Québec, le 10 juin 2002 Madame Ariane Mignolet, Secrétaire Commission des finances publiques 1035, rue des Parlementaires Édifice Pamphile-Lemay, 3 e étage Québec (Québec) G1A 1A3 Objet : Projet de loi n° 107 : Projet de loi sur l'Agence nationale d'encadrement du secteur financier. Dossier : 020638 Madame la Secrétaire, Les membres de la Commission d'accès à l'information (la Commission) ont pris connaissance du projet de loi sur l’Agence nationale d’encadrement du secteur financier. L’analyse qu’ils en ont fait les amène à formuler certains commentaires. Tout d’abord, la Commission constate que ce volumineux projet de loi a pour objectif, comme le mentionnent les notes explicatives, d’unifier la structure d’encadrement du secteur financier du Québec. Il s’inscrit sous le signe de la continuité de la démarche entreprise en 1998 lors de l’adoption de la Loi sur la distribution de produits et services financiers ( L.R.Q., c. D-9.2 ). Dans son mémoire présenté à la Commission des finances publiques en 1998, la Commission précisait qu’elle n’avait aucunement l’intention de formuler des critiques ou commentaires au sujet des orientations que privilégiait cette dernière. Il en est de même pour le projet de loi sur l’Agence nationale d’encadrement du secteur financier. En effet, ses préoccupations sont d’un tout autre ordre. C’est la protection des renseignements personnels et celle de la vie privée qui sont au cœur de sa réflexion. Ainsi, son analyse de ce projet de loi se limite et se concentre, tout à la fois, sur les dispositions qui pourraient avoir un impact sur la protection des renseignements personnels. La Commission entend tout d'abord discuter des dispositions du projet de loi concernant le Bureau de transition. Il s'agit des articles 105 et suivants du projet de loi. La Commission constate que le Bureau de transition sera un organisme public assujetti à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels ( L.R.Q., c. A-2.1 ) puisque c’est le ministre des Finances qui nommera les membres.
Mme Ariane Mignolet - 2 - 10.06.2002 Par ailleurs, la Commission estime que l’article 113 du projet de loi constitue une dérogation au premier alinéa de l’article 8 de la Loi sur l’accès. En effet, selon les termes de cette disposition, le secrétaire du Bureau de transition est expressément désigné à titre de personne responsable de l'accès aux documents. Or, suivant la Loi sur l'accès, c’est la personne ayant la plus haute autorité au sein d’un organisme public qui exerce cette fonction. Si elle peut déléguer cette responsabilité, c’est à un cadre de l’organisme qu’elle doit le faire. Mais c’est à cette personne que revient la discrétion de conserver cette responsabilité ou de la déléguer. En l’espèce, cette fonction incomberait donc au président du Bureau de transition. Dans ce contexte la Commission estime la dérogation qui, au demeurant, devrait être prévue expressément, difficilement justifiable. Par ailleurs en raison d’une dérogation, explicite celle-là, les articles 131 à 133 ont particulièrement attiré l’attention de la Commission. Ces dispositions se lisent comme suit : « 131. Le Bureau de transition peut exiger de tout organisme visé à l’annexe 2 la fourniture de renseignements ou la production de dossiers ou de documents appartenant à l’organisme qu’il juge nécessaire de consulter. Le premier alinéa s’applique également à l’égard des renseignements, des dossiers et des documents relatifs à un régime de retraite applicable à tout groupe d’employés d’un organisme visé à l’annexe 3, détenus par tout administrateur d’un tel régime, ou par tout organisme public qui exerce en vertu de la loi une responsabilité à l’égard d’un tel régime. 132. Le Bureau de transition peut exiger de tout organisme visé à l’annexe 3 la production d’un rapport relatif à une décision ou à une affaire reliée à l’organisme qui concerne sa situation financière, ses effectifs ou qui concerne toute personne à l’emploi de l’organisme. 133. Les articles 131 et 132 s’appliquent malgré la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels ( L.R.Q., chapitre A-2.1 ). Les membres du Bureau de transition, les membres de tout comité, les employés du Bureau ainsi que les employés assignés par les organismes auprès du Bureau en vertu de l’article 134 sont tenus d’assurer la confidentialité de l’information et des renseignements obtenus en vertu des articles 131 et 132. »
Mme Ariane Mignolet - 3 - 10.06.2002 En vertu de ces dispositions, le Bureau pourra recueillir des renseignements personnels alors que la Loi sur l’accès ne s'appliquera pas à ce qui pourrait constituer une vaste collecte de renseignements. Il nous faut croire qu’il n’est pas dans l’intention des rédacteurs d’écarter les dispositions de la Loi sur l’accès portant notamment, sur la détention, la conservation, l’accès et la communication des renseignements personnels obtenus par le Bureau de transition. Les dispositions en cause soulèvent un doute. La Commission croit en conséquence que cette disposition dérogatoire mériterait d’être mieux circonscrite afin de lever toute ambiguïté. La dérogation pourrait par exemple ne porter que sur la collecte de documents ou de renseignements. Néanmoins, compte tenu de l’existence temporaire du Bureau de transition prévue à l’article 120 du projet, la Commission n’entend pas s’objecter à la disposition dérogatoire prévue à l'article 133, tout en souhaitant que celle-ci soit plus précise quant à sa portée. La Commission désire maintenant commenter les articles du projet de loi instituant l’Agence et ceux modifiant de nombreuses dispositions législatives. La Commission note en premier lieu que l'Agence sera assujettie à la Loi sur l'accès. Il en est de même des Chambres qui demeureront assujetties à la Loi sur l'accès. La Commission a noté un certain changement au niveau de la terminologie utilisée par les rédacteurs du projet de loi. En effet, à titre d'exemple, dans le nouvel article 131.2. de la Loi sur les coopératives de services financiers ( L.R.Q., c. C-67.3 ), ajouté par l’article 299 du projet, on a recours au qualificatif « appropriés » plutôt que « nécessaires ». La Commission tient à rappeler que s'il s'agit de recueillir des renseignements personnels, c'est le critère de la nécessité qui doit prévaloir. À cet égard, la Commission tient à rappeler le caractère prépondérant de la Loi sur l'accès. Même mise en garde en ce qui a trait à l'article 377 du projet de loi qui modifie l'article 192 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers. Essentiellement, les mots « peut obtenir » seront remplacés par les mots « peut exiger ». La Commission questionne la portée de cette modification et l'objectif de celle-ci. En effet, le nouveau libellé prête à interprétation. La Commission croit qu'un organisme public peut communiquer un renseignement lorsque ce renseignement est nécessaire à l'application d'une loi comme le prévoit l'article 67 de la Loi sur l'accès. Par ailleurs, un renseignement est communiqué si la loi prévoit spécifiquement la communication du renseignement en question. Il nous faut aussi commenter les dispositions du projet de loi qui autoriseraient l'Agence à effectuer une vaste collecte de renseignements personnels au sujet des personnes ayant formulées des plaintes. Cela suscite des inquiétudes. Ce serait, notamment, le cas dans le domaine de l'assurance en vertu du nouvel article 285.30. de la Loi sur les assurances ( L.R.Q., c. A-32 ), disposition qui serait introduite par l'article 223 du
Mme Ariane Mignolet - 4 - 10.06.2002 projet de loi. De semblables modifications se retrouvent, entre autres, à la Loi sur les coopératives de services financiers ( L.R.Q., c. C-67.3 ) et à la Loi sur la distribution de produits et services financiers ( L.R.Q., c. D-9.2 ). La cueillette de renseignements personnels par l'Agence à propos des plaintes formulées par des consommateurs ne semble nullement répondre au test de nécessité formulé à l'article 64 de la Loi sur l'accès. De l'avis de la Commission, une telle cueillette serait nécessaire uniquement si les parties conviennent, au préalable, de recourir au service de médiation de l’Agence et non pas dans tous les cas. Autre sujet d’inquiétude pour la Commission, le projet de loi a pour effet de concentrer entre les mains de l'Agence de vastes fichiers de renseignements personnels. La Commission songe particulièrement au fichier prévu à l'article 177 de la Loi sur l'assurance automobile ( L.R.Q., c. A-25 ) concernant le profil des conducteurs d'automobiles. Les croisements de données concernant des consommateurs de produits et de services financiers deviennent ainsi aisément réalisables et la Commission ne peut que s'en préoccuper. La détention de renseignements personnels de citoyens, consommateurs de produits et de services financiers, favorisée par le décloisonnement de la distribution de produits et de services financiers, impose au détenteur de ces renseignements le plus strict respect de la Loi sur l'accès. Ce n'est qu'à cette condition que l'équilibre entre la recherche de l'efficacité administrative et la sauvegarde de la vie privée des citoyens sera préservé. Un exemple de cette affirmation nous est donné par le nouvel article 187 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, tel que modifié par l'article 372 du projet de loi. Pour l'essentiel, il ne s'agit pas de droit nouveau. Cette disposition permettra à l'Agence de recueillir les plaintes des consommateurs. Toutefois, l'Agence pourra transmettre la plainte à l'assureur concerné. Si l'on veut préserver la vie privée de la personne qui se plaint, il est difficile de concevoir une telle communication sans que l'on ait obtenu, au préalable, le consentement du plaignant. Sous un autre aspect, la Commission ne peut rester silencieuse à l'égard de l'une des répercussions de cette grande réforme des structures d'encadrement du secteur financier québécois, soit le recours systématique aux services de personnes ou d'organismes privés. À ce sujet, la Commission constate que le projet de loi contient de nombreuses délégations et subdélégations de pouvoirs. Ces délégations touchent l'ensemble des fonctions qui seront dévolues à l'Agence. Cela inclus entre autres tous les mécanismes de traitements des plaintes. Comme nous le mentionnions précédemment, la création de l'Agence entraînera la concentration de vastes fichiers de renseignements personnels entre les mains d'un seul organisme. De ce fait, le recours à la délégation accroîtra nécessairement la communication de renseignements personnels à des tiers, d'où le risque accru de bris de confidentialité. Si la Commission peut concevoir que la concentration de vastes fichiers de renseignements personnels entre les mains d'un seul organisme a pour objectif une meilleure efficience, elle craint toutefois que le recours à la délégation et à la subdélégation amène une nouvelle forme de dissémination des renseignements personnels. En effet, cela est en soi paradoxal, compte tenu que le projet de loi vise à unifier le régime d'encadrement du secteur financier.
Mme Ariane Mignolet - 5 - 10.06.2002 Par cette façon de faire, ce que l'État espère gagner en souplesse administrative risque fort de se traduire en perte en ce qui a trait à la confiance des citoyens envers l'État. Bien que sur un plan strictement légal, la Loi sur l'accès n'interdise pas le recours à un tel procédé, il n'en demeure pas moins que celui-ci amplifie les risques de bris de confidentialité. Que peut-on penser d'autre, alors que l'ensemble des fonctions de l'Agence est susceptible de se retrouver délégué et subdélégué ? Le phénomène croissant de la sous-traitance ne peut non plus être ignoré dans les présentes circonstances. La Commission a par le passé formulé le principe suivant : le maintien de la relation de confiance entre l'État et ses citoyens repose sur la certitude de ces derniers à l'effet que les renseignements personnels qu'ils confient à l'État sont traités sans risque de bris de confidentialité et à l'abri de tout conflit d'intérêts. Le respect de ce principe est une condition essentielle au succès d'un organisme qui aura pour mission, comme le mentionnent les notes explicatives du projet de loi, d'administrer l'ensemble des lois régissant l'encadrement du secteur financier au Québec. Enfin, la Commission constate l'abolition du « Fonds d'indemnisation des services financiers » et que les fonctions exercées par celui-ci seraient dorénavant sous la responsabilité de l'Agence. La Commission considère favorablement cette modification puisque le Fonds d'indemnisation des services financiers n'était pas assujetti à la Loi sur l'accès. En somme, de l’avis de la Commission, le projet requiert des amendements qui, s’ils étaient apportées, le rendrait conforme à l’ensemble des principes que contient la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels ( L.R.Q., c. A-2.1 ), loi, faut-il le rappeler, prépondérante sur l’ensemble des lois du Québec. Veuillez agréer, Madame la Secrétaire, l'expression de nos sentiments les meilleurs. Le Secrétaire et Directeur du Service juridique AO/jl/gm ANDRÉ OUIMET
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