Le président PAR COURRIEL Québec, le 28 septembre 2016 CFP - 022M C.P. – P.L. 108 Surveillance des contrats Monsieur Mathew Lagacé Secrétaire Commission des finances publiques Édifice Pamphile-Le May 1035, rue des Parlementaires 3 e étage, Bureau 3.15 Québec (Québec) G1A 1A3 OBJET : Projet de loi nº 108, Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics Monsieur le Secrétaire, La Commission d’accès à l’information (ci-après, « la Commission ») remercie la Commission des finances publiques de l’avoir invitée à prendre part aux consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi nº 108, Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics, déposé le 8 juin dernier. Ce projet de loi a notamment pour objet d’instituer l’Autorité des marchés publics chargée de surveiller l’ensemble des contrats des organismes publics et d’appliquer les dispositions de la Loi sur les contrats des organismes publics concernant l’inadmissibilité aux contrats publics, l’autorisation préalable à l’obtention d’un contrat public ou d’un sous-contrat public et les rapports de rendement des contractants relativement à l’exécution d’un contrat. La Commission note que plusieurs articles de ce projet de loi prévoient des dérogations à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . Or, la Commission rappelle le caractère prépondérant de cette loi et l’importance que le législateur a voulu accorder aux principes de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels dans notre société. Il importe donc de limiter les atteintes à la préséance de cette loi afin d’éviter d’amoindrir la portée des droits qu’elle accorde aux citoyens. 1 RLRQ, c. A-2.1, la Loi sur l’accès.
2 Ces différentes dispositions dérogatoires sont citées ci-après et la Commission formule ses commentaires quant à l’opportunité d’écarter ainsi la Loi sur l’accès. 29. L’Autorité peut également : 1° formuler au président du Conseil du trésor des recommandations concernant les processus d’adjudication ou d’attribution des contrats publics et lui donner son avis sur toute question que celui-ci lui soumet dans les matières relevant des compétences de l’Autorité; 2° formuler au dirigeant d’un organisme public des recommandations concernant les processus d’adjudication ou d’attribution de ses contrats ou, lorsqu’elle exerce les fonctions qui lui sont dévolues en application du paragraphe 2° de l’article 20, formuler des recommandations concernant la gestion contractuelle de l’organisme, lesquelles peuvent notamment proposer l’apport de mesures correctrices, la réalisation de suivis adéquats ainsi que la mise en place de toute autre mesure telles des mesures de surveillance ou d’accompagnement; 3° recommander au Conseil du trésor qu’il exige, aux conditions qu’il détermine, qu’un organisme public : a) s’associe à un autre organisme public désigné par ce Conseil pour procéder aux processus d’adjudication ou d’attribution qu’il indique; b) confie à un autre organisme public désigné par ce Conseil la responsabilité de procéder aux processus d’adjudication ou d’attribution qu’il indique; 4° recommander au président du Conseil du trésor qu’il recommande au gouvernement de soumettre la gestion contractuelle d’un organisme public sous la surveillance de l’Autorité; 5° dans le cadre de la veille des contrats publics, recueillir, compiler et analyser des renseignements relatifs à ces contrats et diffuser les constatations qui en découlent auprès des organismes publics. Les paragraphes 3° et 4° du premier alinéa ne s’appliquent pas aux organismes de l’ordre administratif institués pour exercer des fonctions juridictionnelles. Le paragraphe 3° du premier alinéa s’applique aux organismes visés à l’article 7 de la Loi sur les contrats des organismes publics dans la mesure où il concerne un processus d’adjudication. Aux fins de l’application des paragraphes 3° et 4° du premier alinéa et malgré la Loi sur l’accès aux documents
3 des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1), l’Autorité transmet, selon le cas, au Conseil du trésor ou au président du Conseil du trésor une copie du dossier qu’elle a constitué. (Les soulignements sont les nôtres.) 49. Sous réserve du quatrième alinéa de l’article 29 et de l’article 60 et malgré les articles 9 et 83 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, l’Autorité ne peut communiquer un document ou un renseignement contenu dans un dossier de plainte sans l’autorisation de l’organisme public qui le lui a transmis. (Les soulignements sont les nôtres.) 129. L’article 58.1 de cette loi est remplacé par le suivant : « 58.1. Malgré l’article 9 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1), ne peuvent être divulgués par un organisme public ou par un membre de son personnel : 1° jusqu’à l’ouverture des soumissions, un renseigne-ment permettant de connaître le nombre ou l’identité des entreprises qui ont demandé une copie des documents d’appel d’offres ainsi que le nombre ou l’identité des entreprises qui ont déposé une soumission; 2° un renseignement permettant d’identifier une personne comme étant un membre d’un comité de sélection constitué conformément au cadre normatif. L’interdiction visée au paragraphe 1° du premier alinéa s’applique également à l’exploitant du système électronique d’appel d’offres, sauf quant à un renseignement permettant de connaître l’identité d’une entreprise qui a demandé une copie des documents d’appel d’offres, lorsque cette entreprise a autorisé expressément l’exploitant à divulguer ce renseignement. ». (Les soulignements sont les nôtres.)
4 Dérogation prévue à l’article 29 al. 4 du projet de loi En ce qui concerne l’article 29 al. 4 du projet de loi, la Commission souligne que la mention « malgré la Loi sur l’accès » n’est pas nécessaire puisque cette loi prévoit la possibilité qu’il y ait communication de documents administratifs et de renseignements personnels entre organismes publics. Dans ces circonstances, il serait plus opportun de spécifier que l’Autorité doit transmettre une copie du dossier qu’elle a constitué au Conseil du trésor ou à son président. En établissant ainsi une obligation de communiquer des documents dans le projet de loi, il est inutile de déroger à la Loi sur l’accès puisque cette dernière prévoit à son article 41.2 qu’un organisme public peut communiquer un renseignement visé par une restriction au droit d’accès à un autre organisme si cette communication est nécessaire à l’application d’une loi au Québec. Aussi, s’il advenait que le dossier en cause contienne des renseignements personnels, l’obligation de communiquer les documents imposée à l’Autorité serait conciliable avec l’article 59 al. 2 (8) de la Loi sur l’accès qui permet, dans certaines situations, la communication de renseignements personnels sans le consentement de la personne concernée. Pour ces raisons, la Commission estime que la mention « malgré la Loi sur l’accès » devrait être retirée de l’article 29 al. 4 du projet de loi. Dérogation prévue à l’article 49 du projet de loi Tel que rédigé, l’article 49 empêche l’Autorité de communiquer un document ou un renseignement contenu dans un dossier de plainte sans l’autorisation de l’organisme public qui le lui a transmis. D’emblée, la Commission souligne que cet article contrevient aux principes fondamentaux de la Loi sur l’accès, soit l’accès aux documents détenus par les organismes publics dans une optique de transparence ainsi que le droit de toute personne de s’adresser aux organismes publics afin d’obtenir les renseignements personnels qu’ils détiennent à son sujet. La Commission détaille ci-après ses prétentions. D’abord, la Loi sur l’accès contient déjà un mécanisme, prévu à son article 48, permettant d’arbitrer les situations de cette nature. En effet, cette disposition prévoit que lorsqu’un organisme public est saisi d’une demande qui, à son avis, relève davantage de la compétence d’un autre organisme ou qui est relative à un document produit par un autre organisme public ou pour son compte, le responsable doit indiquer au requérant le nom de l’organisme compétent afin qu’il puisse recommencer sa démarche d’accès à l’information auprès de ce dernier.
5 Selon cette disposition, la discrétion laissée à l’organisme ayant reçu en premier lieu la demande d’accès à l’information étant plutôt limitée, la Commission s’interroge sur la nécessité de prévoir la dérogation à la Loi sur l’accès instituée par l’article 49 du projet de loi alors que la Loi sur l’accès fournit déjà une procédure appropriée lorsque de telles situations se produisent. À titre comparatif, certaines lois empêchent actuellement l’Autorité des marchés financiers de communiquer des documents qui lui ont été transmis par des tiers, notamment des assureurs 2 ou des courtiers 3 . Or, cette situation s’explique dans la mesure où l’article 48 de la Loi sur l’accès ne peut trouver application dans ces contextes puisqu’il s’agit d’entités privées et non d’organismes publics. La situation est différente en l’espèce puisque les renseignements ou documents seront transmis à l’Autorité par des organismes publics, situation explicitement prévue à l’article 48 de la Loi sur l’accès. Cette législation prévoit un régime complet d’accès aux documents des organismes publics et la Commission soumet au législateur qu’il ne devrait y déroger que de manière exceptionnelle lorsqu’une situation particulière le justifie. Néanmoins, si le mécanisme prévu à l’article 48 de la Loi sur l’accès n’était pas jugé suffisant par le législateur, la Commission estime que l’article 49 du projet de loi devrait prévoir que l’Autorité a l’obligation, advenant une demande d’accès à l’information concernant un document ou renseignement contenu dans un dossier de plainte, d’indiquer au requérant le nom de l’organisme ayant fourni les documents ou renseignements qu’elle ne peut lui transmettre afin qu’il puisse recommencer sa démarche auprès de ce dernier. Cette obligation devrait remplacer l’interdiction de communiquer actuellement prévue à cet article. Cette façon de faire respecterait l’esprit de la Loi sur l’accès et assurerait que le demandeur d’accès ne soit pas privé de ses droits. Dans le même ordre d’idée, la Commission est préoccupée par l’interprétation qui pourrait être faite de cette disposition selon son libellé actuel. En effet, certains organismes pourraient être tentés de donner à cette disposition une portée plus large, en prétendant qu’elle établit une obligation de confidentialité à l’égard des documents visés pour tout organisme qui les détient, même celui ayant transmis les documents à l’Autorité. Une telle interprétation heurterait de plein fouet le principe de base de la Loi sur l’accès voulant que tous les documents détenus par les organismes publics soient accessibles, à moins que l’une des restrictions prévues à la loi trouve application. Cette préoccupation de la Commission milite également en faveur d’un éclaircissement de la portée de cette disposition afin qu’elle ne soit pas interprétée 2 Loi sur les assurances, RLRQ, c. A-32, art. 285.34. 3 Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ, c. V-1.1, art. 168.1.4.
6 comme une interdiction de communiquer certains documents, et ce, peu importe le contexte. Dans ce sens, l’article 49 devrait préciser qu’il s’applique en matière de demande d’accès à l’information formulée par toute personne. La Commission ajoute qu’il serait également opportun de clarifier quels sont les documents et dossiers visés par cet article afin d’éviter toute confusion. En effet, il est difficile de déterminer si le libellé actuel de l’article réfère au dossier de plainte de l’Autorité ou à celui d’un organisme public visé par une plainte. Au surplus, la Commission souligne que puisque cette disposition vise le contexte d’une demande d’accès à l’information, la mention « sous réserve du quatrième alinéa de l’article 29 et de l’article 60 » n’apparait pas pertinente. En effet, ces dernières dispositions du projet de loi font référence à des cas de communication de documents entre l’Autorité et d’autres organismes publics, soit le Conseil du trésor et le Commissaire à la lutte contre la corruption. Tel qu’il a été mentionné précédemment, de tels cas de figure sont permis et encadrés par la Loi sur l’accès aux articles 41.2 et 59 al. 2 (8). Enfin, ajoutons que le refus d’accès prévu à l’article 49, conjugué au « malgré l’article 83 », contrevient à une règle fondamentale prévue à la Loi sur l’accès, soit celle voulant que toute personne puisse obtenir communication de ses renseignements personnels directement auprès de l’organisme qui les détient. Pour rappel, dans un tel cas, un organisme public ne peut invoquer l’article 48 de la Loi sur l’accès comme motif de refus à une demande d’accès à des renseignements personnels formulée par la personne concernée. Dérogation prévue à l’article 129 du projet de loi Dans un autre ordre d’idée, la Commission constate que par le biais de l’article 129 du projet de loi, la Loi sur les contrats des organismes publics est modifiée afin d’empêcher la divulgation d’un renseignement permettant d’identifier une personne comme étant un membre d’un comité de sélection constitué conformément au cadre normatif, et ce, malgré l’article 9 de la Loi sur l’accès. La Commission souligne, comme elle l’a déjà fait dans le passé 4 , qu’elle est préoccupée par le lien de causalité qui semble établi entre la corruption et la transparence dans le processus d’octroi des contrats publics. Selon la Commission, empêcher le public d’avoir accès au nom des membres des différents comités de sélection ne pourra empêcher des acteurs d’une administration publique, qui acceptent de collaborer à un système de collusion, de diffuser cette information si elle est susceptible de faciliter la commission de crimes. Au surplus, cet accroc à la 4 Voir à cet effet l’avis de la Commission déposé à l’Assemblée nationale concernant le projet de loi n o 1, Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics.
7 transparence pourrait freiner la saine surveillance par le public, notamment les journalistes, du domaine de l’octroi des contrats des organismes publics. La Commission convient tout de même que les parlementaires ont la lourde tâche de soupeser en l’espèce deux valeurs fondamentales d’une société démocratique, soit l’intégrité et la transparence. Peut-être serait-il à tout le moins opportun de permettre la divulgation des noms des membres des comités de sélection au terme du processus d’analyse des soumissions 5 ? Modification à la Loi sur l’administration fiscale prévue à l’article 134 du projet de loi En terminant, la Commission prend acte des modifications proposées dans ce projet de loi à la Loi sur l’administration fiscale. L’article en question prévoit ceci : 134. La Loi sur l’administration fiscale (chapitre A-6.002) est modifiée par l’insertion, après le paragraphe z.1 du deuxième alinéa de l’article 69.1, du paragraphe suivant : « z.2) l’Autorité des marchés publics à l’égard d’un renseignement nécessaire à l’application du chapitre V.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics (chapitre C-65.1). ». Concrètement, cela implique que l’Agence du revenu du Québec pourra communiquer à l’Autorité un renseignement contenu dans un dossier fiscal, sans le consentement de la personne concernée, si ce renseignement est nécessaire à l’application du chapitre V.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics. La Commission rappelle que la Loi sur l’administration fiscale établit un régime législatif particulier en matière de protection des renseignements de nature fiscale en raison de la sensibilité de ceux-ci. Partant, il incombe au législateur de s’assurer de la nécessité d’ajouter de nouvelles exceptions à ce régime en ce qui concerne la communication de renseignements personnels sans le consentement de la personne concernée, et ce, alors que le régime en contient déjà plusieurs. 5 À titre d’exemple, le paragraphe 3.1 de l’article 573 de la Loi sur les cités et villes prévoit ce qui suit : « Malgré l’article 9 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1) et jusqu’à l’ouverture des soumissions, ne peut être divulgué par un membre d’un conseil ou par un fonctionnaire ou employé de la municipalité un renseignement permettant de connaître le nombre ou l’identité des personnes qui ont présenté une soumission ou qui ont demandé une copie de la demande de soumissions ou d’un document auquel elle renvoie. ».
8 La Commission soumet cette réflexion puisque l’ajout de telles exceptions vient inéluctablement affaiblir la protection accordée à ces renseignements alors que l’intention du législateur était plutôt de les soumettre à un régime de protection plus strict que celui proposé par la Loi sur l’accès. Conclusion Pour les motifs ci-dessus mentionnés, la Commission recommande : - De retirer la mention « malgré la Loi sur l’accès » à l’article 29 al. 4 du projet de loi. - De retirer l’article 49 du projet de loi ou de le reformuler de manière à ce qu’il ne constitue pas une interdiction de communiquer des renseignements ou documents, comme expliqué précédemment, et prévoir un mécanisme s’apparentant à l’article 48 de la Loi sur l’accès applicable en cas de demandes d’accès à un document ou à un renseignement contenu dans un dossier de plainte transmis par un organisme public. - D’évaluer l’opportunité de permettre la divulgation des noms des membres des comités de sélection au terme du processus d’analyse des soumissions et de modifier l’article 129 du projet de loi en conséquence, le cas échéant. - D’évaluer la nécessité d’ajouter une exception à la Loi sur l’administration fiscale en matière de communication de renseignements personnels sans le consentement de la personne concernée. La Commission demeure disponible pour répondre à toute question que pourrait soulever la présente. Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire, l’expression de nos sentiments les meilleurs. Jean Chartier Président
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