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MÉMOIRE DE LA COMMISSION D’ACCÈS À L’INFORMATION

CONCERNANT L’AVANT-PROJET DE LOI SUR LA CARTE SANTÉ DU QUÉBEC

REMIS À LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES Le 8 février 2002 02 01 21

2 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________

TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION......................................................................................................................... 3 ! Une meilleure circulation des renseignements de santé pour un réseau qui a évolué ............. 3 ! Maintenir la confidentialité des renseignements de santé........................................................ 6 ! L’avant-projet de loi sur la carte santé : un projet de loi qui porte surtout sur les fonctions et pouvoirs de la RAMQ................................................................................................................ 7 ! Rimouski et Laval : des projets qui ne peuvent servir de comparables.................................... 8 1.Les nombreux objectifs de l’avant-projet de loi....................................................................... 10 ! L’introduction des technologies de l’information à des fins multiples................................... 10 ! La carte santé : nécessaire pour des fins cliniques ? ............................................................ 11 2. Accès, sécurité, confidentialité, consentement : des règles qui rassurent ou qui soulèvent encore plus de questions ? ..................................................................................................... 13

! L’accès aux renseignements ................................................................................................... 13 ! Les mesures de sécurité : suffisantes pour aller de l’avant? .................................................. 17 ! Le consentement des personnes concernées : des règles complexes et imprécises ................ 17 3. La Régie de l'assurance maladie du Québec : un rôle de gestionnaire de fichiers de renseignements de santé bien défini ?................................................................................... 19

! Un actif informationnel impressionnant ................................................................................. 19 ! La centralisation de l’information : un danger potentiel ? .................................................... 22 ! Les garanties de confidentialité : immuables dans le temps ?................................................ 22 ! La centralisation de l’information : plus sécuritaire ?........................................................... 24 4.L’encadrement légal : désuet et insuffisant ? .......................................................................... 26

3 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ CONCLUSION ........................................................................................................................... 28

INTRODUCTION 1 La Commission d’accès à l’information remercie les membres de la Commission parlementaire des affaires sociales de lui permettre de participer à la consultation générale relative à l’avant-projet de loi sur la carte santé, qui, nous le souhaitons vivement, sensibilisera le législateur, le gouvernement et la population au défi que la société québécoise doit relever : comment assurer la confidentialité des renseignements de santé dans un environnement la technologie permet maintenant leur informatisation et, grâce à sa mise en réseau, une plus grande circulation ?

Que ce soit pour ses aspects sociaux, éthiques ou juridiques, l’informatisation du réseau de la santé et des services sociaux, et plus particulièrement celle des renseignements de santé, revêt une telle importance pour la société québécoise que tout débat portant sur cette question ne peut se limiter aux seules propositions avancées par l’avant-projet de loi sur la carte santé du Québec.

En effet, l’avant-projet de loi n’encadre qu’une infime partie du système de gestion des renseignements de santé alors qu’il est devenu évident que les règles actuelles sont nettement insuffisantes, pour ne pas dire absentes dans certains cas, pour tenir compte de l’introduction des technologies de l’information et des communications dans l’ensemble du réseau de la santé et des services sociaux.

Nous devons tous être conscients que si la solution générale véhiculée par l’avant-projet de loi était retenue, il sera bien difficile de reculer lorsque que le déploiement des systèmes d’information aura été complété.

Une meilleure circulation des renseignements de santé pour un réseau qui a évolué Les changements majeurs intervenus au cours des dix dernières années dans le réseau de santé et des services sociaux, tels les nombreuses fusions d’établissements et le virage ambulatoire, ne peuvent plus être ignorés. Il est devenu non seulement nécessaire mais urgent de fixer un nouveau cadre juridique qui tienne compte à la fois des besoins des professionnels de la santé et des patients sans pour autant remettre en cause la confidentialité des renseignements de santé.

1 Certains documents ont été remis à la Commission le 6 février dernier par la Régie de l'assurance maladie du Québec. Une lecture rapide de ces documents ne l’amène toutefois pas à modifier son mémoire. La Commission souhaiterait toutefois pouvoir se réserver la possibilité de formuler des commentaires.

4 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ Il ne fait plus de doute que l’implantation des technologies de l’information dans le secteur de la santé a pris son élan et que rien ne pourra la freiner. D’abord déployées pour des raisons administratives, ces technologies peuvent maintenant favoriser une meilleure circulation des renseignements de santé pour des fins cliniques. Difficile de nier un tel constat.

Si des soins et services de santé qui répondent davantage aux besoins des patients peuvent en découler, les technologies de l’information ne doivent pas être ignorées pour l’atteinte de cet objectif important. La Commission reconnaît les avantages que peuvent offrir ces technologies. Les nombreux avis 2 qu’elle a été appelée à émettre au cours des dix dernières années le mentionnent expressément. Mais ces avis antérieurs n’ont jamais été des chèques en blanc. La Commission a toujours insisté sur la nécessité de réaliser une évaluation préalable à leur déploiement et sur la tenue d’un débat public permettant de s’assurer de l’acceptabilité de ce déploiement par tous les acteurs.

La santé est le bien le plus précieux qui soit et si ces technologies peuvent concourir à son maintien ou à son amélioration, il faut les explorer, les évaluer et les déployer. Il n’en demeure pas moins que les technologies de l’information ne sont qu’un outil et non pas une fin en soi. Il faut d’abord déterminer les réels besoins des professionnels de la santé et de leurs patients et, dans un deuxième temps, les technologies qui répondent à ces besoins.

Plusieurs organismes ou professionnels liés au monde de la santé reconnaissent les avantages cliniques d’une meilleure circulation de l’information. Le rapport de la Commission Clair 3 insiste également sur cet aspect et sur les bénéfices escomptés, entre autres pour assurer un meilleur suivi dans la prise en charge d’un patient. Certains sondages révèlent de plus que la population est largement favorable à une meilleure circulation des renseignements de santé les concernant si cette dernière engendre l’obtention de meilleurs soins et services. Cet intérêt se

2 Avis relatif au projet pilote de carte santé mené dans la région de Rimouski, mars 1996; Avis sur le mémoire présenté au Conseil des ministres par le ministre de la Santé et des Services sociaux sur le déploiement du système de carte santé à microprocesseur par la Régie de l'assurance maladie du Québec, juin 1998; Avis concernant la Projet vitrine PRSA-Carte santé, 12 octobre 1999; Avis concernant l’implantation de la Carte Accès Santé à microprocesseur et la contribution de la Régie de l'assurance maladie du Québec à la modernisation du système de santé et des services sociaux, octobre 2000; Avis concernant la «Note d’information complémentaire au Conseil des ministres concernant le dossier Carte Accès Santé à microprocesseur» et le Mémoire au Conseil des ministres portant sur les «Mesures structurantes pour améliorer le fonctionnement et accroître l’efficacité du Régime général d’assurances médicaments, janvier 2001; Avis concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé du Québec, décembre 2001.

3 Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux, Les solutions émergentes, Rapport et recommandations, Québec, ministère de la Santé et des Services sociaux, 2000.

5 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ traduit également par le nombre élevé des projets actuellement en cours de réalisation et qui répondent, en ayant recours aux technologies de l’information, à des besoins bien identifiés 4 . 4 Voir Étude sur l’inforoute de la santé au Québec : enjeux techniques, éthiques et légaux, Document de réflexion préparé par Christian Boudreau pour le compte de la Commission d'accès à l'information, septembre 2001.

6 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ Maintenir la confidentialité des renseignements de santé Toutefois, que ce soit lors des travaux de la Commission Clair ou de la réalisation de sondages, il est toujours clairement apparu qu’une meilleure circulation des renseignements de santé ne devait pas rimer avec une diminution de leur degré de confidentialité. Le caractère sensible des renseignements de santé n’est plus à démontrer. Pas plus d’ailleurs que la nécessité de traiter cette information dans le respect du droit au secret professionnel et du droit à la protection des renseignements personnels. Un bris de la confidentialité des renseignements de santé peut également porter atteinte au respect de la réputation d’une personne, à sa vie privée ou encore favoriser la discrimination fondée sur son état de santé.

La Commission d'accès à l'information estime qu’un important débat de société doit précéder toute décision gouvernementale qui viendrait indiquer de nouvelles voies à suivre pour la gestion de l’ensemble des renseignements de santé, qu’ils soient détenus par un établissement, une clinique privée, une régie régionale, le ministère de la Santé et des Services sociaux ou encore par la Régie de l'assurance maladie du Québec 5 . De plus, ce débat de société doit prendre en considération une tendance qui inquiète de plus en plus la Commission : la centralisation des renseignements de santé et leur gestion par un seul organisme. Or, l’un des volets importants de l’avant-projet de loi est justement la création et la gestion, par la RAMQ, d’un tel fichier. Contenant les résumés des renseignements de santé, ce fichier pourrait contenir des renseignements concernant 7,2 M de Québécois et de Québécoises. Selon la Commission, la nécessité de créer ce fichier doit faire l’objet d’une sérieuse analyse. C’est après cette analyse, si elle s’avère concluante, que les règles de confidentialité et de sécurité devraient être déterminées. Même les textes de loi les plus sévères et les mesures de sécurité les plus évoluées ne peuvent justifier la création d’un méga fichier de renseignements personnels qui n’est pas nécessaire pour les fins que l’on souhaite atteindre.

Une autre question fondamentale pour les patients ne peut être passée sous silence. Comment maintenir la relation de confiance entre le professionnel de la santé et son patient si ce dernier craint que ses confidences puissent être révélées ? Dans ce cas, le patient cachera-t-il de l’information qui est essentielle pour qu’il puisse obtenir les soins requis ? De notre naissance à notre mort, des renseignements de santé sont colligés à notre sujet. Si nous souhaitons tous avoir accès à des soins de santé de qualité, peu d’entre nous souhaitent perdre pour autant le contrôle sur la circulation de l’information qui nous concerne. D’autre part, les automatismes générés par un tel système de carte ne doivent pas amener une abdication du secret professionnel.

5 Chacun des organismes doit respecter des règles de confidentialité qui sont différentes.

7 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ L’avant-projet de loi sur la carte santé : un projet de loi qui porte surtout sur les fonctions et pouvoirs de la RAMQ

S’appuyant largement sur les technologies de l’information, l’avant-projet de loi suggère l’instauration d’une carte santé à microprocesseur obligatoire pour toutes les personnes assurées par la RAMQ. Cette dernière permettrait de vérifier en ligne l’admissibilité d’une personne aux services rémunérés par la RAMQ et pourrait également servir à exprimer un consentement lorsque ce dernier est requis pour l’inscription de renseignements ou la consultation du résumé de renseignements de santé. Les données du résumé des renseignements de santé ne seraient pas inscrites sur la carte. Elles seraient colligées dans un fichier détenu par la RAMQ.

Une carte d’habilitation, elle aussi munie d’un microprocesseur, serait délivrée par la RAMQ aux intervenants du secteur de la santé et des services sociaux abonnés à l’infrastructure à clés publiques gouvernementale. Cette carte serait pourvue de clés et du certificat d’identité de signature numérique. La gestion de ces clés et certificats serait assumée par la RAMQ. Tant la carte santé que la carte d’habilitation favoriseraient une plus grande circulation des renseignements de santé. Plus de 200 000 intervenants pourraient détenir une carte d’habilitation.

Serait également créé, par la RAMQ, un résumé des renseignements de santé pour toute personne détenant une carte santé. Ce résumé contiendrait diverses informations 6 permettant de prendre le patient en charge. Ce résumé, de plus en plus complet avec le temps, serait mis à jour par les professionnels de la santé y ayant accès.

S’ajoutent de nombreuses règles relatives au consentement des personnes concernées et à l’utilisation de ce résumé de renseignements de santé par les intervenants habilités. C’est ce résumé de renseignements de santé qui se retrouverait dans un méga fichier détenu et géré par la RAMQ et pour lequel la Commission a très sérieuses réserves.

De plus, cet avant-projet, malgré son titre, va beaucoup plus loin que le déploiement d’une carte santé, l’émission d’une carte d’habilitation pour les intervenants ou encore la création d’un résumé de renseignements de santé. Une lecture attentive du projet permet de constater que tant la carte santé que la carte d’habilitation pourront également donner accès à d’autres systèmes de

6 Avant-projet de loi, article 50. Ces renseignements sont : coordonnées du patient, des intervenants et des personnes à rejoindre, les allergies et les intolérances pouvant avoir une incidence sur la santé et la prise en charge, les vaccins reçus, les diagnostics confirmés et les antécédents personnels médicaux ou chirurgicaux, la médication, les résultats d’examens de laboratoire ou d’imagerie médicale, le groupe sanguin et l’historique transfusionnel, le port d’orthèses ou de prothèses, la présence d’implant métallique intra corporel, la présence d’un stimulateur cardiaque ou le port de lentilles cornéennes, le dons d’organes, le parcours de services, toute autre catégorie déterminée par règlement du gouvernement.

Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ données ou de renseignements personnels dont la RAMQ assume la gestion Commission aborde cette question fort inquiétante plus en détails ci-dessous.

L’avant-projet de loi prévoit également que le fichier d’identification des bénéficiaires (FIB) de la RAMQ, augmenté de nouveaux renseignements, serait accessible aux intervenants habilités qui pourraient également le mettre à jour.

Un autre répertoire, concernant cette fois les 200 000 intervenants du secteur de la santé et des services sociaux, serait créé et géré par la RAMQ 8 . Rimouski et Laval : des projets qui ne peuvent servir de comparables Ce que propose l’avant-projet de loi s’éloigne considérablement des projets pilote de cartes à microprocesseur réalisés de 1993 à 1995 dans la région de Rimouski et de 1999 à 2001 dans la région de Laval, projets que la Commission a suivis avec beaucoup d’attention.

Les règles de l’avant-projet de loi relatives au consentement de la personne concernée pour la collecte, l’utilisation ou la communication des renseignements ne peuvent d’aucune façon être comparées avec ces projets. À Rimouski, l’information de santé n’était inscrite que sur la carte santé, la présentation de cette dernière par le patient était obligatoire pour exprimer son consentement.

Tel ne serait plus le cas pour l’accès au résumé de renseignements de santé. En effet, un patient pourrait donner un consentement général pour l’inscription ou la consultation de données. Le résumé pourrait par la suite être consulté et complété, sans que la carte santé ne soit requise ou que le patient ne soit présent. Seule la personne ayant expressément mentionné son intention de consentir à chaque inscription ou à chaque consultation de son dossier devrait exhiber sa carte.

Les projets antérieurs ne comportaient pas non plus de volet administratif mais uniquement un volet clinique. N’étaient donc pas expérimentées des finalités relatives à l’admissibilité des personnes aux soins et services ni la juxtaposition de finalités administratives et cliniques.

Finalement, et c’est fondamental, les projets de Rimouski et de Laval n’impliquaient pas la création, la détention et la gestion, par la Régie de l'assurance maladie du Québec, d’une autre méga banque de données sur la santé de chacun des assurés.

7 Avant-projet de loi, articles 7 et 20. 8 L’accès au FIB et la création d’un répertoire des intervenants sont davantage commentés à la section 3.

8 7 . Le mémoire de la

9 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ Le projet réalisé dans la région de Laval, qui devait constituer un test majeur préalable au déploiement de la carte santé à l’ensemble du Québec, n’a pas été mené à terme. Sous réserve des constats qui ont pu être fait au moment le projet s’est terminé 9 , aucun rapport ne vient donc démontrer que la création d’un résumé de renseignements de santé, tel que l’envisage l’avant-projet de loi, est nécessaire, voire même utile, pour assurer une meilleure continuité dans les soins de santé dispensés aux Québécois et aux Québécoises.

*************** La Commission n’entend pas limiter ses commentaires aux seules questions soulevées par l’avant-projet de loi. Ce dernier doit en effet être évalué à la lumière des modifications majeures intervenues dans le réseau de la santé et des services sociaux au cours des dix dernières années. Les règles de confidentialité des renseignements de santé détenus par les établissements ou autres organismes sont tout aussi importantes que celles qu’entend appliquer la RAMQ. Le présent mémoire aborde donc les questions suivantes :

Quels sont les objectifs du projets de loi et pourquoi une carte santé ? Qui aura accès aux renseignements de santé ? Les règles de consentement pour la création d’un résumé de renseignements de santé, pour sa mise à jour ou pour la consultation des renseignements qui y sont contenus sont-elles valides ? Les mesures de sécurité mises en place sont-elles une garantie de confidentialité ?

Quel peut-être l’impact de la création, par la Régie de l'assurance maladie du Québec, d’un nouveau méga fichier de données concernant la santé des individus? La gestion par la RAMQ d’un nombre de plus en plus élevé de banques de données menace-t-elle la confidentialité des renseignements de santé ?

Pourquoi un nouveau cadre juridique pour l’ensemble du réseau de la santé et des services sociaux? Doit-on assurer les mêmes garanties de confidentialité à un renseignement de santé peu importe son détenteur ?

9 Dans son rapport d’évaluation sur le Projet vitrine PRSA-Carte santé, la Commission soulève des questions dont certaines sont abordées dans ce mémoire.

10 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ 1. Les nombreux objectifs de l’avant-projet de loi L’introduction des technologies de l’information à des fins multiples L’avant-projet de loi sur la carte santé précise qu’il vise à instaurer une carte santé qui serait délivrée à toute personne inscrite à la RAMQ et, pour celles qui y consentiraient, un résumé de renseignements de santé. Ce résumé serait accessible aux intervenants de la santé abonnés à l’infrastructure à clés publiques gouvernementale, qui détiendraient une carte d’habilitation et le profil d’accès requis.

Largement soutenus par l’utilisation des technologies de l’information, ces trois nouveaux outils permettraient, nous dit l’article 2, de faciliter l’atteinte de plusieurs objectifs : soutenir le travail des professionnels de la santé et des services sociaux, permettre aux patients, dans certains cas, d’exprimer un consentement pour l’accès à leur résumé de renseignements de santé, supporter l’organisation des soins et des services de première ligne et permettre, à la RAMQ, de moderniser la gestion des régimes d’assurance publics dont elle a la responsabilité.

Le résumé de renseignements de santé des patients, qui retient particulièrement l’attention, a des finalités bien particulières. Tel que le mentionne l’article 44 de l’avant-projet de loi, « le résumé des renseignements de santé d’une personne vise à fournir aux intervenants habilités de l’information pertinente, résumée, intégrée, organisée et à jour afin de faciliter la prise de connaissance rapide des renseignements de santé d’une personne au moment de sa prise en charge ou lors de la dispensation des services nécessaires à la continuité des services de santé et de services sociaux fournis par les intervenants.».

Contrairement à ce que peut laisser entendre le titre de l’avant-projet de loi, ce dernier va bien au-delà de la description d’un simple déploiement d’une carte santé, d’une carte d’habilitation ou encore de la création d’un résumé de renseignements de santé. En effet, tel que le précise l’article 2, ces deux cartes ouvriraient également la voie à

la mise en place des infrastructures et des services communs d’échange sélectif et sécurisé de l’information;

la mise en place des réseaux intégrés de soins et des corridors de service entre les établissements de santé, les pharmacies, les cliniques médicales, les laboratoires…

le soutien de la gestion du système de santé et des services sociaux. En outre, l’avant-projet de loi prévoit que la carte santé peut emmagasiner de l’information numérisée et donner également accès à des systèmes de données ou de renseignements personnels dont la Régie de l'assurance maladie du Québec assume la gestion. On s’éloigne donc

11 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ ici d’une carte santé qui permettrait uniquement d’exprimer un consentement pour donner accès à un résumé de renseignements de santé ou à vérifier l’admissibilité d’une personne aux services.

La portée de l’avant-projet de loi est donc beaucoup plus large que ne le laisse entendre une première lecture. Mise en place d’une infrastructure de l’information, soutien de la gestion du système de santé, application télématique ou informatique, accès à des systèmes de renseignements existants ou à venir détenus par la RAMQ : autant d’éléments qui permettent de jeter les jalons d’un nouveau mode de gestion décloisonné des renseignements de santé ou de nature administrative dans l’ensemble du réseau de la santé et des services sociaux.

Inutile de préciser que la confidentialité des renseignements de santé est étroitement liée au mode de gestion de ces derniers. Or, la Commission croit que les orientations de l’avant-projet de loi pourraient entraîner des surprises insoupçonnables pour l’instant. À cet égard, aucune analyse de risque ne semble avoir été faite.

En limitant le débat au déploiement d’une carte santé, d’une carte d’habilitation et de la création d’un résumé de renseignements de santé, nous passerions à côté d’une question encore plus fondamentale : comment projète-t-on traiter les renseignements de santé détenus par les organismes du réseau de la santé et des services sociaux ? Quels rôles la Régie de l'assurance maladie du Québec sera-t-elle appelée à jouer? Quelles seront les responsabilités des divers acteurs du réseau : ministère, régies régionales, établissements, cliniques privées, pharmacies, laboratoires…?

Ces questions n’ont rien de nouveau et ont été soulevées par bien d’autres acteurs que la Commission au cours des dernières années. Discuter de l’avant-projet de loi en faisant fi de ces dernières n’aurait rien de rassurant pour la confidentialité des renseignements de santé. Il semble difficile de déterminer les règles de confidentialité que devrait respecter la Régie de l'assurance maladie du Québec sans pour autant connaître celles que devront respecter les autres organismes du réseau qui détiennent des renseignements de même nature. Il ne faut pas ignorer qu’il y aura duplication de dossiers : les données du résumé de renseignements de santé se retrouveront dans le dossier local et des données du dossier local seront inscrites dans le résumé de renseignements de santé détenu par la RAMQ.

La carte santé : nécessaire pour des fins cliniques ? L’un des volets majeurs de l’avant-projet de loi concerne la création d’un résumé de renseignements de santé pour les personnes assurées. L’ensemble des résumés serait détenu par la Régie de l’assurance maladie dans une nouvelle banque de données dédiée à cette fin. Pour y accéder, un intervenant devrait obligatoirement utiliser sa carte d’habilitation qui permettra entre autres de certifier son identité, d’assurer les fonctions de signature électronique, d’authentifier la carte, de protéger les renseignements auxquels la carte donnera accès. Pour avoir accès à

12 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ l’ensemble ou à une partie des renseignements inscrits dans le résumé, l’intervenant devra aussi détenir un profil d’accès. Ainsi, un médecin, un infirmier, un pharmacien pourraient avoir des accès différents déterminés en fonction des renseignements qui sont nécessaires à l’exercice de leurs fonctions. Il en va de même pour les psychologues, travailleurs sociaux ou autres professionnels de la santé 10 . Selon la Commission, le choix des mesures de sécurité, même les plus éprouvées, ne suffit pas pour justifier la création d’une nouvelle banque de données sur la santé. Préalablement au choix de ces mesures, il faudrait d’abord poser la question suivante : quels services un organisme, public ou privé, entend-il offrir aux citoyens ? Quels renseignements devraient être recueillis à cette fin ? Quelle technologie choisir pour assurer l’accès aux renseignements requis, tout en assurant la confidentialité et la sécurité de ces derniers. La réponse à ces questions est d’autant plus importante lorsque la collecte de renseignements sensibles vise l’ensemble des citoyens. Les technologies de l’information, telles les cartes à microprocesseur, sont des outils qui peuvent assurer la sécurité des renseignements personnels, mais elles ne justifient pas en soi la collecte de renseignements personnels.

La création d’un résumé de renseignements de santé a pour objectif de faciliter la prise de connaissance de ces renseignements pour assurer la continuité des services de santé et des services sociaux fournis par les professionnels. La Commission ne remet pas en cause la légitimité de cet objectif. En effet, plusieurs professionnels de la santé espèrent une amélioration de l’accès aux renseignements de santé qui leur sont nécessaires pour l’exercice de leurs fonctions.

Toutefois, la procédure imaginée par l’avant-projet de loi est-elle celle qui met le moins en péril la protection des renseignements de santé ? Doit-on obligatoirement créer une méga banque de données de santé dont la gestion serait confiée à la Régie de l'assurance maladie du Québec ? Cette méga banque favorisera-t-elle vraiment un meilleur accès aux renseignements de santé ? Améliorera-t-elle la qualité des soins de santé? La centralisation de l’information est-elle nécessaire alors que la très grande majorité des soins de première ligne sont dispensés dans la localité réside le patient?

En effet les statistiques de la RAMQ nous apprennent que 92% des coûts normalisés des services médicaux offerts par les omnipraticiens sont rendus à des personnes venant de la région ces services sont dispensés. Pour les médecins spécialistes, ces coûts sont de 80% 11 .l 10 À cet égard, l’avant-projet de loi est plutôt laconique et laisse en plan de nombreuses questions reliées aux profils d’accès.

11 Régie de l'assurance maladie du Québec, Données statistiques, Services médicaux, 2000, tableau 2.01

13 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ En outre, le rapport de la Commission Clair précise que les cabinets qui ont des effectifs médicaux reçoivent à peu près 80% des consultations médicales courantes 12 . Ce rapport formule d’ailleurs la recommandation suivante : « Que l’organisation d’un réseau de 1 re ligne constitue l’assise principale du système de services de santé et de services sociaux; Que ce réseau soit formé à partir de la double réalité actuelle des CLSC et des cabinets de médecins 13 Pour compléter cette recommandation, le Rapport propose également que le volet médical de ce réseau de première ligne soit assumé par des Groupes de médecine de famille, composés de médecins omnipraticiens travaillant en groupe, en cabinet ou en CLSC, avec la collaboration d’infirmières cliniciennes ou praticiennes 14 . Pour optimiser les chances de succès de ces Groupes de médecine de famille, il est aussi recommandé de favoriser en priorité l’informatisation et le raccordement au réseau de télécommunications sociosanitaires (RTSS) 15 . Ce modèle de Groupe de médecine de famille suggéré par la Commission Clair ne pourrait-il pas constituer un milieu approprié pour explorer plus à fond les technologies de l’information ? Ne serait-il pas possible que l’information soit consignée à un seul endroit et que puissent circuler par voie électronique les seuls renseignements qu’un professionnel de la santé souhaite obtenir ?

Répondre à cette question n’est pas un simple exercice de l’esprit. Moins de renseignements colligés, moins de centralisation de ces derniers et moins de banques de données seront toujours les meilleures garanties de protection des renseignements personnels. Et en cas de bris de confidentialité, les dommages pourront être atténués.

2. Accès, sécurité, confidentialité, consentement : des règles qui rassurent ou qui soulèvent encore plus de questions ?

L’accès aux renseignements L’avant-projet de loi prévoit que tout intervenant habilité, ayant un profil d’accès approprié pourra, en utilisant sa carte d’habilitation, et s’il est muni du consentement d’un patient, avoir accès aux renseignements contenus dans le résumé de renseignements de santé détenu par la Régie de l'assurance maladie du Québec.

12 Rapport de la Commission Clair, op.cit., note 3, p.44. 13 Id., p. 43. 14 Id., p. 52. 15 Id., p. 53.

14 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ Qui pourra être un intervenant habilité et avoir accès aux résumés de renseignements de santé? L’avant-projet de loi établit la liste des personnes qui pourront avoir la qualité d’intervenants et pourront détenir une carte d’habilitation. La liste est longue et non limitative puisque le gouvernement pourra toujours, par règlement, y ajouter d’autres catégories de personnes. Un profil d’accès devra en outre être défini pour chaque groupe d’intervenants qui aura accès au résumé de renseignements de santé.

Un profil d’accès est habituellement établi pour chaque personne ou groupe de personnes afin de déterminer quelles catégories d’information peuvent lui être communiquées. Par exemple, une secrétaire n’aura pas le même profil d’accès qu’un infirmier.

Les groupes d’intervenants reconnus par l'avant-projet de loi seraient les suivants 16 : Les médecins, pharmaciens, dentistes ou optométristes; Les infirmières ou infirmiers ou tout professionnel dont l’exercice de la profession est régi par le Code des professions, soit une vingtaine de groupes 17 ; Un étudiant en médecine, en pharmacie ou en soins infirmiers ou une personne en stage de formation professionnelle;

Un préposé, un agent ou un mandataire d’un intervenant qui est médecin, pharmacien, dentiste ou encore optométriste;

Un préposé, un agent ou un mandataire d’un dispensateur de biens ou de services visés à la Loi sur l’assurance maladie 18 ou un d’un programme dont la gestion est confiée à la RAMQ; Un préposé, un agent ou un mandataire d’un titulaire d’un permis de laboratoire; Un ambulancier; Un préposé, un agent ou un mandataire d’un établissement public ou privé conventionné; Un préposé, un agent ou un mandataire de la Régie de l'assurance maladie du Québec. 16 Avant-projet de loi, article 4. 17 L.R.Q., c. C-26, Annexe 1. 18 L.R.Q., c, A-29.

15 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ Toutes ces personnes ou groupes de personnes pourront avoir accès au résumé de renseignements de santé, selon le profil d’accès qui leur aura été reconnu. L’avant-projet de loi ne permet toutefois pas de savoir quelles catégories d’informations seront reliées à chacun des profils. Les intervenants n’auront-ils accès qu’aux seuls renseignements nécessaires à l'exercice de leurs fonctions. Ainsi, un ambulancier aurait-il accès à l’ensemble ou à une partie seulement du résumé des renseignements de santé ?

16 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ Malheureusement, l’avant-projet de loi n’offre aucun indice qui permettrait de connaître quels seront les profils d’accès reconnus aux intervenants habilités. Tout au plus l’article 26 indique-t-il que les profils d’accès qui peuvent être attribués aux intervenants pour leur permettre d’accéder aux résumés de renseignements de santé ainsi que les règles d’accès qui y seront rattachés seront déterminés conformément aux normes prévues par règlement du gouvernement. En fixant ces normes, le gouvernement devra tenir compte de la qualité de l’intervenant, de ses fonctions ou des lieux il les exerce et selon que l’intervenant exploite ou non un cabinet de professionnel.

Ainsi, l’avant-projet de loi met en place une technologie complexe faisant appel à des cartes santé, des cartes d’habilitation, à une infrastructure à clés publiques, à la création de méga banques de données d’identification ou de renseignements de santé concernant les patients et à des mesures de sécurité détaillées sans que l’on ne puisse savoir qui aura accès à quoi puisque les profils d’accès devront éventuellement être déterminés par le gouvernement.

Ce silence, considère la Commission, est un obstacle majeur à la création d’un résumé de renseignements de santé. De plus, l’adoption de règles d’accès permettant de déterminer des profils d’accès devrait relever de la compétence des parlementaires et non uniquement de celle du gouvernement.

Il faut reconnaître que l’avant-projet de loi précise certaines règles de confidentialité particulières. Tel est le cas pour les employeurs ou assureurs qui n’auront pas de droit d’accès aux résumés des renseignements de santé, même avec le consentement de la personne concernée. En outre, les préposés, agents ou mandataires des régies régionales, du ministère de la Santé et des Services sociaux et des ordres professionnels ne pourront avoir des profils d’accès donnant la possibilité d’accéder aux résumés de renseignements de santé.

Pour les autres intervenants, sera-t-il possible d’établir pour chacun d’eux des profils d’accès qui soient précis? Plus des profils d’accès sont établis pour un grand nombre de personnes, plus ces profils perdent de leur granularité, c’est-à-dire qu’ils deviennent généraux et imprécis. Par exemple, l’avant-projet de loi semble permettre qu’un médecin puisse avoir accès au résumé de renseignements de santé de toute personne qui a donné un consentement général, peu importe le lieu de consultation et sans que cette dernière ne soit présente. Pourrait-il y avoir un seul profil d’accès pour l’ensemble des professionnels de la santé ? Un ambulancier aura-t-il accès aux mêmes renseignements qu’un médecin ?

17 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ Les mesures de sécurité : suffisantes pour aller de l’avant? L’avant-projet de loi prend grand soin d’inclure nombre de dispositions qui imposent à la RAMQ le respect de règles de sécurité qui limiteraient l’accès aux renseignements de santé. Il prévoit aussi que les cartes d’habilitation des intervenants permettent de certifier l’identité du titulaire de la carte, d’assurer l’intégrité des documents et des échanges électroniques et d’assurer l’irrévocabilité de l’attribution d’une action, d’un échange électronique ou d’un document à son auteur.

Toutefois, il ne faut pas confondre sécurité et confidentialité. Les mesures de sécurité permettent de limiter l’accès aux renseignements mais encore faut-il savoir qui peut ou ne peut pas avoir accès aux renseignements. Or, comme nous l’avons mentionné ci-dessus, l’avant-projet de loi ne fixe pas les droits d’accès. Les mesures de sécurité auront peu d’effet si l’accès aux renseignements est exercé par des personnes qui n’y ont pas droit.

Toutes les règles de sécurité, de confidentialité et les grands principes de protection des renseignements personnels décrits dans l’avant-projet de loi suffisent-ils pour nous rassurer ? La Commission ne le croit pas dans la mesure il est impossible de prouver que la création d’une méga banque de données est la seule solution pour offrir de meilleurs soins et services de première ligne.

Le consentement des personnes concernées : des règles complexes et imprécises Les règles d’obtention du consentement de la personne concernée lèvent-elle toute ambiguïté quant à la légitimité des mesures suggérées par l’avant-projet de loi pour la création et la gestion du résumé de renseignements de santé ?

Il est vrai que le consentement d’une personne pour la collecte, l’utilisation et la communication des renseignements qui la concernent est un principe fondamental des règles de protection des renseignements personnels et de la vie privée. Et l’avant-projet de loi y fait maintes fois référence : possibilité de consentir pour la création d’un résumé de renseignements de santé, pour l’ajout d’une information, pour la désignation de personnes qui peuvent y avoir accès, possibilité d’obtenir le retrait d’une information…

Mais l’obtention d’un consentement ne légitime pas pour autant la collecte de renseignements qui ne sont pas nécessaires pour atteindre une fin précise. Tout comme pour les règles de sécurité, la question du consentement ne devrait se poser que s’il est nécessaire de colliger des renseignements de santé sur une personne.

18 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ S’il était démontré que la création d’un méga fichier regroupant des résumés des renseignements de santé était nécessaire, alors seulement la question de l’obtention et de la validité du consentement devrait être vérifiée.

Quoique fondamental, le consentement n’est pas une recette magique qui permet de régler tous les problèmes soulevés par la gestion des renseignements personnels. Obtenir un consentement n’est pas une police d’assurances qui couvre toute manipulation des renseignements personnels.

Pour être valide, un consentement doit regrouper les qualités suivantes : il doit être libre, éclairé, limité dans le temps et donné à des fins spécifiques.

Or, l’avant-projet de loi prévoit qu’au moment du remplacement de la carte d’assurance maladie par la carte santé, le résumé de renseignements de santé d’une personne sera automatiquement créé. La personne qui refuse cette création devra expressément le signifier en complétant le formulaire de la RAMQ (règle de l’opting out). En cas de silence, il sera alors présumé qu’il y a eu consentement pour la création d’un résumé 19 . L’information pertinente pour exercer un choix éclairé serait jointe au formulaire.

Les critères de validité du consentement sont-ils rencontrés ? Nous en doutons. Pour autoriser la constitution d’un dossier aussi sensible que celui du résumé de renseignements de santé, il faudrait à tout le moins qu’une personne manifeste expressément son consentement. La Commission a beaucoup de difficulté à reconnaître qu’un silence peut constituer un consentement libre et éclairé pour la création d’un résumé de renseignements de santé conservé de surcroît dans un fichier centralisé détenu à l’extérieur de l'établissement les renseignements ont été recueillis. À cet effet, l’exigence d’un consentement écrit apparaît essentielle (règle de l’opting in).

Quant au consentement à l’inscription de données ou à la consultation du résumé de renseignements de santé, l’avant-projet de loi soulève davantage de questions qu’il n’apporte de solutions.

Avant qu’un renseignement ne soit inscrit dans le résumé, le patient devra y consentir. Ce consentement pourra être donné à chaque fois. Toutefois, ce dernier pourra aussi être général et préalable. Dans ce cas, tout intervenant habilité pourra inscrire tous les renseignements et à toutes les occasions des services seront dispensés 20 . 19 Avant-projet de loi, article 47. 20 Id., article 54.

19 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ Le consentement à la consultation du résumé des renseignements de santé pourra lui aussi être général et donné préalablement une seule fois pour autoriser l’accès à un ou plusieurs intervenants désignés qui pourront consulter tous les renseignements, à toutes les occasions des services seront dispensés 21 . Est-il possible d’obtenir un consentement valide sans préciser aux individus que ces renseignements seront centralisés auprès d’un organisme public à qui l’État confie de plus en plus des responsabilités de gestionnaire de fichiers de renseignements de santé ? Les conditions dans lesquelles seront conservés les renseignements, les possibilités d’utilisation, les règles de couplage de données et de communication, avec ou sans consentement, ne doivent-elles pas être clairement expliquées aux personnes concernées ?

3. La Régie de l'assurance maladie du Québec : un rôle de gestionnaire de fichiers de renseignements de santé bien défini ?

Difficile d’analyser l’avant-projet de loi sans tenir compte de la situation actuelle à la Régie de l'assurance maladie du Québec au chapitre de la gestion des banques de données.

Un actif informationnel impressionnant Présentement, la RAMQ détient, à titre d’assureur, des banques de données contenant des millions de renseignements sur les patients et les professionnels de la santé. Ainsi, le fichier des bénéficiaires contient des données sur 7,4M de Québécois et le fichier des professionnels de la santé comporte des renseignements au sujet de 25 000 médecins, dentistes, pharmaciens et optométristes. À cette information, il faut ajouter le fichier des services médicaux avec plus de 80 millions d’entrées par année et celui des services pharmaceutiques qui lui en comporte plus de 50 millions 22 . Depuis quelques années, la RAMQ s’est vue confiée la gestion de nouvelles banques de données n’ayant aucun rapport avec les services qu’elle rend à titre d’assureur. Tel est le cas pour le fichier Med-Écho (données nominatives concernant les hospitalisations), le fichier hygiène mentale (données sur la clientèle des établissements à vocation psychiatrique), le fichier des tumeurs (données reliées aux cas de tumeurs malignes) et le fichier DRG (regroupement de diagnostics d’hospitalisation).

21 Id., article 55. 22 Ministère de la Santé et des Services sociaux, Le système de santé et de services sociaux, une image chiffrée. Décembre 2001, pp. 85 et 91.

20 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ Le fichier des résumés de renseignements de santé viendrait donc s’ajouter à toutes ces banques de données. En outre, la RAMQ souhaite, dans les mois ou les années à venir, se voir confier la gestion de nombreuses banques de données relatives à la santé des individus.

21 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ Outre ce fichier, l’avant-projet de loi prévoit la création, par la RAMQ, d’une nouvelle banque de données concernant cette fois 200 000 intervenants du réseau de la santé. La RAMQ, à titre de gestionnaire des clés et des certificats, établirait et tiendrait à jour un Répertoire des intervenants qui auront formulé une demande d’abonnement à l’infrastructure à clés publiques gouvernementale 23 . L’avant-projet de loi instaure également un service d’identification non équivoque des patients. La RAMQ ouvre ainsi l’accès à son Fichier d’identification des bénéficiaires à tous les intervenants autorisés. Les points de service du réseau pourront ainsi obtenir de la RAMQ les renseignements d’identité d’un patient à partir du numéro d’assurance maladie. Un module de recherche sera aussi mis à leur disposition afin d’interroger le fichier d’identification de la RAMQ à partir d’une ou plusieurs informations. Aussi, la RAMQ offrira aux établissements la possibilité de mettre à jour leurs index locaux à partir du Fichier d’identification des bénéficiaires. Un accès direct à ce fichier sera donc rendu possible, alors que l’accès à ce dernier a toujours été très limité. En multipliant le nombre d’utilisateurs, on augmentera ainsi les risques de divulgation 24 . Le Plan stratégique 2001-2004 de la RAMQ souligne la richesse de son actif informationnel sociosanitaire. Il y est également fait mention que «l’exploitation analytique de ces données et la qualité des informations fournies constituent des sources essentielles sur lesquelles s’appuient l’orientation et la gestion des soins de santé et des services sociaux.» De plus, ajoute ce document, « Outre la RAMQ elle-même, les principaux utilisateurs de son actif informationnel sont le ministère de la Santé et des Services sociaux, les régies régionales, les fédérations ou associations professionnelles de la santé, les ministères et organismes gouvernementaux, les chercheurs et les autres acteurs du secteur de la santé et des services sociaux».

Ainsi, les orientations stratégiques de la RAMQ visent à développer des services informationnels pour accroître le taux d’utilisation de cet actif national tout en rendant publiques certaines études et analyses. Toujours selon le Plan stratégique, «le développement des services informationnels se ferait au moyen d’un plan d’affaires définissant la clientèle, les besoins à combler, les produits et services à offrir et les zones affectées aux différents types de relations (clients-fournisseurs ou partenariat). Ce plan d’affaires permettrait de structurer l’offre de services informationnels de la RAMQ en fonction des besoins des clients et des moyens dont elle dispose.» En conséquence, la RAMQ entend accroître, d’ici 2004, de 15% le taux d’utilisation de son actif informationnel.

23 Avant-projet de loi, article 37. 24 Id., article 113.

22 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ Bien sûr, la RAMQ entend prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger son actif informationnel, tout comme elle gère l’accès à cet actif selon les critères les plus stricts. À cet égard, le passé de la RAMQ ne permet pas de douter de sa compétence.

La centralisation de l’information : un danger potentiel ? Toutefois, nous pouvons difficilement demeurer insensible au rôle de gestionnaire de banque de données que développe de plus en plus la RAMQ. Même si ce dernier est prévu par la Loi sur la Régie de l’assurance maladie, il soulève néanmoins nombre d’interrogations. L’actif informationnel de la RAMQ s’est constitué petit à petit au cours des dernières années. Rappelons qu’au moment de sa création, la RAMQ gérait trois programmes alors qu’elle en gère maintenant plus de 40. Cet actif atteint maintenant une telle concentration de données de santé, qu’on ne peut ignorer les risques de fuites qui s’accroissent au fur et à mesure que des banques de données sont confiées à la RAMQ. Et il ne fait pas de doute que la RAMQ entend, au cours des prochaines années, augmenter encore son actif informationnel.

Il ne s’agit pas de nier ici l’importance du mandat que doit exercer la RAMQ et le rôle que peut jouer à cet effet une information de qualité. Nul ne conteste en effet que le réseau de la santé et des services sociaux doit modifier ses façons de faire afin de relever les défis qu’imposent par exemple le vieillissement de la population et la croissance des coûts des soins et services offerts à la population.

Mais pour atteindre cet objectif doit-on nécessairement centraliser l’information de santé à la RAMQ. Chaque nouvelle banque de données dont la gestion est confiée à la RAMQ augmente les risques de bris de confidentialité. Les finalités à l’origine de la création de ces banques seront-elles détournées ? Serviront-elles à des fins de contrôle ? Les couplages de données se multiplieront-ils ? Dans quelles mesures et selon quelles modalités ces renseignements seront-ils communiqués à des fins de recherche ? Les développements encore à venir des technologies de l’information offriront-ils de nouvelles possibilités d’exploitation des données et de nouveaux risques de fuites des renseignements ?

L’avant-projet de loi reconnaît cette difficulté et interdit l’utilisation du résumé des renseignements de santé par la RAMQ à des fins de contrôle de l’utilisation que fait une personne des services de santé et des services sociaux, de contrôle de la pratique professionnelle d’un intervenant, de gestion des plans régionaux des effectifs médicaux ou pour toute autre fin administrative.

Les garanties de confidentialité : immuables dans le temps ? Ces garanties de confidentialité ne sont pas pour autant éternelles. L’augmentation des coûts engendrera-t-elle suffisamment de pression pour que l’on passe outre à la garantie de

23 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ confidentialité ? Introduira-t-on une dérogation qui semble impossible aujourd’hui mais qui demain semblera tout à fait acceptable ?

24 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ Des exemples concrets démontrent que cette crainte n’est pas une hypothèse sans fondement. En fait, plus les technologies de l’information facilitent la circulation des renseignements et les échanges électroniques, plus les banques de données prennent de la valeur pour ceux qui souhaitent y avoir accès.

Adoptée en 1970, la Loi sur l'assurance maladie prévoit, à son article 63, que les membres, les fonctionnaires et les employés de la RAMQ ne doivent pas révéler, autrement que suivant l'article 308 du Code de procédure civile, un renseignement obtenu pour l'exécution de la présente loi.

Au fil des années, et grâce à la collecte d’un grand nombre de données pour la gestion de ses programmes, la RAMQ a mis en place des banques de données créant la convoitise de nombreux organismes ou individus. Ainsi, depuis 30 ans, de très nombreuses exceptions au principe le l’interdiction de communiquer des renseignements détenus par la RAMQ reconnu par l'article 63 ont été introduites dans la Loi sur l’assurance maladie. Ces modifications étaient-elles justifiées? Pour bon nombre d’entre elles, la Commission d'accès à l'information a donné des avis favorables. Chaque cas qui lui était présenté pour avis semblait en effet justifié ou n’ayant pas d’impact véritable sur la protection des renseignements personnels.

Autre exemple bien connu de tous. L’article 69 de la Loi sur le ministère du Revenu reconnaît, pour des fins d’autodéclaration et d’autocotisation, un secret fiscal. Or, depuis 10 ans, plusieurs amendements ont considérablement diminué la portée de ce secret. aussi il aurait été impensable, il y a dix ans, de croire à l’adoption d’autant d’exceptions.

Il ne faut donc pas croire que les règles de confidentialité prévues pour les banques de données seront immuables dans le temps. Tel que nous l’avons déjà mentionné, voilà pourquoi il importe, avant la création de toute banque de données de renseignements de santé et la centralisation de son information, d’en établir la nécessité.

La centralisation de l’information : plus sécuritaire ? Sans lancer un vaste débat sur les avantages et les inconvénients d’une architecture de l’information centralisée, distribuée ou décentralisée, il faut rappeler que malgré les mesures de sécurité offertes par la RAMQ pour les renseignements du résumé, ces derniers seront constitués d’information émanant de dossiers locaux, qui eux continueront d’être protégés par le niveau local de sécurité. La sécurité mise en place par la RAMQ ne fera donc pas augmenter le niveau global de sécurité des renseignements de santé au Québec.

Les risques habituellement reconnus d’une centralisation de l’information ne peuvent être ignorés et se décrivent brièvement comme suit :

25 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ La centralisation augmente les risques de fuites, de divulgation et de détournement de finalités 25 ; Les méga banques de données suscitent la convoitise. Plus les bénéfices escomptés de l’accès à des renseignements confidentiels est grande, plus les moyens mis en place pour attaquer la sécurité de la banque de données seront importants;

Dans le cas de l’accès au résumé des renseignements de santé, le contrôle des accès sera complexe puisque la plupart des accès seront des accès externes;

Les profils d’accès seront particulièrement difficiles à déterminer à cause du nombre élevé d’utilisateurs et de groupes d’utilisateurs;

Il y aura augmentation des risque de détournement de finalités. À ce sujet, nous pouvons rappeler qu'au moment de la création du fichier Med-Écho, au début des années 1980, toutes les données sur les hospitalisations communiquées au ministère de la Santé et des Services sociaux devaient être dénominalisées sans aucune possibilité pour qui que ce soit, y compris le Ministère, de lier les informations au nom d’un patient. Quelles années plus tard, la Commission a découvert que le Ministère pouvait rendre les données de cette banque nominales. Et par la suite, des demandes d’autorisations pour avoir accès à ces données nominatives à des fins de recherche, d’étude ou de statistiques furent déposées à la Commission;

Une augmentation du risque total. Certains considèrent que la centralisation des données n’est pas nécessairement la solution la plus adaptée pour la communication en réseau et que la vulnérabilité est directement proportionnelle à cette centralisation. Plus les données sont centralisées, plus les conséquences d’une fuite de renseignements ou d’un accès injustifiés, risquent d’être élevées. Citons, à titre d’exemple, les événements récents survenus à la Société de l’assurance automobile du Québec, au ministère du Revenu et à la Sûreté du Québec.

25 Les facteurs de risques reliés plus particulièrement au résumé de renseignements de santé sont la codification universelle des informations de santé, l’utilisation d’un identifiant unique pour tous les patients (le numéro d’assurance maladie), la concentration de l’information et la duplication de renseignements de santé déjà consignés dans des dossiers locaux.

26 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ En dernier lieu, la Commission insiste sur les inquiétudes soulevées par le cumul de certains mandats confiés à la RAMQ : assureur et gestionnaire de nombreuses banques de données dont plusieurs d’entre elles sont sans rapport avec le mandat d’assureur. D’un point de vue éthique, est-il souhaitable qu’un assureur puisse également avoir accès à des renseignements de santé qui ne sont pas nécessaires à l’exercice de ce rôle ?

La RAMQ gèrera elle-même ses banques de données aux fins de son plan d’affaires, elle procédera aussi à des couplages, communiquera des renseignements dénominalisés à ses clients et fera de même lorsque des renseignements personnels pourront légalement être obtenus.

Même si la RAMQ respecte en tous points ses obligations de confidentialité imposées par la loi, que doit-on en penser si ces obligations découlent d’un cadre juridique nettement désuet et insuffisant ?

4. L’encadrement légal : désuet et insuffisant ? La confidentialité des renseignements de santé découle d’une multitude de règles prévue par la législation québécoise. La plus importante de ces règles est l’article 19 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Cette disposition impose le secret du dossier de santé détenu par un établissement et très peu d’exceptions y sont prévues 26 . Toutefois, la législation ne tient pas compte d’événements majeurs survenus au cours de la dernière décennie. Jamais le législateur n’a revu les règles édictées en 1991 lors de la refonte majeure de la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Le passage des renseignements de santé d’un support papier à un support informatisé et le virage ambulatoire se sont faits sans que l’on s’interroge sur l’impact de ces nouvelles façons de faire sur la gestion des renseignements de santé.

Ainsi, un renseignement détenu par un centre hospitalier ne peut être communiqué à un CLSC sans le consentement du patient si ces deux établissements n’ont pas été fusionné conformément à la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Le même renseignement pourra toutefois être communiqué par un centre hospitalier à un CLSC sans qu’un consentement ne soit obtenu si ces deux établissements ont été fusionnés.

26 Les seules dérogations sont les suivantes : la communication est possible si le patient y consent, sur l’ordre d’un tribunal ou d’un coroner ou si la Loi sur les services de santé et des services sociaux (mais seulement cette loi) le prévoit. Par exemple, il est possible de communiquer des renseignements du dossier de santé à des fins de recherche. Le ministre de la Santé et des Services sociaux n’a pas accès à ces renseignements, sous réserve de l’adoption d’un règlement autorisant l’accès à des renseignements bien précis.

27 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ La désuétude de la législation fait en sorte que de nombreux projets d’informatisation et de mise en réseau de l’information sont bien souvent à la limite de la légalité, quand ils ne sont pas illégaux. Par exemple, la loi interdit aux régies régionales un accès aux renseignements contenus dans le dossier de l’usager même si cet accès peut être requis à des fins d’entretien des systèmes informatiques. De plus, la circulation accrue de l’information et des échanges électroniques rendent les règles du consentement du patient pour la communication de cette information de plus en plus ambiguës.

Un exemple : Monsieur Gagnon se présente à l’urgence du centre hospitalier d’un grand centre urbain pour un accident cérébro-vasculaire. Après avoir stabilisé le patient, le médecin décide de le transférer dans un autre hôpital faisant partie du même établissement. Les renseignements contenus dans le dossier du patient suivent alors ce dernier sans qu’un consentement ne soit requis. Le même malheur frappe Monsieur Tremblay, qui lui réside en région. Il doit être transféré dans un centre hospitalier d’un grand centre. Cette fois le consentement du patient est requis pour que les renseignements du dossier puissent le suivre.

Au terme de leur hospitalisation, Messieurs Gagnon et Tremblay regagnent leur domicile et les CLSC respectifs de leur localité prennent la relève. Encore une fois, les règles de consentement pour l’obtention des renseignements nécessaires varieront pour les deux CLSC.

Toujours dans la période nécessaire à leur rétablissement, ces deux patients doivent consulter leur médecin de famille afin de se soumettre à des tests et à un suivi approprié. Si le médecin de famille de Monsieur Gagnon exerce en clinique privée, les règles de confidentialité seront déterminées par la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Si le médecin de famille de M. Tremblay travaille dans un CLSC ou un centre hospitalier, ces règles se retrouveront dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux.

Les tests demandés par le médecin de famille sont faits par un laboratoire public ? Ou par un laboratoire privé ? Encore les règles varieront selon l’organisme qui sera appelé à les réaliser.

Quelques années plus tard, une équipe de recherche souhaite réaliser une vaste étude sur les maladies cérébro-vasculaires. À cette fin, une collecte de renseignements de santé s’avère nécessaire pour évaluer les soins dispensés lors de la période d’hospitalisation et de la prise en charge du patient après cette période. Les renseignements de Monsieur Gagnon sont détenus par un établissement public ? Une demande d’obtention de renseignements de santé à des fins de recherche devra être obtenue auprès du directeur des services professionnels de l’établissement. Les mêmes renseignements concernant Monsieur Tremblay sont détenus par un autre organisme public, tel le ministère de la Santé et des Services sociaux ou la RAMQ ? Cette fois l’autorisation pour obtenir les renseignements devra être donnée par la Commission d'accès à l'information. Une autre partie des renseignements est détenue par une clinique privée ? La Commission devra autoriser la collecte de renseignements mais selon des règles établies par une autre loi.

28 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ Dans le cadre de l’administration de l’un de ses programmes ou dans le cadre de la gestion de ses fichiers, la RAMQ pourra elle aussi communiquer certains renseignements de santé concernant Messieurs Gagnon et Tremblay, dans le respect cette fois de la Loi sur l'assurance maladie du Québec.

Et tout cela sans oublier que les professionnels membres d’un Ordre doivent également respecter leur secret professionnel, conformément au Code des professions, à la loi constitutive de l’Ordre, le cas échéant, et à la réglementation qui s’y rattache.

Dans un tel salmigondis de règles, plus personne ne s’y retrouve. Pas plus les patients que les professionnels de la santé, voire même les organismes du réseau de la santé.

Dans un premier temps, il serait opportun, croit la Commission, de mettre de l’ordre dans la législation pour tenir compte entre autres des fusions d’établissements et du virage ambulatoire. Cet exercice permettrait d’établir les règles de confidentialité des renseignements de santé à la lumière de ces changements et, du même coup, prendre en considération les outils technologiques qui favorisent une meilleure circulation de l’information.

CONCLUSION Sans répondre aux attentes et aux besoins actuels au chapitre de l’informatisation des renseignements de santé, l’avant-projet de loi sur la carte santé propose des solutions qui pourraient ouvrir une grande brèche mettant en péril la confidentialité des renseignements de santé. En outre, ce texte comporte de nombreuses zones grises qui ne permettent pas de connaître avec exactitude les orientations qui sont privilégiées.

Le déploiement de la carte santé et de la carte d’habilitation, outre leur objectif de faciliter la création et l’utilisation d’un résumé de renseignements de santé, mettrait en place une technologie au potentiel immense pour la gestion et la communication de renseignements de santé. En effet, la possibilité qu’offrent ces deux cartes pour l’accès aux fichiers de renseignements que gère la RAMQ, ne peut pas nous laisser indifférents, d’autant plus qu’il est impossible pour l’instant de prévoir l’ampleur que pourraient prendre ces fichiers, les motifs qui autoriseraient leur consultation et l’utilisation qui en serait faite.

Quels accès directs seront autorisés aux administrateurs du réseau, aux professionnels de la santé, aux chercheurs ? À ce sujet, l’évaluation des risques n’est pas un simple exercice de style : manquer à cette obligation pourrait nous amener à un point de non-retour.

Encore une fois, la sensibilité des renseignements de santé mérite que le législateur accorde une attention toute particulière à leur protection.

29 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ La création de méga fichiers sur les renseignements de santé de l’ensemble de la population et la centralisation de cette information au sein d’un seul organisme public sont-elles nécessaires pour permettre aux professionnels de la santé d’avoir accès à l’information requise pour prodiguer de meilleurs soins à leurs patients ? La Commission d'accès à l'information ne le croit pas, d’autant plus qu’aucune démonstration de cette nécessité n’a été faite.

Toutefois, la Commission reconnaît qu’une meilleure circulation de l’information pourrait permettre aux professionnels de la santé d’assurer à leurs patients une meilleure continuité dans les soins. Tout comme elle considère que les technologies de l'information peuvent aider à l’atteinte de cet objectif. À cet égard, les cartes à microprocesseur peuvent sans doute servir d’outil pour l’expression d’un consentement par le patient ou encore d’outil assurant la sécurité de l’information lorsque des échanges électroniques se font. Mais se servir de ces outils pour la constitution de méga fichiers de renseignements ou pour leur consultation est une toute autre question.

Prenant en considération les nouvelles orientations suggérées par le rapport de la Commission Clair au sujet des Groupes de médecine familiale et le fait que la qualité de l'information de santé semble être un élément important à la réussite de ce projet, la Commission d'accès à l'information estime qu’il pourrait s’agir d’un terrain approprié pour introduire et évaluer les technologies de l’information.

Évidemment, il ne s’agit que d’une suggestion mais le fait que les Groupes de médecine de famille agissent au niveau local et que la très grande majorité des soins sont dispensés à ce niveau, démonstration pourrait être faite que la centralisation de l’information n’est pas nécessaire.

Par ailleurs, la Commission croit intéressant de suivre de près divers projets qui ont présentement cours ou en voie d’élaboration et qui s’attardent davantage à répondre à des clientèles bien ciblées.

La centralisation de l’information peut certes sembler une solution intéressante du point de vue économique et au niveau de l’accès à l’information par un plus grand nombre de personnes. Mais les lois de protection des renseignements personnels font toutes le même pari : le cloisonnement de l’information au sein de plusieurs organismes demeurera toujours la meilleure garantie de confidentialité et l’obstacle le plus approprié pour éviter que l'État ne puisse dresser des profils sur les individus ou autrement s’immiscer dans leur vie privée.

Ainsi, avant de prendre une décision quant aux orientations proposées par l’avant-projet de loi, des questions situées bien en amont devraient être abordées. Par exemple, afin d’éviter les contorsions que l’on observe actuellement pour tenter de tenir compte de règles désuètes, comment la législation pourrait-elle tenir compte des besoins du réseau au chapitre de la

30 Avis de la Commission d'accès à l'information concernant l’avant-projet de loi sur la carte santé au Québec __________________________________________________________________________________________ circulation des renseignements de santé ? Comment assurer la confidentialité des renseignements de santé dans le cadre de l’utilisation des technologies de l’information ?

Outre leur usage clinique, à quelles fins et à quelles conditions peuvent être utilisés ces renseignements: à des fins de recherche, à des fins administratives, à des fins commerciales ?

Traiter en vase clos des questions liées au déploiement de cartes à microprocesseur ou encore de la création d’un méga fichier sur les résumés des renseignements de santé de l’ensemble des Québécois et des Québécoises serait regrettable. D’autres solutions assurant une meilleure protection des renseignements de santé pourraient être ainsi mises de côté.

La Commission d'accès à l'information offre évidemment son soutien au réseau de la santé et des services sociaux pour la poursuite de la discussion et pour la détermination de solutions qui seraient tout à la fois respectueuses de la confidentialité des renseignements de santé et des réels besoins des professionnels du réseau de la santé pour un meilleur exercice de leurs fonctions.

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