CAT – 001M C.P. – P.L. 1 Inspecteur général de la Ville de Montréal Le président PAR COURRIEL Québec, le 2 juin 2014 cat@assnat.qc.ca Monsieur Yannick Vachon Secrétaire Commission de l’aménagement du territoire Assemblée nationale du Québec Édifice Pamphile-Le May 3 e étage 1035, rue des Parlementaires, bureau 3.15 Québec (Québec) G1A 1A3 OBJET : Projet de loi n° 1, Loi concernant l’inspecteur général de la Ville de Montréal Dossier CAI 1009206 Monsieur le Secrétaire, La Commission d’accès à l’information a pris connaissance du projet de loi n° 1, Loi concernant l’inspecteur général de la Ville de Montréal visant à améliorer la probité dans l’attribution et la réalisation des contrats à la Ville de Montréal. Évidemment, la Commission ne peut qu’être en accord avec le principe d’une telle démarche. Toutefois, elle considère nécessaire de sensibiliser le législateur à certaines préoccupations, dans l’exercice de son mandat de promotion de l’accès aux documents et de la protection des renseignements personnels. Plus particulièrement, la Commission souhaite commenter sous trois aspects le nouvel article 57.1.13 de la Charte de la Ville de Montréal 1 , introduit par l’article 1 du projet de loi qui se lit comme suit : « 57.1.13. Toute personne peut communiquer à l’inspecteur général tout renseignement qui n’est pas relatif à un objet du paragraphe 1° ou du paragraphe 3°, lorsqu’il concerne ce paragraphe 1°, de l’article 2 de la Loi 1 Chapitre C-11.4.
Monsieur Yannick Vachon - 2 - Le 2 juin 2014 concernant la lutte contre la corruption (chapitre L-6.1) et qui remplit les conditions suivantes : 1° le renseignement concerne directement la ville ou une personne morale visée au paragraphe 1° du cinquième alinéa de l’article 57.1.9; 2° le renseignement est pertinent à la réalisation du mandat de l’inspecteur général; 3° le renseignement n’en est pas un de ceux mentionnés aux dispositions suivantes de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1) : a) les articles 30, 30.1, 31 et 32; b) le premier alinéa de l’article 33; c) l’article 34, sauf s’il s’agit d’un document d’un cabinet ou d’un bureau d’un membre d’un conseil de la ville ou d’un membre du conseil d’administration d’une personne morale visée au paragraphe 1° du cinquième alinéa de l’article 57.1.9 de la présente loi; d) l’article 36, sauf s’il s’agit d’un projet de règlement de la ville ou d’une personne morale visée au paragraphe 1° du cinquième alinéa de l’article 57.1.9 de la présente loi ou d’une analyse de la ville ou de cette personne s’y rapportant; e) les articles 37 et 38, sauf si l’avis ou la recommandation émane de la ville ou d’une personne morale visée au paragraphe 1° du cinquième alinéa de l’article 57.1.9 de la présente loi ou a été produit à la demande de l’une d’elles; f) l’article 39, sauf si l’analyse émane de la ville ou d’une personne morale visée au paragraphe 1° du cinquième alinéa de l’article 57.1.9 de la présente loi; g) l’article 41, sauf si le renseignement émane de la ville ou d’une personne morale visée au paragraphe 1° du cinquième alinéa de l’article 57.1.9 de la présente loi. La personne qui communique à l’inspecteur général un renseignement autorisé en vertu du premier alinéa peut le faire malgré la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (chapitre P-39.1), toute autre restriction de communication prévue par d’autres lois du Québec et toute obligation de loyauté ou de confidentialité pouvant la lier, notamment à l’égard de son employeur ou de son client. Le deuxième alinéa n’a toutefois pas pour effet d’autoriser la personne qui communique avec l’inspecteur général à divulguer des renseignements protégés par le secret professionnel liant l’avocat ou le notaire à son client. Toute personne peut communiquer, en tout temps, au commissaire à la lutte contre la corruption tout renseignement conformément à la Loi concernant la lutte contre la corruption. »
Monsieur Yannick Vachon - 3 - Le 2 juin 2014 La Commission comprend que le législateur souhaite mettre en place un mécanisme de dénonciation à la Ville de Montréal concernant les processus de passation et d’exécution des contrats, écartant de ce fait toute disposition législative assurant la confidentialité de renseignements, à l’exception notamment de celles relatives au secret professionnel de l'avocat ou du notaire. Cette disposition législative vise à protéger les dénonciateurs contre tout manquement à une obligation légale et contre toutes représailles. 1. Dérogation aux principes d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels Compte tenu du caractère quasi constitutionnel des lois en matière d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels, au même titre que la Charte des droits et libertés de la personne 2 , le législateur ne devrait pas déroger à ces lois sans démontrer que les règles qu’elles prévoient constituent un obstacle incontournable à l’atteinte d’objectifs administratifs suffisamment importants. Le cas échéant, les dérogations devraient se limiter à ce qui est nécessaire à l’atteinte des objectifs visés par le projet de loi et n’écarter que les articles qui posent des difficultés réelles. La Commission considère qu’il n’est pas nécessaire d’écarter la totalité de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 3 (Loi sur l’accès) et de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 4 (Loi sur le privé) afin d’atteindre les objectifs visés au projet de loi. L’objectif de l’article 57.1.13 est de protéger le dénonciateur de poursuites et de représailles lorsqu'il communique des renseignements à l’inspecteur général. Rappelons d’abord que la Loi sur l’accès impose des obligations aux organismes publics et non à des individus et que la Loi sur le privé assujettit les personnes qui exploitent une entreprise. En cas de communication de renseignements personnels contraire à la loi, la Commission peut rendre des ordonnances visant un organisme public ou une entreprise. La communication de renseignements confidentiels par un employé est plutôt encadrée par des dispositions d’ordre déontologique et par son devoir de loyauté envers son employeur. Seules certaines dispositions pénales, soit les articles 159, 159.1 et 162 de la Loi sur l'accès et l'article 91 de la Loi sur le privé, par l’utilisation du terme « quiconque », sont 2 Chapitre C-12. 3 Chapitre A-2.1. 4 Chapitre P-39.1.
Monsieur Yannick Vachon - 4 - Le 2 juin 2014 susceptibles d’entraîner des sanctions à la suite d’une divulgation de renseignements par un individu 5 . La Commission croit donc que l’objectif visé par l’article 57.1.13 peut être atteint en ne dérogeant, quant à la Loi sur l’accès et à la Loi sur le privé, qu’à ces dispositions. 2. Nécessité de la collecte et de la communication de renseignements personnels La Commission constate que l’article 57.1.13 limite les renseignements qui peuvent être communiqués à l’inspecteur général. En effet, les renseignements doivent : 1) concerner un usage abusif des fonds ou des biens publics ou un cas grave de mauvaise gestion en matière contractuelle; 2) concerner directement la ville ou une personne morale visée au projet de loi et 3) être pertinents à la réalisation du mandat de l’inspecteur général. De l’avis de la Commission, lorsque le législateur accorde une protection à un dénonciateur et permet la collecte et la communication de renseignements personnels, cette protection devrait être assortie de balises permettant d’éviter des abus. C’est d’ailleurs la voie choisie par plusieurs autres législatures lors de l’adoption de lois ayant pour objet la protection d’un dénonciateur. À cette fin, l’encadrement législatif de la communication de renseignements personnels pourrait s’inspirer d’articles adoptés par le gouvernement fédéral ou d’autres provinces. À titre d’exemple, au fédéral, l’article 15.1 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles 6 prévoit ce qui suit : « 15.1 Le fonctionnaire qui fait une divulgation au titre de la présente loi : a) ne communique que les renseignements qui sont raisonnablement nécessaires pour faire la divulgation; b) se conforme aux règles et procédures relatives à la manipulation, la conservation, le transport et la transmission de renseignements ou documents, notamment ceux à l’égard desquels le gouvernement fédéral ou un élément du secteur public prend des mesures de protection.» (Les soulignements sont les nôtres) 5 Par exemple, l’article 159 prévoit : Quiconque, sciemment, donne accès à un document ou à un renseignement dont la présente loi ne permet pas la communication ou auquel un organisme public, conformément à la loi, refuse de donner accès, commet une infraction et est passible d'une amende de 200 $ à 1 000 $ et, en cas de récidive, d'une amende de 500 $ à 2 500 $. 6 L.C. 2005, ch. 46.
Monsieur Yannick Vachon - 5 - Le 2 juin 2014 Pour sa part, l’article 16 de la Loi sur les divulgations faites dans l’intérêt public 7 du Manitoba prescrit ce qui suit : « 16(2) Si la divulgation porte sur des renseignements personnels ou confidentiels, l’employé prend toutes les mesures raisonnables pour que seuls soient divulgués les renseignements nécessaires à la divulgation. » (Les soulignements sont les nôtres) Même si ces articles sont rédigés au moyen des techniques de rédaction de la common law et qu’ils s’appliquent à des employés de la fonction publique et non à toute personne, il reste que le législateur pourrait s’inspirer des balises qui y sont prévues. Une disposition de cette nature serait également conforme à la Loi sur l’accès qui prévoit qu’un organisme public 8 ne doit collecter et communiquer que les renseignements personnels nécessaires à l’exercice de ses attributions ou à l’application d’une loi au Québec. Soulignons, par ailleurs, que l’article 57.1.13 qui exclut « toute autre restriction de communication prévue par d’autres lois du Québec », ne prévoit aucune exception pour certaines catégories de renseignements personnels jugées sensibles par le législateur et pour lesquelles des régimes de protection plus restrictifs sont prévus. Plus particulièrement, la Commission invite le législateur à évaluer l’opportunité de restreindre l’application de cet article à l’égard des renseignements contenus notamment dans le dossier de l’usager d’un établissement de santé et au Dossier Santé Québec. 3. Référence inappropriée aux restrictions de la Loi sur l’accès Il n’est pas approprié de référer, au troisième paragraphe du premier alinéa de l’article 57.1.13, à des restrictions à l’accès aux documents des organismes publics, prévues par la Loi sur l’accès, et de les importer dans une disposition législative ayant pour objet la protection des dénonciateurs. L’article 57.1.13 devrait identifier clairement les documents ou les renseignements que le législateur veut exclure de la protection accordée aux dénonciateurs. La Commission rappelle que la Loi sur l’accès a pour objet d’assurer l’accès aux documents des organismes publics. Les restrictions d’accès qui y sont prévues sont en majorité facultatives et par conséquent, l’organisme public peut décider d’y recourir ou non dans le cadre d’une réponse à une demande d’accès à un document. Leur application est 7 (Protection des divulgateurs d’actes répréhensibles) C.P.L.M c. P217. 8 L’inspecteur général de la Ville de Montréal est assujetti aux obligations prévues à la Loi sur l’accès.
Monsieur Yannick Vachon - 6 - Le 2 juin 2014 généralement conditionnelle aux conséquences possibles de la divulgation des renseignements contenus dans un document faisant l’objet d’une demande d’accès, conséquences qui peuvent évoluer selon les circonstances et le temps. À titre d’exception, ces restrictions doivent être interprétées restrictivement. Or, l’article 57.1.13, tel que rédigé, érige en principe de confidentialité ces exceptions. Une telle référence, en plus de poser des difficultés d’interprétation et d’application, n’est pas de nature à favoriser une culture de transparence au sein des organismes publics puisqu’elle va à l’encontre de l’objectif fondamental du premier volet de la Loi sur l’accès. De plus, l’interprétation et l’application de ces restrictions au droit d’accès doivent tenir compte du contexte dans lequel elles sont invoquées et de l’impact de la divulgation des renseignements. Un tel exercice est généralement réalisé par le responsable de l’accès aux documents d’un organisme public, personne compétente pour faire cette évaluation. La Commission est d’avis qu’il sera difficile pour le dénonciateur de faire pareille évaluation. La rédaction actuelle de l’article 57.1.13 ne permet pas à cette personne de disposer de balises claires pour déterminer les renseignements qu’il peut divulguer à l’inspecteur général. Ainsi, puisque le législateur souhaite encourager la divulgation d’informations nécessaires au mandat de l’inspecteur général en autorisant la communication de renseignements qui autrement seraient confidentiels, il importe que le texte soit facilement compréhensible pour toute personne. La Commission suggère au législateur d’employer un langage clair et de préciser les documents ou les renseignements qu’il souhaite exclure de l’application de la protection accordée. Une rédaction clarifiée éviterait au dénonciateur de se placer dans une situation où il communiquerait un renseignement ou un document non autorisé, annulant ainsi la protection accordée par cet article et compromettant l’objectif de cette disposition. Le législateur pourrait s’inspirer d’exemples tirés d’autres lois. Notamment, l’article 13 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles 9 prévoit que: « 13. (1) Le fonctionnaire peut faire une divulgation en communiquant au commissaire tout renseignement visé à l’article 12. (2) La présente loi n’a pas pour effet d’autoriser le fonctionnaire à communiquer au commissaire des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada visés par le paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada ou des renseignements protégés par le secret professionnel liant l’avocat à son client. En cas de communication de tels renseignements, le commissaire ne peut pas les utiliser. » 9 Préc., note 6.
Monsieur Yannick Vachon - 7 - Le 2 juin 2014 (Les soulignements sont les nôtres) Également, l’article 113 de la Loi sur la fonction publique 10 de l’Ontario stipule ceci : « 113. (1) Sous réserve du paragraphe (2), un droit prévu à la présente partie de faire une divulgation l’emporte sur quoi que ce soit qui est prévu en vertu de toute autre loi ou par ailleurs en droit qui interdit la divulgation. (2) La présente partie n’a pas pour effet d’autoriser un fonctionnaire ou un ancien fonctionnaire à faire une divulgation au commissaire à l’intégrité de quoi que ce soit qui, selon le cas : a) révèlerait sans permission la teneur des délibérations du Conseil exécutif ou d’un de ses comités; b) est protégé par le secret professionnel de l’avocat; c) est préparé par l’avocat-conseil d’un ministère ou d’un organisme public, ou pour le compte de cet avocat-conseil, en vue de son utilisation dans la communication de conseils juridiques, en prévision d’un litige ou en vue de son utilisation dans un litige. (3) La présente partie n’a pas pour effet de limiter le droit dont dispose un fonctionnaire en vertu de toute autre loi ou par ailleurs en droit de divulguer des renseignements concernant des actes répréhensibles dans la fonction publique de l’Ontario. » (Les soulignements sont les nôtres) CONCLUSION En l’absence d’une loi-cadre concernant la divulgation d’actes répréhensibles et compte tenu de l’objectif visé par cette disposition, soit la protection du dénonciateur, il importe de s’assurer d’une rédaction claire et sans équivoque de ce qui peut être communiqué à l’inspecteur général de la Ville de Montréal. Ainsi, la Commission est d’avis que : 1. Il n’est pas nécessaire de déroger à l’ensemble de la Loi sur l’accès et de la Loi sur le privé pour atteindre l’objectif visé par l’article 57.1.13, soit la protection du dénonciateur. Une dérogation aux dispositions pénales suffit, soit aux articles 159, 159.1 et 162 de la Loi sur l’accès et à l’article 91 de la Loi sur le privé; 2. Il est souhaitable d’encadrer la collecte et la communication de renseignements personnels en précisant qu’une personne n’est autorisée à communiquer que les renseignements nécessaires à la divulgation et que l’inspecteur qui reçoit des renseignements non nécessaires ne peut les conserver; 10 L.O. 2006, chap. 35.
Monsieur Yannick Vachon - 8 - Le 2 juin 2014 3. Le troisième paragraphe de l’alinéa 1 de l’article 57.1.13 ne doit pas référer aux dispositions de la Loi sur l’accès et devrait décrire clairement les documents ou les renseignements qui ne peuvent être communiqués à l’inspecteur général; 4. Le législateur devrait évaluer l’opportunité de restreindre l’application de cet article à l’égard des renseignements sensibles pour lesquels il a prévu des régimes de protection plus restrictifs, par exemple les renseignements contenus dans le dossier de l’usager détenu par un établissement de santé et au Dossier Santé Québec. La Commission souhaite informer les parlementaires qu’elle demeure disponible afin de répondre à toute question que cet avis peut soulever. Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Secrétaire, l’expression de nos meilleurs sentiments. Jean Chartier
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