Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 1016883-S Nom de l’entreprise: Association des copropriétaires du Lowney II Date : 19 octobre 2020 Membre : M e Lina Desbiens DÉCISION ENQUÊTE en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé1. [1] La présente décision fait suite à l’enquête menée par la Commission d’accès à l’information (la Commission) à l’égard de l’Association des copropriétaires du Lowney II (l’Association). La Commission a reçu une plainte qui porte essentiellement sur le système de vidéosurveillance installé dans les espaces communs à caractère récréatif, particulièrement la caméra située sur la terrasse du Lowney II à laquelle les copropriétaires du Lowney I ont également accès par une passerelle. [2] Le 16 juillet 2020, la Commission a donné à l’Association, avis de son intention de lui ordonner de cesser de recueillir en continu les renseignements personnels des résidents et de leurs invités qui se trouvent sur la terrasse, notamment en repositionnant la caméra de manière à ne pas filmer en continu les personnes qui s’y trouvent. [3] Conformément à l’article 83 de la Loi sur le privé, l’Association a été invitée à fournir ses observations. Celles-ci ont été transmises à la Commission le 19 août 2020. CONTEXTE [4] Le Lowney II est un immeuble converti en copropriété en 2005-2006. Il est doté d’une terrasse sur le toit qui est accessible aux résidents du Lowney I et du 1 RLRQ, c. P-39.1, Loi sur le privé.
1016883-S Page : 2 Lowney II 2 . L’accès à la terrasse se fait à l’aide de cartes à puce permettant de connaître l’identité du propriétaire et l’heure exacte de son passage. [5] Le système de vidéosurveillance, comprenant 14 caméras, a été installé en 2009 ou 2010. La présente décision ne porte que sur la caméra installée sur la terrasse. [6] La caméra est fixe et munie d’un détecteur de mouvement. Elle enregistre en continu sans capter le son et sans possibilité de zoomer les images. Les images captées se conservent jusqu’à ce qu’elles soient écrasées par des nouvelles, soit environ pendant 9 mois. [7] À titre d’alternative à la vidéosurveillance, les administrateurs avaient réfléchi à la présence d’agents de sécurité. Toutefois, ils trouvaient la solution plus intrusive et plus coûteuse. ANALYSE [8] L’Association est une entreprise inscrite au Registraire des entreprises. Par conséquent, la Commission considère que l’Association exploite une entreprise au Québec et est ainsi assujettie à la Loi sur le privé. 3 [9] Cette loi établit des règles particulières pour une entreprise qui recueille, détient, utilise ou communique des renseignements personnels à l’occasion de son exploitation. Ces règles sont établies notamment pour protéger le droit à la vie privée, conformément à ce qui est prévu au Code civil du Québec4 et à la Charte des droits et libertés de la personne5. Renseignements personnels [10] La Loi sur le privé s’applique aux renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l’identifier 6 , et ce, quelle que soit la nature de leur support et la forme sous laquelle ils sont accessibles. [11] L’image d’une personne est considérée comme un renseignement personnel à partir du moment où l’identification de la personne est possible. À ce 2 Le Lowney I est un immeuble voisin qui est géré par une autre association de copropriétaire que le Lowney II. 3 Article 1 de la Loi sur le privé. 4 RLRQ, c. C-1991, articles 35 à 37 CcQ. 5 RLRQ, c. C-12, article 5. 6 Article 2 de la Loi sur le privé.
1016883-S Page : 3 titre, les images captées par la caméra de surveillance située sur la terrasse et accessibles sur les serveurs de l’immeuble qui permettent d’identifier les résidents et leurs invités, constituent un renseignement personnel. Nécessité de la collecte de renseignements personnels [12] La Loi sur le privé prévoit qu’une entreprise peut recueillir uniquement les renseignements personnels nécessaires à l’objet du dossier qu’elle constitue au sujet d’une personne, et ce, pour minimiser l’atteinte à la vie privée 7 . [13] Ainsi, une entreprise qui entend recourir à la vidéosurveillance pour collecter les images des résidents et de leurs invités qui se trouvent dans les espaces communs doit justifier la nécessité de cette collecte. Pour ce faire, elle doit démontrer le caractère légitime, important et réel de cette collecte et la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée qu’elle constitue quant aux objectifs qu’elle poursuit 8 . [14] Les éléments suivants doivent être considérés par la Commission lors de l’évaluation de la nécessité de la collecte de renseignements personnels par une entreprise : i. Quels sont les objectifs visés, les finalités poursuivies par la collecte des renseignements personnels? ii. En quoi la collecte des renseignements personnels permet-elle de répondre efficacement à ce besoin, d’atteindre ces objectifs? iii. L’entreprise a-t-elle envisagé d’autres moyens portant moins atteinte à la vie privée des personnes concernées pour atteindre ces objectifs? Si oui, pourquoi ces autres mesures ne permettent-elles pas d’atteindre ces objectifs? iv. L’entreprise a-t-elle mis en place des mesures visant à minimiser l’atteinte au droit à la vie privée des individus visés par cette collecte? Caractère légitime, important et réel [15] Il ressort de l’enquête que les objectifs ou finalités recherchés par la collecte de ces renseignements personnels sont d’augmenter la sécurité des résidents et de leurs biens ainsi que de dissuader la perpétration de crimes et d’infractions au règlement de l’immeuble. 7 Art. 5 Loi sur le privé. 8 Laval (Société de transport de la Ville de) c. X., [2003] C.A.I. 667 (C.Q.) ; Grenier c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, [2010] QCCQ 93.
1016883-S Page : 4 [16] L’Association a expliqué que plusieurs incidents se sont produits dans l’immeuble depuis la création de la copropriété. [17] Par exemple, l’Association explique qu’un feu important a eu lieu sur la terrasse du Lowney I avant que les caméras soient installées. N’eût été de la vigilance de passants qui ont vu la fumée, l’événement aurait pu être dramatique. Ce feu a été causé par des fumeurs et, selon l’Association, la présence de caméras dissuade les fumeurs qui ne respectent pas le règlement [18] À cet égard, l’Association ajoute dans ses observations que l’ajout des caméras a permis d’augmenter le sentiment de sécurité des résidents sur la terrasse, car elles auraient un effet dissuasif. À titre d’exemple, l’Association soumet que les utilisateurs de la terrasse auraient « moins de chance de se retrouver confrontés à une fête en perte de contrôle, de personnes intoxiquées, de personnes nues, à un nombre de personnes sur la terrasse dépassant la limite ou en présence de fumeurs alors que la terrasse est un endroit non-fumeur ». La présence d’un système de vidéosurveillance aurait permis la diminution des infractions criminelles et des infractions au règlement de l’immeuble et d’identifier des suspects de vol et de vandalisme et des personnes ayant commis des infractions graves au règlement de l’immeuble mettant en danger les gens et les biens. [19] À cet égard, l’Association est d’avis que la présence des caméras permet de faciliter le traitement des plaintes et évite les débats contradictoires et les frictions entre copropriétaires témoin d’un acte répréhensible et le fautif. En cas de plainte, l’Association a une image ce qui évite une « atmosphère de délation ». [20] De plus, l’Association ajoute dans ses observations que le fait d’utiliser le système électronique d’accès à puces permet d’indiquer qu’une puce a été utilisée, mais ne permet pas de savoir qui a commis l’acte reproché. [21] La violation du règlement de copropriété par des infractions mineures y compris le respect de l’interdiction de fumer n’est pas un objectif suffisamment important pour porter atteinte à la vie privée des résidents 9 . [22] La Commission conclut donc que l’objectif poursuivi par l’Association d’augmenter la sécurité des résidents et de leurs biens ainsi que de dissuader la perpétration de crimes, est important et réel. Proportionnalité de l’atteinte à la vie privée 9 Shoal Point Strata Council, Order P09-02, [2009] B.C.I.P.C.D. No. 34.
1016883-S Page : 5 [23] Le fait de capter l’image des résidents et de leurs invités constitue une atteinte à la vie privée. Cette atteinte à la vie privée des résidents, pour être justifiée, doit être minimisée afin qu’elle ne soit pas disproportionnée par rapport aux objectifs recherchés. [24] La présente plainte porte particulièrement sur une caméra située sur la terrasse qui est un espace commun. Rappelons que l’expectative de vie privée dans des lieux publics est généralement moindre. Cependant, ce droit bénéficie tout de même d’une certaine protection 10 . [25] En l’espèce, la terrasse est utilisée par les résidents pour des activités personnelles pouvant même révéler un certain mode de vie, par exemple, lire, manger ou rencontrer des amis. [26] Même s’il s’agit d’un espace commun, les résidents s’attendent à une certaine expectative de vie privée lorsqu’ils utilisent la terrasse qui se veut en quelque sorte un prolongement de leur résidence. Dans un tel espace récréatif, la surveillance se fait en continu puisque les résidents s’y installent pour une certaine période de temps. [27] À la lumière de l’enquête et des observations de l’Association, la Commission est d’avis que la surveillance en continu des personnes présentes sur la terrasse représente une atteinte à la vie privée disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi qui est d’augmenter la sécurité des résidents et de leurs biens ainsi que de dissuader la perpétration de crimes et d’infractions au règlement de l’immeuble. Suivre cette logique justifierait la surveillance en continu des individus dans toutes les sphères de leur vie dans un lieu public. [28] Au surplus, d’autres moyens moins intrusifs sont en place, comme l’utilisation d’une carte à puce permettant d’identifier les personnes et l’heure de leur passage ainsi qu’une caméra dans l’escalier donnant accès à la terrasse et ce, même s’ils ne permettent pas de savoir qui a commis l’acte reproché ni de voir l’acte. [29] De plus, la réorientation de la caméra de manière à ce que les résidents et leurs invités qui profitent de la terrasse ne se sentent pas filmés en permanence, permettrait d’atteindre les objectifs recherchés. La caméra pourrait notamment être réorientée aux points d’accès seulement. 10 Aubry c. Éditions Vice-Versa inc., [1998] 1 R.C.S. 591; Syndicat des travailleurs(euses) de Bridgestone/Firestone de Joliette (CSN) c. Me Gilles Trudeau et Bridgestone/Firestone Canada inc., [1999] R.J.Q. 2229 (C.A.).
1016883-S Page : 6 CONCLUSION [30] Considérant l’ensemble des informations dont elle dispose au terme de l’enquête et des observations de l’Association, la Commission conclut que l’entreprise ne respecte pas les dispositions de la Loi sur le privé en recueillant en continu les renseignements personnels des résidents et de leurs invités qui se trouvent à la terrasse par le biais d’une caméra de surveillance. [31] Dans ses observations transmises à la suite de l’avis d’intention, l’Association propose de réorienter la caméra qui pointe vers la terrasse, vers la passerelle qui se rend au Lowney I de manière à ne capter que les gens qui y circulent. De plus, si cette réorientation est techniquement impossible, la caméra sera remplacée. Les travaux se feraient dans les meilleurs délais possibles, considérant les limites imposées par la COVID-19. [32] La Commission est satisfaite de cet engagement qui s’inscrit dans la continuité de l’ordonnance indiquée dans l’avis d’intention transmis. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : DÉCLARE la plainte recevable. ORDONNE à l’Association de cesser de recueillir en continu les renseignements personnels des résidents et de leurs invités qui se trouvent à la terrasse en repositionnant la caméra de manière à ne pas filmer en continu les personnes qui s’y trouvent. « Original signé » M e Lina Desbiens Membre de la section surveillance de la Commission d’accès à l’information
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