AVIS
SUR LE PROJET DE LOI N
O
137,
LOI SUR LES APPELLATIONS RÉSERVÉES
ET LES TERMES VALORISANTS
Commission parlementaire
de l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation
23 février 2006
Avis de la Commission d’accès à l’information sur le Projet de loi n
o
137, Loi sur les appellations réservées
et les termes valorisants – Commission de l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation
AVIS DE LA COMMISSION D’ACCÈS À L’INFORMATION
CONCERNANT LE PROJET DE LOI N
O
137
1.
Mise en contexte
En 1996, l’Assemblée nationale adopte la Loi sur les appellations réservées
1
qui prévoit
qu’une appellation peut être attribuée à des produits agricoles et alimentaires à titre
d’attestation de leur mode de production, de leur région de production et de leur
spécificité
2
. Cette loi permettra de créer, en 1998, le Conseil d’accréditation du Québec,
aussi connu sous le nom du Conseil des appellations agroalimentaires du Québec (le
CAAQ)
3
.
Cet organisme est autorisé par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de
l’Alimentation du Québec (le MAPAQ) à encadrer l’application de cette loi. Le CAAQ agit
ainsi à titre d’autorité responsable du contrôle de l’appellation biologique, la seule à avoir
été réservée à ce jour
4
. Il a par conséquent accrédité divers organismes chargés de la
certification de produits biologiques
5
.
Toutefois, l’intérêt croissant des consommateurs pour les produits biologiques, du terroir
ou se distinguant par diverses spécificités recherchées, de même que les impératifs liés
au développement de ce marché potentiel, estimé à près d’un milliard de dollars, soit
4 % de la demande alimentaire, ont amené l’élaboration d’une nouvelle stratégie
ministérielle
6
. Le 16 juin 2005, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de
l’Alimentation, M. Yvon Vallières, annonçait à l’Assemblée nationale un plan d’action
pour la mise en valeur des produits régionaux et des produits de niche, visant
notamment à favoriser le développement de ces produits et à assurer leur authenticité
7
.
Ce même jour, le Ministre présentait le Projet de loi n
o
113, Loi modifiant la Loi sur les
appellations réservées
8
, dans le cadre du premier volet de ce plan d’action. Une
consultation générale s’est par la suite tenue devant la Commission parlementaire de
l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation, les 27 et 29 septembre et le 20 octobre
2005.
1
L.R.Q., c. A-20.02
2
Id., art. 1.
3
Cet organisme a été constitué le 16 juillet 1998 sous le régime de la Loi sur les compagnies, L.R.Q., c.
C-38, Partie III.
4
En vertu de l’article 7 de la Loi sur les appellations réservées et de l’Avis 33336 publié le 29 décembre
1999, (1999) 131 G.O. 2, 7099.
5
Site Internet du CAAQ, http://www.caaq.org, consulté le 22 février 2006.
6
Allocution du ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, à l’occasion de la conférence de
presse visant à annoncer le plan d’action pour la mise en valeur des produits régionaux et des produits de
niche, Assemblée nationale, le 16 juin 2005.
7
Id.
8
Loi modifiant la Loi sur les appellations réservées, Projet de loi 113 (dépôt du rapport de consultation
le 26 octobre 2005), 1
re
session, 37
e
législature (Québec).
Avis de la Commission d’accès à l’information sur le Projet de loi n
o
137, Loi sur les appellations réservées
et les termes valorisants – Commission de l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation
À la suite de ces consultations, le ministre, M. Laurent Lessard, présentait à l’Assemblée
nationale le Projet de loi n
o
137, Loi sur les appellations réservées et les termes
valorisants
9
, le 6 décembre 2005. Destiné à remplacer intégralement la loi actuelle
10
, il
semble faire écho à certaines recommandations des groupes entendus en commission
parlementaire qui souhaitaient que des changements soient apportés au Projet de loi
n
o
113
11
. Ainsi, l’un des éléments clés du Projet de loi n
o
137 est la création du Conseil
des appellations réservées et des termes valorisants (le Conseil) qui remplacerait
l’actuel CAAQ
12
.
La Commission d’accès à l’information (la CAI) se demande si, tel qu’institué, ce nouvel
organisme serait assujetti à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et
sur la protection des renseignements personnels
13
(la Loi sur l’accès). Le projet de loi ne
semble pas offrir de réponse claire à cette question.
Puisque l’accès à l’information d’intérêt public favorise l’exercice des droits
fondamentaux dans le cadre d’une société libre et démocratique, la CAI estime que les
citoyens entretiennent des attentes légitimes en ce qui a trait à la transparence des
organismes dont les attributions sont de nature gouvernementale.
Dans cette optique, la CAI suggère que le Projet de loi n
o
137 soit modifié pour s’assurer
que le Conseil soit clairement assujetti à la Loi sur l’accès. En éliminant dès maintenant
toute ambiguïté sur cette question, le législateur préviendrait, de façon simple et
efficace, des interprétations contraires à son intention, le cas échéant, et des débats
judiciaires coûteux.
Dans cet avis, la CAI présente donc à la Commission parlementaire de l’agriculture, des
pêcheries et de l’alimentation les motifs justifiant un assujettissement explicite du
Conseil à la Loi sur l’accès.
9
Loi sur les appellations réservées et les termes valorisants, Projet de loi 137 (adoption du principe
le 13 décembre 2005), 1
re
session, 37
e
législature (Québec).
10
Id., art. 74.
11
Remarques finales du ministre, M. Laurent Lessard, à la clôture des consultations publiques tenues par
la Commission de l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation, le 20 octobre 2005.
12
Supra, note 9, art. 7 et 76.
13
L.R.Q., c. A-2.1.
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137, Loi sur les appellations réservées
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2.
L’application de la Loi sur l’accès au Conseil des
appellations réservées et des termes valorisants
La Loi sur l'accès s’applique aux seules entités qui répondent à la définition
d’organismes publics prévue aux articles 3 à 7 de cette loi. Environ 2 600 organismes
publics y sont assujettis : ministères et organismes gouvernementaux, municipalités et
organismes qui en relèvent, institutions d'enseignement et établissements du réseau de
la santé et des services sociaux.
Tel qu’il appert du Projet de loi n
o
137, le Conseil prendra la forme d’une personne
morale, composée de sept membres
14
. Le gouvernement nommera deux membres, dont
le président-directeur général. Les cinq autres membres seront, en principe, nommés
par le Conseil de promotion de l’agroalimentaire québécois
15-16
, à partir d’une liste de
candidats proposés par diverses associations représentatives des milieux concernés. Le
personnel sera nommé selon le plan d’effectifs établi par règlement du Conseil
17
.
Ces dispositions permettent-elles de conclure que le Conseil serait un organisme soumis
à la Loi sur l’accès? La réponse n’est pas claire. Le critère d’assujettissement qui
pourrait trouver application en l’espèce est l’article 4 de la Loi sur l’accès, qui décrit ce
qui constitue un organisme gouvernemental. Il s’énonce comme suit :
« 4.
Les organismes gouvernementaux comprennent les
organismes non visés dans les articles 5 à 7, dont le gouvernement
ou un ministre nomme la majorité des membres, dont la loi
ordonne que le personnel soit nommé suivant la Loi sur la fonction
publique (chapitre F-3.1) ou dont le fonds social fait partie du
domaine public.
Aux fins de la présente loi, le curateur public est assimilé à un
organisme gouvernemental, dans la mesure où il détient des
documents autres que ceux visés par l'article 2.2.
Est assimilée à un organisme gouvernemental, aux fins de la
présente loi, une personne nommée par le gouvernement ou par
un ministre, avec le personnel qu'elle dirige, dans le cadre des
fonctions qui lui sont attribuées par la loi, le gouvernement ou le
ministre. »
Puisqu’il est nommé par le gouvernement, l’on pourrait soutenir que le président-
directeur général est soumis à la Loi sur l’accès, dans le cadre des fonctions qui lui sont
attribuées par la loi, par le gouvernement ou par le Ministre. L’article 15 du Projet de loi
n
o
137 prévoit que le président-directeur général est responsable de l’administration et
de la direction du Conseil; ainsi, le personnel qu’il dirige pourrait également être assujetti
14
Supra, note 9, art. 7, 11, 15 et 16.
15
Il s’agit d’un organisme constitué en vertu de la Loi sur les compagnies, L.R.Q., c. C-38, Partie III.
16
Selon l’art. 11, al. 4 du Projet de loi n
o
137, en cas de défaut d’agir du Conseil de promotion de
l’agroalimentaire québécois, le ministre désignera une autre personne morale ayant des activités similaires.
17
Supra, note 9, art. 17.
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137, Loi sur les appellations réservées
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à la Loi sur l’accès. De même, puisqu’ils sont nommés par le Ministre en vertu de l’article
34 du projet de loi, les inspecteurs, analystes et autres agents nécessaires à
l’application du projet de loi et de ses règlements pourraient être soumis à la Loi sur
l’accès, dans le cadre de leurs fonctions.
Il s’agit toutefois d’une question d’interprétation susceptible d’être amenée devant les
tribunaux, en l’absence de dispositions dans le Projet de loi n
o
137 assujettissant
clairement le Conseil à la Loi sur l’accès. Ainsi, le fait que la plupart des membres du
Conseil ne soient pas nommés par le gouvernement, mais par le Conseil de promotion
de l’agroalimentaire québécois
18
, permettrait-il de conclure que cet organisme ne serait
pas soumis à la Loi sur l’accès?
Devant l’ambiguïté et l’incertitude entourant l’assujettissement du Conseil à la Loi sur
l’accès, une question s’impose : cet organisme devrait-il être clairement soumis à cette
loi? Pour répondre à cette question, et ainsi mettre en exergue le fondement des
préoccupations de la CAI en ce qui a trait à la création du Conseil, il convient tout
d’abord de rappeler le principe général d’accès aux documents des organismes publics.
L'article 9 de la Loi sur l'accès énonce la règle générale : toute personne qui en fait la
demande a droit d'accès aux documents détenus par un organisme public. Comme
plusieurs autres dispositions de la Loi sur l'accès, l'article 9 a un caractère prépondérant
sur toutes les autres lois, ce qui lui confère un caractère quasi constitutionnel
19
.
Toutefois, la Loi sur l’accès énonce certaines restrictions au droit d’accès
20
et elle
prévoit la possibilité que des lois particulières puissent comporter des dispositions
dérogatoires
21
. Par ailleurs, à moins d’exigences particulières inscrites dans des lois
sectorielles, les organismes privés ne sont pas soumis à la Loi sur l’accès. Toutefois, la
création d’un organisme associé à la prestation de services publics peut susciter
certaines attentes légitimes chez les citoyens, en termes d’accès à l’information.
Pour analyser la nature des fonctions attribuées au Conseil, il convient, dans un premier
temps, de résumer les principaux pouvoirs du ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et
de l’Alimentation, responsable de l’application du Projet de loi n
o
137, et ceux du
gouvernement. En vertu du Projet de loi n
o
137, le Ministre a le pouvoir de reconnaître
des appellations réservées, d’autoriser, par règlement, des termes valorisants et de
définir les normes auxquelles doivent répondre les produits qu’ils désignent
22
. Le projet
de loi accorde également au Ministre certains pouvoirs de réglementation, notamment
pour déterminer les critères, exigences et documents requis pour la reconnaissance des
appellations réservées, ainsi que pour l’accréditation des organismes de certification
23
.
Enfin, le projet de loi accorde au gouvernement le pouvoir de prendre toute disposition
nécessaire à l’application de la loi, par voie de règlement
24
.
18
Supra, note 9, art. 11.
19
Conseil de la magistrature c. Commission d’accès à l’information, [2000] R.J.Q. 638; Macdonnell c.
Québec (Commission d’accès à l’information), [2002] 3 R.C.S. 661.
20
Art. 18 à 41 de la Loi sur l'accès.
21
L'article 168 de la Loi sur l'accès prévoit que les dispositions de cette dernière prévalent sur celles d'une
loi générale ou spéciale postérieure qui leur seraient contraires, à moins que cette dernière loi n'énonce
expressément s'appliquer malgré la Loi sur l'accès.
22
Supra, note 9, art. 30 et 61.
23
Supra, note 9, art. 59.
24
Supra, note 9, art. 60.
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137, Loi sur les appellations réservées
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Quant au Conseil, sa mission et ses principales fonctions sont notamment décrites aux
articles 9 et 10 du Projet de loi n
o
137 :
« 9. Le Conseil a pour mission :
1° d'accréditer des organismes de certification qui satisfont au
référentiel les concernant;
2° de conseiller le ministre sur la reconnaissance d'appellations
réservées;
3° de conseiller le ministre sur l'autorisation de termes
valorisants et de donner au ministre son avis, le cas échéant, sur
les caractéristiques particulières des produits pouvant être
désignés par ces termes;
4° de surveiller l'utilisation des appellations réservées reconnues
et des termes valorisants autorisés;
5° de tenir des consultations, notamment avant de conseiller la
reconnaissance d'une appellation ou l'autorisation d'un terme
valorisant ainsi qu'avant de donner son avis sur les
caractéristiques particulières des produits pouvant être désignés
par ce terme.
10. À cette fin, le Conseil a pour fonctions :
1° d'élaborer, conformément aux règlements du ministre, un
référentiel indiquant les normes et critères d'accréditation selon
lesquelles
il
évalue
les
demandes
d'accréditation
des
organismes de certification ;
2° de surveiller les organismes de certification accrédités et de
s'assurer que ceux-ci respectent les conditions d'exercice de la
certification et qu'ils ont les ressources nécessaires pour
effectuer, de la façon prévue au référentiel les concernant, les
contrôles adéquats des activités des utilisateurs des appellations
réservées reconnues ou des termes valorisants autorisés, de
même que pour effectuer la vérification des produits qu'ils
certifient ;
3° de s'assurer que ceux qui sont inscrits auprès d'un organisme
de certification accrédité respectent les règles d'utilisation des
appellations réservées reconnues et des termes valorisants
autorisés.
Il peut, aux fins d'exercer ces fonctions, imposer une contribution
aux organismes de certification accrédités pour couvrir ses frais
d'exploitation. »
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Le projet de loi prévoit également certaines mesures de contrôle dont le Conseil est
responsable. Rappelons que des inspecteurs, analystes et autres agents nécessaires à
l’application de la loi et de ses règlements seront nommés par le Ministre, parmi le
personnel du Conseil, sur recommandation de ce dernier
25
. Les inspecteurs du Conseil
pourront, notamment, pénétrer à toute heure raisonnable dans un lieu où ils ont des
motifs raisonnables de croire que se trouvent des produits ou des objets auxquels
s’appliquent la loi ou ses règlements; les inspecteurs pourront prendre des échantillons,
des photographies, exiger la communication de tout document, effectuer des saisies,
notamment.
26
.
Dernier élément mais non le moindre : le Conseil disposera d’un droit de recours contre
quiconque utilisera une appellation réservée reconnue ou un terme valorisant autorisé
pour des produits non certifiés par un organisme de certification accrédité
27
. Il aura le
pouvoir d’intenter une poursuite pénale pour une infraction à diverses dispositions
28
;
dans ce cas, l’amende imposée lui appartiendra
29
.
Ainsi, bien que le Projet de loi n
o
137 ne le présente pas textuellement comme un
mandataire de l’État, le Conseil se verra confier un large mandat de régulation : il sera le
principal organisme autorisé par le MAPAQ à encadrer l’application de cette loi, par
l’entremise de ses pouvoirs d’accréditation, de surveillance et de contrôle.
En outre, le libellé du projet de loi porte à croire en une certaine influence du Conseil
auprès du Ministre, via son rôle conseil sur la reconnaissance d’appellations réservées,
sur l’annulation de cette reconnaissance
30
et sur l’autorisation de termes valorisants,
notamment. Même en admettant la nature discrétionnaire des pouvoirs attribués au
Ministre dans le cadre du projet de loi, il est raisonnable de croire que les
recommandations du Conseil, un organisme spécialisé, dont les membres et le
personnel auront vraisemblablement une certaine expertise
31
, seront généralement
considérées par le Ministre. Bref, la CAI croit comprendre que le Conseil contribuera à la
prestation de services publics.
Or, la CAI tient à exprimer sa préoccupation quant au transfert de certaines
responsabilités d’un organisme public tel que le MAPAQ, clairement assujetti à la Loi sur
l’accès, vers un organisme dont l’assujettissement à la Loi sur l’accès n’est pas
clairement énoncé. Cette situation engendre une incertitude en ce qui a trait à
l’application ou à l’interprétation des règles d’accès à l’information.
Rappelons que l’accès à l’information est indissociable des notions de transparence et
de démocratie. L’émergence de la société d’information fondée sur le savoir confère à
l'information un rôle de premier plan dans tous les aspects de notre vie. Or, l'État et ses
composantes comptent parmi les plus importants dépositaires d'information. L'accès à
ces informations est indispensable pour garantir une participation des citoyens aux
grands débats de la société et pour maintenir le caractère démocratique de nos
25
Supra, note 9, art. 34 et suivants.
26
Supra, note 9, art. 35 à 37.
27
Supra, note 9, art. 33, 64 et suivants.
28
Supra, note 9, art. 69 et 71.
29
Supra, note 9, art. 71 et 72.
30
Supra, note 9, art. 63.
31
Supra, note 9, art. 11 et 17.
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137, Loi sur les appellations réservées
et les termes valorisants – Commission de l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation
institutions
32
. Maintes fois cité, cet extrait d’un jugement de la Cour suprême du Canada
rappelle comment les lois en matière d’accès à l’information assurent le maintien de la
démocratie :
« 61. La loi en matière d'accès à l'information a donc pour objet
général de favoriser la démocratie, ce qu'elle fait de deux
manières connexes. Elle aide à garantir, en premier lieu, que les
citoyens possèdent l'information nécessaire pour participer
utilement au processus démocratique, et, en second lieu, que les
politiciens et bureaucrates demeurent comptables envers
l'ensemble de la population. Comme l'explique le professeur
Donald C. Rowat dans son article classique, intitulé «How Much
Administrative Secrecy?» (1965), 31 Can. J. of Econ. and Pol.
Sci. 479, à la p. 480 :
[TRADUCTION] Ni le Parlement ni le public ne sauraient espérer
demander au gouvernement de rendre compte s'ils n'ont pas une
connaissance suffisante de ce qui se passe; ils ne peuvent pas
non plus espérer prendre part au processus décisionnel ni
contribuer à l'établissement des politiques générales et des lois si
ce processus est tenu secret. »
33
La santé de la démocratie est donc largement tributaire du droit d'accès à l’information.
Mais au-delà de la sauvegarde de la démocratie et de la transparence de l'appareil
gouvernemental et administratif, l'exercice du droit d'accès à l'information peut être un
préalable essentiel à l'exercice ou au respect des droits individuels. Ainsi, la Charte des
droits et libertés de la personne reconnaît que toute personne est titulaire du droit à la
liberté d’opinion et à la liberté d’expression
34
; l’absence d’une information complète et
fiable en limiterait considérablement l’exercice.
Quoique les précédents soient peu nombreux, la législation québécoise prévoit déjà que
certaines entreprises du secteur privé peuvent être assimilées, à des fins précises, à des
organismes publics au sens de la Loi sur l’accès.
Ainsi, l’article 13.6 de la Loi sur les terres du domaine de l’État
35
énonce que la
personne morale à qui le Ministre des Ressources naturelles et de la Faune
36
a confié
l’exercice de pouvoirs aux fins de la gestion de terres du domaine de l’État est réputée
32
COMMISSION D’ACCÈS À L’INFORMATION, Une réforme de l’accès à l’information : le choix de la
transparence, Rapport sur la mise en oeuvre de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et
sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur la protection des renseignements
personnels dans le secteur privé, novembre 2002. Une large partie de ce rapport est consacrée à
l’importance du droit d’accès à l’information dans notre société et aux réformes qui devraient être apportées
afin d’en élargir la portée.
33
Dagg c. Canada (ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, 433.
34
L.R.Q., c. C-12, art. 3.
35
L.R.Q., c. T-8.1.
36
Le ministre des Ressources naturelles et de la Faune exerce les fonctions du ministre des Ressources
naturelles, de la Faune et des Parcs prévues à la Loi sur les terres du domaine de l’État. Décret 124-2005
du 18 février 2005, (2005) 137 G.O. 2, 877.
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137, Loi sur les appellations réservées
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être un organisme public dans le cadre de cette gestion et est assujettie aux dispositions
de la Loi sur l’accès.
De plus, l’article 129.4 de la Loi sur le bâtiment
37
prévoit que le gouvernement peut
confier à la Corporation des maîtres électriciens du Québec et à la Corporation des
maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec le mandat de surveiller l'administration de
cette loi ou de voir à son application relativement à la qualification professionnelle de
leurs membres ainsi qu'aux garanties financières exigibles de ceux-ci. À ces fins, la
Corporation mandataire est considérée comme un organisme public assujetti aux
dispositions de la Loi sur l’accès.
De même, on peut souligner que, sous réserve de l’adoption du Projet de loi n
o
86, Loi
modifiant la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection
des renseignements personnels et d’autres dispositions législatives
38
, le législateur
propose de modifier le Code des professions pour assujettir les ordres professionnels à
la Loi sur l’accès, en ce qui a trait aux documents détenus dans le contrôle de l'exercice
de la profession.
Même s’il s’agit d’un organisme mandataire de l’État
39
, l’exemple de l’Autorité des
marchés financiers mérite également d’être souligné. Cet organisme, qui chapeaute le
régime québécois d’encadrement du secteur financier
40
, est clairement assujetti à la Loi
sur l’accès en vertu de l’article 36 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers
41
. Sans
cette disposition, il aurait peut-être été possible de plaider le non-assujettissement de
cet organisme à la Loi sur l’accès; toutefois, le législateur a choisi d’éliminer toute
ambiguïté sur cette question par une disposition expresse.
Partant, la CAI invite le législateur à s’inspirer du raisonnement de la Cour suprême qui,
dans le cadre de l’application de la Charte canadienne, favorise une interprétation large
et libérale de la notion de gouvernement
42
. Elle lui suggère donc de reconnaître la
nature gouvernementale des fonctions du Conseil et d’assujettir explicitement cet
organisme à la Loi sur l’accès, en ce qui a trait à l’accès aux documents administratifs
et, le cas échéant, à la gestion de deniers publics
43
. En effet, les citoyens devraient-ils
avoir accès, par exemple, aux renseignements leur permettant de participer aux
37
L.R.Q., c. B-1.1
38
Loi modifiant la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des
renseignements personnels et d’autres dispositions législatives, Projet de loi 86 (étude détaillée – dates non
déterminées), 1
re
session, 37
e
législature (Québec).
39
Loi sur l’Autorité des marchés financiers, L.R.Q., c. A-33.2, art. 1, al. 2.
40
Loi sur l’Autorité des marchés financiers, art. 4, 7 et 8; site Internet de l’Autorité des marchés financiers,
http://www.lautorite.qc.ca, consulté le 22 février 2006.
41
L.R.Q., c. A-33.2.
42
La Cour suprême conclut qu’un organisme que la loi amène à « exercer la puissance publique, en
contraignant de façon unilatérale les comportements humains » ou à mettre en œuvre « une politique
gouvernementale spécifique » doit être considéré comme un organisme gouvernemental, au sens de
l’application de la Charte canadienne : Henri BRUN et Guy TREMBLAY, Droit constitutionnel, 4
e
éd.,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 905; voir Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général),
[1997] 3 R.C.S. 624; Slaight Communications c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; Blencoe c. Colombie-
Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307.
43
L’article 10, al. 2 et l’article 73 du projet de loi n
o
137 prévoient le financement des activités du Conseil à
même les contributions perçues des organismes de certification accrédités. Toutefois, l’article 81 énonce
que le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation pourra contribuer au financement des
activités du Conseil pour une certaine période.
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consultations qui seront tenues par le Conseil? Devraient-ils avoir accès à divers
documents de nature administrative détenus par cet organisme, en fonction de règles
claires?
Il importe de noter que l’accès aux documents administratifs, découlant de
l’assujettissement à la Loi sur l’accès, n’est pas absolu. Ainsi, dans l’hypothèse où le
législateur assujettirait le Conseil à la Loi sur l’accès, il n’en découlerait pas un droit
d’accès automatique à tous les documents détenus par cet organisme. Lorsque les
circonstances l’exigent, des restrictions à l’accès peuvent s’appliquer
44
, notamment en
matière commerciale.
De plus, le Conseil serait tenu de respecter le principe de la protection des
renseignements personnels. Il ne serait donc autorisé à les communiquer que dans la
mesure prévue par la Loi sur l’accès
45
.
Bref, selon la nature des renseignements demandés, le Conseil pourrait appliquer
diverses restrictions au droit d’accès prévues par le législateur, comme tout autre
organisme soumis à l’application de la Loi sur l’accès.
44
Supra, note 20.
45
Voir les dispositions du chapitre III de la Loi sur l’accès.
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Avis de la Commission d’accès à l’information sur le Projet de loi n
o
137, Loi sur les appellations réservées
et les termes valorisants – Commission de l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation
CONCLUSION
À la lecture du Projet de loi n
o
137, la CAI constate que l’assujettissement du Conseil
des appellations réservées et des termes valorisants à la Loi sur l’accès ne semble pas
clairement énoncé, laissant ouverture à diverses interprétations. Par conséquent, devant
l’incertitude entourant l’obligation de transparence qui serait applicable à cet organisme,
la CAI tient à faire valoir sa recommandation.
En effet, à l’ère de la modernisation de l’État et des partenariats public-privé, la création
d’un organisme qui pourrait être considéré comme un organisme privé, tout en étant
associé à la prestation de services publics, suscite chez les citoyens des attentes
légitimes en termes d’accès à l’information.
D’une part, un assujettissement explicite du Conseil à la Loi sur l’accès éliminerait toute
ambiguïté à ce sujet. Il en découlerait une obligation de transparence formelle favorisant
un certain équilibre entre des intérêts privés ou organisationnels et l’intérêt public.
D’autre part, étant donné les restrictions législatives au droit d’accès, le respect de la
confidentialité de certains renseignements industriels, financiers, commerciaux,
scientifiques, techniques, personnels ou autres, détenus par le Conseil, serait tout de
même assuré.
La CAI recommande donc au législateur de considérer des modifications au Projet de loi
n
o
137 visant à préciser que le Conseil des appellations réservées et des termes
valorisants est un organisme clairement assujetti à la Loi sur l’accès.
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