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Montréal, le 15 mai 2020 Monsieur Monsieur Innovations Galilei 2 Ivanhoé Cambridge inc. 1250, rue Guy #600 1001, rue Square Victoria #C-500 Montréal (Québec) H3H 2L3 Montréal (QC) H2Z 2B5 Objet : Fonderie de linnovation dans le commerce au détail (FICD) Utilisation de la technologie danalyse de vidéo anonyme (AVA) N/Réf. : 1019951-S __________________________________________________ Messieurs, La Commission daccès à linformation (la Commission) a procédé à une enquête concernant lutilisation de la technologie danalyse de vidéo anonyme 1 (AVA) dans le cadre du projet pilote de la Fonderie de linnovation dans le commerce au détail (FIDC) à Place Ste-Foy à Québec, propriété dIvanhoé Cambridge 2 . Lintervention de la Commission avait pour but dévaluer si lutilisation de lAVA respecte le cadre législatif en matière de vie privée, particulièrement la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 3 . Considérant que le projet pilote a pris fin et que la technologie ne sera pas mise en place, la Commission ferme son dossier denquête. Toutefois, cette enquête contribuera aux travaux de la Commission visant à documenter le recours à cette technologie. Cest donc dans ce contexte que, sans conclure à la conformité ou non du projet au cadre législatif en vigueur, la Commission, après avoir résumé brièvement le projet, souligne certains enjeux de 1 Anonymous Video Analytics « AVA Technology ». 2 Ivanhoé Cambridge et la firme Galilei ont rencontré le personnel de la Commission pour leur présenter un projet pilote au centre dachats Place Ste-Foy, à Québec « La fonderie de linnovation dans le commerce de détail et la gouvernance responsable des données ». Un article paru dans le Journal de Québec et le Journal de Montréal a été publié en janvier 2019 sous le titre « La reconnaissance faciale mise à lessai ». 3 RLRQ, c. P- 39.1, la Loi sur le privé.
Dossier 1019951-S 2 vie privée et de protection des renseignements personnels susceptibles dêtre soulevés par lutilisation de la technologie AVA. PROJET-PILOTE DE LA PLACE STE-FOY Aux fins de la présente analyse, la Commission retient les éléments suivants de la documentation fournie. Lobjectif du projet-pilote de la FIDC est de développer de nouvelles technologies permettant aux détaillants de mieux comprendre les variables qui influencent le comportement et les besoins des consommateurs dans leurs magasins. Le projet est fondé sur la collecte de données, à laide de la technologie AVA, qui donneront aux commerces participants un aperçu global des consommateurs basé sur des attributs comme une estimation de lâge et du sexe 4 . La technologie AVA mise en place par la FICD est conçue pour extraire des informations entièrement anonymes. Les fichiers vidéo et images captés par lAVA ne sont pas conservés ni utilisés pour reconnaître lidentité des consommateurs. Les caméras dédiées à la captation AVA, sont situées à lavant de la porte du commerce et à lintérieur. Les images du visage de la personne captée par lAVA sont traitées de façon à extraire des informations anonymes concernant notamment lâge et le sexe. Ces informations sont fournies aux commerces participants après avoir été agrégées avec des données des détaillants et du gestionnaire du centre commercial, par exemple des données dachalandage et de transactions. Limage est conservée (24h. max), le temps dêtre traitées automatiquement. Aucune personne ne voit les images dans le cours du processus de transformation Évaluation des facteurs relatifs à la vie privée : Soulignons que dans le cadre de ce projet, la FIDC a effectué une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée (EFVP) 5 , dont le rapport a été fourni à la Commission. 4 Initialement, le projet prévoyait lévaluation de plusieurs autres attributs comme la réaction des consommateurs, sils tiennent des sacs et les marques de ces sacs. Ces paramètres ont été abandonnés au cours de lexpérimentation pour des considérations techniques. 5 Cette évaluation des facteurs relatifs à la vie privée est obligatoire dans plusieurs pays et dans certaines provinces canadiennes.
Dossier 1019951-S 3 Il sagit dune bonne pratique encouragée par la Commission avant de déployer un outil technologique ou une mesure qui implique la collecte, lutilisation ou la communication de renseignements personnels. Elle permet didentifier dès le début dun projet les enjeux en ces matières et dajuster la solution de manière à respecter la loi et à minimiser les impacts sur la vie privée. CADRE JURIDIQUE Même si la Commission ne se prononce pas sur la conformité ou non du projet au cadre législatif en vigueur, elle tient néanmoins à rappeler que la Loi sur le privé établit des règles relatives à la collecte, à lutilisation, à la détention et à la communication de renseignements personnels à loccasion de lexploitation dune entreprise. Renseignements personnels : La Loi sur le privé prévoit que tout renseignement qui concerne une personne physique et permet de lidentifier est un renseignement personnel 6 . Dans le cadre du projet, les renseignements collectés et utilisés sont les images du visage des clients captées par les caméras installées dans les couloirs du centre commercial et à lintérieur des magasins des commerçants participants. Ces renseignements sont des renseignements personnels puisque la vidéo brute contient de linformation qui permettrait didentifier une personne. Ce serait aussi le cas de tout renseignement inféré par lequel il serait possible didentifier une personne. Il sagit donc dune collecte de renseignements personnels au sens de la Loi sur le privé. Il est à noter que lentreprise souligne que le projet ne constitue pas de la reconnaissance faciale. En effet, une fois limage traitée, il nest plus possible didentifier la personne. Les caractéristiques biométriques estimant lâge et le sexe sont agrégées avec dautres informations de manière à anonymiser ces renseignements qui ne peuvent plus être utilisés pour identifier une personne. Cest notamment ce qui distingue lAVA de la reconnaissance faciale. La Commission souligne néanmoins quune caractéristique biométrique est un renseignement personnel puisquelle permet didentifier une personne. Par exemple, la Commission a décidé que même si une empreinte digitale est transformée en code par le biais dun algorithme, la caractéristique que lon qualifie de biométrique nen demeure pas moins un renseignement personnel à 6 Loi sur le privé, article 2.
Dossier 1019951-S 4 partir du moment cette caractéristique permet didentifier une personne physique 7 . Obligation dinformation : La Loi sur le privé prévoit quune entreprise qui recueille des renseignements personnels auprès de la personne concernée doit linformer, entre autres, de lobjet du dossier, de lutilisation qui sera faite des renseignements personnels, des personnes qui y auront accès au sein de lentreprise, de lendroit sera détenu le dossier ou encore de la possibilité dexercer un droit daccès ou de rectification 8 . Cette obligation sapplique quelle que soit la méthode par laquelle lentreprise recueille les renseignements personnels. Cette obligation sapplique donc à la présence de caméras et à la collecte de renseignements personnels qui en découle 9 . Dans le cadre du projet, lentreprise a mis en place différentes mesures. En plus de laffichage informant la clientèle du centre commercial du projet pilote, une brochure explicative et une lettre dinformation ont également été transmises aux employés des commerces participants et une vidéo expliquant la technologie utilisée a été déposée sur le site du centre commercial. De plus, puisquil sagit dun projet-pilote, un groupe de discussion avec des consommateurs a été tenu. La Commission tient à rappeler quen ce qui concerne laffichage dans les lieux, il est important de faire en sorte que les affiches soient visibles aux personnes circulant dans les lieux. Cette obligation prend toute son importance dans le fait que, sans être tout à fait à son insu, la collecte se fait sans le consentement explicite de la personne concernée qui a pour seul choix de ne pas aller près des commerces participants ou à lintérieur. Nécessité de la collecte de limage des personnes : Une entreprise qui entend collecter limage de ses clients doit justifier la nécessité de cette collecte. Pour ce faire, elle doit démontrer le caractère légitime, important et réel de cette collecte et la proportionnalité de latteinte à la vie privée quelle constitue en lien avec les objectifs quelle poursuit 10 . 7 Les 3 Pilliers Inc., CAI 1018507-S, 14 février 2020. 8 Loi sur le privé, art. 8. 9 Apple Canada inc. (Apple Store du Carrefour Laval), CAI 1008819, 29 novembre 2016. 10 Loi sur le privé, art. 5. Voir également Laval (Société de transport de la Ville de) c. X., [2003] C.A.l. 667 (C.Q.); Grenier c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, [2010] QCCQ 9397; Synergie Hunt International Inc. c. Trinque Tessier, 2017 QCCQ 13747.
Dossier 1019951-S 5 - Les objectifs poursuivis par lentreprise et leur caractère légitime, important et réel. Lappréciation de la nécessité de collecter un renseignement personnel se fait en fonction des objectifs poursuivis par lentreprise. En lespèce, lobjectif poursuivi est commercial et a pour but de développer un outil technologique permettant aux commerçants davoir un aperçu global des consommateurs basé sur des attributs comme une estimation de lâge et du sexe à partir dun outil technologique. Il sagit déléments permettant aux commerçants de mieux comprendre leur clientèle et dadapter leur commerce en conséquence. Il est légitime pour une entreprise commerciale davoir des objectifs de mise en marché ou de marketing et de vouloir mieux connaître et comprendre sa clientèle. En lespèce, lobjectif du projet pilote est de développer des nouvelles technologies afin « dapprofondir la compréhension des détaillants concernant les différentes variables qui influencent le comportement et les besoins des consommateurs dans leurs magasins ». Il sagit dun objectif commercial légitime pour des détaillants. On pourrait toutefois se questionner sur le caractère important et réel de lobjectif. En effet, le fait que le projet pilote a pris fin notamment au motif dune faible acceptabilité sociale et dune couverture médiatique plutôt négative permet de se questionner sur le caractère important et réel de la collecte de renseignements personnels aussi sensible que limage dune personne afin de développer un outil informatique danalyse commerciale. Et ce, même si la collecte est pour une très courte période. - La proportionnalité de la collecte pour répondre aux objectifs poursuivis. Latteinte à la vie privée que constitue la collecte de limage dune personne doit être minimisée et la collecte doit être nettement plus utile à lentreprise que préjudiciable à la personne concernée. En lespèce, les images captées sont utilisées pour déterminer approximativement certaines variables concernant les consommateurs, telles que lâge et le sexe des consommateurs. Une fois extraites, ces données sont enregistrées de manière agrégée sous la forme de fichiers numériques qui ne comportent ni images, ni vidéos des consommateurs. Limage est conservée (24h. max), le temps dêtre traitée. Aucune personne ne voit les images dans le cours du processus de transformation, puisquil ny a aucune utilité à faire cela aux fins du projet. Plus particulièrement, elles sont
Dossier 1019951-S 6 entreposées brièvement dans une mémoire temporaire, uniquement dans le but dextraire des attributs clés non identifiables comme le groupe dâge et le genre. Dès que le traitement des données est terminé, la captation vidéo est purgée 11 . Comme le souligne lentreprise dans son EFVP, les images sont colligées alors que les personnes circulent dans un lieu public lexpectative de vie privée est susceptible dêtre réduite. De plus, la collecte de renseignements personnels est dune très courte durée et lintérêt de la technologie AVA est lutilisation de données anonymisées et agrégées. Toutefois, la captation de limage dune personne dans ses déplacements demeure une pratique susceptible dêtre intrusive, selon les contextes. La proportionnalité de cette intrusion à des fins de marketing constitue donc un enjeu de vie privée et de protection des renseignements personnels central à évaluer dans ce type dinitiative. De plus, dans un projet utilisant la technologie AVA, avant de conclure à la proportionnalité de la collecte, la Commission devrait notamment pouvoir apprécier de tels éléments. Caractère anonyme des renseignements : Un renseignement peut être qualifié danonyme sil nest plus possible didentifier un individu, de manière irréversible, même en ayant recours à dautres informations ou techniques de réidentification. Néanmoins, la Commission rappelle que le caractère anonyme dun renseignement devrait faire lobjet dune réévaluation régulière puisqu'on ne peut anticiper actuellement les capacités de réidentification offertes par les progrès technologiques à venir. Les meilleures pratiques sont en évolution constante et une garantie danonymisation ne peut être offerte. Il sagit clairement dun enjeu de protection des renseignements personnels très important, surtout dans le contexte dun projet comme en lespèce ou à la lumière de technologies offrant de nouvelles capacités de réidentification comme lintelligence artificielle. Mesures de sécurité : La Commission rappelle que les mesures de sécurité 12 doivent être adéquates tout au long de processus de la collecte à la destruction des renseignements. 11 Informations tirées de lEFVP. 12 Loi sur le privé, art. 10.
Dossier 1019951-S 7 Conclusion Lutilisation de la technologie AVA implique une collecte de renseignements personnels. Dans ce contexte, comme la fait lentreprise, une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée est fortement recommandée. Elle permet dévaluer la nécessité de recueillir des renseignements personnels par le biais de cette technologie, de déterminer comment minimiser les conséquences sur la vie privée des individus et de sassurer de la conformité du projet dAVA avec la Loi sur le privé. Limplication des parties prenantes dans le cadre de cette évaluation, plus particulièrement des personnes directement concernées, est susceptible dapporter un éclairage fort pertinent, notamment sur la nécessité de la collecte des renseignements ou les risques que suscite le projet en matière de respect de la vie privée (ex. : attentes en matière de vie privée). Dans le présent projet, bien que les concepteurs aient déployé de nombreux outils de communication pour informer le public et la Commission du projet, la faible acceptabilité sociale et la couverture médiatique qui a été faite au sujet du projet ont justifié la décision de la FICD dabandonner le projet. Ce constat témoigne de la préoccupation des citoyens quant à lutilisation de leur image, même anonymisée, à des fins dévaluation marketing. Finalement, la Commission tient à souligner la collaboration de la FICD tout au long de cette enquête. «Original signé» M e Lina Desbiens Membre de la Commission, section surveillance
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