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Mémoire de la Commission daccès à linformation sur le Projet de loi n o 85 Loi sur le Centre de services administratifs AVRIL 2005
MÉMOIRE DE LA COMMISSION DACCÈS À LINFORMATION CONCERNANT LE PROJET DE LOI N° 85 Loi sur le Centre de services administratifs TABLE DES MATIÈRES Introduction 1. Lassujettissement du Centre de services administratifs et de ses filiales à lapplication de la Loi sur laccès Les critères dassujettissement à lapplication de la Loi sur laccès Les obligations en matière daccès à linformation Les obligations en matière de protection des renseignements personnels 2. Limpact du projet de loi n° 85 sur la protection des renseignements personnels La centralisation de renseignements personnels Lutilisation des renseignements personnels à dautres finalités Les communications de renseignements personnels entre organismes Les règles de transparence Conclusion
Mémoire de la CAI concernant le Projet de loi n o 85, Loi sur le Centre des services administratifs Présenté à lAssemblée nationale le 16 décembre 2004, le Projet de loi n° 85, Loi sur le Centre de services administratifs, sinscrit dans une démarche de modernisation de lÉtat et met en œuvre lun des volets des orientations décrites dans le document Moderniser lÉtat Pour des services de qualité aux citoyens, Plan de modernisation 2004-2007 1 . En proposant lintégration de services de soutien administratif, ce projet de loi vise à améliorer la prestation de services offerts aux organismes publics. Il sajoute à la mise en place de Services Québec et au projet de gouvernement en ligne qui ont pour objectif daméliorer la prestation de services offerts, cette fois, aux citoyens. Quil sagisse dintégration de services de soutien administratif, de Services Québec ou de gouvernement en ligne, de nouvelles façons de faire sinscriront dans la pratique administrative de lÉtat québécois. Or, redéfinir les manières de dispenser les services aux citoyens ou aux organismes publics naura pas dimpacts que sur les seules structures administratives. Ces changements majeurs amèneront également des modifications significatives à la façon dont les renseignements personnels circulent au sein de lÉtat québécois. Voilà pourquoi les membres de la Commission daccès à linformation (la CAI) remercient les membres de la commission parlementaire des finances publiques de lui offrir lopportunité de partager ses réflexions au sujet de limpact que pourrait avoir le projet de loi n° 85 sur la protection des renseignements personnels. Essentiellement, la CAI a pour mandat de mettre en œuvre la Loi sur laccès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 2 . Cette loi détermine des volets importants du droit à linformation et du droit à la vie privée, deux droits également reconnus par la Charte des droits et libertés de la personne 3 . Plus de 2 600 organismes publics sont assujettis à lapplication de la Loi sur laccès. La CAI exerce également les fonctions qui lui sont dévolues par la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 4 . La CAI est un organisme multifonctionnel. Ce qui signifie quelle exerce à la fois des fonctions de tribunal administratif et des fonctions de surveillance et de contrôle. Au chapitre de la protection des renseignements personnels, la CAI est appelée à émettre des avis concernant certains échanges de renseignements personnels entre organismes publics. Créé par le Projet de loi n° 85, le Centre de services administratifs se verra confier un très vaste mandat. Larticle 4 de ce projet précise que le Centre a pour mission de fournir ou de rendre accessibles aux organismes publics les biens et les services administratifs dont ils ont besoin dans lexercice de leurs fonctions, notamment en matière de ressources humaines, financières, matérielles et informationnelles. 1 www.tresor.gouv.qc.ca, mai 2004. 2 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après « la Loi sur laccès ». 3 L.R.Q., c. C-12. 4 L.R.Q., c. P-39.1. 3
Mémoire de la CAI concernant le Projet de loi n o 85, Loi sur le Centre des services administratifs Dans la réalisation de sa mission, nous dit larticle 5, le Centre pourra notamment développer et fournir des produits et services en matière de technologie de linformation et de télécommunication et en assurer la gestion et la maintenance ; développer et fournir des solutions daffaires en gestion des ressources ; fournir tout autre service, professionnel ou autre, dont les organismes publics peuvent avoir besoin ; procéder à des regroupements de services et les gérer. Conformément à larticle 9, des ententes seront conclues entre le Centre et les organismes publics qui requièrent un service. Le gouvernement pourra toutefois, par décret, tel que ly autorise larticle 10, rendre obligatoire, pour un ou plusieurs organismes publics, le recours au Centre pour lexécution dun service. Larticle 16 reconnaît au Centre le pouvoir, avec lautorisation du gouvernement, dacquérir ou de constituer toute filiale utile aux fins de la réalisation de sa mission. Le Centre et les filiales dont il détient la totalité des actions pourront sadjoindre un tiers pour lapplication dune entente ou dun décret. Toutefois, ajoute larticle 12, dans tous les cas, lapplication de lentente ou du décret demeurera sous la direction et la responsabilité du Centre ou de sa filiale. Le mémoire de la CAI se divise en deux parties. La première partie formule quelques commentaires concernant lassujettissement du Centre de services administratifs et de ses filiales à lapplication de la Loi sur laccès. La majeure partie du présent mémoire sera toutefois consacrée à limpact que pourrait avoir le projet de loi sur la protection des renseignements personnels. 1. Lassujettissement du Centre de services administratifs et de ses filiales à lapplication de la Loi sur laccès Critères dassujettissement à la Loi sur laccès Larticle 4 de la Loi sur laccès stipule que les organismes gouvernementaux sont ceux qui rencontrent lune ou lautre des conditions suivantes : La majorité des membres de lorganisme est nommée par le gouvernement ou un ministre ; La loi ordonne que le personnel de cet organisme soit nommé suivant la Loi sur la fonction publique ; Le fonds social de lorganisme fait partie du domaine de lÉtat. Le Centre répond aux deux premiers critères : larticle 20 prévoit que les neuf membres de son conseil dadministration sont nommés par le gouvernement alors que larticle 41 4
Mémoire de la CAI concernant le Projet de loi n o 85, Loi sur le Centre des services administratifs ordonne que le secrétaire et les autres membres du personnel du Centre soient nommés suivant la Loi sur la fonction publique. En ce qui concerne les filiales, larticle 17 prévoit expressément quelles sont assujetties à lapplication de la Loi sur laccès. Cette précision écarte déventuels litiges il pourrait être soulevé quune filiale nest pas assujettie à la Loi sur laccès car son fonds social ne fait pas entièrement partie du domaine public 5 . Cet assujettissement du Centre et de ses filiales à lapplication de la Loi sur laccès les obligera à se conformer aux obligations quimpose cette loi en matière daccès à linformation et de protection des renseignements personnels. Obligations en matière daccès à linformation Indissociable des notions de transparence et de démocratie, laccès à linformation est un des maillons importants de notre régime politique. Plusieurs manifestations de la démocratie sont largement tributaires de l'accès à l'information détenue par l'État. Exercice du droit de vote pour le choix de nos dirigeants, reddition de compte de l'administration publique, voire même liberté d'expression, liberté dopinion ou liberté de presse ne seraient que des coquilles vides s'ils ne pouvaient s'appuyer sur une information de qualité. Maintes fois cité, cet extrait dun jugement de la Cour suprême du Canada rappelle comment les lois en matière daccès à linformation assurent le maintien de la démocratie : 61. La loi en matière d'accès à l'information a donc pour objet général de favoriser la démocratie, ce qu'elle fait de deux manières connexes. Elle aide à garantir, en premier lieu, que les citoyens possèdent l'information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique, et, en second lieu, que les politiciens et bureaucrates demeurent comptables envers l'ensemble de la population 6 . […] La reconnaissance du droit à linformation est énoncée comme suit à larticle 9 de la Loi sur laccès : toute personne qui en fait la demande a droit daccès aux documents dun organisme public. Seule une exception énoncée expressément dans cette loi permet de passer outre à ce droit. Par exemple, pourront être protégés certains renseignements ayant, dans certaines circonstances, des incidences sur les relations intergouvernementales, les négociations entre organismes publics, léconomie, 5 Un jugement rendu par la Cour dappel en 2002 précise quune société à fonds social dont toutes les actions sont détenues par lÉtat est un organisme dont le fonds social fait partie du domaine public. Ce jugement laisse donc planer un doute sur lassujettissement à la Loi sur laccès des sociétés dont les actions ou les parts ne sont pas toutes détenues par lÉtat. Pouliot c. Cour du Québec (Hydro-Québec International), [2002] C.A.I. 463. 6 Dagg c. Canada (ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, 433. 5
Mémoire de la CAI concernant le Projet de loi n o 85, Loi sur le Centre des services administratifs ladministration de la justice et la sécurité publique, les décisions administratives ou politiques ou sur la vérification. La Loi sur laccès protège également les renseignements personnels. À moins quune restriction à laccès ne soit applicable, le Centre et ses filiales devront donc rendre accessibles les documents quils détiennent à toute personne qui en fera la demande. Lexercice de ce droit daccès contribuera à rendre transparente la façon dont le Centre et ses filiales sacquitteront de leurs missions. Obligations en matière de protection des renseignements personnels Lassujettissement du Centre et des filiales à lapplication de la Loi sur laccès signifie également que ces organismes auront à assurer la protection des renseignements personnels quils seront appelés à détenir. Ils devront respecter le principe de confidentialité de ces renseignements et ne les communiquer que dans la mesure prévue par la Loi sur laccès. Parce que la nature même de sa mission risque de lamener à détenir de nombreux renseignements personnels, la CAI croit opportun de décrire ici les principales règles qui gouvernent la protection de ces renseignements. Cette description facilitera par ailleurs la compréhension des inquiétudes que soulève la CAI dans la deuxième partie de son mémoire. La Loi sur l'accès prévoit des règles applicables tout au long de la vie utile des renseignements personnels détenus par un organisme public, depuis leur collecte, leur utilisation, leur conservation, leur communication jusquà leur destruction. En matière de collecte de renseignements personnels, larticle 64 prévoit qu'un organisme public peut recueillir un renseignement personnel uniquement s'il est nécessaire à l'exercice de ses attributions ou à la mise en œuvre d'un programme dont il a la gestion. La règle de larticle 64 a pour but de limiter la collecte de renseignements personnels. De plus, larticle 76 oblige un organisme public à déclarer à la CAI létablissement dun fichier de renseignements personnels. En matière dutilisation des renseignements personnels, larticle 65 impose aux organismes publics lobligation dinformer les personnes au sujet desquelles ils recueillent des renseignements personnels des fins pour lesquelles serviront ces renseignements. Les organismes publics ne peuvent utiliser des renseignements personnels à dautres fins que celles pour lesquelles ils ont été recueillis. De plus, larticle 62 prévoit quun renseignement personnel nest accessible, au sein dun organisme, quaux seules personnes à qui ce renseignement est nécessaire à lexercice de leurs fonctions. 6
Mémoire de la CAI concernant le Projet de loi n o 85, Loi sur le Centre des services administratifs En matière de conservation des renseignements personnels, larticle 72 énonce quun organisme public doit veiller à ce que les renseignements personnels quil conserve soient à jour, exacts et complets pour servir aux fins pour lesquelles ils ont été recueillis. En matière de communication de renseignements personnels, larticle 53 reconnaît le principe général selon lequel les renseignements personnels sont confidentiels à moins que la personne concernée ne consente à leur divulgation. Larticle 59 interdit aux organismes publics de communiquer ces renseignements personnels sans le consentement de la personne concernée à moins que la Loi sur laccès nautorise la communication. Ces exceptions à la règle de confidentialité seront décrites ci-après. Finalement, en matière de destruction des renseignements personnels, larticle 73 oblige les organismes publics à détruire un renseignement lorsque lobjet pour lequel il a été recueilli est accompli. En outre, le calendrier de conservation que chaque organisme public doit établir conformément à la Loi sur les archives doit être respecté. Par ailleurs, tout au long de la durée de vie dun renseignement personnel, des mesures de sécurité ou de protection appropriées devront être prises pour en assurer la confidentialité. Les communications de renseignements personnels entre organismes Les articles 67, 67.1, 67.2, 68 et 68.1 de la Loi sur laccès fixent les paramètres qui doivent guider les organismes publics lors de la communication de renseignements personnels sans le consentement de la personne concernée. Les communications nécessaires à lapplication dune loi : larticle 67 de la Loi sur laccès précise quun organisme public peut communiquer un renseignement personnel à toute personne ou organisme lorsque cette communication est nécessaire à lapplication dune loi au Québec. Ces communications peuvent se faire sans quune entente à cet effet nait été conclue. Elles nont pas à être précédées dun avis de la CAI. Les communications nécessaires à lapplication de conditions de travail : larticle 67.1 stipule quun organisme public peut communiquer un renseignement personnel à toute personne ou organisme si cette communication est nécessaire à l'application d'une convention collective, d'un décret, d'un arrêté, d'une directive ou d'un règlement qui établissent des conditions de travail. La communication na pas à être précédée dun avis de la CAI. Les communications nécessaires à lexercice dun mandat : en vertu de larticle 67.2, un organisme public peut communiquer un renseignement personnel à toute personne ou organisme si cette communication est nécessaire à lexercice dun mandat confié par lorganisme public à cette personne ou à cet organisme. Dans ce cas, le mandat doit être confié par écrit et indiquer, entre autres, que le renseignement ne pourra être conservé au terme du mandat. La communication na pas à être précédée dun avis de la CAI. 7
Mémoire de la CAI concernant le Projet de loi n o 85, Loi sur le Centre des services administratifs Les communications nécessaires à lexercice des attributions : larticle 68 autorise un organisme public à communiquer à un autre organisme public un renseignement nécessaire à lexercice des attributions de lorganisme receveur ou à la mise en œuvre dun programme dont cet organisme a la gestion. Dans ce cas, une entente écrite doit être conclue entre les deux organismes publics. Cette entente doit indiquer les moyens mis en œuvre pour assurer la confidentialité des renseignements communiqués et elle doit être soumise pour avis à la CAI conformément aux modalités énoncées à larticle 70. Les communications aux fins de couplage et nécessaires à lapplication dune loi : larticle 68.1 prévoit quun organisme public peut communiquer un fichier de renseignements personnels aux fins de le comparer, le coupler ou lapparier avec un fichier détenu par une personne ou un organisme si cette communication est nécessaire à lapplication dune loi au Québec. Tout comme pour les ententes visées par larticle 68, ces opérations seffectuent dans le cadre dune entente écrite également soumise pour avis à la CAI. Finalement, conformément à larticle 67.3, un organisme public doit inscrire dans un registre toute communication faite en vertu des articles 67, 67.1, 67.2, 68 et 68.1. Le registre comprend notamment la nature ou le type des renseignements communiqués, les personnes ou organismes qui reçoivent cette communication, lusage projeté de ces renseignements et les raisons justifiant cette communication. 2. Limpact du Projet de loi n° 85 sur la protection des renseignements personnels Le Centre de services administratifs aura pour mission de fournir aux organismes publics des services administratifs notamment en matière de ressources humaines, financières, matérielles et informationnelles. Selon la CAI, il ne fait aucun doute quune telle mission se concrétisera inévitablement par un échange de fichiers de renseignements personnels entre les organismes publics et le Centre. Dans quelle mesure y aura-t-il centralisation de linformation ? À quelles fins seront utilisés les renseignements détenus par le Centre ? Comment seront encadrés les échanges de renseignements ? La simple lecture du projet de loi ne permet pas de répondre à ces questions. Ce nest quau fur et à mesure que les ententes et décrets entreront en vigueur quil sera possible de dresser un portrait exhaustif de limpact réel du projet de loi sur la circulation et la protection des renseignements personnels. Limpact du projet de loi sur la protection des renseignements personnels dépendra largement du nombre et de la nature de ces ententes et décrets. Il est évident que les services de reprographie ou de publication offerts par le Centre nauront pas les mêmes conséquences sur les renseignements personnels quun service qui permettrait aux organismes publics de mettre à jour leurs banques de données contenant des données didentité sur les citoyens. Par ailleurs, le rôle que les filiales et les tiers seront appelés à 8
Mémoire de la CAI concernant le Projet de loi n o 85, Loi sur le Centre des services administratifs jouer, rôle inconnu pour linstant, pourrait entraîner des risques nouveaux pour la protection des renseignements personnels. À cette étape du processus, la CAI ne peut prétendre quelle a toute linformation pertinente qui lui permettrait de tracer un portrait significatif des conséquences quengendrera le projet de loi sur les renseignements personnels. Un tel constat nempêche toutefois pas la CAI dattirer lattention du législateur sur certaines questions qui devraient faire lobjet dune vigilance particulière. Centralisation de renseignements personnels, utilisation des renseignements à des fins non prévues au moment de la collecte par un ministère ou un organisme, respect des règles en matière de communications de renseignements et de transparence seront les sujets abordés dans le texte qui suit. La centralisation de renseignements personnels « Il convient d'établir des normes sévères quant aux transferts de données personnelles entre les organismes. La principale inquiétude a trait à la possibilité de regrouper, par ces transferts, l'ensemble des données recueillies sur une personne. L'informatique permet facilement le repérage et la réunion des données. D'une façon générale, la loi devra interdire les transferts de données personnelles entre fichiers. Toutes les exceptions devront être inscrites dans des lois, faisant ainsi l'objet d'un débat à l'Assemblée nationale. Ce débat permettra aux citoyens de connaître les pratiques actuelles en matière de transferts et aux parlementaires de juger de leur pertinence et leur nécessité. » 7 Écrit il y a 24 ans, daucuns pourraient affirmer que ce texte de la Commission Paré, dont le rapport servit de référence à la rédaction de la Loi sur laccès, véhicule des idées dépassées. Pourtant, la CAI croit que ces propos, malgré lécoulement du temps, sont toujours dactualité. Ils le sont dautant plus que la technologie offre aujourdhui une capacité de traitement de linformation que les membres de la Commission Paré nauraient même pas pu imaginer à lépoque. Les technologies de linformation et des communications permettent maintenant de colliger et de conserver un nombre presque illimité dinformations : convergence des technologies et des réseaux, liens de communication ultra-rapides, protocoles de communication communs (IP), standardisation des interfaces (duplication, réplication, mémoires) et capacité de traitement favorisent un traitement centralisé de linformation. À ces facteurs sajoutent les possibilités dintégration de plusieurs systèmes en un seul, le regroupement en un seul fichier des données réparties physiquement (fichier éclaté) dans 7 Commission détude sur laccès du citoyen à linformation gouvernementale et sur la protection des renseignements personnels, Information et liberté, Québec, 1981, p. 68. 9
Mémoire de la CAI concernant le Projet de loi n o 85, Loi sur le Centre des services administratifs plusieurs entités administratives et en des lieux différents, la création dimmenses silos de données traitées par des progiciels de gestion intégrés. Ce phénomène de centralisation quobserve la CAI depuis plusieurs années est particulièrement évident à la Régie de lassurance maladie du Québec et au ministère du Revenu mais également observable dans plusieurs secteurs dactivités gouvernementaux : éducation, justice, gestion des ressources humaines, financières et matérielles. La centralisation de linformation peut également résulter des fusions, que lon songe aux établissements de santé, de regroupements, dintégrations dorganismes. Et bien souvent, cette centralisation résulte simplement dune volonté daméliorer la performance administrative. Dans ce contexte, le plan de modernisation de lÉtat présenté par le gouvernement en mai 2004, et plus particulièrement la création de Services Québec et du Centre de services administratifs, ont pour effet de permettre une plus grande centralisation des renseignements personnels. Lun des fondements des lois de protection des renseignements personnels, au Québec ou ailleurs, est basé sur la nécessité de maintenir l'étanchéité des fichiers de renseignements personnels détenus par les multiples entités et composantes de l'appareil administratif pour éviter la centralisation de linformation. Entre ces entités et composantes, les échanges de renseignements personnels, sans le consentement des personnes visées, ne peuvent avoir lieu que dans des conditions très strictes, définies par la loi. Ces échanges de renseignements personnels représentent l'exception, plutôt que la règle. Pourquoi éviter la centralisation de linformation ? Essentiellement pour atteindre lobjectif suivant: préserver l'individu contre la toute puissance de l'État. Cet objectif sera atteint si des profils sur les individus ne peuvent être dressés et si le citoyen peut avoir lassurance que des décisions à son sujet ne pourront être fondées sur des renseignements personnels colligés à son insu ou utilisés à des fins quil ignore. Invoquer mécanismes de sécurité et garanties de confidentialité ne peut suffire à justifier la centralisation de linformation. Le législateur doit maintenir et, au besoin, solidifier tous les garde-fous qui assurent aux citoyens quun même organisme public ne puisse tout connaître à son sujet : ses revenus, son état de santé, ses démêlés avec l'administration municipale au sujet de l'évaluation de sa résidence; les infractions quil a commises au Code de la sécurité routière, ses échecs scolaires, les prestations reçues en vertu dun programme daide En 1995, dans un avis portant sur la consolidation des centres informatiques de divers ministères, la CAI avait défendu limportance de maintenir le cloisonnement des fichiers au sein du futur serveur gouvernemental. Depuis ce temps, le Secrétariat du Conseil du trésor a démontré que le respect de cette règle était possible. Puisque ces activités du Secrétariat pourraient être transférées au nouveau Centre, la CAI comprend que le cloisonnement des fichiers des différents clients du Centre demeurera une ligne de conduite obligatoire. Quoi quil en soit, les nouvelles façons de faire que propose le Projet de loi n° 85 se traduiront fort probablement par une plus grande centralisation de renseignements 10
Mémoire de la CAI concernant le Projet de loi n o 85, Loi sur le Centre des services administratifs personnels au sein du Centre. Appelé à détenir de nombreux fichiers de renseignements personnels, le Centre doit sassurer que ces fichiers demeureront cloisonnés. Parce quil permettrait de dresser des profils sur les citoyens, un décloisonnement aurait de sérieuses conséquences sur la protection des renseignements personnels et sur le droit à la vie privée. La CAI recommande que la règle du cloisonnement des fichiers de renseignements personnels soit expressément reconnue afin que le Centre de services administratifs ne puisse, sans autre formalité, regrouper lensemble des données quil sera appelé à détenir au sujet des citoyens. Lutilisation des renseignements personnels à des fins non prévues Outre la centralisation et les risques qui sy rattachent, le fait que de nombreuses banques de données soient concentrées en un seul endroit peut entraîner dautres dangers pour la protection des renseignements personnels. Lexpérience le démontre, lexistence de mégafichiers suscite la convoitise et multiplie les chances que les renseignements qui y sont consignés soient utilisés à des fins étrangères à celles pour lesquelles ils ont été recueillis. Afin de mettre en valeur leur actif informationnel, des organismes publics pourraient vouloir procéder à des couplages de fichiers pour mieux cerner les caractéristiques de leur clientèle, voire même pour en commercialiser les résultats sous forme dénominalisée. Grâce au développement des technologies, les usages secondaires des renseignements sont grandement facilités et deviennent, de plus en plus, une voie quexplorent les détenteurs de renseignements personnels. Ces usages secondaires peuvent parfois être fondés sur la recherche dune meilleure efficacité administrative, une réduction des coûts ou sur lintention doffrir de meilleurs services aux citoyens. Il nen demeure pas moins que toutes ces utilisations secondaires se réalisent sans que le citoyen ny ait consenti et, bien souvent, à son insu. À ce sujet, la Cour suprême nous enseigne que des considérations budgétaires ou la commodité administrative ne constituent pas des objectifs suffisants pour justifier une atteinte à un droit fondamental 8 , tel le droit à la vie privée. En ce qui concerne les utilisations secondaires, la CAI sinquiète des effets que pourrait avoir ladoption dune modification à la Loi sur laccès présentement à létude devant lAssemblée nationale. Si larticle 31 du projet de loi n° 86 9 devait être adopté, un organisme public pourrait utiliser un renseignement personnel à une autre fin que celle 8 Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de lÎle-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3, par. 281-285 ; Figueroa c. Canada (Procureur général), [2003] 1 R.C.S. 912, par. 65. 9 Projet de loi n° 86, Loi modifiant la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et dautres dispositions législatives. Le principe de ce projet de loi a été adopté le 5 avril dernier. 11
Mémoire de la CAI concernant le Projet de loi n o 85, Loi sur le Centre des services administratifs pour laquelle il a été recueilli, sans le consentement de la personne concernée, dans plusieurs cas : 1° lorsque son utilisation est à des fins compatibles avec celles pour lesquelles il a été recueilli; 2° lorsque son utilisation est manifestement au bénéfice de la personne concernée; 3° lorsque son utilisation est nécessaire à l'application d'une loi au Québec, que cette utilisation soit ou non prévue expressément par la loi; 4° lorsque son utilisation est nécessaire à la prestation d'un service à lui rendre. Cet amendement à la Loi sur laccès, conjugué à la centralisation des informations au Centre de services administratifs et à la capacité de traitement de linformation quoffre la technologie, pourrait entraîner des risques dutilisations secondaires qui seraient non négligeables pour la protection des renseignements personnels ou pour le droit à la vie privée. Doit-on sen inquiéter ? La CAI croit que oui. À toutes les étapes de sa vie, le citoyen doit divulguer à lÉtat une foule de renseignements qui le concernent. Souvent, la loi force cette divulgation. Tel est le cas lorsquune prestation financière est sollicitée ou pour respecter les obligations fiscales. Cette divulgation peut également être faite pour assurer la qualité dun service, par exemple la prestation de soins de santé par un professionnel. À défaut dun consentement ou dindications contraires explicites, le citoyen sattend à ce que les renseignements quil divulgue soient traités confidentiellement et uniquement aux fins pour lesquelles ils ont été recueillis. La loi lui garantit même le respect de ces droits. Cette attente caractérise le lien de confiance tissé entre les citoyens et lÉtat. Préserver ce lien de confiance est essentiel. Autrement, les citoyens pourraient devenir réticents à révéler des informations qui les concernent, au risque même de se priver dun avantage financier ou de services de qualité. Les nouvelles façons de faire dans la gestion de lÉtat, quil sagisse de partenariats public-privé, de la mission confiée à Services Québec ou au Centre de services administratifs, devraient se réaliser sans entraîner laffaiblissement de ce lien de confiance. La CAI recommande donc que le Centre de services administratifs ait explicitement lobligation dutiliser les renseignements personnels quil sera appelé à détenir quaux seules fins pour lesquelles ils ont été recueillis ou aux seules fins nécessaires pour mettre en œuvre les services quil dispensera aux organismes publics conformément aux articles 9 et 10 du projet de loi. 12
Mémoire de la CAI concernant le Projet de loi n o 85, Loi sur le Centre des services administratifs Les communications de renseignements personnels Si la Loi sur l'accès impose le respect de la règle de confidentialité des renseignements personnels, elle ne crée pas pour autant un régime sont interdites toutes formes de communication entre organismes publics. Toutefois, ces échanges doivent se faire conformément à la Loi sur l'accès. Ainsi, grâce à ces possibilités déchanges, la Loi sur laccès ne constitue pas un obstacle à un « État réseau ». Quelles seront les règles juridiques qui sappliqueront aux communications de renseignements personnels nécessaires à la mise en œuvre des ententes conclues en vertu de larticle 9 du projet de loi ou des décrets adoptés en vertu de larticle 10 ? Selon la CAI, les articles 68 et 68.1 de la Loi sur laccès devraient sappliquer dans tous les cas un organisme aura à communiquer des fichiers de renseignements personnels au Centre. Ainsi, une entente écrite devrait prévoir ces communications et elle devrait être soumise pour avis à la CAI. Il est important, croit la CAI, quun contrôle a priori des échanges de renseignements personnels entre les organismes publics et le Centre puisse être exercé afin dassurer aux citoyens que des mesures adéquates de protection des renseignements personnels seront déployées et respectées. De plus, cest cet examen a priori qui permet à la CAI de sassurer que seuls les renseignements nécessaires seront communiqués et dexiger, lorsque les circonstances le permettent, que les citoyens soient informés. Larticle 67 prévoit quun renseignement peut être communiqué sans le consentement de la personne concernée lorsque la communication est nécessaire à lapplication dune loi au Québec alors que larticle 67.2 autorise la communication nécessaire à la réalisation dun mandat. Dans ces deux cas, aucun contrôle a priori nest exercé. Selon la CAI, la possibilité dune interprétation large des articles 67 et 67.2 de la Loi sur laccès ne devrait pas permettre que les communications de renseignements personnels entre les organismes publics et le Centre aient lieu sans un contrôle a priori, considérant le contexte du projet de loi. Par ailleurs, la CAI sinterroge sur linterprétation qui doit être donnée à larticle 11 du projet de loi. Cet article prévoit que le gouvernement peut, dans la mesure et aux conditions quil détermine, transférer au Centre tout document ainsi que tout bien en possession dun organisme public nécessaires pour lapplication dune entente ou dun décret visés aux articles 9 et 10. Doit-on comprendre que cet article 11 permettrait au gouvernement dadopter un décret obligeant un organisme public à communiquer au Centre ses fichiers de renseignements personnels ? Cette disposition aurait-elle pour effet décarter le contrôle a priori des échanges de renseignements personnels par la CAI ? 13
Mémoire de la CAI concernant le Projet de loi n o 85, Loi sur le Centre des services administratifs Quelle sera la portée réelle de cet article 11 ? À quelles fins servira-t-il ? Pourra-t-il justifier le transfert sans autre formalité de lensemble des fichiers de renseignements personnels dun organisme public vers le Centre ? À tout événement, la prudence semble ici de mise. Selon la CAI, un contrôle des transferts de renseignements personnels entre les organismes publics et le Centre devrait être exercé a priori. Ainsi, les articles 68 et 68.1 de la Loi sur laccès ne devraient pas être écartés pour les transferts de renseignements personnels prévus par larticle 11 du projet de loi. La CAI recommande donc que le projet de loi précise que toutes les communications de renseignements personnels qui seront rendues nécessaires pour la mise en œuvre des ententes ou décrets prévus aux articles 9 et 10 lui soient soumises pour avis conformément aux articles 68 et 68.1 de la Loi sur l'accès. Les obligations de transparence La Loi sur l'accès énonce diverses règles dont lobjet est dassurer la transparence de la gestion des renseignements personnels par les organismes publics. Ainsi, conformément à larticle 76, létablissement dun fichier doit faire lobjet dune déclaration à la CAI. Cette obligation de déclaration risque toutefois dêtre abolie si le projet de loi n° 86 devait être adopté tel quel. Dorénavant, les organismes publics devraient établir et maintenir à jour un inventaire de leurs fichiers de renseignements personnels mais ils nauraient plus lobligation de les déclarer à la CAI. En outre, larticle 67.3 assure la transparence des communications de renseignements personnels entre organismes en obligeant ces derniers à inscrire dans un registre accessible à toute personne qui en fait la demande les communications faites en vertu des articles 67, 67.1, 67.2, 68 et 68.1. Ces obligations qui découlent des articles 67.3 et 76 de la Loi sur l'accès suffisent-elles pour assurer une réelle transparence de la gestion des renseignements personnels que fera le Centre de services administratifs ? La CAI estime que certaines actions additionnelles pourraient être envisagées pour assurer une meilleure transparence. À cet égard, le rapport annuel de gestion et Internet pourraient servir doutil pour mieux informer les citoyens. La CAI recommande donc que le Centre de services administratifs ait lobligation, dans son rapport annuel de gestion, de consacrer une section à sa gestion des renseignements personnels. Pourrait y être dressé un inventaire des fichiers quelle détient et lutilisation qui en est faite. Par ailleurs, le Centre devrait faire état des échanges de renseignements personnels réalisés avec ou par ses filiales et des tiers. Toutes ces informations pourraient avantageusement être accessibles via lInternet. 14
Mémoire de la CAI concernant le Projet de loi n o 85, Loi sur le Centre des services administratifs Conclusion Les nouveaux modes de gestion mis en place depuis peu par le gouvernement ne seront pas sans effets sur la protection des renseignements personnels. Tout comme pour les partenariats public-privé ou la création de Services Québec, lajout du Centre de services administratifs risque de se traduire par une plus grande circulation de renseignements personnels et une centralisation accrue de ces renseignements au sein dun seul organisme public. Afin dassurer aux Québécois que la protection de leurs renseignements personnels ne sera pas affectée par ces nouveaux modes de gestion, la CAI entend assurer pleinement le mandat de surveillance que le législateur lui a confié. En ce qui concerne le Projet de loi n° 85, la CAI formule les recommandations suivantes : que la règle du cloisonnement des fichiers de renseignements personnels soit expressément reconnue afin que le Centre de services administratifs ne puisse, sans autre formalité, regrouper lensemble des données quil sera appelé à détenir au sujet des citoyens; que le Centre de services administratifs ait explicitement lobligation dutiliser les renseignements personnels quil sera appelé à détenir quaux seules fins pour lesquelles ils ont été recueillis ou aux seules fins nécessaires pour mettre en œuvre les services quil dispensera aux organismes publics conformément aux articles 9 et 10 du projet de loi; que le projet de loi précise que toutes les communications de renseignements personnels qui seront rendues nécessaires pour la mise en œuvre des ententes ou décrets prévus aux articles 9 et 10 lui soient soumises pour avis conformément aux articles 68 et 68.1 de la Loi sur l'accès; que le Centre de services administratifs ait lobligation, dans son rapport annuel de gestion, de consacrer une section à sa gestion des renseignements personnels. Pourrait y être dressé un inventaire des fichiers quelle détient et lutilisation qui en est faite. Par ailleurs, le Centre devrait faire état des échanges de renseignements personnels réalisés avec ou par ses filiales et des tiers. Toutes ces informations pourraient avantageusement être accessibles via lInternet. 15
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