AVIS DE LA COMMISSION D’ACCÈS À L’INFORMATION CONCERNANT LE PROJET DE LOI MODIFIANT LA LOI SUR LE MINISTÈRE DU REVENU ET D’AUTRES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES RELATIVEMENT À LA PROTECTION DES RENSEIGNEMENTS CONFIDENTIELS 5 DÉCEMBRE 2000 00 06 21.
2 Avis de la Commission d’accès à l’information Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu et d’autres dispositions législatives relativement à la protection des renseignements confidentiels ______________________________________________________________________________________ Les membres de la Commission d’accès à l’information ont pris connaissance du texte Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu et d’autres dispositions législatives relativement à la protection des renseignements confidentiels, de même que du mémoire au Conseil des ministres qui accompagne cette proposition de loi. Pour les motifs énoncés ci-dessous, la Commission n’entend pas s’opposer au nouveau texte de loi que propose le ministre du Revenu, sous réserve des commentaires qui concernent l’utilisation des renseignements fiscaux au sein du ministère du Revenu. Ce texte répond en partie aux recommandations formulées dans un avis antérieur de la Commission et il clarifie considérablement les règles de confidentialité ou d’accès des renseignements fiscaux actuellement décrites aux articles 69 et suivants de la Loi sur le ministère du Revenu. La proposition de loi qui nous est maintenant soumise pour avis est le fruit des discussions qui ont suivi un premier avis défavorable qu’émettait la Commission le 1 er mai dernier. Cet avis défavorable rejetait plusieurs propositions qui émanaient du Comité d’expert chargé d’étudier les articles 69 et suivants de la Loi sur le ministère du Revenu concernant la confidentialité des renseignements fiscaux. Rappelons que le Comité d’experts avait été créé suite à une recommandation du Rapport de la Commission d’enquête sur des allégations relatives à la divulgation de renseignements fiscaux et de nature confidentielle (Commission Moisan) et plus particulièrement à sa recommandation n° 8 : Que l’on confie à un comité d’experts l’étude des articles 69 à 71 de la LMR en relation avec la Loi sur l'accès, afin de trouver une solution d’ensemble aux difficultés soulevées, entre autres, par les participants et illustrées concrètement dans le cours de l’enquête de la Commission ; […] 1. L’avis de la Commission concernant le Rapport du Comité d’experts Dans son avis du 1 er mai, la Commission s’inscrivait plus particulièrement en faux contre les orientations suivantes du Comité d’experts : - écarter le caractère prépondérant de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (Loi sur l’accès) pour inscrire, dans la Loi sur le ministère du Revenu, un régime d’accès et de confidentialité particulier, laissant à la Loi sur l’accès un rôle supplétif ; - écarter plusieurs dispositions fondamentales de la Loi sur l’accès, dispositions qui établissent le droit d’accès aux documents des organismes publics et le droit à la confidentialité des renseignements personnels sans pour autant les remplacer par des dispositions équivalentes dans la Loi sur le ministère du Revenu ; - écarter complètement toutes les dispositions de la Loi sur l’accès qui encadrent les échanges de renseignements personnels, soit les articles 68 à 70;.
3 Avis de la Commission d’accès à l’information Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu et d’autres dispositions législatives relativement à la protection des renseignements confidentiels ______________________________________________________________________________________ - la possibilité, pour le ministère du Revenu, d’utiliser des renseignements fiscaux à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été recueillis ; - permettre de nombreuses exceptions au principe de la confidentialité des renseignements fiscaux ; - la réécriture des dispositions législatives relatives à l’exercice du droit d’accès, cette réécriture risquant d’écarter la jurisprudence développée par la Commission et les tribunaux supérieurs au cours des 14 dernières années. Finalement, la Commission rappelait que la preuve n’avait pas été faite qu’il était impossible de faire coexister la Loi sur l’accès et la Loi sur le ministère du Revenu, en faisant les adaptations nécessaires. 2. La nouvelle proposition de loi La nouvelle proposition de loi soumise par le ministère du Revenu comporte de nombreuses modifications par rapport au projet soumis par le Comité d’experts. La Commission constate que cette dernière version permet de concilier la Loi sur l'accès et la Loi sur le ministère du Revenu. Il faut rappeler ici que la Loi sur l’accès n’a pas pour effet de restreindre la confidentialité des renseignements personnels. Il s’agit en effet d’une loi qui impose des règles minimales à cet effet. Ainsi, une loi particulière, telle la Loi sur le ministère du Revenu, peut imposer des règles de confidentialité plus sévères pour des renseignements personnels sans pour autant déroger à la Loi sur l’accès. La difficulté rencontrée avec la Loi sur le ministère du Revenu provient du fait que les renseignements fiscaux peuvent à la fois concerner des personnes physiques ou toute autre personne : société, société de personnes fiducie, succession… Or, la Loi sur l’accès n’a pas pour objet de garantir la confidentialité des renseignements qui ne concernent pas des personnes physiques. La Commission approuve évidemment la nouvelle orientation privilégiée par la nouvelle proposition de loi : cette dernière permet en effet de reconduire le principe de la confidentialité des renseignements fiscaux, qu’ils concernent ou non des personnes physiques, tout en garantissant aux personnes concernées par ces renseignements un droit d’accès dont les modalités sont énoncées à la Loi sur l'accès. Toutefois, la Commission s’interroge toujours sur la pertinence d’autoriser le ministère du Revenu à utiliser les renseignements fiscaux qu’elle recueille à des fins autres que celles prévues au moment de la cueillette. De plus, la Commission constate que les nombreuses exceptions au principe du secret fiscal amenuisent considérablement la portée de ce principe pourtant fondamental pour maintenir les règles de l’autodéclaration et de l’autocotisation.
4 Avis de la Commission d’accès à l’information Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu et d’autres dispositions législatives relativement à la protection des renseignements confidentiels ______________________________________________________________________________________ Le caractère prépondérant de la Loi sur l’accès La proposition de loi maintient, à son article 69, le principe de la confidentialité des renseignements fiscaux sans pour autant écarter le caractère prépondérant de la Loi sur l'accès. Ainsi est préservée la confidentialité des renseignements fiscaux, y compris ceux qui ne concernent pas des personnes physiques. Cet objectif est atteint par une modification à l’article 171 de la Loi sur l'accès qui prévoit que cette loi n’a pas pour effet de restreindre la protection d’un renseignement contenu dans un dossier fiscal prévue à la section VIII du chapitre III de la Loi sur le ministère du Revenu. Cette solution permet - de sauvegarder le caractère prépondérant de la Loi sur l’accès et de maintenir les droits reconnus par cette loi; - de limiter les dispositions dérogatoires à la Loi sur l'accès inscrites dans la Loi sur le ministère du Revenu aux seules situations qui entrent clairement en conflit avec la Loi sur l’accès; - d’imposer aux renseignements fiscaux des règles de confidentialité plus sévères que celles de la Loi sur l’accès ; - maintient intégralement l’exercice du droit d’accès et du droit de rectification reconnus aux personnes physiques concernées par les renseignements fiscaux. L’utilisation des renseignements fiscaux au sein du ministère du Revenu Dans les pays occidentaux, les lois relatives à la protection des renseignements personnels garantissent que les renseignements colligés par l’État au sujet de ses citoyens ne seront utilisés qu’aux seules fins pour lesquelles ces renseignements ont été colligés et que seul le consentement de la personne concernée permettra d’aller à l’encontre de cette garantie . En fait, ce principe de l’utilisation des renseignements personnels est fondamental et a pour but d’écarter le libre arbitre de l’État dans la gestion des renseignements personnels. Le ministère du Revenu entend utiliser les renseignements fiscaux qu’il collige à de nombreuses fins. En fait, les dispositions législatives qui abordent cette question ne font que décrire une situation qui semble être déjà implantée au Ministère. Ainsi, l’article 69.0.0.0.7 énonce les utilisations qui peuvent être faites, par le Ministère, des renseignements fiscaux. Cet article se lit comme suit :
5 Avis de la Commission d’accès à l’information Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu et d’autres dispositions législatives relativement à la protection des renseignements confidentiels ______________________________________________________________________________________ 69.0.0.0.7. Un renseignement contenu dans un dossier fiscal ne peut être utilisé au sein du ministère du Revenu, sans le consentement de la personne concernée, que pour les fins suivantes: a)l'application ou l'exécution d'une loi fiscale; b)l'application ou l'exécution: i. de la Loi favorisant le paiement des pensions alimentaires (chapitre P-2.2); ii. du chapitre III du titre II de la Loi sur le soutien du revenu et favorisant l'emploi et la solidarité sociale (chapitre S-32.001); iii. du Programme allocation logement en faveur des personnes âgées et des familles établi en vertu d'un décret pris en vertu des articles 3 et 3.1 de la Loi sur la Société d'habitation du Québec (chapitre S-8); c) des fins d'étude, de recherche ou de statistique; d) l'administration du ministère du Revenu, notamment pour l'application des articles 2 à 6 et 71.3.1 à 71.3.4. Cette disposition couvre donc à peu près toutes les formes d’utilisations qui peuvent être faites des renseignements colligés par le ministère du Revenu. En énonçant qu’un renseignement contenu dans un dossier fiscal peut servir pour l’application ou l’exécution d’une loi fiscale, l’article 69.0.0.0.7 permet donc qu’un renseignement colligé pour l’application, par exemple, de la Loi sur les impôts pourrait également être utilisé pour l’application ou l’exécution des lois fiscales suivantes : • Loi favorisant le développement de la formation de la main-d’oeuvre (en partie) • Loi sur la fiscalité municipale (en partie) • Loi concernant l’impôt sur le tabac • Loi concernant l’application de la Loi sur les impôts • Loi sur les licences • Loi sur le ministère du Revenu • Loi sur les normes du travail (en partie) • Loi sur la Régie de l’assurance maladie du Québec (en partie) • Loi sur le régime de rentes du Québec • Loi sur le remboursement d’impôts fonciers • Loi sur la sécurité du revenu (en partie) • Loi concernant la taxe sur les carburants
6 Avis de la Commission d’accès à l’information Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu et d’autres dispositions législatives relativement à la protection des renseignements confidentiels ______________________________________________________________________________________ De plus, le paragraphe b) de ce même article permet l’utilisation d’un renseignement contenu dans un dossier fiscal aux fins de l’exécution ou de l’application de trois lois qui ne sont pas des lois fiscales. Si l’on ajoute à ces utilisations la possibilité d’utiliser les renseignements fiscaux à des fins d’étude, de recherche ou de statistique et aux fins de l’administration du Ministère, on peut se demander à quelles fins ne peuvent servir les renseignements fiscaux colligés par le Ministère. Les articles 69.0.0.0.8 et 70.1 imposent deux contraintes qui limitent quelque peu l’impact d’une utilisation tous azimuts des renseignements fiscaux. La première de ces dispositions stipule que les renseignements fiscaux qui sont utilisés à d’autres fins que des fins fiscales demeurent tout de même assujettis aux règles de confidentialité. La seconde disposition oblige le ministre du Revenu à informer annuellement la personne au sujet de laquelle il recueille des renseignements des types d’usage auxquels les renseignements sont destinés. La Commission craint que cette dernière obligation n’ait que peu d’effet : informer des types d’usage auxquels les renseignements sont destinés, et non des usages, permettrait au Ministre de se limiter à retranscrire le contenu de l’article 69.0.0.0.8. Avant l’adoption de l’article 69.0.0.07, la Commission considère que le ministère du Revenu devrait faire la démonstration qu’il lui est impossible d’utiliser les renseignements qu’il recueille aux seules fins qui motivent la cueillette. De plus, la Commission s’attend également à ce que le Ministère puisse démontrer pourquoi les renseignements fiscaux devraient servir aux fins de l’application des lois mentionnées au paragraphe b) de l’article 69.0.0.0.7. Le développement des technologies de l’information permet depuis quelques années la gestion de banques de données imposantes. Bien sûr, ce phénomène amène l’État à souhaiter, surtout dans un contexte de rationalisation et de raretés des ressources, une centralisation des informations concernant les citoyens ou une augmentation de leur circulation. Ainsi, au cours des dernières années, le ministère du Revenu s’est-il vu confier de plus en plus de mandats, bien souvent car il est déjà détenteur des informations utiles à l’application de nouveaux programmes ou de nouvelles politiques ou encore parce que le gouvernement lui confie de plus en plus le rôle de percepteur.
7 Avis de la Commission d’accès à l’information Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu et d’autres dispositions législatives relativement à la protection des renseignements confidentiels ______________________________________________________________________________________ La Commission n’entend pas se prononcer sur la pertinence de confier au ministère du Revenu toutes ces nouvelles fonctions. Toutefois, elle croit important de rappeler que tout organisme détenteur de méga banques de données doit porter une attention particulière à la gestion des informations contenues dans ces banques afin d’éviter d’une part un bris de confidentialité ou, d’autre part, une utilisation de ces renseignements à des fins inconnues des citoyens. Pour le ministère du Revenu, une gestion de ses banques de données qui soit respectueuse des droits des citoyens est d’autant plus importante pour sauvegarder les principes d’autodéclaration et d’autocotisation. Voilà pourquoi la Commission invite le Ministère à démonter la pertinence de l’article 69.0.0.0.7 et à expliquer pourquoi il ne devrait pas être soumis aux mêmes obligations que les autres organismes publics en matière d’utilisation des renseignements. Cette démonstration que doit faire le Ministère est d’autant plus importante que ce dernier est autorisé, aux fins de contrer le travail au noir et l’évasion fiscale, à recueillir des renseignements auprès de tous les organismes publics. La communication de renseignements fiscaux Depuis plusieurs années, la Commission invite le législateur à faire preuve de prudence lorsqu’il autorise une nouvelle exception au principe de la confidentialité des renseignements fiscaux. Au fil des années, la liste des exceptions s’est considérablement allongée. Encore une fois, les technologies de l’information ont grandement contribué à faciliter les échanges de renseignements. La Commission a déjà donné son aval à de nouvelles communications de renseignements fiscaux par le ministère du Revenu. Toutefois, si chacune de ces communications prise individuellement peut sembler justifiée, l’ensemble de ces exceptions au secret fiscal peut laisser croire que la portée de ce secret n’a plus rien à voir avec celle qu’il avait au moment de sa création. Voici la liste de la plupart des exceptions à la règle de la confidentialité des renseignements contenus dans un dossier fiscal. Peuvent être communiqués, à certaines conditions mais sans le consentement de la personne concernée, des renseignements fiscaux aux personnes ou organismes suivants : ! à un organisme lorsque cette communication est nécessaire à l’application ou à ! l’exécution d’une loi fiscale ; ! à un contractant ou un sous-contractant, peu importe la nature de ce contrat; ! à un organisme pour l’application d’une entente internationale ; ! pour une entente conclue entre le gouvernement et une communauté mohawk ; ! pour l’application d’une entente conclue avec un autre gouvernement ; ! à un autre gouvernement ou organisme pour l’application d’une loi imposant un impôt, ! une taxe ou un droit de cette nature ;.
8 Avis de la Commission d’accès à l’information Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu et d’autres dispositions législatives relativement à la protection des renseignements confidentiels ______________________________________________________________________________________ ! au ministre des Relations internationales pour des communications officielles avec lesgouvernements étrangers et leurs ministères, les organisations internationales et les organismes de ces gouvernements et des organismes; ! au contrôleur des finances; ! au ministre des Finances; ! à un organisme public pour l’application des mécanismes d’affectation et de compensation; ! à la Commission des normes du travail; ! au ministre de l’Emploi et de la Solidarité; ! au ministre des Affaires municipales; ! à la Régie de l’Assurance maladie du Québec; ! à la Régie des rentes du Québec; ! au ministre de l’Éducation; ! à la Commission des transports du Québec. La Commission reconnaît que ces communications de renseignements fiscaux sont encadrés de façon à minimiser les risques de bris de confidentialité et à informer le citoyen. Ainsi, conformément à l’article 70.1, le ministère devra informer annuellement les personnes au sujet desquelles il recueille des renseignements de la possibilité que des renseignements soient transmis à d’autres personnes. De plus, en vertu de l’article 71.0.7, le Ministre devra inscrire dans un registre la plupart des communications. Quant à la communication de renseignements réalisée dans le cadre de la réalisation d’un contrat ou d’un sous-contrat, des mesures particulières prévoient certaines normes de contrôle et de transparence. La gestion d’un État moderne engendre un accroissement considérable des échanges de renseignements, échanges facilités par les nouvelles technologies de l’information. Si l’on ne peut aller à l’encontre du mouvement qu’imposent ces technologies, il faut toutefois s’assurer d’un contrôle adéquat sur la circulation des renseignements. Encore une fois, il y va du maintien de la confiance du citoyen envers la gestion que fait l’État de ses renseignements personnels.
9 Avis de la Commission d’accès à l’information Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu et d’autres dispositions législatives relativement à la protection des renseignements confidentiels ______________________________________________________________________________________ CONCLUSION La Commission ne s’oppose pas aux modifications législatives que propose le ministère du Revenu au sujet de la confidentialité des renseignements fiscaux. Toutefois, avant que ne soit adopté l’article 69.0.0.0.7, la Commission recommande que soit démontrée la nécessité d’autoriser l’utilisation des renseignements fiscaux à de nombreuses fins. Sans cette démonstration, il est à craindre que les citoyens devront de plus en méfiant face à la gestion des renseignements qu’ils confient au ministère du Revenu. De plus, la Commission croit que le Ministère devra tout mettre en oeuvre pour assurer la transparence de la gestion qu’elle fait des renseignements fiscaux. Ainsi, l’information transmise aux citoyens devrait être la plus précise possible afin que le citoyen soit en mesure de connaître le sort subi par les renseignements qui le concernent.
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