Le président CI – 001M PAR COURRIEL Québec, le 8 février 2017 C.P. – P.L. 63 ci@assnat.qc.ca Vérification de l’identité des personnes incarcérées Monsieur Maxime Perreault Secrétaire de la Commission Commission des institutions Édifice Pamphile-Le May 1035, rue des Parlementaires, bur. 3.15 Québec (Québec) G1A 1A3 OBJET : Projet de loi nº 63, Loi concernant la vérification de l’identité des personnes incarcérées au moyen de leurs empreintes digitales Monsieur le Secrétaire, La Commission d’accès à l’information (ci-après, « la Commission ») a pris connaissance du projet de loi nº 63, Loi concernant la vérification de l’identité des personnes incarcérées au moyen de leurs empreintes digitales. Selon les notes explicatives de ce projet de loi, celui-ci vise notamment à permettre aux Services correctionnels du ministère de la Sécurité publique de vérifier l’identité des personnes incarcérées à l’aide de leurs empreintes digitales, sans leur consentement. Il vise également à permettre la communication de ces empreintes digitales à un corps de police dans certaines circonstances. Après analyse, la Commission émet les observations qui suivent au regard de ses mandats de surveillance et de promotion de la transparence des organismes publics et de la protection des renseignements personnels conférés par la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (Loi sur l’accès). Les commentaires du présent avis de la Commission concernent l’introduction par le projet de loi de la biométrie non consensuelle en milieu carcéral et présentent un rappel des mesures d’encadrement de la biométrie. Les modifications apportées par le projet de loi Des règles spécifiques encadrent actuellement l’utilisation d’un système faisant appel à un procédé permettant de saisir les caractéristiques ou les mesures biométriques d’un individu. Comme l’indique le projet de loi, ces règles sont contenues dans la Loi concernant le cadre juridique des technologies de 1 RLRQ, c. A-2.1.
2 l’information 2 (LCCJTI). Ces règles complètent les règles générales prévues en matière de vie privée et de protection des renseignements personnels, notamment dans la Charte des droits et libertés de la personne 3 , le Code civil du Québec et la Loi sur l’accès. Les articles 44 et 45 de la LCCJTI prévoient ce qui suit : 44. Nul ne peut exiger, sans le consentement exprès de la personne, que la vérification ou la confirmation de son identité soit faite au moyen d’un procédé permettant de saisir des caractéristiques ou des mesures biométriques. L’identité de la personne ne peut alors être établie qu’en faisant appel au minimum de caractéristiques ou de mesures permettant de la relier à l’action qu’elle pose et que parmi celles qui ne peuvent être saisies sans qu’elle en ait connaissance. Tout autre renseignement concernant cette personne et qui pourrait être découvert à partir des caractéristiques ou mesures saisies ne peut servir à fonder une décision à son égard ni être utilisé à quelque autre fin que ce soit. Un tel renseignement ne peut être communiqué qu’à la personne concernée et seulement à sa demande. Ces caractéristiques ou mesures ainsi que toute note les concernant doivent être détruites lorsque l’objet qui fonde la vérification ou la confirmation d’identité est accompli ou lorsque le motif qui la justifie n’existe plus. 45. La création d’une banque de caractéristiques ou de mesures biométriques doit être préalablement divulguée à la Commission d’accès à l’information. De même, doit être divulguée l’existence d’une telle banque qu’elle soit ou ne soit pas en service. La Commission peut rendre toute ordonnance concernant de telles banques afin d’en déterminer la confection, l’utilisation, la consultation, la communication et la conservation y compris l’archivage ou la destruction des mesures ou caractéristiques prises pour établir l’identité d’une personne. La Commission peut aussi suspendre ou interdire la mise en service d’une telle banque ou en ordonner la destruction, si celle-ci ne respecte pas ses ordonnances ou si elle porte autrement atteinte au respect de la vie privée. 2 RLRQ, c. C-1.1. 3 RLRQ, c. C-12.
3 Ainsi, selon l’article 44 de la LCCJTI, la vérification ou la confirmation de l’identité d’une personne au moyen d’un procédé permettant de saisir des caractéristiques ou des mesures biométriques doit se faire avec le consentement de celle-ci. En pratique, cette exigence veut que les organismes et les entreprises qui envisagent l’installation de la biométrie pour identifier les personnes doivent prévoir un mécanisme alternatif d’identification, considérant la possibilité qu’ont les individus de refuser l’utilisation de la biométrie à cette fin. De plus, toujours selon l’article 44 de la LCCJTI, les renseignements biométriques recueillis ne peuvent servir à d’autres fins ni être communiqués sans le consentement de la personne concernée. Les articles 1 et 2 du projet de loi introduisent des modifications à ces règles en prévoyant ce qui suit : La Loi sur le système correctionnel du Québec (chapitre S-40.1) est modifiée par l’insertion, après l’article 18, du suivant : « 18.0.1. Malgré le premier alinéa de l’article 44 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (chapitre C-1.1), les Services correctionnels peuvent, sans le consentement des personnes incarcérées, vérifier ou confirmer leur identité au moyen d’un procédé permettant la prise de leurs empreintes digitales à l’entrée et à la sortie d’un établissement de détention. ». L’article 18.1 de cette loi est modifié par l’ajout, à la fin, de l’alinéa suivant : « Malgré le premier alinéa, les Services correctionnels ne peuvent communiquer à un corps de police les empreintes digitales d’une personne incarcérée prises conformément à l’article 18.0.1 que si ce renseignement est nécessaire aux fins d’une poursuite pour une infraction à une loi applicable au Québec. ». Selon la compréhension de la Commission, l’utilisation de la biométrie est présentée comme une solution permettant d’éviter le risque que représentent des libérations qui peuvent découler d’erreurs dans l’identification de détenus à la sortie des centres de détention. La Commission comprend que la législation fédérale portant sur l’identification des criminels permet déjà la prise d’empreintes digitales pour une large majorité des personnes incarcérées dans les établissements de juridiction provinciale. La Commission ne s’objecte pas à ce que le cadre législatif soit modifié tel que proposé dans le projet de loi, essentiellement pour retirer l’exigence du
4 consentement des personnes incarcérées prévue dans la LCCJTI et pour prévoir les mesures suivantes : - La vérification ou la confirmation de l’identité des personnes incarcérées ne pourra se faire qu’à l’entrée ou à la sortie d’un établissement de détention, donc en excluant les déplacements à l’intérieur d’un centre de détention; - La communication des empreintes digitales collectées ne pourra se faire qu’à un corps de police et qu’aux seules fins d’une poursuite pour une infraction à une loi applicable au Québec, en restreignant ainsi les cas de communication de renseignements prévus à l’article 18.1 de la Loi sur le système correctionnel du Québec. Par ailleurs, les autres règles encadrant la biométrie demeureront applicables lors de l’utilisation de ce procédé. Aussi, en fonction de ce qui précède, la Commission n’a aucune objection à formuler eu égard aux modifications introduites par le projet de loi. Toutefois, la Commission tient à souligner quelques éléments supplémentaires en lien avec l’utilisation non consensuelle de la biométrie en milieu carcéral. Rappel des mesures d’encadrement de la biométrie En application de l’article 45 de la LCCJTI, advenant qu’un tel système soit mis en place, il devra faire l’objet d’une divulgation à la Commission. Cette dernière reçoit annuellement quelques divulgations et s’assure de plusieurs éléments en lien avec la protection des renseignements personnels des individus concernés. Comme le démontrent la section de son site Internet qu’elle consacre à la biométrie et le formulaire de déclaration d’une banque de caractéristiques ou de mesures biométriques qu’elle met à la disposition des citoyens, des organismes et des entreprises, la Commission suit l’évolution de cette technologie et son implantation au Québec avec attention. Ainsi, la Commission s’assurera auprès du ministère de la Sécurité publique notamment des éléments suivants : - Les mesures biométriques sont prélevées de façon minimale, c’est-à-dire que le moins d’empreintes possibles sont prises, tout en maintenant la fiabilité du système; - Les empreintes digitales ne sont pas utilisées à d’autres fins que celles prévues par la loi ni communiquées en dehors de ce cadre; - Les renseignements ne sont pas mis en relation avec les renseignements des autres banques de données des autorités carcérales;
5 - Les personnes incarcérées sont informées des fins pour lesquelles leurs empreintes digitales sont collectées et pourraient être communiquées et qu’elles peuvent exercer leurs droits d’accès à leurs renseignements personnels et de rectification de ceux-ci; - Les mesures de sécurité en place permettent d’en assurer la confidentialité et la protection; - Les empreintes digitales d’une personne incarcérée sont détruites à sa libération définitive. De plus, la Commission rappelle que le ministère de la Sécurité publique doit s’assurer de respecter l’ensemble des autres dispositions législatives applicables, dont celles relatives à la nécessité de la collecte de renseignements personnels prévues à la Loi sur l’accès. Selon ce critère et en fonction de l’interprétation que lui ont donnée les tribunaux, le ministère de la Sécurité publique devra notamment s’assurer que l’atteinte à la vie privée que représente la collecte obligatoire de renseignements biométriques est proportionnelle à la finalité recherchée, à la lumière notamment d’autres mesures de sécurité moins invasives que la prise non consensuelle d’empreintes digitales ou de moyens permettant de minimiser cette atteinte pour les personnes concernées 4 . Enfin, en fonction des enjeux soulevés, lesquels interpellent la Commission, cette dernière pourra s’assurer du respect des règles applicables. Comme le prévoit l’article 45 de LCCJTI, la Commission pourra rendre des ordonnances concernant les mesures ou les caractéristiques biométriques prises et les banques constituées. 4 Voir également à ce sujet les recommandations de la Commission formulées dans son plus récent rapport quinquennal qui portent sur le sujet, plus particulièrement les recommandations 36 et 37. Voici deux extraits de ce rapport : « De plus, la Commission considère que tout projet concernant la création d’une banque de caractéristiques ou de mesures biométriques devrait être assujetti à un processus d’évaluation des risques et des impacts sur la vie privée et sur la protection des renseignements personnels. Ainsi, à l’instar de l’orientation du gouvernement visant à rendre obligatoire pareille évaluation pour tout projet de développement de système technologique impliquant des renseignements personnels dans le secteur public, la Commission croit que cette obligation doit s’appliquer à la mise en place d’un système de caractéristiques ou de mesures biométriques, à la lumière des enjeux reliés à la biométrie. […] 36– Obliger les organismes publics et les entreprises qui envisagent d’implanter un procédé permettant de saisir des caractéristiques ou des mesures biométriques à faire une évaluation préalable des risques et des impacts sur la vie privée et sur la protection des renseignements personnels avant la mise en activité du système et à en effectuer un suivi tout au long de son utilisation. » COMMISSION D’ACCÈS À L’INFORMATION, Rétablir l’équilibre, Rapport sur l’application de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, Septembre 2016, p. 105.
La Commission demeure disponible pour répondre à toute question que pourrait soulever la présente. Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire, l’expression de nos sentiments les meilleurs. 6 Jean Chartier Président
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