Section surveillance

Informations sur la décision

Contenu de la décision

PV 99 09 63 LAMARRE, Michel, plaignant, c. BANQUE LAURENTIENNE, intimée, et M. MICHAEL KONATE, tierce partie L'OBJET DE LA PLAINTE Le 11 juin l999 M. Michel Lamarre se plaint de ce quil croit être une violation de la confidentialité accordée aux renseignements personnels par sa banque, l'intimée. Il sexprime comme suit : « Dernièrement mon ancien propriétaire a fait certifier un chèque datant de mars 1999 qui était censé avoir été déchiré et jeté. Le montant du chèque était d'environ mille quatre cent dollars (1,400.00) mais je n'avais que $1,133.00 dans mon compte. Alors ce qu'il a fait, il a déposé le montant qui manquait et a retiré sans que je sois averti. Il me semblait que l'accès au compte est confidentiel alors comment a-t-il que j'avais ce montant dans mon compte ? Qui a mal fait son travail ? » En conséquence les Commissaires soussignés ont entendu la plainte aux bureaux de la Commission d'accès à l'information du Québec (la Commission) à Montréal, le 23 novembre 2001. LAUDIENCE QUESTION PRÉLIMINAIRE Dès le début de laudience, le procureur de lintimée, la Banque Laurentienne, a soulevé la question de la compétence de la Commission dans le présent dossier. Essentiellement, le procureur de lintimée a fait valoir que les banques, étant de juridiction fédérale, nétaient
PV 99 09 63 2 pas assujetties par la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 . Il a référé à la Loi des Banques 2 et notamment son article 459(a) qui permet au législateur fédéral de réglementer lutilisation des renseignements personnels. Toutefois, il a concédé quau moment de laudience, il ny avait pas de tels règlements promulgués en vertu de la Loi des Banques et que les banques du Canada adhéraient volontairement à un Code de confidentialité de lAssociation des banquiers canadiens. Après délibération, les Commissaires ont annoncé quils entendraient la preuve sous réserve de leur détermination finale de lassujetissement de la Banque, éclairés par les notes et autorités que pourrait faire parvenir le procureur de la Banque intimée dans un délai qui fut convenu mutuellement. Ces notes et autorités sont postées à la Commission le 25 janvier 2002. LES ARGUMENTS DE LA BANQUE QUANT À SON NON-ASSUJETISSEMENT À LA LOI Les arguments de la Banque se résument aux extraits suivants des notes et autorités soumis par son procureur le 25 janvier 2002 : « La position de la Banque s'énonce comme suit : 1- Le litige dans cette instance porte sur l'allégation de divulgation d'informations confidentielles dans le cadre de l'encaissement d'un chèque auprès d'une succursale de la Banque Laurentienne du Canada. Cette transaction est une transaction purement bancaire régie par la Loi sur les Banques. 2- Les Banques et les Lettres de changes sont de compétence exclusive fédérale aux termes des paragraphes (15) et (18) de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 18673. 3- En 1999, année de la plainte et des événements dont elle découle, l'aspect de la protection de renseignements personnels des transactions bancaires était régie par la Loi sur les Banques et ses documents connexes. Ainsi, la Banque soutien que les dispositions attributives de compétence de la Loi constitutionnelle de 1867 sont claires quant à la compétence exclusive du parlement fédéral sur les banques et leurs activités. Art 91 (15). Les banques, l'incorporation des banques et l'émission du papier-monnaie Art 91 (18). Les lettres de change et les billets promissoires. La Banque soutien que le traitement d'un chèque est une opération purement bancaire basée sur l'échange de renseignements personnels qui en permettent la 1 L.R.Q., c. P-39.1. 2 L.R.C. (1991), c. 46.
PV 99 09 63 3 circulation et l'utilisation. on ne peut scinder l'opération bancaire pour faire en sorte d'en extraire un aspect 'renseignements personnels' indépendant qui pourrait permettre l'application de la théorie du double aspect permettant aux juridictions provinciales d'intervenir dans ce domaine. À la limite, si l'on considère que l'aspect 'renseignement personnel' comme un aspect distinct mais accessoire de l'opération bancaire, il apparaît clairement que cet aspect a été directement traité par le législateur fédéral dans le cadre de la Loi sur les Banques. En effet, les dispositions de la Loi sur les Banques touchant la protection de renseignements personnels se retrouvent aux articles 157 (2) et 459 […]. Au surplus, les banques canadiennes regroupées au sein de l'Association des banquiers canadiens ont adopté le Code canadien sur la confidentialité en novembre 1996. Lequel est reproduit en annexe. Le législateur fédéral a clairement obligé les administrateurs des banques a instituer des mécanismes pour restreindre l'utilisation des renseignements confidentiels. Les banques ont répondu à cette obligation par l'introduction d'un Code de confidentialité de l'Association des banquiers canadiens auquel la Banque Laurentienne a adhéré. Cet 'aspect' de protection de renseignements personnels étant traité par le législateur fédéral dans le cadre de la loi particulière qu'est le Loi sur les Banques. Cet 'aspect' ne peut être considéré comme inoccupée. Au surplus, pour que les dispositions de la loi provinciale puissent être applicables en vertu de la théorie du double aspect, il faut que l'aspect traité par la législation provinciale soit un aspect différent de celui traité par la disposition fédérale. Ce qui n'est clairement pas le cas puisque les deux dispositions ou ensemble de dispositions traitent de l'utilisation des renseignements personnels. La théorie du double aspect et son application sont traité dans la décision Bell Canada c. Québec (SSST), [1998] 1 R.C.S. 749. Nous vous référons particulièrement au passage suivant page 766de la décision : La théorie du double aspect ne constitue ni une exception ni même un tempérament au principe de l'exclusivité des compétences législatives. Elle ne doit pas avoir pour effet de créer des champs de compétences conjointes, tels l'agriculture, l'immigration et les pensions de vieillesse et prestations additionnelles, dans lesquels le Parlement et les législatures peuvent légiférer sous le même aspect. Au contraire, la théorie du double aspect ne peut être invoquée que lorsqu'elle constitue une mise en oeuvre du principe même de l'exclusivité des compétences. Comme son non l'indique, elle ne saurait s'appliquer que dans les cas clairs la pluralité des aspects est réelle etnon pas seulement nominale. Pour ces motifs, la Banque soutien qu'en vertu du principe de l'exclusivité des compétences constitutionnelles jumelé à la non application, dans le cas qui nous occupe, de la théorie du double aspect en ce qui a trait à la protection de renseignements personnels, la Commission d'accès à l'information doit déclinér juridiction dans le présent litige. » (sic) Il convient de déposer, sous la Cote I-1, le Code canadien sur la confidentialité de novembre 1996.
PV 99 09 63 4 LES ARGUMENTS DU PLAIGNANT SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE Le plaignant, pour sa part, sobjecte à cette interprétation : « Me Sylvain Gagnon (Banque Laurentienne) invoque que ce litige n'est pas d'ordre provincial, mais d'ordre fédéral. Mais pour moi je vis au Québec (Canada) et ma Banque (Banque Laurentienne) est situer à Montréal (Québec). Par conséquent je crois que la Banque Laurentienne ne devrais se conformer aux lois de la province du Québec. […] Si la Banque n'a fait aucune erreur, pourquoi se cache t'elle derrière la constitution de 1867. » (sic) […] LA DÉCISION SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE : LAPPLICATION DE LA LOI SUR LE SECTEUR PRIVÉ A LA BANQUE En vertu de l'article 91(15) de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement du Canada exerce une compétence exclusive relativement aux banques et à l'incorporation des banques. Dans un tel contexte, la Loi sur le secteur privé est-elle applicable à une banque ou les dispositions de cette loi doivent-elles plutôt être considérées comme inopérantes dans la mesure qu'elles affectent, le cas échéant, une partie essentielle de l'entreprise des banques ? Afin d'analyser l'application d'une loi provinciale à l'égard d'une banque, il nous faut tenir compte des principes énoncés dans l'arrêt Banque de Montréal c. Hall 3 et donc, en analysant les dispositions pertinentes de la Loi sur les banques, déterminer si elles constituent un code complet sur la question ou si elles entrent par ailleurs en conflit avec les dispositions provinciales. Tel que le stipule son article 1, la Loi sur le secteur privé a pour objet d'établir, pour l'exercice des droits conférés par les articles 35 à 40 du Code civil du Québec en matière de protection des renseignements personnels, des règles particulières à l'égard des 3 [1990] 1 R.C.S. 121.
PV 99 09 63 5 renseignements personnels sur autrui qu'une personne recueille, détient, utilise ou communique à l'occasion de l'exploitation d'une entreprise au sens de l'article 1525 C.c.Q. La banque constitue bien une entreprise au sens du Code civil du Québec, bien que fédérale. L'article 13 de la Loi sur le secteur privé interdit à toute personne de communiquer à un tiers les renseignements personnels contenus dans un dossier qu'elle détient sur autrui, à moins que la personne concernée n'y consente ou que la présente loi le prévoit. Il s'agit donc ici de la disposition centrale à l'égard de la problématique soulevée. En d'autres termes, une banque est-elle visée par l'article 13 de la Loi sur le privé ? Dans l'affirmative, les pouvoirs d'enquête prévus aux articles 81 à 87 inclusivement lui sont-ils applicables ? À l'instar de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 4 (Loi sur l'accès), la Loi sur le secteur privé stipule, à l'article 94, que ses dispositions prévalent sur celles d'une loi générale ou spéciale qui seraient contraires, à moins que la loi générale ou spéciale n'énonce s'appliquer malgré la Loi sur le secteur privé. Or, dans l'affaire du Conseil de la magistrature du Québec c. Commission d'accès à l'information 5 , M. le juge Baudouin affirmait, à l'égard de l'article 168 de la Loi sur l'accès, ce qui suit : « Il s'agit, en outre, d'une loi quasi constitutionnelle. L'article 168 dispose en effet que : […]. » Plus loin, à la même page, M. le juge Baudouin écrit ce qui suit : « La loi, par son rattachement à certains droits fondamentaux protégés par la Charte des droits et libertés de la personne (droit à la protection de la vie privée (art. 5); droit à l'information (art. 44), a donc un caractère législatif fondamental. » 4 L.R.Q., c. A-2.1, art. 168. 5 (2000) C.A.I. 447, 456.
PV 99 09 63 6 Les mêmes commentaires se transposent en ce qui concerne l'article 94 de la Loi sur le secteur privé, lequel est identique. Le caractère fondamental de cette législation et son caractère quasi constitutionnel nous laissent entendre que nous sommes en présence d'une loi d'application générale dans la province. L'article 157 de la Loi sur les banques traite de la question de renseignements personnels. Celui-ci se lit comme suit : 157. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les administrateurs dirigent l'activité commerciale et les affaires internes de la banque ou en surveillent la gestion. (2) Les administrateurs doivent en particulier : a) constituer un comité de vérification chargé des fonctions décrites aux paragraphes 194(3) et (4); b) constituer un comité de révision chargé des fonctions décrites au paragraphe 195(3); c) instituer des mécanismes de résolution des conflits d'intérêt, notamment des mesures pour dépister les sources potentielles de tels conflits et restreindre l'utilisation de renseignements confidentiels; d) désigner l'un des comités du conseil d'administration pour surveiller l'application des mécanismes visés à l'alinéa c); […] En outre, l'article 459 de la Loi sur les banques confère au gouverneur en conseil un pouvoir réglementaire, lequel peut obliger les banques à établir des règles concernant la collecte, la conservation, l'usage et la communication des renseignements sur leurs clients ou catégories de clients. Cet article se lit comme suit : 459. Le gouverneur en conseil peut, par règlement : a) obliger les banques à établir des règles concernant la collecte, la conservation, l'usage et la communication des renseignements sur leurs clients ou catégories de clients; b) obliger les banques à établir des règles sur la façon de traiter les plaintes d'un client quant à la collecte, la conservation, l'usage et la communication des renseignements le concernant; c) régir la communication par les banques des renseignements sur les règles mentionnées aux alinéas a) et b); d) obliger les banques à désigner au sein de leur personnel les responsables de la mise en œuvre des règles mentionnées à l'alinéa b), ainsi que de la réception et du traitement des plaintes mentionnées à cet alinéa; e) obliger les banques à faire rapport des plaintes visées à l'alinéa b) et des mesures prises à leur égard;
PV 99 09 63 7 f) définir, pour l'application des alinéas a) à e) et de leurs règlements d'application, les termes « collecte », « conservation » et « renseignements ». Nous observons, d'une part, qu'aucun règlement ne fut adopté en vertu de l'article 459 de la Loi sur les banques. D'autre part, le seul document portant en tant que tel sur la confidentialité est le Code canadien sur la confidentialité auquel les banques canadiennes ont semble-t-il, adhéré. Bien entendu, ce Code ne fait pas force de loi. Nous constatons donc que la Loi sur les banques ne contient aucune disposition, c'est-à-dire « code complet », traitant spécifiquement de renseignements personnels. Il existe toutefois l'article 459 de la Loi sur les banques abordant la collecte, la conservation, l'usage et la communication de renseignements sur leurs clients, mais le pouvoir réglementaire prévu à cet article 459 n'a jamais été exercé et permet de conclure qu'il n'existe pas de « code complet » sur la protection des renseignements au sens de l'affaire Banque de Montréal c. Hall 6 . Nous avons mentionné précédemment que la Loi sur le secteur privé en était une d'application générale dans la province. Or, les articles 157 et 459 de la Loi sur les banques ont-ils pour effet de rendre inopérants les articles 13 et 81 à 87 de la loi ? Il est évident que la loi provinciale est inattaquable au niveau constitutionnel. Seule pourrait être contestée son applicabilité à une entreprise fédérale 7 . Or, la loi provinciale, dans les circonstances prévalant ici, constitue-t-elle une législation touchant directement et massivement les conditions de travail, les relations de travail, la gestion ou les opérations de l'entreprise ? 6 Précitée, note 3. 7 Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail) [1998] R.C.S. 749, 797-798.
PV 99 09 63 8 Il ne fait pas de doute, du moins jusqu'à aujourd'hui, que la Loi sur le secteur privé est une loi valide constitutionnellement. Il semble également que toute application de cette loi dans le secteur du droit du travail à l'égard d'une entreprise fédérale serait frappée de nullité 8 . En l'espèce, la Loi sur le secteur privé, à défaut de viser les relations de travail, entre-t-elle massivement et directement dans la gestion et les opérations de la banque ? Dans l'affaire Multiple Access Ltd. c. McCutcheon 9 , la Cour Suprême du Canada a maintenu la validité de deux législations, l'une fédérale et l'autre provinciale, visant essentiellement les opérations des dirigeants et l'utilisation des renseignements confidentiels par ces derniers. D'abord, précisons que la Cour suprême du Canada ne semble pas s'être inquiétée du fait que les deux législations aient la même portée : « Voici ma seconde remarque introductive: on peut être tenté de considérer redondantes les dispositions de la Loi sur les corporations canadiennes relatives aux opérations des dirigeants étant donné les dispositions presque identiques qu'on trouve dans la loi ontarienne qui s'applique aussi bien aux compagnies fédérales qu'aux sociétés ontariennes. Il faut résister à cette tentation. Il faut déterminer la validité de la loi fédérale sans tenir compte de la loi ontarienne. En outre, un certain nombre de provinces n'ont pas encore adopté de loi relative aux opérations des dirigeants. L'annulation de la loi fédérale aurait pour effet de priver les compagnies constituées en vertu de la loi fédérale qui ont leur siège social dans ces provinces, ainsi que leurs actionnaires, de la double protection dont jouissent maintenant les actionnaires ontariens. L'invalidation de la loi fédérale risquerait de créer dans le système de réglementation actuel une lacune que pourraient exploiter les gens sans scrupules. » L'extrait ci-dessus est pleinement applicable aux faits pris pour avérés dans cette cause en l'espèce. Il faut rappeler d'une part, que les deux seules dispositions de la Loi sur les banques ne constituent pas un code complet comme c'était le cas dans l'affaire Banque de Montréal c. Hall 10 et, d'autre part, qu'en l'absence de réglementation précise, la législation 8 Air Canada c. Commission d'accès à l'information du Québec., C.S. Montréal, n o 500-05-033050-970, 8 octobre 1997, j. Tannenbaum; Alltrans Express Ltd. c. Colombie-britannique (Workers' Compensation Board), [1988] 1 R.C.S. 897. 9 [1982] 2 R.C.S. 161, 175-176. 10 Précitée, note 3.
PV 99 09 63 9 provinciale valide, vient combler un vide et offrir une protection essentielle que le Parlement canadien n'a pas cru bon d'offrir avant le 1 er janvier 2001. On ne peut parler ici de conflit virtuel ou voire explicite entre les deux législations puisqu'au point de vue fédéral, le silence est presque total. À tout événement, la Loi sur le secteur privé n'a pas pour objet de s'appliquer à une entreprise fédérale et si elle peut s'appliquer à une telle entreprise, ce n'est que de façon accessoire. Voici ce qu'écrivait la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Irwin Toy Ltd. c. Québec (P.G.) 11 : « Le gouvernement fédéral a compétence exclusive en ce qui concerne les «éléments vitaux ou essentiels» d'une entreprise fédérale, y compris sa gestion, parce que ces aspects forment le «contenu de base minimum et inattaquable» du pouvoir établi par l'application du par. 91(29) et les exceptions du par. 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867. Aucune loi provinciale qui touche ces aspects ne peut s'appliquer à une entreprise fédérale. Toutefois, lorsque la loi provinciale n'a pas pour objet de s'appliquer à une entreprise fédérale, son effet accessoire, même à l'égard d'un élément essentiel de l'exploitation d'une entreprise, n'aura normalement pas pour effet de rendre la loi provinciale ultra vires. » (soulignement ajouté) La Loi sur le secteur privé ne s'appliquant que de façon accessoire à une entreprise fédérale et ne cherchant pas à réglementer directement une entreprise fédérale, le critère qui doit être retenu n'est pas de savoir si la loi provinciale « porte atteinte à une partie essentielle de la gestion et de l'exploitation de l'entreprise », mais plutôt si elle entraîne, stérilise ou paralyse cette entreprise, ce qui en l'occurrence est beaucoup plus exigeant comme critère retenu pour rendre la loi inopérante. Voici ce qu'écrivait M. le juge Iacobucci à ce sujet, dans l'affaire Air Canada c. Ontario (Régie des alcools) 12 : « P.W. Hogg, Constitutional Law of Canada (3 e éd. 1992 (feuilles mobiles)), vol. 1, à la p. 15-27. Le pouvoir fédéral d'adopter des lois concernant une partie essentielle d'une entreprise fédérale est exclusif. 11 [1989] 1 R.C.S. 927, 955. 12 [1997] 2 R.C.S. 581, 609.
PV 99 09 63 10 Voir Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749. Cependant, une loi provinciale qui ne vise pas à réglementer une entreprise directement ne sera invalide que si elle entrave, stérilise ou paralyse cette entreprise. Voir Irwin Toy Ltd. c. Quebec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, à la p. 955. » Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a jugé que les compagnies aériennes n'étaient pas exemptées du monopole provincial de l'alcool 13 : « Pour tous ces motifs, je conclus que l'argument des compagnies aériennes selon lequel, à titre d'entreprises fédérales, elles devraient être exemptées du monopole provincial de l'alcool n'est pas fondé. » La Loi sur le secteur privé a-t-elle, dans son application, pour effet de stériliser ou de paralyser les banques ? Il est raisonnable d'affirmer que ce n'est pas le cas et que cette loi est d'application générale dans la province. La décision de la Cour suprême, dans l'affaire Commission de transport de la Communauté urbaine de Québec c. Canada (Commission des champs de bataille nationaux) 14 , constitue un exemple probant de ce qui constitue une entrave. Le Tribunal a jugé que les dispositions de la Loi sur les transports 15 portant sur l'obtention d'un permis étaient inopérantes à l'égard de la Commission des champs de bataille nationaux. M. le juge Gonthier, au nom de la majorité, a considéré que les dispositions pertinentes de la loi provinciale relativement au système de permis placeraient en effet la Commission des champs de bataille nationaux à la merci des décisions largement discrétionnaires de la Commission de transport de la Communauté urbaine de Québec. L'extrait suivant de la décision de M. le juge Gonthier est éloquent à cet égard 16 : « L'application du système de permis placerait en effet la Commission appelante à la merci de décisions largement discrétionnaires de la Commission des transports du Québec relativement à des aspects fondamentaux du service qu'elle offre au public en vertu de son mandat. L'atteinte portée par le système de permis sur certains aspects vitaux et essentiels du service fédéral peut s'illustrer par quelques exemples. » 13 Id., 611. 14 [1990] 2 R.C.S. 838. 15 L.R.Q., c. T-12. 16 Précité, note 13, 859.
PV 99 09 63 11 De plus, M. le juge Gonthier procède à fournir quelques exemples, dont un nous semble percutant et vient illustrer notre propos 17 : « À un autre niveau, certaines conditions d'obtention d'un permis posées par le gouvernement à l'art. 12 du Règlement atteignent également le service fédéral dans ses aspects vitaux. En vertu du par. 4, la Commission peut refuser la délivrance du permis si elle estime que le service entrepris ne répond pas aux besoins de la population du territoire desservi. Cette condition touche la décision fondamentale de mettre le service en place et atteint donc son existence même, en confiant à la Commission de transport du Québec l'évaluation de la pertinence du service eu égard à sa vision des besoins de la population. » […] La Commission n'a pu retrouver, dans la loi qui nous concerne, de dispositions qui pourraient entraver ou menacer des aspects vitaux ou essentiels de la Banque. La Commission est d'avis, à la lumière de la preuve, de la jurisprudence étudiée et de l'interprétation qui peut en découler, que la Loi sur le secteur privé est applicable en l'espèce et n'est pas, comme le prétend le procureur de la Banque, inopérante. La Commission est compétente pour enquêter sur le bien-fondé de la présente plainte. LAUDIENCE SUR LE FOND LA PREUVE Le témoignage du plaignant Le plaignant habite, à lépoque des actes reprochés à l'intimée, dans un logement dont le propriétaire est la tierce partie. Il raconte qu'à la suite dun jugement de la Régie du logement, il a verser un montant darrérages à la tierce partie. Il a donc donné un chèque pour un montant de 1 420 $ à lordre de la tierce partie. Toutefois, il demande à la tierce partie de ne pas encaisser le chèque tout de suite et d'attendre les résultats dun arbitrage de grief, ce qui devait lui apporter de nouvelles liquidités. Il témoigne quil sattendait à ce que M. Konaté le détruise. À sa grande surprise, même sil na pas les 17 Id.
PV 99 09 63 12 fonds nécessaires chez l'intimée pour faire honorer le chèque, il constate, quelques jours après lavoir écrit, que son compte a été débité pour le montant total. Après examen, il constate que ceci a pu se faire grâce à un dépôt mystérieux qui a fait augmenter le solde du compte jusquau montant du chèque qui a été, par la suite, visé. Le plaignant témoigne quant aux circonstances exactes ayant mené au dépôt de sa plainte. Il dépose une série de documents à l'appui de son récit. Il dépose en premier lieu le relevé de son compte en banque (P-1) et souligne les transactions notées pour la journée du 7 juin l999. On y constate un dépôt de 300 suivi dune notation dun chèque visé de 1 420 $, ce qui a eu pour effet de faire débiter son compte de léquivalent de ce montant. Il dépose le bordereau de dépôt de 300 $, versé à son compte. Ce bordereau est signé par M.Konaté en qualité de déposant (P-2). La demande de chèque visé (P-3) est un autre formulaire de l'intimée que le plaignant dépose en preuve. On y lit que le chèque en date du 11 mars l999 est visé le 7 juin l999 au bénéfice de Résotique Internationnal (sic), que le signataire du compte est Michel Lamarre et que la transaction est demandée par M. Konaté. Le formulaire fut préparé par M.C. Garand. Le chèque de 1 420 $ est déposé sous la cote P-4. Le document P-5 est une résolution par laquelle la compagnie Résotique International Inc. autorise M. Konate à agir comme administrateur. Le plaignant réitère que la question à laquelle il cherche une réponse en déposant sa plainte est la suivante : comment M. Konaté a-t-il pu savoir le montant exact quil avait dans son compte de banque ? Il affirme ne jamais avoir autorisé une enquête de crédit à son sujet ni n'avoir autorisé quiconque à prendre connaissance du contenu de son compte de banque. Le témoignage de Madame Brigitte Coutu Madame Coutu est la veuve de M. Konaté, lequel est décédé en mars 2000. M. Konaté avait une compagnie, Résotique International, laquelle était propriétaire du duplex dont un logement fut loué à M. Lamarre, le plaignant. Depuis mars 2000, Madame Coutu administre la compagnie Résotique qui fait partie de la succession de son époux.
PV 99 09 63 13 Son souvenir est à leffet que les relations avec M. Lamarre lavait stressée et son mari lavait ainsi écartée des transactions avec ce locataire. Elle témoigne ne pas être allée à la banque dans le cadre des relations entre son mari et M. Lamarre. Elle a pris connaissance de la plainte de M. Lamarre à la Régie seulement quand celui-ci a déguerpi. Elle a appris lexistence dun dépôt de 300 $ seulement en mars 2000. Elle affirme que son mari était informaticien et chargé de projet. Il travaillait comme consultant pour le Mouvement Desjardins à lépoque des évènements en question. Madame Coutu travaille pour la Banque nationale depuis 22 ans. Elle est conseillère technique et ses clients sont uniquement les employés de la succursale elle travaille. Elle affirme ne pas être en interrelation avec les autres succursales. À sa connaissance, les banques néchangent pas entre elles les soldes des clients. Le témoignage de Madame Marie-Claire Garant Madame Garant était caissière à la succursale se situait le compte de M. Lamarre lors des évènements en question. Elle ignore qui aurait divulgué le montant qui était dans le compte de M. Lamarre. Elle affirme que selon les pratiques bancaires, il est permis à nimporte qui de déposer de largent dans le compte dautrui. Elle se souvient que M. Konaté est arrivé avec le numéro du compte de banque, de la succursale et largent comptant. Elle navait pas, comme caissière, la qualité personnelle pour faire viser le chèque mais elle a préparé la transaction pour la faire approuver par une personne en autorité. Selon elle, M. Konaté savait déjà combien dargent il devait déposer dans le compte car il est arrivé avec largent en billets de 20 $.
PV 99 09 63 14 LES PRÉOCCUPATIONS DE LA COMMISSION SUR LA SÉCURITÉ DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS À LA BANQUE À l'audience du 23 novembre 2001, la Commission avait demandé au procureur de la banque de lui faire parvenir, pour la fin du mois de janvier 2002, le bilan de l'état de la sécurité des renseignements personnels depuis les événements qui font l'objet de la plainte. N'ayant pas reçu ces informations, la Commission a émis une ordonnance à cet effet le 28 mars 2002. La Commission reçoit, au mois de mai 2002, une série de documents concernant la façon dont la Banque Laurentienne traitera dorénavant de la confidentialité des renseignements personnels. Il s'agit de : code de déontologie 2002 (annexe A), politique de gestion sur la sécurité de l'information approuvée le 8 novembre 2001 (annexe B) et politique sur la protection de renseignements personnels approuvée le 8 novembre 2001 (annexe C). La Commission comprend que ces documents renferment des informations générales versées au dossier de celle-ci. LES REPRÉSENTATIONS Largumentation de la Banque Le procureur de la Banque fait valoir que la preuve est loin dêtre concluante sur les moyens par lesquels M. Konaté aurait pu savoir le solde du compte de banque de M. Lamarre. Ce dernier aurait pu le lui dire. M. Konaté aurait pu procéder par élimination, déposant une somme jusquà ce quil atteigne le montant requis. Il souligne aussi que des agences de recouvrement ont le droit de consulter les comptes et on sentend par contrat à cet effet à louverture dun compte.
PV 99 09 63 15 L'APPRÉCIATION L'ANALYSE DU BILAN DE L'ÉTAT DE LA SÉCURITÉ Le bilan de létat de la sécurité des renseignements personnels de la Banque, envoyé à la Commission le 7 mai 2002, démontre, entre autres, qu'à l'époque de la séance du 23 novembre 2001, il n'était pas possible de retracer les accès informatiques au compte de M. Lamarre, ceux-ci n'étant conservés que 14 mois. Par ailleurs, la Commission note que la banque semble avoir fait des efforts importants quant à la sécurité des renseignements personnels dans les semaines précédant l'audience. En effet, le 8 novembre 2001 est entrée en vigueur la politique sur la protection de renseignements personnels. Voici comment on décrit les mesures de sécurité en place : « À l'ordonnance de la Commission demandant à la Banque les mesures de sécurité et de protection de la confidentialité particulières prises depuis l'époque des événements, La Banque Laurentienne soumets : L'entrée en vigueur de la politique sur la protection de renseignements personnels (Annexe C) le 8 novembre 2001 constitue la principale mesure mise en place depuis les événements générateurs de la plainte dans le présent dossier. Comme mentionné précédemment, la signature systématique d'une déclaration relative au code de déontologie par tout le personnel de la Banque lors de l'embauche et à chaque modification subséquente est la première mesure visant à s'assurer que le personnel connaît la politique sur la protection de renseignements personnels et l'applique. Plus spécifiquement, les obligations des employés sont contenues à l'annexe C point 9.11 page 7. Par ailleurs, les ententes par lesquelles des tiers fournisseurs de services à la Banque qui peuvent avoir accès aux renseignements personnels des clients pour l'exécution de leur tâches contiennent des clauses strictes de confidentialités. » (sic) Les personnes qui ont témoigné lors de laudience sont crédibles. M. Lamarre, indigné, persiste dans sa plainte contre la Banque quil tient responsable de la fuite dinformation sur son compte. Madame Coutu, veuve de M. Konaté, semble tout ignorer des circonstances précises de lincident dont il est question ici. La caissière, Madame Garant,
PV 99 09 63 16 constate que M. Konaté semblait savoir exactement quoi faire afin de renflouer le compte de M. Lamarre jusquau montant nécessaire pour faire viser le chèque qui était dans sa possession. Comment M. Konaté est-il venu à savoir le solde du compte de son locataire, M. Lamarre ? La Commission croit quil ne s'agit pas d'une simple coïncidence et que M. Konaté était, effectivement, en possession de linformation sur le compte de M. Lamarre. Toutefois, rien dans la preuve lui permet de conclure par quels moyens cette information est parvenue à M. Konaté. Il est toutefois vraisemblable qu'il y ait eu une faille dans la sécurité du système informatique à cette époque, ou une transgression des règles de confidentialité des renseignements personnels par une personne physique ayant accès aux compte de M. Lamarre. Quoiquil en soit, la conclusion que M. Konaté était en possession dinformations de nature confidentielle laisse la Commission perplexe quant aux moyens de sécurité mis en place par la Banque à cette époque. La preuve ne permet pas à la Commission de tirer une conclusion définitive quant à la source de l'information ayant permis à M. Konaté de connaître le solde bancaire de M. Lamarre. Elle conclut toutefois qu'il y a bien eu fuite de renseignements personnels, ces derniers relevant de la responsabilité de la Banque Laurentienne et devant être conservés de façon strictement confidentielle. La Banque Laurentienne, gardienne des renseignements, est responsable de ceux-ci et est, par conséquent, responsable de cette fuite. La Banque Laurentienne n'a pas su, conformément à l'article 10 de la Loi sur le privé 18 , prendre et appliquer des mesures de sécurité propres à assurer le caractère confidentiel de renseignements personnels dont elle avait la garde exclusive : 10. Toute personne qui exploite une entreprise et recueille, détient, utilise ou communique des renseignements personnels sur autrui doit 18 L.R.Q. c. P-39.1.
PV 99 09 63 17 prendre et appliquer des mesures de sécurité propres à assurer le caractère confidentiel des renseignements. LA DÉCISION POUR CES MOTIFS, la Commission d'accès à l'information : ACCUEILLE la plainte; et PREND ACTE des mesures de sécurité mises en place par la Banque Laurentienne depuis l'actuelle plainte pour protéger les renseignements personnels qu'elle détient. Montréal, le 21 août 2002 DIANE BOISSINOT Commissaire MICHEL LAPORTE Commissaire JENNIFER STODDART Commissaire M e Sylvain Gagnon Procureur de l'entreprise
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.