audience de cette cause est tenue sur le fond, au bureau de la Commission, à Montréal, le 24 janvier 2003, en présence de l'un des plaignants représentés par M e Carmen Palardy, du cabinet d’avocats Ouellet Nadon & Associés; de M e Lavigne, procureur des intimés, et de leur témoin, M. Aubry. 1 L.R.Q., c. P-39.1.
PV 00 18 35 Page : 3 LA PREUVE A) DE LA PLAIGNANTE [7] M e Palardy fait entendre, sous serment, la plaignante. Celle-ci déclare que M. B et elle habitaient leur logement, situé au premier étage, de grandeur 5 ½ depuis l’année 1995 et acquittaient un loyer au montant de 407,00 $ par mois, alors qu’une autre personne en était le propriétaire. Les intimés ont fait l’acquisition de l’immeuble en 1999 et occupaient le deuxième étage. [8] Elle indique qu'à la suite de l'achat d'une maison, les plaignants devaient déménager et souhaitaient céder leur bail qui arrivait à échéance le 30 juin 2000. Ils l'ont offert à M me X, la cessionnaire éventuelle, qui, après avoir visité le logement, s’est déclarée intéressée à en devenir la nouvelle locataire. Elle ajoute que ce logement est très près de la garderie où travaille M me X à l’ancienne Commission scolaire des écoles catholiques de Montréal (la « CECM ») qui, au moment de l’audience, se nomme Commission scolaire de Montréal (la « CSDM »). Elle ajoute qu'ils voulaient s’assurer de « recommander » aux intimés une personne fiable qu’ils ont trouvée en la personne de M me X. [9] La plaignante précise que M me X est éducatrice au service de garde de la CECM que fréquentent son fils et celui des intimés. Elle affirme que M me X est responsable d’un groupe d’enfants, incluant le fils des intimés. À son avis, l’un ou l’autre des intimés venait chercher leur enfant à la garderie et ceux-ci connaissaient les fonctions de M me X avec laquelle ils étaient en contact presque quotidiennement. [10] Elle déclare s'être procuré, auprès de la Régie du logement, un formulaire d’« Avis de cession de bail » qu’elle a complété et fait parvenir aux intimés au mois d’avril 2000 (pièce P-2). Elle leur a alors fourni le nom, l'adresse et le numéro de téléphone de M me X, pensant qu’ils allaient consentir à la cession dudit bail. [11] Pour les fins de cette cession de bail, la plaignante souligne qu’elle était surtout en communication avec l’un des intimés, M. C. Celui-ci lui a fait parvenir une lettre datée du 3 mai 2000, dans le délai légal de quinze jours, l’avisant, entre autres : • que deux décisions récentes avaient été rendues par la Régie du logement contre une personne portant les mêmes nom et prénom que M me X; • que les renseignements obtenus sont « soit inexacts ou soit incomplets »;
PV 00 18 35 Page : 4 • qu’il requiert des renseignements personnels additionnels visés par la plainte. [12] Cependant, avec le consentement de M me X, la plaignante explique qu’elle a fourni à l’intimé d’autres renseignements personnels tels le nom et les coordonnées de son employeur ainsi que ses coordonnées bancaires. Elle ajoute, qu’en ce qui concerne les autres informations, il appartient à l’intimé de les requérir lui-même auprès de M me X car, à son avis, elle ne voulait pas « servir d’agent » entre l’intimé et celle-ci; elle a donc refusé de continuer à lui fournir les autres informations qu’il recherchait. [13] La plaignante ajoute que, dans une lettre datée du 8 mai 2000, l’intimé lui rappelle qu’elle n’a toujours pas communiqué les renseignements qu’il a demandés sur M me X. [14] Elle soumet en preuve (pièce P-1 en liasse) de la correspondance échangée entre les parties. À cette pièce, se trouve également copie de procédures judiciaires relatives à la cession de bail ainsi que copie de décisions rendues par la Régie du logement, la Cour du Québec et la Cour supérieure : ! décision rendue par la Régie du logement, le 12 juillet 2000 2 ; ! jugement du juge Armando Azar, de la Cour du Québec, rendue le 2 octobre 2000, accordant aux intimés la permission d'en appeler de la décision de la Régie du logement 3 ; ! décision du juge Jacques Désormeau, de la Cour du Québec, datée du 20 novembre 2001, rejetant l'appel 4 ; ! jugement du juge Perry Meyer, de la Cour supérieure, datée du 16 mai 2002, rejetant la requête en révision judiciaire présentée par les intimés et la Ligue des propriétaires de Montréal 5 . [15] Elle mentionne que, considérant l’attitude de l’intimé qui ne cessait de lui demander des informations supplémentaires sur la candidate, elle a dû demander à la Régie du logement de statuer sur la validité de la cession de bail. Entre-temps, elle a déménagé le 17 juin 2000. La Régie du logement, pour sa part, a rendu, le 12 juillet 2000, une décision déclarant que la cession de bail que les plaignants avaient consentie à M me X, était valide. 2 Demande n o 31 000511 026 G, régisseure M e Suzie Ducheine. 3 Cour du Québec Montréal n o 500-02-087889-007, 2 octobre 2000, j. Aznar. 4 Idem, 20 novembre 2001, j. Désormeau. 5 Cour supérieure Montréal n o 500-05-069664-017, 16 mai 2002.
PV 00 18 35 Page : 5 [16] En ce qui concerne les autres renseignements, tels l’Avis de cotisation, le « T4 », le spécimen de chèque personnel, les coordonnées bancaires, l’enquête de crédit, que l’intimé cherchait à obtenir, la plaignante mentionne qu’à son avis, ces renseignements ne sont pas nécessaires aux intimés pour accepter ou refuser une cession de bail. B) CONTRE-INTERROGATOIRE DE LA PLAIGNANTE [17] En contre-interrogatoire, la plaignante réitère pour l’essentiel, sa déposition initiale et précise que le formulaire d’avis de cession de bail lui a été fourni, en deux exemplaires, par un représentant de la Régie du logement. Elle commente ledit document en ce que seuls les renseignements personnels indiqués dans ledit formulaire sont nécessaires, à savoir : le nom et l'adresse de la candidate; la plaignante a également fourni aux intimés les coordonnées bancaires de M me X, avec le consentement de celle-ci. Elle affirme que l’intimé a communiqué avec la candidate, mais ne l’a pas informée qu’il voulait procéder à une enquête de crédit la concernant car, à son avis, sur demande, M me X aurait autorisé cette enquête de crédit. [18] Elle ajoute qu’en ce qui concerne les coordonnées de l’employeur, elle sait personnellement que l’intimé a communiqué avec le responsable du service de garde et que celui-ci lui a confirmé, entre autres, que M me X travaillait à cet endroit. C) M. PIERRE AUBRY, TÉMOIN POUR LES INTIMÉS [19] M. Aubry témoigne sous serment. Il déclare être le président et le directeur de la Ligue des propriétaires depuis une quinzaine d’années. Il déclare également connaître les intimés pour leur avoir conseillé d’obtenir auprès des plaignants les informations personnelles qu’ils recherchaient sur M me X. [20] Il précise qu’il existait un lien juridique entre les plaignants et les intimés au sens de l’article 1870 du Code civil du Québec 6 (le « C.c.Q. »), alors qu’il n’en n’existe pas avec la candidate, M me X. Il souligne de plus que l’article 1873 C.c.Q., pour sa part, met un terme à ce lien contractuel. [21] Selon M. Aubry, dans le cadre d’une cession de bail, la politique de la Ligue des propriétaires consiste, entre autres, à obtenir une autorisation écrite d’un locataire éventuel afin qu’une enquête de crédit soit effectuée à son sujet. De cette enquête, le propriétaire obtiendra des renseignements personnels qui lui permettront, entre autres, de : 6 L.Q. 1991, c. 64.
PV 00 18 35 Page : 6 • Bien connaître ce locataire éventuel et son identité exacte; • Connaître ses habitudes de paiement; • Savoir s’il possède de mauvais antécédents du point de vue financier; • Vérifier son comportement auprès de son propriétaire actuel et de son ancien propriétaire. Il souligne qu’un propriétaire, par exemple, peut fournir de bonnes références sur un locataire qu’il souhaite voir déménager, et ce, pour des raisons diverses; • Vérifier s’il existe des rapports de police concernant ce locataire éventuel; • Obtenir une preuve d’emploi. Dans le présent cas, il signale que l’intimé a décidé de requérir auprès de la plaignante l’Avis de cotisation pour l’année d’imposition précédente concernant M me X; • Obtenir un spécimen de chèque qui lui permettra de connaître le n o de compte bancaire de ce locataire éventuel. À son avis, cette information « était la clef pour entrer dans le compte de banque ». Cette information lui permet également de connaître le montant d’argent que ce candidat possède dans son compte bancaire; • Vérifier si des procédures légales sont pendantes et si des jugements ont été rendus contre ce locataire éventuel; • Savoir si celui-ci a déjà fait l’objet de saisie judiciaire et s’il a déjà fait faillite, etc. i) Référence d’emploi [22] Commentant la lettre d’embauche datée du 11 novembre 1997 soumise en preuve à l’audience (pièce I-1), M. Aubry estime que cette lettre ne permettait pas aux intimés de connaître le revenu de M me X et ne leur permettait pas non plus de savoir si celle-ci détenait un emploi stable. Il signale que des locataires ont déjà remis à leurs propriétaires des chèques sans provision; il comprend la situation des intimés qui ont voulu s’assurer qu’un locataire puisse être capable de payer son logement. ii) Des décisions de la Régie du logement [23] Il souligne qu’après avoir consulté le plumitif de la Régie du logement, l’intimé a constaté que deux décisions pour non-paiement de loyer ont été rendues contre une personne portant les mêmes nom et prénom que M me X (pièce I-2 en liasse). Cette découverte a incité l’intimé à en aviser par écrit les plaignants, le 3 mai 2000, et en l’absence d’information additionnelle sur cette candidate,
PV 00 18 35 Page : 7 M. Aubry estime que ces deux décisions justifiaient, pour l’intimé, son refus de lui céder le bail. iii) La fiche « Contact » de la Commission [24] À une question de l’avocat des intimés concernant la fiche « Contact » 7 préparée par la Commission à l’attention des citoyens, document susceptible de permettre aux locataires et aux propriétaires de mieux saisir les enjeux reliés à la cueillette de renseignements personnels lors de négociation de bail, M. Aubry se dit en accord avec la liste des renseignements personnels qui peuvent être requis auprès d’un locataire. Cependant, il considère, qu’après avoir mené son enquête, l’identité de ce locataire peut être différente de celle obtenue par un propriétaire. Il fournit en exemple les deux décisions rendues par la Régie du logement concernant un locataire portant les mêmes nom et prénom que la candidate (pièce I-2 précitée). [25] Il estime qu’il faut prendre en compte la nécessité pour un propriétaire qui souhaite louer son logement de choisir un candidat qu’il considère le plus apte à payer son logement. À son avis, cette fiche « Contact » ne répond pas à toutes les questions des propriétaires qui doivent prendre des moyens nécessaires pour arriver à cette fin. iv) Référence auprès d’un propriétaire et d’un employeur [26] M. Aubry ajoute que M me X a fourni à l’intimé, à titre de référence, les noms de R. H., son propriétaire, et D. B. pour référence au travail (pièce I-3). M. Aubry prétend qu’après avoir procédé à une vérification auprès du bureau « Accès Montréal », l’intimé a constaté que le nom de R. H. n’y apparaît pas. L’intimé en a déduit que R. H. n’était pas propriétaire. Ce renseignement ainsi que les deux décisions de la Régie du logement ont incité l’intimé à transmettre aux plaignants une autre lettre le 8 mai 2000. Il ajoute qu’en conséquence, l’intimé a le droit de douter de la capacité pour M me X à acquitter son loyer. D) CONTRE-INTERROGATOIRE DE M. AUBRY PAR M E PALARDY [27] En contre-interrogatoire mené par l'avocate des plaignants, M. Aubry indique que le nom, l'adresse et le numéro de téléphone de la candidate n’étaient pas suffisants pour permettre à l’intimé de prendre une décision positive sur M me X. Cependant, une enquête de crédit, effectuée avec le consentement de celle-ci, aurait permis à l’intimé d’obtenir de l'information additionnelle. Il ajoute que, dans certains cas, un propriétaire peut requérir, en outre, la date de 7 Le bail et la protection des renseignements personnels. Des principes et des balises à respecter, C.A.I., février 2001, 4 pages.
PV 00 18 35 Page : 8 naissance et le numéro d’assurance sociale d’un candidat; ce dernier étant le seul identifiant fiable sur cette personne. [28] Il réitère que le Bureau de crédit fournit à un propriétaire des renseignements personnels sur son candidat lui permettant de « savoir tous les aspects de sa vie pour louer un logement ». Il précise cependant qu’un individu peut avoir des difficultés à respecter les versements mensuels de sa carte de crédit tout en étant capable d’acquitter son loyer. [29] Dans le cas en l’espèce, M. Aubry indique ignorer si l’intimé a communiqué avec la candidate afin d’obtenir les renseignements qu’il recherchait. Il déclare cependant que l’intimé n’a pas été autorisé par celle-ci à mener une enquête de crédit sur elle. E) RÉ-INTERROGATOIRE DE LA PLAIGNANTE PAR M E PALARDY [30] Au moment de l’audience, la plaignante affirme que M me X occupe toujours le même emploi et habite le logement en question. [31] En ce qui a trait aux deux décisions portant les mêmes nom et prénom que M me X et auxquelles réfère l’intimé pour notamment refuser de céder le bail, la plaignante précise que celle-ci n’était pas la personne visée par ces décisions. LES ARGUMENTS A) M E CARMEN PALARDY, POUR LES PLAIGNANTS [32] M e Palardy plaide que la personne qui recueille des renseignements personnels pour constituer un dossier sur autrui, ne doit obtenir que des renseignements qui lui sont nécessaires à l’objet de ce dossier au sens de l’article 5 de la Loi sur le secteur privé. [33] Aux termes de l’article 1870 du C.c.Q., les plaignants sont tenus d’aviser les intimés de leur intention de procéder à la cession de leur bail. Ils sont donc tenus de leur fournir seulement le nom et l’adresse de la personne à qui ils ont l’intention de céder leur logement. À son avis, seuls ces renseignements sont nécessaires dans le cadre de cette cession; le consentement de l’intimé est donc requis et il doit le faire dans un délai de quinze jours, tel qu'il est prévu à l’article 1871 du C.c.Q. Il ne peut refuser ladite cession que pour un motif sérieux. [34] Elle plaide également que, pour toute autre information, les plaignants n’étaient pas habilités à les cueillir auprès de la candidate pour les communiquer
PV 00 18 35 Page : 9 aux intimés. En l’absence de réponse dans le délai imparti, ils ont été réputés avoir consenti à ladite cession. [35] Dans le cas en l’espèce, l’avocate argue que les plaignants ont fourni aux intimés les renseignements nécessaires qu’ils devaient avoir conformément à l’article 1870 C.c.Q. et à l’article 5 de la Loi sur le secteur privé; les autres renseignements nominatifs recherchés par l’intimé sur M me X ne leur étaient donc pas nécessaires pour la conclusion de la cession du bail. [36] S’appuyant sur une décision dans laquelle la Commission avait été appelée à statuer sur la nécessité pour un employeur de garder au dossier d’employé du demandeur son numéro de téléphone personnel, tel qu'il est mentionné à la décision Bellerose c. Université de Montréal 8 , elle a rappelé les critères pour cerner le concept de nécessité. Dans cette affaire, la Commission avait décidé qu’il appartenait à l’Université de démontrer la nécessité de conserver ce renseignement nominatif au dossier du demandeur. C’est ce qu’elle a fait. [37] Dans la présente cause, l’avocate des plaignants argue qu’il appartenait aux intimés de démontrer à la Commission que les renseignements nominatifs qu’ils souhaitent obtenir sur M me X, étaient nécessaires pour lui accorder ou lui refuser la cession du bail. Or, à son avis, cette preuve n’a pas été faite. Elle argue également que M me X a droit au respect de sa vie privée tel qu’il est établi par l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne 9 . Elle commente en ce sens la décision Syndicat des employés et employées professionnels-les et de bureau, section locale 57 et autre c. Caisse populaire Saint-Stanislas de Montréal 10 , où, dans le cadre d’un recours en grief devant le Tribunal d’arbitrage du Québec, l’arbitre Marie-France Bich cite les auteurs Deleury et Goubau qui, entre autres, se prononcent comme suit : Le respect de la vie privée se traduit essentiellement par un devoir de non-immixtion, de non-ingérence dans les affaires d’autrui. C’est le droit d’être laissé tranquille, de faire respecter sa vie intime, le caractère privé de sa personne. [38] Elle commente également la décision Dubé c. Évêque catholique romain de Joliette 11 , dans le cadre d’une enquête relative à la communication d’un diagnostic médical ainsi que des motifs d’absence de la plaignante, confirmés par le médecin de celle-ci; la Commission, à la majorité, a statué que l’intimé n’avait pas 8 [1986] C.A.I. 109. 9 L.R.Q. , c. C-12. 10 E. DELEURY et D. GOUBAU, Le droit des personnes physiques, 2 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais inc., 1997, p. 162 cité dans Tribunal d'arbitrage du Québec n o 98-09766, 31 octobre 1998, par. 40 de la décision intégrale. 11 [2000] C.A.I. 298.
PV 00 18 35 Page : 10 démontré que les documents qu’il recherchait auprès de la plaignante lui étaient nécessaires selon les termes de l’article 9 de la Loi sur le secteur privé. [39] De plus, à l'affaire Bayle c. Université de Laval 12 , cette fois-ci, dans le cadre d’une demande de révision, le demandeur contestait le fait que l’Université ait inscrit son numéro d’assurance sociale au fichier des anciens et à celui utilisé pour la sollicitation. La Commission a alors décidé « qu’aucune preuve n’a été soumise relativement à la nécessité du N.a.s. » (numéro d’assurance sociale) « pour les fins du fichier de la sollicitation ». [40] Dans le cas en l’espèce, l’avocate argue qu’aucune preuve n’a été soumise à la Commission, pour démontrer que les documents tels le T4 et l’Avis de cotisation pour une année d’imposition précise de M me X étaient nécessaires aux intimés pour accepter ou refuser la cession du bail. [41] Elle rappelle la déposition de M. Aubry, témoin pour les intimés, selon laquelle, entre autres, un individu peut éprouver des difficultés à acquitter les versements mensuels sur sa carte de crédit tout en étant en mesure de payer son loyer. L’avocate ajoute qu’il importe pour un candidat de fournir à un propriétaire seulement les renseignements indispensables à l’objet du dossier. À son avis, s’il faut fournir à un propriétaire toutes les informations qu’il recherche sur un candidat, la Loi sur le secteur privé n’aurait pas sa raison d’être. [42] Elle commente de plus la déposition de M. Aubry concernant les renseignements nominatifs recueillis par un propriétaire dans le cadre d’une enquête de crédit. Elle argue que le résultat de cette enquête constitue une intrusion importante dans la vie privée d’un candidat, en raison notamment de la cueillette de renseignements non nécessaires. B) M E MARC LAVIGNE, POUR LES INTIMÉS [43] M e Lavigne plaide qu’il importe de se rappeler que le locataire désirant céder son bail, tel pour le cas en l’espèce, doit obtenir à l’avance le consentement de son propriétaire, tel qu'il est stipulé à l’article 1871 C.c.Q. Pour ce faire, celui-ci doit obtenir de son locataire cédant les informations personnelles sur la cessionnaire éventuelle, de manière à ce qu’il puisse effectuer des recherches et obtenir des réponses satisfaisantes concernant celle-ci. [44] Il précise que, malgré la fiche « Contact » préparée par la Commission à l’intention des citoyens et qui contient de l’information susceptible de permettre aux locataires et aux propriétaires de mieux saisir les enjeux reliés à la cueillette de renseignements personnels lors de négociation de bail, il est difficile pour un 12 [1992] C.A.I. 240.
PV 00 18 35 Page : 11 propriétaire d’établir au préalable une liste des renseignements personnels exacts qu’il devra requérir auprès de son locataire sur un candidat à une cession de bail. [45] Il ajoute qu’il incombait aux plaignants de fournir aux intimés les renseignements qu'ils recherchaient sur M me X, car le lien contractuel existait entre les plaignants et les intimés et non avec celle-ci. L’avocat plaide que l'intimé s’est adressé, les 3 et 8 mai 2000, aux plaignants, car ceux-ci avaient une obligation légale de lui fournir les renseignements qu’il recherchait. [46] Par ailleurs, l’avocat indique que le nom et l'adresse de la candidate, tels qu'ils ont été fournis par les plaignants n’étaient pas suffisants pour permettre à l’intimé, M. C., de prendre une décision éclairée, car il doutait de la capacité de M me X à respecter son bail, et ce, pour ces principaux motifs : • Elle a fourni le nom d’un dénommé R. H. comme référence, alors qu’après vérification auprès du Bureau Accès Montréal, l’intimé a constaté que celui-ci n’était pas propriétaire d’immeuble; • Deux décisions ont été rendues par la Régie du logement contre une personne portant les mêmes nom et prénom qu’elle. [47] De l’avis de l’avocat, l’intimé devait requérir auprès des plaignants des renseignements additionnels afin de s’assurer notamment de l’identité de la candidate; l’Avis de cotisation constitue une preuve importante pour déterminer, entre autres, son revenu annuel. C) RÉPLIQUE DE LA PLAIGNANTE [48] L’avocate de la plaignante réplique que le T4, l’Avis de cotisation de M me X, le numéro de son compte bancaire n’étaient pas nécessaires aux intimés. Elle ajoute que les renseignements contenus à la lettre de son employeur indiquant, entre autres, qu’elle travaille pour la CECM depuis 1997 et le nom de son superviseur, D. B., auraient dû être suffisants pour que l’intimé puisse adopter une attitude positive à son endroit. En ce qui à trait au nom de R. H. que M me X a donné comme référence, la plaignante affirme que les intimés ne l’avaient pas contacté. LA DÉCISION [49] La Commission effectue cette enquête dans le cadre des pouvoirs que lui confère l’article 81 de la Loi sur le secteur privé :
PV 00 18 35 Page : 12 81. La Commission peut, de sa propre initiative ou sur la plainte d'une personne intéressée, faire enquête ou charger une personne de faire enquête sur toute matière relative à la protection des renseignements personnels ainsi que sur les pratiques d'une personne qui exploite une entreprise et recueille, détient, utilise ou communique à des tiers de tels renseignements. À cette fin, toute personne autorisée par la Commission à faire enquête peut : 1° avoir accès, à toute heure raisonnable, dans les installations d'une entreprise exploitée par une personne qui recueille, détient, utilise ou communique à des tiers des renseignements personnels; 2° examiner et tirer copie de tout renseignement personnel, quelle qu'en soit la forme. [50] La preuve non-contredite a démontré que les plaignants étaient les locataires des intimés. Après avoir acheté une maison, ils ont voulu faire la cession de leur bail à M me X, en remplissant le formulaire d’« Avis de cession de bail » disponible à la Régie du logement; ils ont fourni aux intimés le nom, l'adresse et le n o de téléphone de la cessionnaire éventuelle (pièce P-2 précitée). Ils ont ainsi respecté les dispositions prévues à l’article 1870 C.c.Q. M me X a accepté ledit logement, sous réserve du consentement des intimés dans un délai de quinze jours au sens de l’article 1871 C.c.Q. 1870. Le locataire peut sous-louer tout ou partie du bien loué ou céder le bail. Il est alors tenu d'aviser le locateur de son intention, de lui indiquer le nom et l'adresse de la personne à qui il entend sous-louer le bien ou céder le bail et d'obtenir le consentement du locateur à la sous-location ou à la cession. 1871. Le locateur ne peut refuser de consentir à la sous-location du bien ou à la cession du bail sans un motif sérieux. Lorsqu'il refuse, le locateur est tenu d'indiquer au locataire, dans les quinze jours de la réception de l'avis, les motifs de son refus; s'il omet de le faire, il est réputé avoir consenti. [51] De la preuve, la Commission retient que les intimés ont exigé des plaignants qu’ils leur fournissent une série d’informations personnelles sur M me X qui s’ajoutaient à celles prévues à l’article 1870 C.c.Q précité, tels l’Avis de cotisation pour l’année d’imposition, un spécimen de chèque et/ou ses coordonnées bancaires, etc. La Commission considère que les plaignants avaient le droit de refuser de fournir aux intimés ces renseignements personnels parce que non-nécessaires à une cession de bail. [52] De plus, la preuve a démontré que, devant le refus des intimés à céder ledit bail, les plaignants ont demandé à la Régie du logement de statuer sur la validité
PV 00 18 35 Page : 13 de cette cession 13 . Dans une décision rendue le 12 juillet 2000, la Régie a notamment indiqué que : Le locateur n’est jamais entré en communication avec […], ni avec son employeur, n’a pas fait d’étude de crédit, n’a obtenu aucune information sur la solvabilité ou l’insolvabilité réelle de la candidate. Elle a fait parvenir au locateur le nom de son institution bancaire et l’adresse de la succursale. Elle n’était pas obligée de fournir son numéro de compte de banque, ni son avis de cotisation pour l’année d’imposition, ce sont des renseignements personnels qui ne sont pas nécessaires pour la vérification de la solvabilité. [53] La Régie conclut à la validité de la cession du bail et condamne, entre autres, les intimés à acquitter les frais judiciaires encourus par les plaignants dans cette cause. [54] La Ligue des propriétaires et les intimés obtiennent de la Cour du Québec la permission d'en appeler de cette décision 14 . Dans son jugement 15 , le juge Jacques Désormeau a fait ressortir, entre autres, que les intimés auraient eu en leur possession les renseignements suivants concernant M me X : • Les nom et adresse de la cessionnaire; • Le nom de son employeur et son numéro de téléphone; • Le nom du propriétaire du logement occupé par la cessionnaire proposée; • Le nom, l’adresse et le numéro de téléphone de l’institution bancaire avec laquelle la cessionnaire proposée faisait affaires. [55] Le juge a également souligné que l'appelant a admis qu'il n'a pas communiqué avec « l’employeur de la cessionnaire et n’a pas posé de questions à cette dernière lorsqu’il lui a parlé au téléphone. Il n’a pas non plus poussé ses recherches quant à l’obtention d’autres renseignements bancaires ». Les intimés n’ayant pas démontré avoir un motif sérieux de refuser ladite cession, le juge a donc rejeté cet appel sans frais le 31 août 2001. [56] Insatisfaits de ce jugement, les intimés et la Ligue des propriétaires ont saisi la Cour supérieure d’une requête en révision judiciaire 16 laquelle fut entendue et rejetée, sans frais, par le juge Perry Meyer, le 16 mai 2002. À cette procédure, le Regroupement des comités de logement et associations des locataires du Québec est mis en cause. 13 Précitée, note 2. 14 Précitée, note 3. 15 Idem, jugement, 20 novembre 2001, j. Désormeau, p. 3 du texte intégral. 16 Précitée, note 4.
PV 00 18 35 Page : 14 [57] Suite à cette décision, les intimés ainsi que la Ligue des propriétaires ont soumis à la Cour d’appel du Québec 17 une requête pour permission d’en appeler du jugement de la Cour supérieure. [58] Le plumitif de la Cour d’appel indique que cette requête des intimés fut rejetée le 10 juillet 2002. La nécessité [59] Dans la présente cause, il s’agit, pour la Commission, de déterminer si les intimés pouvaient exiger des plaignants qu’ils recueillent des renseignements nominatifs visés par la plainte et si ceux-ci étaient nécessaires à la cession du bail à M me X au sens de l’article 5 de la Loi sur le secteur privé qui prévoit que : 5. La personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou d'y consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l'objet du dossier. Ces renseignements doivent être recueillis par des moyens licites. [60] Considérant les informations personnelles que les plaignants devaient fournir sur M me X en vertu de l’article 1870 C.c.Q, la Commission s’étonne que les intimés n’aient pas fait auprès de celle-ci les vérifications nécessaires leur permettant de consentir ou refuser de consentir à la cession du bail, en vertu de l’article 1871 C.c.Q. [61] Les renseignements personnels doivent aussi être obtenus conformément à l’article 9 de la Loi sur le secteur privé. 9. Nul ne peut refuser d'acquiescer à une demande de bien ou de service ni à une demande relative à un emploi à cause du refus de la personne qui formule la demande de lui fournir un renseignement personnel sauf dans l'une ou l'autre des circonstances suivantes : 1° la collecte est nécessaire à la conclusion ou à l'exécution du contrat; 2° la collecte est autorisée par la loi; 3° il y a des motifs raisonnables de croire qu'une telle demande n'est pas licite. En cas de doute, un renseignement personnel est réputé non nécessaire. [62] Les renseignements nécessaires qu’un propriétaire peut recueillir auprès d’un cessionnaire éventuel sont les mêmes que ceux qu’un propriétaire peut recueillir auprès d’un locataire éventuel. 17 Carignan et al. c. Dubreuil et al., Cour d'appel Montréal n o 500-09-01382-024.
PV 00 18 35 Page : 15 [63] La détermination des renseignements qui sont nécessaires doit être évaluée selon les circonstances particulières à chaque cas. [64] Analysant le critère de nécessité dans la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 18 (la « Loi sur l’accès »), le juge Claude Filion, de la Cour du Québec, a conclu 19 , entre autres, en appel d'une décision en rectification rendue par la Commission dans l’affaire X. c. Société de transport de Laval 20 , qu’ : […] Il ne s’agit pas de déterminer ce qu’est la nécessité en soi, mais plutôt de chercher, dans le contexte de la protection des renseignements personnels, et pour chaque situation, ce qui est nécessaire à l’accomplissement de chaque fin particulière […] [65] L’exigence de nécessité se trouve également à l’article 5 de la Loi sur le secteur privé précité. [66] Dans le cas en l’espèce, la preuve non contredite a démontré qu’en voulant faciliter la cession de bail, les plaignants se sont vu contraints de fournir aux intimés plus d’informations que celles requises à l’article 1870 C.c.Q. [67] La Commission réitère que l’article 1870 C.c.Q énumère les renseignements devant être fournis par le locataire au locateur en cas de cession de bail, soit le nom et l'adresse. [68] La Commission considère de plus que les intimés ne se sont pas déchargés du fardeau de preuve qui leur incombait de démontrer pourquoi ils considéraient que les renseignements en litige étaient nécessaires. La Commission observe plutôt de la preuve entendue, qu’une communication des intimés avec M me X aurait pu éclaircir les différents aspects de sa candidature comme cessionnaire éventuelle. [69] La Commission fait notamment remarquer que le fait de demander à un tiers de produire des renseignements fiscaux, tels une copie d’un Avis de cotisation, un relevé d’emploi de type T4, démontre un manquement au respect du caractère confidentiel de ces renseignements personnels. [70] La preuve a démontré que les plaignants ont respecté la définition des renseignements nécessaires qu’ils devaient fournir lors de la cession du bail, conformément à l’article 1870 C.c.Q. Tant la Régie du logement que la Cour du Québec et la Cour supérieure leur ont donné raison. La Cour d’appel du Québec, 18 L.R.Q., c. A-2.1. 19 C.Q. Montréal n o 500-02-094423-014, 21 février 2003, j. Filion. 20 [2001] C.A.I. 226.
PV 00 18 35 pour sa part, a rejeté la requête pour permission d’en appeler des intimés du jugement de la Cour supérieure. [71] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : DÉCLARE la plainte fondée; FERME le présent dossier portant le n Montréal, le 23 septembre 2003 M e Carmen Palardy OUELLET NADON CYR & ASSOCIÉS Procureurs pour les plaignants M e Marc Lavigne Procureur pour les intimésPage : 16 o 00 18 35. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire HÉLÈNE GRENIER Commissaire JENNIFER STODDART Commissaire
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