Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 1031833-S
Nom de l’Entreprise :
Date :
Membre :
13859380 Canada Inc. (Crane Supply)
Le 20 mai 2025
M e Steeven Plante
ENQUÊTE en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (ci-après la Loi sur le privé) 1 .
APERÇU [1] La Commission d’accès à l’information (la Commission) a ouvert une enquête 2 à la suite de la réception d’une plainte portant sur l’utilisation par la société 13859380 Canada Inc. (l’Entreprise) d’un système de vidéosurveillance comprenant des fonctionnalités de détection d’événements dans l’ensemble de ses véhicules de livraison.
[2] Le ou vers le mois de février 2023, l’Entreprise a installé dans tous ses véhicules un système de vidéosurveillance bidirectionnel qui permet de collecter les images de l’extérieur ainsi que de l’intérieur de ses véhicules (le système) 3 .
[3] Lors de la prise de possession de son véhicule, le chauffeur doit s’identifier avec un code d’identification personnel en utilisant le cellulaire que lui fournit l’Entreprise. Cette identification relie les enregistrements effectués par les caméras du véhicule à son conducteur.
[4] Le système en question collecte les images du moment où le véhicule est mis en marche et jusqu’à 20 minutes à la suite de l’arrêt du moteur.
1 RLRQ, c. P-39.1, la Loi sur le privé. 2 Article 81 de la Loi sur le privé. 3 Lettre du 29 août 2023, Annexe 4 du rapport d’enquête.
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[5] Les images captées par le système incluent les images des conducteurs de l’Entreprise durant la partie de leur quart de travail qui se déroule à l’intérieur des cabines des véhicules.
[6] Bien que les images captées par le système à l’extérieur des camions puissent comporter des renseignements personnels, la présente décision porte exclusivement sur le volet du système qui touche l’intérieur des cabines.
[7] Les fonctionnalités d’enregistrement sonore et d’alerte sonore du système n’ont pas été activées et l’Entreprise mentionne ne pas avoir l’intention de les activer dans le futur 4 .
[8] La Politique de Crane Supply sur les caméras de tableau de bord (la politique) prévoit que l’accès aux images collectées est limité au vice-président des opérations, au directeur régional des opérations et au directeur environnement et santé-sécurité 5 .
[9] En plus, le système comporte des fonctionnalités pilotées par l’intelligence artificielle qui permettent de détecter des événements prédéterminés qui surviennent dans les cabines des véhicules et de générer des rapports (le rapport d’incident).
[10] Les événements suivants peuvent faire l’objet d’un rapport d’incident par le système
6 :
• L’utilisation d’un téléphone portable alors que le véhicule se déplace; • Le fait que le chauffeur ne porte pas sa ceinture de sécurité alors que le véhicule se déplace; • L’ouverture du boitier de la caméra; • L’obstruction de la lentille de la caméra; • Le débranchement de la source d’alimentation de la caméra; • Le chauffeur fume dans la cabine; • Possible collision impliquant le véhicule; • Secousse inhabituelle du véhicule lorsque ce dernier est à l’arrêt; • Talonnage (suivre un autre véhicule sans maintenir une distance sécuritaire); • Moteur tourne au ralenti durant plus de 15 minutes; • Vitesse du véhicule excède la vitesse légale permise de plus de 20 km/h.
4 Lettre du 29 août 2023, Annexes, p. 35. 5 Lettre du 29 août 2023, Annexes, p. 36. 6 Lettre du 29 août 2023 et Politique de Crane Supply sur les caméras de tableau de bord, Annexes, p. 36, 39 et 40.
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[11] Le rapport d’incident comporte la liste des événements détectés, le détail de ceux-ci, les numéros d’appareil ainsi que les conducteurs en cause
7 .
[12] Il ne contient aucune image ou enregistrement. [13] Le rapport d’incident est transmis quotidiennement aux gestionnaires de succursale.
PRÉAVIS D’ORDONNANCE [14] Au terme de l’enquête, la Commission transmet le 22 octobre 2024 à l’Entreprise un préavis d’ordonnance (le préavis). La Commission l’informe qu’elle pourrait arriver à la conclusion que la collecte des renseignements personnels effectuée via le système de vidéosurveillance installé dans ses camions ne respecte pas la Loi sur le privé.
[15] Dans le cadre de son préavis, la Commission avise l’Entreprise qu’elle pourrait considérer que les objectifs poursuivis sont importants, légitimes et réels en partie en ce qui a trait aux camions lourds. Cependant, pour les camions de type pick-up, elle pourrait considérer que les objectifs ne comportent pas le caractère réel requis par la Loi.
[16] De même, la Commission avise l’Entreprise qu’elle pourrait conclure que les collectes effectuées sont rationnellement liées aux objectifs poursuivis, mais que ces dernières ne sont pas suffisamment minimisées et que leurs avantages ne dépassent pas l’atteinte à la vie privée qu’elles représentent.
[17] Par ce préavis, la Commission précise à l’Entreprise qu’à la lumière des informations contenues au dossier, elle pourrait lui ordonner de :
- - - -
CESSER de collecter les images de l’intérieur des véhicules de type pick-up; CESSER de collecter les renseignements personnels nécessaires à la fonctionnalité de détection des personnes qui fument dans les cabines; CESSER de collecter en continu les images de l’intérieur des cabines de ses véhicules de livraison; DÉTRUIRE les images collectées à l’intérieur des cabines de ses véhicules de livraison ainsi que les données et rapports produits à partir de ces images.
[18] Conformément à l’article 83 de la Loi sur le privé, la Commission fournit à l’Entreprise l’occasion de présenter ses observations en l’informant qu’elle dispose d’un délai de 45 jours.
7 Rapports d’incidents, Annexes, p. 136 à 157.
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[19] Le 6 décembre 2024, la Commission accorde une prolongation de délai à l’Entreprise, cette dernière ayant jusqu’au 6 janvier 2025 afin de produire ses observations.
OBSERVATIONS DE L’ENTREPRISE [20] Le 6 janvier 2025, l’Entreprise transmet ses observations relativement au préavis de la Commission.
[21] Dans le cadre de ses observations, l’Entreprise souligne son désaccord sur la caractérisation des faits effectuée par la Commission concernant les éléments suivants :
• L’analyse de la Commission des objectifs de collecte qui ont trait à la sécurité; • L’analyse de la Commission qui concerne l’efficacité du système; • Le degré d’expectative de vie privée attribué par la Commission aux chauffeurs de l’Entreprise dans le cadre de son analyse de la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée commise.
[22] Elle précise qu’à l’exception de la défense de l’Entreprise et de ses chauffeurs que tous les objectifs déclarés visent directement à protéger la sécurité des chauffeurs et des autres usagers de la route.
[23] Elle souligne que ces objectifs relatifs à la sécurité découlent de son obligation d’assurer la santé, la sécurité et l’intégrité physique de ses salariés et que la sécurité est un objectif central à ses opérations 8 .
[24] Elle précise que l’objectif qui a trait à la défense de ses chauffeurs contre des allégations non fondées constitue un objectif périphérique à l’implantation de la vidéosurveillance à l’intérieur de ses véhicules 9 .
[25] Tel qu’il le sera traité plus en détail dans l’analyse, l’Entreprise produit neuf (9) nouveaux documents afin d’appuyer sa position.
8 Observations, p. 5. 9 Observations, p. 7.
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ANALYSE 1. L’Entreprise est assujettie à la Loi sur le privé [26] L’Entreprise est une société par actions inscrite au Registraire des entreprises du Québec dont le secteur d’activité déclaré est « Industrie de la quincaillerie de base » avec la précision « Commerce de gros d’articles de quincaillerie » 10 .
[27] Plus particulièrement, l’Entreprise est un distributeur-grossiste de tuyaux, valves, et autres produits connexes à l’intention de l’industrie de la construction. Elle mène des opérations au niveau national 11 .
[28] L’adresse déclarée de l’Entreprise au Registraire des entreprises du Québec est le 250-3901, rue Jarry Est à Montréal. Elle possède des succursales situées à Montréal, Granby et Sept-Îles.
[29] L’Entreprise exerce une activité économique organisée consistant notamment en l’aliénation de biens et la prestation de services. Elle exploite une entreprise au Québec 12 et à ce titre est soumise à la Loi sur le privé à l’égard des renseignements personnels qu’elle collecte, conserve, utilise ou communique à des tiers 13 .
2. Les renseignements collectés par la vidéosurveillance à l’intérieur des cabines des véhicules de livraison de l’Entreprise sont des renseignements personnels
[30] La Loi sur le privé prévoit que les renseignements qui concernent une personne physique et qui permettent de l’identifier directement ou indirectement constituent des renseignements personnels, et ce, quelles que soient la nature de leur support et la forme sous laquelle ils sont accessibles 14 .
[31] Des décisions antérieures de la Commission font état que l’image d’une personne captée sur un enregistrement vidéo constitue un renseignement personnel lorsque cette personne peut être identifiée 15 .
10 L’Entreprise est enregistrée au Registraire des entreprises sous le numéro 1177468023, Annexes du rapport d’enquête, p. 24. 11 Lettre de Sylvain Roussel, 29 août 2023. 12 Article 1525 du Code civil du Québec. 13 Loi sur le privé, article 1. 14 Id., articles 1 et 2. 15 Enquête à l’égard de l’Association des copropriétaires du Lowney I 1016882-S, 5 mai 2021; Enquête à l’égard de l’Association des copropriétaires du Lowney II, 1016883-S, 16 juillet 2020; Plainte à l’égard de Les Matériaux de construction Oldcastle Canada Inc. et Solutions Oldcastle
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[32] De même, des décisions antérieures de la Commission établissent que des renseignements déduits de la collecte d’images alors que les images brutes collectées permettent d’identifier une personne sont aussi des renseignements personnels 16 .
[33] À cet effet, les images des personnes se trouvant à l’intérieur des cabines des véhicules de l’Entreprise constituent des renseignements personnels. Ces images sont directement liées aux personnes qu’elles concernent et ces personnes sont identifiables.
[34] Les rapports d’incidents, par les informations qu’ils contiennent et le fait qu’ils sont liés au conducteur en cause, sont des renseignements personnels puisqu’ils font connaître quelque chose sur quelqu’un et permettent de distinguer cette personne par rapport à quelqu’un d’autre 17 .
3. La nécessité des renseignements personnels collectés [35] L’Entreprise a notamment le fardeau d’établir la nécessité des renseignements personnels qu’elle collecte dans le cadre de l’atteinte de ses objectifs 18 .
[36] En vertu de la Loi sur le privé, l’obligation d’avoir des fins de collecte déterminées, des intérêts sérieux et légitimes ainsi que la nécessité sont des règles impératives. Une entreprise ne peut donc y déroger, et ce, même avec le consentement de la personne concernée 19 .
[37] Pour justifier la nécessité de la collecte qu’elle effectue, l’Entreprise a le fardeau de démontrer :
i. Le caractère légitime, réel et important des objectifs qu’elle poursuit par cette collecte;
et
Enclosure, 1012873-S, 12 novembre 2019 et Garderie Cœur d’enfant inc., CAI 080272, 31 mars 2014. 16 Enquête sur l’utilisation de la technologie d’analyse de vidéo anonyme par Ivanhoé Cambridge inc. et Innovations Galilei 2, 1019951-S, 15 mai 2020. 17 Héritage Ébénisterie Architecturale inc., CAI dossier n o 1023688-S, 14 juin 2021, par. 16; À 2 c’est mieux inc., CAI dossier n o 1014728-S, 14 décembre 2020, par. 13. 18 Loi sur le privé, article 5. 19 Laval (Société de transport de la Ville de) c. X., [2003] C.A.I. 667 (C.Q.), par. 67; Hunt Personnel, CAI dossier n o 1005625-S, 13 août 2015, par. 24.
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ii. La proportionnalité de l’atteinte à la vie privée que constitue cette collecte en lien avec les objectifs qu’elle poursuit 20 .
3.1. Le caractère légitime, réel et important des objectifs poursuivis [38] Dans le cadre de ses observations, l’Entreprise formule de la manière suivante les fins des différentes collectes de renseignements personnels qu'elle effectue par le biais de son système de vidéosurveillance 21 :
• La sécurité des chauffeurs et des biens de l’Entreprise; • La prévention et détection des infractions au Code de la sécurité routière;
• La défense de l’Entreprise et des chauffeurs; • Les enquêtes en cas d’incident/accident; • Le perfectionnement de la formation des chauffeurs 22 . [39] La Commission note que l’Entreprise formule de trois (3) manières différentes les objectifs qui sous-tendent les collectes de renseignements personnels qu’elle effectue, soit dans le cadre de sa politique, des réponses fournies lors de l’enquête et de ses observations.
[40] À cet effet, la Commission estime opportun de rappeler que les objectifs qui sous-tendent la collecte de renseignements personnels doivent être déterminés avant que celle-ci soit effectuée. Par conséquent, la formulation de ces objectifs devrait être constante.
[41] Plus particulièrement, la formulation de l’objectif qui a trait à la sécurité diffère entre la politique, les déclarations 23 et les observations de l’Entreprise. La formulation faite dans les observations de l’Entreprise se limite à la sécurité des chauffeurs et des biens de l’Entreprise. En revanche, celle utilisée dans le cadre de la politique et de l’enquête est plus large et fait référence plutôt à la protection et la sécurité des personnes en général.
20 Laval (Société de transport de la Ville de) c. X., 2003 CanLII 44085 (C.Q.); Grenier c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke [2010] QCCQ 9397; Synergie Hunt International inc. c. Trinque Tessier, 2017 QCCQ 13747; Les 3 Piliers inc., CAI 1018507-S, 14 février 2020. 21 Observations, p. 5. 22 Observations, p. 5. 23 Annexes du rapport d’enquête, p. 34.
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[42] Dans ce contexte, la Commission fera référence dans son analyse à « la protection et à la sécurité des personnes et des biens » tel que formulé dans le cadre de la politique et des réponses fournies lors de l’enquête 24 . Cette formulation cadrant davantage avec les déclarations de l’Entreprise et les arguments soulevés dans ses observations.
L’objectif lié à la fonctionnalité qui permet la détection des personnes qui fument [43] Dans son préavis, la Commission arrivait au constat que la fonctionnalité du système qui permet de détecter les personnes qui fument à l’intérieur des cabines ne concordait pas avec les fins énoncées par l’Entreprise. Par conséquent, les renseignements personnels nécessaires à cette fonctionnalité ne pouvaient être collectés en vertu de la Loi sur le privé 25 .
[44] Dans ses observations, l’Entreprise précise que cette fonctionnalité s’inscrit dans le cadre de ses objectifs qui ont trait à la sécurité.
[45] Elle produit sa politique sur les cigarettes et les produits équivalents au travail afin d’appuyer le fait que cette interdiction s’inscrit dans une optique de sécurité 26 .
[46] À cet effet, la Commission constate que l’énoncé de cette politique fait état d’un cadre de travail sain et sécuritaire.
[47] De même, l’Entreprise allègue que le fait de fumer ou de vapoter au volant constitue une distraction qui peut avoir un impact sur la sécurité des personnes. Elle réfère à un jugement de la Cour municipale de Montréal qui porte sur l’article 443.1 du Code de la sécurité routière et qui énonce qu’une vapoteuse peut être une distraction au volant lorsqu’elle comporte un écran lumineux affichant des informations et des boutons de réglage à manipuler 27 .
[48] Considérant les informations supplémentaires obtenues dans le cadre des observations, la Commission prend acte du fait que la collecte des renseignements personnels en lien avec la fonctionnalité de détection des personnes qui fument dans les cabines était partie prenante des fins qui visent à assurer la sécurité lorsque l’Entreprise a déterminé ses objectifs de collecte.
24 Lettre du 29 août 2023, Annexes, p. 34. 25 Loi sur le privé, article 5. 26 Annexe O-9 des observations. 27 Observations, p. 17 et Ville de Montréal c. Nicolo, 2021 QCCM 73 (CanLII).
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3.1.1. Le caractère légitime des objectifs poursuivis [49] La Commission considère qu’il est légitime pour l’Entreprise de vouloir assurer la sécurité des personnes et de ses biens, de vouloir prévenir et détecter les infractions au Code de la sécurité routière, d’assurer sa défense ou celle de ses chauffeurs en cas de litiges, de faciliter les enquêtes en cas d’incidents ou d’accidents et de perfectionner la formation dispensée à ses chauffeurs.
3.1.2. Le caractère réel des objectifs poursuivis [50] Sous le volet du caractère réel des objectifs poursuivis, l’Entreprise a le fardeau d’établir que chacun de ses objectifs est soutenu par un événement particulier ou une problématique particulière qui peut justifier les collectes de renseignements personnels qui sont effectuées 28 .
3.1.2.1. Les décisions antérieures concernant la question de la vidéosurveillance dans des véhicules d’entreprises
[51] La question de l’utilisation de la vidéosurveillance dans des véhicules d’entreprises a notamment été traitée par des arbitres en droit du travail dans les décisions BFI Canada 29 , Linde 30 , Sysco 31 et Lafarge 32 .
[52] Le test appliqué dans le cadre de ces dossiers consiste à savoir si l’atteinte à la vie privée que constitue l’utilisation d’un système de vidéosurveillance dans un véhicule d’entreprise est minimale et justifiée par des motifs raisonnables et légitimes 33 .
[53] Dans l’ensemble de ces décisions, la recherche de problématiques spécifiques de sécurité demeure une question importante lors de l’analyse de la présence de motifs réels et sérieux 34 . Le fait que les véhicules concernés, par leur nature ou la nature de leur chargement, sont des véhicules intrinsèquement dangereux 35 est l’un des principaux éléments pris en considération.
28 Garderie Cœur d’enfant inc. - Commission d’accès à l’information, dossier 080272, par. 39. 29 BFI Canada Inc. c. Teamsters, local Union no 213, sentence arbitrale du 11 juin 2012. 30 Teamsters Québec, section locale 106 c. Linde Canada Ltée, 2014 QCTA 943. 31 Syndicat des travailleurs et travailleuses de Sysco-Québec (CSN) c. Sysco Services alimentaires du Québec, 2016, QCTA 455 (pourvoi en contrôle judiciaire rejeté, 2017 QCCS 3791). 32 Lafarge Canada Inc. c. Teamsters local Union no 7625, sentence arbitrale du 24 mai 2018. 33 Syndicat des métallos, section locale 7625 c. Clément, 2021 QCCS 633, par. 24. 34 Volume 454 – Développements récents en droit du travail (2019), Les développements récents en droit de la vie privée appliqués au droit du travail québécois, Stéphane Lacoste et Catherine Massé-Lacoste, p. 137. 35 Syndicat des métallos, section locale 7625 c. Clément, 2021 QCCS 633, par. 44 et 47.
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[54] Bien que ces décisions traitent à la fois de la protection de la vie privée 36 et de la question des conditions de travail justes et raisonnables 37 , la Commission considère qu’elle peut s’y référer en ce qui a trait à l’analyse du caractère réel 38 des fins poursuivies et de la question de la proportionnalité dans le cadre du test de nécessité prévu à l’article 5 de la Loi sur le privé.
3.1.2.2. Les objectifs qui ont trait à la protection de la sécurité des chauffeurs et des autres usagers de la route
[55] Des décisions antérieures de la Commission établissent qu’il appartient à l’Entreprise de démontrer à l’aide d’éléments concrets et probants le caractère réel des objectifs qu’elle poursuit 39 et que ces objectifs ne reposent pas uniquement sur des appréhensions 40 .
[56] Plus particulièrement lorsqu’il s’agit de vidéosurveillance, la Commission est d’opinion que l’objectif d’assurer la sécurité ne doit pas servir de manière générique et se doit d’être rattachée à des situations concrètes ou des risques spécifiques.
[57] Dans les dossiers Syndicat des métallos, section locale 7625 c. Clément 41 et Syndicat national des opérateurs de Montérégie (CSN) c. Lafarge Canada inc. 42 , il a été considéré que les bétonnières comportent des caractéristiques intrinsèquement dangereuses du fait que ces véhicules lourds ont un centre de gravité très élevé lorsqu’ils sont chargés. De plus, le poids du chargement surpasse celui du véhicule lui-même et ce dernier est inégalement réparti entre les deux côtés du véhicule.
[58] Dans le dossier BFI Canada 43 , il a été considéré que des camions destinés au ramassage des rebuts sont des véhicules intrinsèquement dangereux. Ce sont des véhicules commerciaux lourds qui circulent sur la voie publique avec d’autres véhicules, petits et grands, ainsi que des cyclistes et des piétons. De plus, la plupart des autres véhicules ne s’en sortent pas bien en cas de collision avec ces véhicules et ils sont appelés à manœuvrer dans des espaces restreints.
36 Article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12. 37 Article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12. 38 Laval (Ville) c. X, 2003 CanLII (QCCQ), par. 40 et 44. 39 Star Bar (9142-1891 Québec Inc.), CAI, dossier n o 1006426-S, 9 mars 2015, par. 23. 40 Enquête à l'égard de Bruneau Électrique inc., CAI, dossier n o . 1015556-S, 30 septembre 2021, par. 23. 41 Par. 48. 42 Par. 86 à 90. 43 Par. 30.
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[59] Dans le dossier Teamsters Québec 44 , la nature du chargement des véhicules et des activités de l’entreprise qui fabriquait et distribuait des matières dangereuses, en l’occurrence de l’hydrogène liquide et gazeux, a été considérée comme facteur de dangerosité intrinsèque des véhicules concernés.
[60] À l’opposé du spectre, dans le dossier Syndicat des travailleurs et travailleuses de Sysco-Québec inc. 45 , notamment en l’absence de preuve de dangerosité, il a été décidé que la légitimité et la proportionnalité de la vidéosurveillance dans des véhicules transportant des denrées alimentaires n’avaient pas été démontrées et par conséquent que celle-ci n’était pas justifiée dans les circonstances 46 .
[61] Considérant ces décisions, la Commission estime pertinent d’analyser la nature des véhicules en cause, afin de déterminer si ces derniers comportent des caractéristiques qui pourraient être qualifiées d’intrinsèquement dangereuses.
[62] Dans le cadre de l’enquête, l’Entreprise a fourni la liste des types de véhicules qui composent sa flotte et qui sont munis de systèmes de vidéosurveillance.
[63] Elle utilise quatre (4) types de véhicules, soit des camions à plateau de trois (3), cinq (5) ou dix (10) tonnes ainsi que des véhicules de type pick-up de trois quarts (¾) de tonne. Les véhicules de dix (10) tonnes sont munis de grues afin d’en faciliter le chargement.
[64] À la suite d’une demande de compléments d’information, l’Entreprise a fourni le poids nominal brut (ci-après « PNVB ») de chacun de ses véhicules, ce qui comprend le poids du véhicule additionné à sa capacité maximale de chargement 47 :
44 Teamsters local Union no 213, sentence arbitrale du 24 mai 2018, par. 104. 45 Syndicat des travailleurs et travailleuses de Sysco-Québec (CSN) c. Sysco Services alimentaires du Québec, 2016 QCTA 455 (pourvoi en contrôle judiciaire rejeté, 2017 QCCS 3791). 46 Sysco Québec, division de Sysco Canada inc. c. Beaulieu, 2017 QCCS 3791, par. 64. 47 Lettre du 3 juillet 2024, Annexes, p. 125 à 127.
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Type de véhicule PNVB (lbs) Plateau– 3 tonnes 19 500 Plateau – 5 tonnes 32 000 – 33 000 Plateau – 10 tonnes 57 320 – 58 000 Pick-up – ¾ de tonne 9 898 [65] Le ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec considère que tout véhicule avec un PNVB de neuf mille neuf cent vingt (9,920) livres et plus est un véhicule lourd 48 .
[66] La Commission observe que dans le cadre de ses activités, l’Entreprise emploie deux (2) catégories de véhicules, soit des véhicules lourds et des véhicules de type pick-up.
[67] Considérant que ces deux (2) classes de véhicules comportent des caractéristiques intrinsèques différentes, l’analyse du caractère réel sera de même subdivisée.
[68] Avant d’en arriver à ces deux (2) points particuliers, la Commission traitera d’abord de la preuve et des arguments concernant le caractère dangereux du chargement étant donné que l’Entreprise soutient que cet élément est un facteur de risque lié à l’ensemble de ses véhicules.
3.1.2.3. Les caractéristiques intrinsèques du chargement des véhicules
[69] Dans le cadre de l’enquête, le vice-président des opérations de l’Entreprise a déclaré que les véhicules de l’Entreprise ne transportaient pas de matière dangereuse ou inflammable 49 .
[70] En second lieu, dans ses observations, l’Entreprise allègue ce qui suit concernant le caractère dangereux du chargement de ses véhicules :
48 Article 2, par. 3 de la Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds, RLRQ, c. P-30.3 établit que tout véhicules routiers de plus de 4 500 kg (9,920 livres) sont des véhicules lourds. 49 Annexes, p. 53.
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« Cependant, et après de plus amples vérifications, il appert que des produits inflammables sont transportés de manière occasionnelle par l’ensemble des différents types de véhicules de l’Entreprise » 50 .
[71] Elle produit en Annexe O-2, la liste des ventes de quarante-quatre (44) produits classés comme inflammables et ayant fait l’objet d’une vente à sa succursale de Montréal, en date du 2 décembre 2024 51 .
[72] Elle allègue que le transport de produits inflammables dans un contexte de livraison, même occasionnel, présente un risque élevé, amplifié par la fréquence des accidents de la route et l’utilisation de véhicules à essence 52 .
[73] Elle allègue que ce fait augmente la probabilité d’incidents graves et que ceci s’arrime avec son objectif d’assurer la sécurité
53 .
[74] Le fait que d’emblée le vice-président des opérations de l’Entreprise ait répondu négativement à la question à savoir si les véhicules transportaient des matières dangereuses ou inflammables pousse la Commission à remettre en doute la crédibilité de l’argument de l’Entreprise relatif au risque élevé que représente le chargement de ses véhicules.
[75] Considérant que le transport de marchandises dangereuses est régi par des législations particulières 54 qui sont au cœur des opérations de l’Entreprise, la Commission estime que si le transport de telles matières avait réellement constitué un risque important, le vice-président des opérations en aurait été au fait et sa réponse dans le cours de l’enquête en aurait été autrement conséquente.
[76] L’Entreprise produit les fiches de données de sécurité afférentes à cinq (5) produits 55 . Ces fiches démontrent que l’ensemble de ces produits sont étiquetés comme des adhésifs, comportant un niveau trois (3) de sécurité à titre de liquides inflammables et bénéficiant d’une exception fixée à cinq (5) litres pour le transport terrestre.
50 Observations, p. 7 et 8. 51 Observations, p. 7 et 8. 52 Observations, p. 8. 53 Observations, p. 8. 54 Règlement sur le transport des marchandises dangereuses DORS/2001-286, Règlement sur le transport des matières dangereuses C-24.2 r. 43. 55 Soit le Weld-On 714, le Weld-On 711, le Weld-On 725, le Xirtec 11 et le Xirtec 24.
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[77] À cet effet, la Commission relève que la plupart des exemptions prévues au Règlement sur le transport des marchandises dangereuses 56 s’appliquent aux marchandises qui représentent un risque pour le public et l’environnement qualifié de faible à moyen 57 .
[78] L’Entreprise ne fait pas état dans ses observations de la quantité de produits que peut contenir un chargement.
[79] La liste de vente fait état de quantité de ventes totales allant de un (1) à deux cent trois (203) unités et d’emballages contenant une quantité de produits qui varie entre huit (8) onces et quatre (4) litres.
[80] À cet effet, la Commission constate que la quantité de produits en cause et le risque que représente ce type de produit se distingue largement du risque que peut comporter un camion transportant un plein chargement d’hydrogène liquide 58 .
[81] De même, la Commission retient le fait que le transport de ce type de produit ne se fait que sur une base occasionnelle.
[82] Finalement, l’Entreprise n’a pas fait état de situation où la nature de ces produits avait contribué à la réalisation d’un risque pour la sécurité des personnes ou des biens.
[83] Pour ces raisons et considérant les éléments mis en preuve par l’Entreprise, la Commission en arrive à la conclusion que le risque que constitue la nature du chargement ne contribue pas au caractère intrinsèquement dangereux des véhicules de l’Entreprise.
3.1.2.4. Le caractère réel des objectifs concernant les véhicules lourds de l’Entreprise
a) Les caractéristiques intrinsèques des véhicules lourds [84] La Commission accepte l’argument de l’Entreprise voulant que les accidents impliquant des véhicules lourds comportent des risques de gravité accrue et que le temps de réponse requis afin de manœuvrer ce type de véhicule est significativement plus long 59 .
56 DORS/2001-286. 57 CCHST: Transport des marchandises dangereuses (TMD) - Exemptions relatives aux « cas spéciaux » et aux « dispositions particulières » (transport routier). 58 Teamsters local Union no 213, sentence arbitrale du 24 mai 2018. 59 Annexes, p. 126.
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[85] Conséquemment, la conduite d’un véhicule lourd est soumise à plusieurs obligations particulières en vertu de la Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds et du Code de la sécurité routière. Par exemple, il existe des obligations de compétence du conducteur, des obligations de procéder à des vérifications mécaniques périodiques et des obligations de respecter des normes spécifiques relatives à l’usage de ces véhicules. Ces obligations légales spécifiques confirment le risque particulier que peut représenter ce type de véhicule.
[86] Par conséquent, la Commission considère que le fait que la plupart des véhicules en cause sont des véhicules lourds est un facteur de dangerosité intrinsèque qu’il faut considérer comme un risque particulier.
[87] En plus de ce facteur de dangerosité intrinsèque, l’Entreprise produit un registre d’événements qui confirme le caractère réel et avéré des objectifs qu’elle poursuit relativement à ses véhicules lourds.
b) Les accidents et incidents concernant les véhicules lourds de l’Entreprise [88] En support à ses déclarations lors de l’enquête, l’Entreprise produit un tableau Excel représentant les différents incidents ou accidents survenus au sein des différentes succursales canadiennes de l’Entreprise 60 . Ce tableau porte sur une période de six (6) mois et vingt (20) jours, soit du 12 avril 2023 au 2 novembre 2023 et présente une liste de quatorze (14) événements.
[89] Les incidents répertoriés à ce tableau sont de gravité diverse et vont du constat d’infraction de stationnement jusqu’à des collisions avec d’autres véhicules et/ou la perte d’un chargement pour défaut de s’être assuré qu’il était correctement fixé.
[90] De ce tableau, deux (2) événements ont entrainé des dommages de plus de vingt-cinq dollars (25 000 $), cinq (5) ont conduit à des sessions de supervision, deux (2) à une mise à jour des procédures opérationnelles, trois (3) à des suspensions ou licenciements, un (1) à l’installation de caméras de recul sur les véhicules et un (1) à une modification de tâche du conducteur due à son état de santé.
[91] Bien que cette liste d’incidents ne touche pas uniquement les succursales en cause dans la présente affaire, la Commission considère que ces incidents sont liés aux mêmes opérations que celles de l’Entreprise et qu’ils peuvent constituer des exemples de risques réels associés aux activités de l’Entreprise 61 .
60 Annexes du rapport d’enquête, p. 71. 61 Syndicat des métallos, section locale 7625 c. Clément, 2021 QCCS 633, par. 47.
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[92] Les incidents répertoriés à cette liste peuvent être reliés à l’ensemble des objectifs dénoncés par l’Entreprise. Ces incidents mettent en cause soit la sécurité des personnes ou des biens, soit le respect du Code de la sécurité routière. Lorsqu’un dommage survient, ces incidents soutiennent le caractère réel des objectifs qui consistent à supporter l’enquête sur les causes de cet accident et de supporter la défense de l’Entreprise en fournissant des preuves objectives de l’événement.
[93] L’objectif lié à la formation des employés demeure en filigrane, mais c'est cet objectif qui permet à la vidéosurveillance d’avoir un effet préventif plutôt que prospectif et par le fait même qui permet d’assurer un plus haut niveau de sécurité pour les personnes et les biens.
[94] Considérant le risque particulier que représentent les véhicules lourds ainsi que la liste des accidents ou incidents produite par l’Entreprise concernant ces véhicules, la Commission conclut que les fins relatives à la sécurité poursuivies par l’Entreprise, en ce qui a trait à ses véhicules lourds, ont un caractère réel.
3.1.2.5. Le caractère réel des objectifs concernant les véhicules de type pick-up de l’Entreprise
a) Les caractéristiques intrinsèques des véhicules de type pick-up [95] Dans le cadre de ses observations, l’Entreprise allègue que le PNVB de ses véhicules de type pick-up est de neuf mille huit cent quatre-vingt-dix-huit (9 898) livres, soit uniquement vingt-deux (22) livres en dessous du seuil établi pour être considéré comme un véhicule lourd et que cela représente une différence de 0.2 % par rapport à ce seuil.
[96] Elle allègue que les caractéristiques inhérentes de ses véhicules de type pick-up, notamment leur poids et leur conception surélevée qui accentue les angles, augmentent la gravité des impacts 62 et représentent un risque non négligeable pour la sécurité de ses chauffeurs et des autres usagers du réseau routier 63 .
[97] Elle allègue que ces types de véhicules sont capables de transporter des charges significatives, sans pour autant mettre en preuve les charges qui sont effectivement transportées au quotidien par ses véhicules.
62 Idem. 63 Observations, p. 13.
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[98] De même, elle allègue que les études sont claires à l’effet que ce type de véhicule est plus dangereux en cas d’accident et qu’il en cause proportionnellement plus 64 .
[99] Afin de soutenir ces arguments, l’Entreprise produit 65 un extrait du rapport intitulé Comprendre la hausse des camions légers au Canada afin de renverser la tendance publié le 20 octobre 2021 par Équiterre 66 .
[100] Ce rapport vise à expliquer les causes ayant mené à la préférence croissante de la population canadienne pour les véhicules énergivores et surdimensionnés 67 .
[101] Bien que la majeure partie de ce rapport traite des enjeux écologiques que crée ce type de véhicule, le titre 4.3.1 traite de l’enjeu pour la sécurité routière en général des camions légers et le titre 4.4.2 porte sur les impacts de ces véhicules sur la sécurité routière au Québec.
[102] La Commission constate que le survol des enjeux de sécurité dressé par Équiterre dans ce rapport repose sur des études menées par des tiers et non sur les constats de ses propres experts.
[103] Malgré ce fait et considérant la pertinence de ce rapport avec les faits de la présente affaire, la Commission accepte le dépôt des titres 4.3.1 et 4.4.2 du rapport d’Équiterre à titre de preuve.
[104] Ce rapport cite des statistiques de sinistres, établies en 2019 par le service de recherche accidentologique d’AXA Suisse qui révèlent que les accidents provoqués par des VUS sont, en Suisse, près de 10 % plus nombreux que ceux causés par des véhicules légers.
[105] De même, ces statistiques indiquent qu’en Suisse, pour les gros VUS qui pèsent entre 2155 et 3500 kg (4750,96 et 7716,18 lbs) les accidents sont 27% plus nombreux par rapport aux autres automobiles. Cette étude conclut que plus un VUS est lourd, plus la fréquence des collisions est élevée 68 .
[106] Concernant cette étude menée par le service de recherche accidentologique d’AXA Suisse, la Commission ne peut, sans preuve d’un rattachement quelconque avec la réalité de cet enjeu au Québec, prendre en
64 Observations, p. 14. 65 Annexe O-4 des observations. 66 Équiterre est un organisme sans but lucratif qui a notamment une mission de nature environnementale. 67 Rapport Équiterre : Comprendre la hausse des camions légers au Canada afin de renverser la tendance, Montréal, 2021, p. IX. 68 Idem, p. 17.
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considération des statistiques qui concernent le nombre d’accidents impliquant des VUS survenus en Suisse.
[107] Ce n’est pas parce qu’un événement arrive proportionnellement plus dans un lieu donné que l’on peut nécessairement tirer par inférence la même conclusion pour un autre lieu.
[108] À cet effet, la Commission considère que l’Entreprise n’a pas été en mesure de prouver son argument qui suppose que les véhicules de type pick-up causent proportionnellement plus d’accidents. Aucune preuve n’a été produite concernant cette proportionnalité au Québec.
[109] Sous la cote O-5 de ses observations, l’Entreprise produit une étude statistique publiée en 2019, intitulée Traffic Injury Prevention et menée par l’Insurance Institute for Highway Safety de Virginie (IIHS) 69 . Cette étude se base sur l’analyse des accidents ayant causé des décès et impliquant des véhicules de type tourisme, âgés d’une (1) à quatre (4) années et portant sur la période de 1989 à 2016, en comparant les taux de mortalité des conducteurs de véhicules immatriculés par million pour l’ensemble des types et des tailles de véhicules en comparaison avec les taux de mortalité des conducteurs partenaires quel que soit le type ou la taille du véhicule.
[110] Considérant la pertinence des statistiques sur lesquelles se base cette étude avec les faits du présent dossier, la Commission accepte le dépôt de l’étude Traffic Injury Prevention à titre de preuve 70 .
[111] Cette étude indique qu’au cours de la période 2013-2016, les camionnettes et les VUS avaient respectivement 158 % et 28 % plus de chances d’entrainer la mort de la personne au volant de l’autre véhicule par rapport aux voitures standards 71 .
[112] Au sujet de ces statistiques, la Commission dénote que l’Entreprise allègue dans ses observations qu’elles concernent spécifiquement le Québec 72 , alors que ces dernières relèvent d’un rapport du Fatality Analysis Reporting System
69 Samuel S. Monfort & Joseph M. Nolan (2019). Trends in aggressivity and driver risk for cars, SUVs, and pickups: Vehicle incompatibility from 1989 to 2016, Traffic Injury Prevention, vol. 20, n o . S1, p. 592-596, Annexe O-5 des observations. 70 Regina v. Seo, 1986 CanLII 109 (ON CA), p. 18 à 22 et R. c. Thomsen, CanLII 73 (CSC) p.18 à 20. 71 Idem. p. 17; Samuel S. Monfort & Joseph M. Nolan (2019). Trends in aggressivity and driver risk for cars, SUVs, and pickups: Vehicle incompatibility from 1989 to 2016. Traffic Injury Prevention, vol. 20, n o . S1, p. 592-596, Annexe O-5 des observations. https://doi.org/10.1080/15389588.2019.1632442 72 Observations, p. 15, par. 93.
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(FARS) 73 qui porte sur les données relatives aux accidents mortels survenus dans les cinquante (50) États des États-Unis, ainsi que les districts de Columbia et de Puerto Rico 74 .
[113] Bien qu’il aurait été plus que souhaitable que la Commission obtienne l’heure juste concernant la source de ces statistiques, cette dernière accepte de s’y référer et y accorde une valeur probante étant donné qu’il est de connaissance commune que les marchés de l’automobile canadien et américain sont fortement intégrés.
[114] De même, l’Entreprise produit sous la cote O-6 de ses observations un communiqué de presse daté du 30 août 2023 de l’institut Vias 75 intitulé Des voitures lourdes, plus hautes et plus puissantes pour une sécurité routière à deux vitesses ? .
[115] Dans le cadre de cette étude, tous les accidents survenus en Belgique entre 2017 et 2021 ont été analysés afin de vérifier l’impact des caractéristiques d’une voiture (masse, hauteur, âge, etc.) sur la gravité des blessures subies lors d’un accident.
[116] Bien que cette étude ait été menée à partir de données relatives à la Belgique, une analogie peut être faite avec la réalité au Québec étant donné que cette étude se base sur des règles de physique et des métriques telles que la masse des véhicules et leur puissance.
[117] La Commission retient des études de l’Insurance institute for Highway Safety de Virginie et de l’institut Vias que les véhicules de type pick-up sont plus dangereux en cas d’accident que les autres véhicules de promenade, ce type de véhicule comportant statistiquement plus de risques d’entrainer des accidents graves ou mortels pour les autres usagers de la route.
[118] En revanche, l’Entreprise n’a pas fourni de preuve relativement à la partie de son argument qui allègue que ce type de véhicule est plus dangereux pour ses propres chauffeurs. Les études produites tendent à démontrer le contraire, soit que ce type de véhicule est plus dangereux pour les autres usagers de la route.
[119] Finalement, l’Entreprise produit sous la cote O-7 de ses observations le bilan routier 2023 de la Société de l’assurance automobile du Québec et allègue
73 Annexe O-4, p. 17 et Annexe O-5. 74 Fatality Analysis Reporting System | NHTSA. 75 Il s’agit d’un organisme indépendant fondé par le gouvernement belge qui se qualifie comme étant un institut de connaissance indépendant qui agit comme une référence pour les citoyens, les instances publiques et les entreprises afin d’améliorer la sécurité routière, la mobilité, la sécurité et la santé, VIAS | Concernant l'institut Vias.
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que le nombre de décès chez les piétons pour 2022, 2023 et la moyenne des décès dans cette catégorie pour la période de 2018 à 2022 76 .
[120] À ce sujet, outre le constat du nombre de décès survenu chez les piétons au Québec pour une période donnée, ces données impliquent tout type de véhicule confondu et ne nous fournissent aucune lumière supplémentaire relativement aux décès qui impliqueraient des véhicules de type pick-up.
b) Les accidents et incidents concernant les véhicules de type pick-up de l’Entreprise
[121] En plus de ces rapports, l’Entreprise produit avec ses observations une nouvelle liste d’événements impliquant ses véhicules, dont des véhicules de type pick-up. La période couverte par cette liste est plus étendue, soit du 10 février 2023 au 14 novembre 2024 77 .
[122] Cette liste comporte soixante-deux (62) événements qui impliquent les véhicules de l’Entreprise.
[123] L’Entreprise argumente que ses véhicules de type pick-up représentent 10.5 % de ses véhicules au Canada et que ceux-ci ont été impliqués dans cinq (5) des soixante-deux (62) événements répertoriés, ce qui représente 8% des événements sur la période du 10 février 2023 au 14 novembre 2024 78 .
[124] Cette nouvelle liste d’événements comporte une colonne qui indique la caméra utilisée, la variable « E » faisant référence à la caméra externe, la variable « I » à la caméra intérieure, la variable « B » aux caméras extérieures et intérieures et finalement la variable « N » indiquant qu’aucune caméra n’a été utilisée.
[125] Les informations présentées concernant ces cinq (5) événements sont notamment les suivantes :
76 Observations, p. 15 et Annexe O-6 des observations. 77 Annexe O-8 des observations. 78 Observations, p. 14.
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Date
2023-03-06
2023-12-20
2024-01-15
2024-02-22
Description de l’incident Crane rental truck hit Crane pick-up truck when moving in the yard - damaged the pipe rack
Third party vehicle hit Crane truck which was crossing an intersection
Third party vehicle coming out of parking spot hit Crane truck
Third party vehicle came out of an alley and hit Crane truck
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Utilisation de la caméra
E
N
N
B
2024-06-21 Reversed into another Crane truck while trying to back up into the loading dock N [126] La Commission relève qu’un seul de ces cinq (5) événements, soit l’événement du 21 juin 2024, a été causé par un véhicule de type pick-up de l’Entreprise, les autres événements relevant de la responsabilité de véhicules tiers.
[127] De plus, cet événement s’est produit sur le pont de chargement, soit en dehors du réseau routier et n’a impliqué que des véhicules de l’Entreprise.
[128] La Commission constate aussi par la mention « B » qu’un seul de ces événements implique l’utilisation de la caméra à l’intérieur de la cabine.
[129] Face à ces constats, la Commission considère que cette nouvelle liste d’événements soutient difficilement l’argument de l’Entreprise voulant que les véhicules de type pick-up causent proportionnellement plus d’accidents et l’argument voulant que ce type de véhicule comporte un risque particulier.
[130] De même, cette liste ne donne aucune indication relativement aux dommages qui découlent de ces événements.
[131] Bien que la Commission distingue le niveau de risque que représente un véhicule lourd par rapport à un véhicule de type pick-up et malgré les faiblesses relevées dans la preuve soumise par l’Entreprise, elle considère tout de même qu’il est de connaissance générale que le fait de conduire un véhicule sur le réseau routier comporte une probabilité avérée qu’un accident survienne.
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[132] De plus, sur l’ensemble des éléments produits concernant les véhicules de type pick-up, la Commission retient le fait que lorsque survient un accident, ce type de véhicule comporte statistiquement plus de risque d’entrainer un accident grave ou mortel que d’autres véhicules de type promenade.
[133] Par conséquent, la Commission conclut que ces éléments soutiennent le caractère réel des objectifs de l’Entreprise qui ont trait à la sécurité de ses véhicules de type pick-up.
3.1.2.6. Le caractère réel de l’objectif qui a trait à la défense de l’Entreprise et de ses chauffeurs.
[134] La Commission considère que l’Entreprise a, par la production de sa première liste d’accidents ou d’incidents 79 , établi que ses véhicules sont appelés à travailler dans des conditions particulières où des dommages matériels importants peuvent survenir. Ceci justifie le caractère réel de son objectif qui consiste à se défendre ou défendre ses chauffeurs en cas de litige.
3.1.3. Le caractère important des objectifs poursuivis [135] L’Entreprise a le fardeau de démontrer que les objectifs poursuivis sont suffisamment importants pour justifier les collectes de renseignements personnels effectuées 80 .
[136] La preuve démontre que les accidents de la route font partie des risques liés aux activités de l’Entreprise et par conséquent qu’il est important que cette dernière mette en place des mesures de prévention afin de détecter les comportements à risque de ses employés et fasse les interventions appropriées dans les circonstances.
[137] La sécurité des personnes et des biens est en soi un objectif louable qui revêt un haut degré d’importance.
[138] L’objectif de détection des infractions au Code de la sécurité routière est intimement lié à la sécurité des personnes et des biens et par ce fait revêt un degré d’importance comparable.
[139] L’objectif de contribuer à perfectionner la formation accordée aux chauffeurs de l’Entreprise revêt un caractère tout aussi important, car c’est cet objectif qui donne au système utilisé son caractère préventif et qui peut permettre l’atteinte des deux (2) objectifs mentionnés aux paragraphes précédents.
79 Annexes au rapport d’enquête, p.71. 80 Auberge du lac Sacacomie inc., CAI, dossier n
o 1014137-S, 7 avril 2022, p. 5.
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[140] Le système de vidéosurveillance en cause permet une analyse plus objective d’une situation et fait appel à moins de subjectivité que le récit et l’analyse des intervenants directs d’un accident ou d’un incident 81 .
[141] Le premier registre des accidents soumis par l’Entreprise fait état de plusieurs événements ayant causé des dommages matériels, dont deux (2) ayant entrainé des dommages de plus de 25 000 $ 82 .
[142] Considérant ces événements et la gravité des dommages matériels qui peuvent en découler, la Commission reconnait l’importance des objectifs qui consistent à contribuer aux enquêtes relatives aux incidents ou accidents ainsi qu’à la défense de l’Entreprise ou de ses chauffeurs, lors de réclamations ou de poursuites.
[143] Pour ces motifs, la Commission considère que l’ensemble des objectifs poursuivis par l’Entreprise sont importants.
3.2. La proportionnalité entre la collecte des renseignements personnels effectuée par l’Entreprise et les objectifs qu’elle poursuit
[144] Le test développé par la Cour du Québec dans l’affaire Société de transport de la Ville de Laval c. X. 83 et appliqué depuis par la Commission établit que la proportionnalité jouera en faveur de l’Entreprise lorsqu’il sera établi que :
• L’utilisation est rationnellement liée à chaque objectif; • L’atteinte est minimisée; • Les collectes des renseignements effectuées sont nettement plus utiles à l’Entreprise que préjudiciables pour les personnes.
3.2.1. Les collectes effectuées sont rationnellement liées aux objectifs poursuivis
[145] Afin de vérifier la rationalité entre la collecte effectuée et les objectifs poursuivis, dans plusieurs décisions, la Commission a vérifié si la collecte effectuée était un moyen efficace d’atteindre les objectifs poursuivis 84 .
81 Syndicat national des opérateurs de bétonnières Montérégie (CSN) et Lafarge Canada inc. (grief syndical), 2019 QCTA 655, par. 107. 82 Registre des accidents, Annexes p. 71. 83 [2003] C.A.I. 667 (C.Q.), par. 44 84 Auberge du lac Sacacomie inc., CAI dossier 1014137-S, 7 avril 2022, Services financiers Globex 2000 inc., CAI, dossier 1011672-S, 5 avril 2022, Plainte à l'égard de l'Association québécoise des transports et de la Société de l'assurance automobile du Québec, CAI, dossiers n os 1014505-S et 1016098-S, 13 mai 2022
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[146] Sous le volet de l’efficacité, il est important de considérer uniquement l’apport de la collecte des images internes des cabines dans l’atteinte des objectifs et non l’efficacité de l’ensemble des fonctionnalités du système, car c’est uniquement ce volet qui met en cause l’atteinte à la vie privée.
[147] Au niveau de l’efficacité, l’utilisation faite des renseignements personnels collectés peut être divisée en deux (2) catégories, soit des utilisations de nature préventive et des utilisations de nature rétrospective.
3.2.1.1. Volet préventif [148] L’efficacité du volet préventif attribué au système par l’Entreprise demeure difficile à circonscrire par sa nature préventive.
[149] Dans les faits, le système qui capte les images de l’intérieur des cabines permet de détecter les événements suivants :
• Une utilisation illégale d’un téléphone cellulaire lors de la conduite du véhicule; • Un conducteur qui ne porte pas sa ceinture de sécurité alors que le véhicule est en mouvement; • Un conducteur qui fume dans la cabine du véhicule.
[150] Le fait que le système soit configuré afin d’identifier certains comportements à risque peut avoir un effet dissuasif sur les employés de l’Entreprise.
[151] En ce sens, le fait que les chauffeurs savent qu’un rapport d’incident relevant ces manquements sera remis à leur superviseur peut limiter ces comportements jugés à risque.
[152] L’analyse de la Commission réalisée dans le cadre de son préavis concernant le rapport d’incident généré par le système l’amenait à relativiser son efficacité réelle. Car malgré ce système, certains chauffeurs continuaient d’utiliser leur téléphone cellulaire ou omettaient de s’attacher.
[153] En revanche, dans le cadre de ses observations, l’Entreprise a fait la démonstration par la production de cinq (5) mois de relevés d’incidents supplémentaires 85 , que de mois en mois, les incidents liés à l’utilisation du cellulaire au volant et à l’omission de porter sa ceinture étaient en diminution. Ce qui tend à démontrer l’effet dissuasif du système.
85 Rapport d’enquête, Annexe O-3.
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[154] Considérant ces nouveaux faits, la Commission considère que les moyens employés sont efficaces afin d’atteindre les objectifs qui consistent à prévenir certains gestes ou comportements.
3.2.1.2. Volet rétrospectif [155] L’efficacité du volet rétrospectif des objectifs liés à la collecte est plus apparente à sa face même, car les images jumelées des caméras externes et internes du véhicule permettent d’avoir une preuve plus complète et plus objective des événements lorsque survient un incident ou un accident.
[156] Cette preuve permet d’évaluer les événements tels qu’ils se sont produits et lorsque le chauffeur n’est pas en faute, peut contribuer à la défense de ce dernier ainsi qu’à celle de l’Entreprise.
[157] Dans les faits, la portion du système qui capte les images internes de la cabine permet à l’Entreprise de savoir si le conducteur était attentif à la route, a fait ses angles morts ou a utilisé correctement ses miroirs lors de manœuvres particulières 86 .
[158] Ceci fournit à l’Entreprise une base sur laquelle intervenir auprès de ses chauffeurs afin, notamment, d’assurer un suivi des besoins de formation relativement à leurs bonnes habitudes de conduite.
[159] Ici encore, il ne s’agit pas de déterminer le moyen le plus efficace 87 pour atteindre les objectifs fixés par l’Entreprise, mais de savoir si le moyen choisi par l’Entreprise est efficace dans l’atteinte de ses objectifs.
[160] Dans ce contexte, la Commission estime que les collectes des renseignements personnels effectuées par l’Entreprise sont rationnellement liées à l’ensemble des objectifs qu’elle poursuit.
86 Rapport d’enquête, Annexe 9, p. 2. 87 Syndicat national des opérateurs de bétonnières Montérégie (CSN) et Lafarge Canada inc. 2019 QCTA 655, par. 109.
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3.2.2. Obligation de l’Entreprise de minimiser l’atteinte que représente la collecte des renseignements personnels
[161] Avant de collecter des renseignements personnels, l’Entreprise doit s’assurer que l’atteinte que représente cette collecte est minimisée 88 .
[162] Pour ce faire, elle doit évaluer la possibilité d’utiliser d’autres moyens moins intrusifs permettant d’atteindre les objectifs visés 89 .
3.2.2.1. Position de la Commission dans son préavis [163] Dans le cadre de son préavis, la Commission se positionnait de manière préliminaire à l’effet que l’Entreprise disposait d’autres moyens pour atteindre ses objectifs et qui auraient pour effet de minimiser l’atteinte à la vie privée de ses chauffeurs.
[164] La Commission prenait notamment en considération le fait que : • Le système choisi par l’Entreprise effectue une surveillance continue des chauffeurs. Cette situation se distingue des situations observées dans le cadre des autres décisions rendues dans des contextes similaires où les systèmes étaient paramétrés afin de collecter quelques secondes avant et après des événements basés en fonction d’un niveau de force G exercé sur le véhicule ;
• La fonctionnalité du système qui permet de générer des rapports d’incidents au directeur de succursale limite la possibilité que les bandes vidéo soient entièrement visionnées. En revanche, la politique de l’Entreprise prévoit que les images peuvent être visionnées au-delà de ce qui pourrait être considéré comme un incident ou un accident et partagées avec la direction de la succursale, le comité de santé et de sécurité ou d’autres parties qui peuvent être qualifiées de concernées.
88 Laval (Société de transport de la Ville de) c. X. [2003] C.A.I. 667 CCQ. 89 Enquête à l’égard de l’Association des copropriétaires du Lowney I, dossier 1016882-S, 5 mai 2021, par. 30. X. et Pharmaprix, CAI dossier 1003352-S, 2014-08-13, par. 47. Enquête à l’égard de Héritage Ébénisterie Architecturale inc., CAI dossier n o 1023688-S, 14 juin 2021, par. 39.
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3.2.2.2. Position de l’Entreprise dans ses observations [165] Dans le cadre de ses observations, l’Entreprise conteste la position préliminaire annoncée par la Commission et allègue que les garanties qu’elle a mises en place quant à l’utilisation des renseignements collectés sont suffisantes afin de minimiser l’atteinte que représente la collecte de tels renseignements personnels.
[166] Elle allègue qu’elle se base presque exclusivement sur le logiciel d’exploitation qui génère automatiquement et quotidiennement un rapport d’événement détaillant les incidents répertoriés la veille et qu’aucune image ou enregistrement vidéo n’accompagne ledit rapport.
[167] Elle affirme qu’aucun visionnement en temps réel des images collectées n’est fait, sauf uniquement et limitativement en cas d’incident sérieux impliquant la santé et la sécurité de ses chauffeurs.
[168] Elle affirme que la politique sur l’utilisation des caméras de tableau de bord est appliquée restrictivement, et que :
• Les images collectées ne sont consultées qu’en cas d’accidents ou bien d’incidents importants;
• Le cas échéant, l’accès aux enregistrements vidéo est limité à 3 gestionnaires;
• Les communications à l’interne se limitent au partage de l’image pertinente prélevée par un des gestionnaires;
• Aucun enregistrement vidéo en continu n’est communiqué; • Aucune communication externe n’a été effectuée depuis l’implantation du système de vidéosurveillance. Toute transmission serait sous réserve du consentement exprès du chauffeur concerné et d’une consultation juridique par l’Entreprise.
[169] Elle argumente que l’utilisation du système est limitée à des circonstances précises et justifiées, écartant toute notion de surveillance intrusive et abusive.
[170] Elle conclut que tel qu’il est utilisé le système s’apparente davantage à un système de nature séquentiel qu’à un système d’enregistrement continu.
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3.2.2.3. Analyse relative à l’obligation de minimisation a) Formation et promotion [171] La Commission considère que la promotion des bonnes habitudes de conduite ainsi que la formation dispensée aux chauffeurs à l’emploi sont les premiers éléments que l’Entreprise doit mettre en place et d’une manière suffisante afin de remplir ses objectifs qui ont trait à la sécurité des personnes et des biens.
[172] L’Entreprise produit sous la cote O-1 de ses observations la liste des formations dispensées à ses chauffeurs lors de l’embauche.
[173] En plus de cette liste de formations obligatoires, l’Entreprise confirme qu’elle effectue périodiquement de la formation et de la sensibilisation concernant l’importance de respecter le Code de la sécurité routière. Malgré cette approche, les problématiques liées à la sécurité demeurent, tel que le démontrent les rapports d’incidents produits par l’Entreprise.
[174] À cet effet, la Commission considère que l’Entreprise s’est effectivement assurée d’effectuer la formation et la promotion requises. Elle s’est également assurée que ces mesures n’étaient pas suffisantes avant de se tourner vers une technologie qui requiert la collecte de renseignements personnels.
b) Politique de l’Entreprise [175] La politique de l’Entreprise relative aux caméras de tableau de bord précise que les caméras ne doivent pas être utilisées pour surveiller de manière générale ou observer de manière injustifiée le travail des employés.
[176] De même, cette politique prévoit que les images sont accessibles uniquement au vice-président des opérations, au responsable des opérations nationales ainsi qu’au responsable de santé et sécurité et que pour les six (6) fins suivantes : • Soutenir les enquêtes sur les accidents; • Minimiser les problèmes de sécurité liés au comportement en générant des alertes lorsque des infractions sont commises; • Enquêter sur le vandalisme et/ou les dommages aux véhicules équipés d’une grue; • Prendre en charge les réclamations d’assurance automobile; • Dans un litige de constat d’infraction; • Dans la défense ou le litige d’une action en justice, d’un grief potentiel ou de mesures disciplinaires.
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[177] La Commission estime que la politique de l’Entreprise établit effectivement des principes qui tendent à minimiser l’impact que peut représenter l’utilisation de la vidéosurveillance dans ses véhicules.
[178] Cependant, bien que l’Entreprise allègue que les images collectées ne sont consultées qu’en cas d’accidents ou bien d’incidents importants, la Commission constate que la politique de l’Entreprise n’est pas aussi claire et ferme à cet effet.
[179] Le paragraphe C. de cette politique fait référence à des enquêtes portant sur un incident ou un différend concernant le fonctionnement du camion 90 , ce qui dans les faits peut avoir une portée plus large que celle qui a trait aux accidents ou incidents considérés comme importants.
[180] De plus, bien que la politique prévoit que l’accès aux images ne peut avoir lieu que pour des raisons de protection et de sécurité des personnes et des biens, de prévention ou de détection d’infraction pénale, de défense d’actions en justice, d’évaluation d’accidents de la route et d’assistance au conducteur, les règles relatives à l’usage prévoient que les images peuvent être utilisées notamment dans le cadre de grief potentiel ou de mesures disciplinaires.
[181] La Commission constate que ces règles relatives à l’usage constituent des motifs de visionnement plus large que ce que l’Entreprise affirme dans le cadre de ses observations.
[182] Ce fait porte la Commission à recommander à l’Entreprise de revoir sa politique afin que cette dernière soit cohérente avec ce qu’elle affirme dans ses observations et conforme au fait que les enregistrements ne peuvent être accessibles et utilisés qu’en cas d’accidents ou d’incidents importants.
c) Paramètres du système [183] Sous l’analyse du volet de l’obligation de minimiser l’atteinte que représente la collecte des renseignements personnels, l’Entreprise a l’obligation d’évaluer la possibilité d’utiliser d’autres mesures moins attentatoires à la vie privée et de mettre en place les mesures de minimisation qui sont raisonnables dans les circonstances 91 . L’application du critère de proportionnalité impose une obligation de moyens et non de résultats 92 .
90 Annexes du rapport d’enquête, p. 39. 91 Auberge du lac Sacacomie inc., CAI, dossier n o 1014137-S, 7 avril 2022, p. 7 et 8, Concept Cardio Plus, CAI, dossier n o 1012467-S, 16 octobre 2018, par. 41. 92 Gosselin c. Québec (Procureur général), 1999 CanLII 13818 (QC CA), par. 30.
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i. L’émission de rapport d’événement par le système [184] La Commission est d’accord avec l’affirmation de l’Entreprise à l’effet que le rapport d’incident généré par le système fait en sorte que les bandes vidéo ne sont pas systématiquement visionnées et que, dans une certaine mesure, ce rapport limite l’atteinte que peut représenter la collecte des renseignements personnels qui est effectuée.
[185] Malgré ce moyen technique dont dispose l’Entreprise et sous réserve des mesures prônées par sa politique, cette dernière collecte dans les faits quand même l’ensemble des images et les conserve quatorze (14) jours 93 .
[186] Cette collecte demeure importante et à cet effet, il faut se demander si l’Entreprise dispose raisonnablement d’autres moyens qui tendraient à minimiser davantage cette collecte.
ii. Paramétrages généraux de la collecte des images [187] Les paramétrages actuels de la collecte des images se distinguent des situations que l’on retrouve dans le cadre des décisions BFI Canada 94 , Linde 95 , Sysco 96 et Lafarge 97 rendues précédemment dans des contextes similaires de vidéosurveillance dans l’industrie du camionnage.
[188] Les systèmes en cause dans ces affaires se limitaient à une collecte séquentielle de quelques secondes avant et après des événements paramétrés en fonction d’un niveau de force G exercé sur le véhicule.
[189] Par exemple, dans l’affaire Linde l’enregistrement était effectué pendant douze (12) secondes au total, soit huit (8) secondes avant et quatre (4) secondes après un événement 98 .
[190] De même, dans le cadre de certaines de ces affaires, les bandes vidéo des événements étaient d’abord visionnées par un service tiers afin de déterminer
93 Sysco Québec, division de Sysco Canada inc. c. Beaulieu, 2017 QCCS 3791, par. 266, 267. 94 BFI Canada Inc. c. Teamsters, local Union no 213, sentence arbitrale du 11 juin 2012. 95 Teamsters Québec, section locale 106 c. Linde Canada Ltée, 2014 QCTA 943. 96 Syndicat des travailleurs et travailleuses de Sysco-Québec (CSN) c. Sysco Services alimentaires du Québec, 2016, QCTA 455 (pourvoi en contrôle judiciaire rejeté, 2017 QCCS 3791) . 97 Lafarge Canada Inc. c. Teamsters local Union no 213, sentence arbitrale du 24 mai 2018. 98 Linde Canada Ltée, 2014 QCTA 943, par. 20.
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si les événements concernés étaient réellement problématiques, avant d’être rendues accessibles à la haute direction 99 .
[191] Ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Bien que les rapports d’incidents émis par le système aient l’effet de limiter les accès à l’entièreté des images et que la politique de l’Entreprise spécifie les motifs pour lesquels l’accès à ces dernières est autorisé, ces images demeurent dans les faits collectées et disponibles, sous certaines conditions, aux membres de la haute direction désignés à la politique pour une durée de quatorze (14) jours.
[192] Dans le cadre de l’entrevue menée en date du 10 juillet 2024, le vice-président RH de l’Entreprise a été questionné à savoir si l’Entreprise avait évalué la possibilité d’utiliser un système qui permet le déclenchement de la vidéosurveillance en lien avec la force G appliquée sur le véhicule 100 .
[193] Ce dernier a d’abord indiqué à l’enquêteuse qu’il ne croyait pas que ce système était disponible. Il a ensuite expliqué que ce type de système se déclenche lors du freinage et que lors d’accident il n’y avait pas toujours de freinage.
[194] Lors de cette entrevue, ce dernier s’est engagé à faire des vérifications afin d’apporter une réponse spécifique à cette question.
[195] Le 17 juillet 2024, en guise de réponse, le vice-président RH de l’Entreprise s’est limité à indiquer ce qui suit :
« Crane Supply a opté pour un système qui enregistre en continu, permettant ici de constater, en cas de besoin, le déroulement des événements qui précèdent-suivent un incident routier sur l’ensemble de la période de temps requise afin d’effectuer une enquête complète et fiable (plutôt qu’uniquement sur un très court laps de temps avant/après l’incident ou l’accident). 101 »
[196] Bien que le préavis de la Commission ait soulevé la question de l’insuffisance de mesures de minimisation en lien avec les paramétrages du système utilisé, les observations de l’Entreprise se sont limitées à s’inscrire en faux relativement au fait que l’Entreprise pourrait atteindre ses objectifs en optant pour une collecte séquentielle, sans pour autant fournir d’élément de preuve permettant de soutenir la nécessité de collecter l’entièreté des images et de les conserver pour une durée de quatorze (14) jours.
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100 101
Syndicat national des opérateurs de bétonnière Montérégie (CSN) c. Lafarge Canada Inc., 2019 QCTA 655, par. 10, et Sysco Québec, division de Sysco Canada inc. c. Beaulieu, 2017 QCCS 3791, par. 97; Teamsters Québec, section locale 106 c. Linde Canada Ltée, 2014 QCTA 943, par. 23. Annexes, p. 132 et 133. Annexes, p. 135.
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[197] C’est à l’Entreprise que revient le fardeau de démontrer qu’elle a mis en place l’ensemble des mesures de minimisation qui sont raisonnables dans les circonstances.
[198] L’ensemble des réponses fournies dans le cadre de l’enquête nous font savoir que l’Entreprise n’a pas réellement évalué la possibilité d’utiliser un autre système ou d’autres paramétrages moins intrusifs.
[199] De même, cette dernière n’a pas fourni d’exemple concret qui aurait permis de démontrer qu’un tel système dont la collecte est limitée ne permettrait pas de rejoindre ses objectifs.
[200] Les réponses fournies par l’Entreprise ne nous laissent pas savoir si le fait de ne pas collecter l’ensemble des images ferait en sorte de rendre impossible l’utilisation des rapports d’événements générés automatiquement par le système.
[201] De plus, la réponse fournie le 10 juillet 2024 par le vice-président RH de l’Entreprise n’est pas suffisante pour convaincre la Commission qu’un dispositif basé sur la force G empêcherait l’Entreprise d’atteindre ses objectifs dus au fait que certains accidents n’impliquent pas de freinage.
[202] Dans ces circonstances, la Commission estime que l’Entreprise n’a pas démontré avoir pris les moyens suffisants et raisonnables afin de minimiser l’atteinte à la vie privée que représente la collecte des renseignements personnels qu’elle effectue.
iii. Délai de capture suivant l’arrêt du moteur [203] De même, le système choisi par l’Entreprise collecte et conserve les images du conducteur quand le véhicule est en marche, et ce, jusqu’à vingt (20) minutes à la suite de l’arrêt du moteur.
[204] L’Entreprise affirme dans ses observations que ses véhicules ne sont pas un lieu de pause ni de repas étant donné que la durée moyenne d’un trajet est de 1 h 30 102 .
[205] L’Entreprise n’a produit aucune preuve, aucune politique ou aucun règlement qui prévoit que ses employés ne peuvent prendre leur pause dans les véhicules.
[206] De plus, cette affirmation est contredite par l’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée produite par l’Entreprise dans le cadre de l’enquête qui indique à
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Observations, p.11.
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la case 4.1 que les informations relatives aux travailleurs en pause dans les véhicules peuvent être collectées 103 .
[207] La Commission estime que dans les circonstances il est possible et même probable que des chauffeurs prennent leurs temps de pause à même les véhicules.
[208] Par conséquent, ce paramétrage a pour conséquence que les chauffeurs sont susceptibles d’être filmés durant ces périodes qui ne constituent pas du temps de travail.
[209] La Commission est d’opinion que ce délai de capture supplémentaire qui survient après la coupure du moteur n’est pas justifié et fait en sorte que la collecte effectuée est plus étendue que nécessaire.
[210] Sur ce point, lors de l’enquête, le représentant de l’Entreprise a indiqué que ce délai permet de déceler les problématiques liées aux déchargements du camion.
[211] Dans le cadre de son préavis, la Commission a annoncé qu’elle n’était pas convaincue, en regardant l’image que capture la caméra interne du véhicule 104 , que ce délai supplémentaire permettait réellement de capturer quelques informations pertinentes relativement aux déchargements du véhicule et soit efficace afin de relever ce type de problématique.
[212] L’Entreprise n’a fourni aucune preuve relativement à ce type de situation et par conséquent a omis de démontrer que la collecte qu’elle effectue sur ce volet était suffisamment minimisée.
[213] La Commission conclut que l’Entreprise pourrait facilement changer ce paramétrage afin de limiter la collecte de renseignements personnels aux périodes où le moteur du véhicule est en marche, et ce afin d’éviter de capter les moments où ses employés sont en pause.
3.2.2.4. L’effet utile de la collecte des renseignements personnels effectuée est proportionnellement plus important que le préjudice qu’elle représente pour les personnes concernées
[214] Bien que l’Entreprise n’ait pas rencontré son fardeau relativement à son obligation de minimisation et considérant que l’Entreprise pourrait mettre en place des mesures afin de minimiser davantage la collecte qu’elle effectue, la
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Annexes du rapport d’enquête, p. 78. Annexe 7 du rapport d’enquête, p. 69 du cahier des Annexes.
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Commission estime pertinent d’effectuer l’analyse du dernier volet du test de l’arrêt Oakes.
[215] Ce volet consiste à vérifier si l’effet utile de la collecte des renseignements personnels effectuée est proportionnellement plus important que le préjudice qu’elle représente pour les personnes concernées.
3.3. Le niveau d’atteinte à la vie privée que représente la collecte 3.3.1. Position préliminaire au préavis de la Commission [216] Dans le cadre de son préavis, la Commission en venait à la conclusion préliminaire que le lieu visé par la vidéosurveillance, notamment par son caractère exigu, comportait une expectative de vie privée résiduaire.
3.3.2. Position exprimée par l’Entreprise dans ses observations [217] Dans le cadre de ses observations, sans pour autant alléguer qu’une cabine de camion ne comporte aucune expectative de vie privée, l’Entreprise critique la position prise par la Commission dans le cadre de son préavis.
[218] Elle mentionne que la Commission attribue aux chauffeurs une expectative de vie privée supérieure à celle qui prévaut en l’espèce, et ce, en contradiction avec la jurisprudence majoritaire voulant que l’expectative soit nettement résiduelle 105 .
3.3.3. Analyse de l’expectative de vie privée [219] Le droit à la vie privée est une garantie constitutionnelle qui est prévue à la Charte des droits et libertés de la personne 106 et qui est reprise aux articles 3 et 35 du Code civil du Québec.
[220] De même, la protection de la vie privée est un droit qui se rattache à la personne et non au lieu où elle se trouve 107 .
[221] Conséquemment, dans le cadre d’une relation de travail, le salarié devrait conserver, du moins en partie, son droit à la vie privée. À cet effet, l’arbitre
105
106 107
S’appuyant sur le par. 111 de la décision Syndicat national des opérateurs de bétonnière Montérégie (CSN) c. Lafarge Canada Inc., 2019 QCTA 655 et par. 89 de la décision Teamsters Québec, section locale 106 et Linde Canada Ltée (grief syndical), 2014 QCTA 943, par. 89. RLRQ, c. C-12. Université Concordia et Syndicat des employés de bureau du Réseau de transport de Longueuil, section locale 3332 du SCFP et Réseau de transport de Longueuil, D.T.E. 2010T-762 (T.A.), par. 60.
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M e Richard Mercier énonce dans la décision Unifor, Section Locale 175 v Produits Suncor ÉNergie S.E.N.C.- Raffinerie De Montréal 108 :
[49] Il est admis que la protection de la vie privée au travail est moindre que celle à laquelle peut s’attendre une personne dans un lieu privé, mais la jurisprudence a admis depuis longtemps qu’il y en avait une.
[222] La collecte d’un renseignement personnel comporte nécessairement une atteinte à la vie privée dont le niveau d’atteinte sera en fonction du type de renseignement personnel en cause et du contexte de la collecte. À cet effet, les auteures Gabrielle Grégoire et Marie-Hélène Jolicoeur s’expriment en ce sens concernant la notion d’atteinte à la vie privée dans le cadre de la protection des renseignements personnels :
« Le législateur s’est exprimé en terme clair, et il n’est nullement nécessaire pour l’interprète de se demander si un renseignement fait l’objet d’une attente raisonnable, ou non, en matière de vie privée. Un renseignement personnel ne peut être recueilli que s’il est nécessaire 109 . »
[223] La jurisprudence est constante à l’effet que l’expectative de vie privée rattachée à un lieu de travail, hors des salles de repos et des toilettes, est faible 110 .
[224] De même, la jurisprudence en droit du travail reconnaît le droit d’un employeur à installer des caméras de surveillance exceptionnellement dans certaines circonstances, soit s’il existe des motifs réels et sérieux. La caméra doit permettre de régler le problème et porter atteinte le moins possible au droit du salarié de ne pas être épié 111 .
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111
2023 CanLII 128765 (QC SAT), par. 49. Volume 454 – Développements récents en droit du travail (2019), Les développements récents en droit de la vie privée appliqués au droit du travail québécois, Stéphane Lacoste et Catherine Massé-Lacoste, p.104. Sébastien PARENT, Les droits et libertés du salarié à travers le prisme de la relation d’emploi, Wilson & Lafleur, p. 195, Syndicat national des opérateurs de bétonnières Montérégie (CSN) et Lafarge Canada inc., 2019 QCTA 655, par. 111, dicat des employées et employés de métiers d’Hydro-Québec, section locale 1500 et Hydro-Québec, 2010 CanLII 48897 (QC SAT), D.T.E. 2010T-669 (T.A.), par. 86; Syndicat démocratique des employés de garage Saguenay – Lac-St-Jean (CSD) et 9034-4227 Québec inc. (St-Félicien Toyota), D.T.E. 2013T-384 (T.A.), par. 61; Travailleurs québécois de la pétrochimie, section locale 194, SCEP et Énergie Valero/Raffinerie Jean-Gaulin de Lévis, 2014 QCTA 78, par. 56. Volume 454 – Développements récents en droit du travail (2019), Les développements récents en droit de la vie privée appliqués au droit du travail québécois, Stéphane Lacoste et Catherine Massé-Lacoste, p. 29 ; Aliments Multibar inc. et Unifor, section locale 698 (grief syndical), 2015 QCTA 1019; Hydro-Québec et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1500 (Dominic Simard), 2015 QCTA 90; Société VIA inc. et Syndicat des
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[225] En l’espèce, le fait que les véhicules sont la plupart du temps sur la voie publique vient réduire l’expectative de vie privée 112 .
[226] La Commission note que rien n’indique dans la preuve que les chauffeurs peuvent utiliser ces véhicules pour leurs déplacements personnels.
[227] Le contexte des chauffeurs de l’Entreprise se distingue du contexte dans l’affaire Linde où les chauffeurs étaient appelés à faire de la livraison aux États - Unis. Dans le présent dossier, les véhicules de l’Entreprise ne disposent pas d’une couchette et la durée moyenne d’un trajet est selon les observations de l’Entreprise de 1h30 113 .
[228] En revanche, dans la décision Sysco 114 , l’arbitre Francine Beaulieu indique que le caractère exigu d’une cabine de véhicule, et ce, même si le véhicule se trouve sur la voie publique, se distingue du contexte d’une personne qui se trouverait dans une usine ou un lieu collectif de travail et peut par conséquent entrainer une expectative de vie privée supérieure 115 .
[229] Lorsqu’il s’agit de vidéosurveillance en entreprise, la surveillance de nature continue a été à maintes reprises jugée déraisonnable et contraire à l’obligation de minimisation faite à l’employeur 116 .
[230] Ces décisions nous enseignent que la vidéosurveillance de nature continue comporte d’importants inconvénients pour les personnes qui y sont sujettes et constitue une atteinte importante à la vie privée.
[231] Concernant les inconvénients que peut représenter la vidéosurveillance, la Commission s’est par le passé positionnée à l’effet que la vidéosurveillance
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travailleurs unis du Québec (grief syndical), 2017 QCTA 964; Association internationale des machinistes et des travailleuses et travailleurs de l’aérospatiale, section locale 1660 – district 11 et Compagnie Andritz Hydro ltée (grief syndical), D.T.E. 2013T-87. Syndicat National des opérateurs de bétonnières Montérégie (CSN) c. Lafarge Canada inc., 2019 QCTA 655, par. 111. Observations, p. 11. Syndicat des travailleurs et travailleuses de Sysco-Québec-CSN et Sysco Services alimentaires du Québec (grief collectif), 2016 QCTA 455. Idem, par. 52-53. Sysco Québec, division de Sysco Canada inc. c. Beaulieu, 2017 QCCS 3791; Société VIA inc. et Syndicat des travailleurs unis du Québec (grief syndical); Syndicat du transport scolaire de la Mauricie-CSN et Autobus La Mauricie (grief syndical), 2015 QCTA 73, par. 36; Syndicat de l’enseignement de la Région des Moulins c. Commission scolaire des Affluents, par. 80, Compagnie embouteillage Coca-Cola Canada limitée c. Ranger, 2023 QCCS 1161, par. 17 à 35; Gatineau et Association des pompiers et pompières de Gatineau, 2018 CanLII 35618 (QC SAT), par. 53.
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pouvait avoir un effet paralysant sur les personnes et influencer leur comportement 117 .
[232] Cependant, en prenant en considération les arguments soulevés par l’Entreprise dans le cadre de ses observations, la Commission distingue la vidéosurveillance qui est effectuée en l’espèce de la vidéosurveillance qui pourrait être qualifiée de purement continue.
[233] Sous réserve de la position de la Commission relativement à l’obligation de minimisation, les fonctionnalités du système qui permettent de générer des rapports d’incidents font en sorte que seulement certains gestes précis relatifs à la prestation de travail sont relevés et ont pour conséquence que les bandes vidéo ne sont pas constamment visionnées.
[234] De même, la politique de l’Entreprise précise que les caméras ne doivent pas être utilisées pour surveiller de manière générale ou observer de manière injustifiée le travail des employés.
[235] Sous réserve de la recommandation de la Commission concernant la modification de la politique de l’Entreprise et de sa position relativement à l’obligation de minimiser la collecte, suivant la preuve recueillie et les pratiques de l’Entreprise, la Commission considère que l’atteinte à la vie privée dans le présent contexte n’est pas équivalente à l’atteinte qui intervient dans un contexte de surveillance continue.
[236] Néanmoins, bien que l’expectative de vie privée des chauffeurs de l’Entreprise soit par le caractère exigu des cabines supérieure à celle d’un employé dans le cadre d’un travail en usine ou dans un lieu collectif de travail, cette dernière demeure quand même limitée dans les circonstances.
[237] De même, bien que certaines conséquences psychologiques puissent découler du fait qu’une caméra soit constamment fixée vers le chauffeur, la preuve au dossier n’a pas fait état d’inconvénients particuliers subis par les chauffeurs de l’Entreprise.
[238] Quoiqu’il en soit, dans le présent contexte, la Commission considère que les avantages que procurent les collectes de renseignements personnels effectuées dépassent les inconvénients qui peuvent en découler.
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Consultation publique sur l’utilisation de caméras de surveillance par des organismes publicsdans les lieux publics, M e Michel Laporte, Commission d’accès à l’information du Québec, avril 2004, p. 25.
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[239] En vertu du Code civil du Québec et de l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail 118 , l’Entreprise a l’obligation de prendre les mesures appropriées à la nature du travail en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié 119 .
[240] En matière de transport, les objectifs qui ont trait à la sécurité devraient être une priorité et les avantages qui découlent des mesures mises en place par l’Entreprise ne bénéficient pas uniquement à cette dernière, mais bien à l’ensemble de la collectivité.
[241] Il est de connaissance générale que le non-respect du Code de la sécurité routière peut entrainer de lourdes conséquences telles que des blessures graves ainsi que des décès.
[242] Les mesures mises en place par l’Entreprise afin de prévenir ces événements malheureux représentent plus d’avantages que d’inconvénients, car c’est l’intégrité physique de personnes et même des vies qui peuvent être impactées par les problématiques en cause 120 .
[243] Comme la preuve l’a démontré, d’importants dommages matériels peuvent découler d’un accident ou d’un incident important impliquant les véhicules de l’Entreprise.
[244] Finalement, l’utilisation du système faite par l’Entreprise est très peu susceptible de collecter des renseignements personnels de nature sensible.
[245] Considérant que le lieu visé par la vidéosurveillance comporte une expectative de vie privée qui est résiduaire et les avantages précités de l’utilisation du système de vidéosurveillance par l’Entreprise, la Commission conclut que les avantages que procurent les collectes des renseignements personnels en cause sont supérieurs aux préjudices que représentent ces collectes.
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RLRQ, c. S-2.1. 2087 C.c.Q. 9081-8055 Québec inc., 2020 QCCTQ 62 (CanLII), Agropur coopérative, 2019 QCCTQ 2755 (CanLII).
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CONCLUSION À la lumière de ce qui précède, la Commission conclut que l’Entreprise n’a pas suffisamment minimisé l’atteinte à la vie privée que représente la collecte des renseignements personnels qu’elle effectue. Par conséquent, l’Entreprise n’a pas démontré la nécessité de cette collecte.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION ORDONNE À L’ENTREPRISE, DANS LES QUATRE-VINGT-DIX (90) JOURS DE LA RÉCEPTION DE LA PRÉSENTE DÉCISION DE,
• LIMITER la collecte des images de l’intérieur des cabines de ses véhicules à un nombre limité de secondes avant et après un incident déterminé ou, à défaut, CESSER de collecter les images de l’intérieur des véhicules; • CESSER de collecter les images de l’intérieur des véhicules suivant l’arrêt du moteur; • RECOMMANDE à l’Entreprise de revoir sa politique relative aux caméras de tableau de bord afin que cette dernière prévoie spécifiquement que les images captées par les caméras à l’intérieur des cabines des véhicules ne puissent être accessibles et utilisées qu’en cas d’accident ou d’incident important; • DÉTRUIRE toute portion d’enregistrements collectée à l’intérieur des cabines de ses véhicules qui excède la séquence afférente à un accident ou un incident important.
Me Steeven Plante Membre de la Commission, section de surveillance